[Terminé] La paradis des cœurs perdus

Je n'étais pas parvenu à fermer l'œil de la nuit. Comment était-il possible que celle sur qui j'avais tiré un trait était de retour. J'avais mis un temps incommensurable à faire le deuil de notre relation. Cela m'avait valu des passage à vide monstrueux, des périodes d'isolement ou je passais pour un zombie auprès de ma famille d'adoption. Je buvais à en perdre connaissance. Je revoyais toutes ses nuits passer à cauchemarder et à suer tellement je n'arrivais pas à lâcher prise. Et voilà qu'elle était de retour.

Elle aurait beau faire tout un tas de discours, je ne voulais plus replonger dans mes travers. Mais je devais avouer que c'était difficile. Comment se dire qu'on devait rester amis, qu'elle serait là tout le temps dans mes pattes et me dire que cela allait bien se passer. Alors, oui, il y avait de l'eau qui avait coulé sous les ponts depuis, mais comment devais-je encaisser le retour de Gamora ? J'en savais fichtre rien du tout ! Cela me terrifiait même de devoir passer du temps en sa compagnie. Comment étais-je sensé pendre la nouvelle ? Ben j'en savais rien du tout.

Je passais la matinée à cogiter. D'ailleurs, on pouvait voir que j'étais ailleurs. Mais une chose était sûre, je n'étais pas prêt à la voir revenir. Enfin, je ne savais comment j'étais sensé réagir. Je pensais beaucoup trop. Je devais parler, évacuer. Il fallait mettre les choses au clair et se tenir à ce qu'on avait choisi de faire. Mais pour moi, cela me paraissait une épreuve quasiment insurmontable. S'il n'y avait pas eu Raven et les bébés à venir au monde, cela aurait été peut-être plus simple, mais dans l'hypothèse où, en plus de tout ça, je devenais père, je ne pouvais pas me permettre de replonger dans une histoire qui m'avait tant coûté.

J'avais maintenant besoin d'un remontant. Il devait être 14 heures et je n'avaient même pas mangé. Alors je décidais de m'arrêter au Molly's. J'y avait passé pas mal de temps. Cet endroit était un peu réconfortant pour moi. Alors je m'installais au comptoir et je regardais la carte. Je commandait une pinte de bière et un burritos. J'étais largement perdu dans mes pensées et ne remarquait pas mon voisin de chaise. Il semblait aussi pommé que moi à vrai dire. Mais je n'étais pas mon problème dans l'immédiat. Mais par politesse, je lui lâchais une banalité, histoire de pas passer pour un idiot qui le regardait sans raison.

- Salut l'ami.

Il semblait ne même pas réagir. Mais bon, je me disais qu'au moins j'avais été poli. C'était ce qu'il convenait de faire sur Terre non ? Alors qu'il réponde ou pas, c'était son choix. Mais je me réjouissais qu'il me laisse au moins manger avant de parler si l'envie lui en prenait. Je pouvais maintenant boire et noyer mes angoisses dans ma pinte.

C'est bon… J'ai terminé ma journée. Je n'avais qu'une intervention à faire le matin et du coup j'ai mon après-midi de libre… Il doit être deux heures passé et je suis au bar… Le Molly Bar qu'il s'appelle cet endroit. C'est plein de policier et de pompier pendant les heures de pointe, mais vue qu'il est deux heures passé et que je suis au bar, bah il n'y a pas grand monde en vérité. Tant mieux. Je n'aime pas le monde, ils me sortent de mes pensées et je n'aime pas être sortie de mes pensées quand je bois. Apparemment, le bar est écossais. Je n'en sais rien en fait… Je sais juste que c'est un bar et qu'il y a en général tout ce que je trouve. L'ancien patron serait parti dans son pays d'origine et son partenaire aurait pris le relai. C'est ce que j'ai entendu en tendant parfois mon oreille sans le vouloir. Je ne sais pas pourquoi j'ai fait ça d'ailleurs… Je n'ai rien appris de spécialement utile, j'apprécie juste être loin de Manhattan lorsque je picole. Ce serait con que des élèves de Columbia me repèrent tout seul un verre à la main.

Je regarde ma pinte… Une Guinness… Je reste bloqué sur son allure noire.

C'est ce qu'on appelle une bière stout… Une catégorie de bière avec une teneur en graine qui est super torréfié. Pour la Guiness, c'est du houblon. C'est ça qui donne cette couleur si sombre au liquide. La mousse est plutôt épaisse et le goût amer donne du caractère à cette bière… Sa conception se passe en onze étapes. Mise en place des ingrédients, broyage, brassage, séparation, ébullition, refroidissement, fermentation, maturation, clarification, emballage et dégustation. Les ingrédients principaux pour confectionner cette bière sont le houblon, de la levure, de l'orge et de l'eau. La levure est d'ailleurs considérée comme étant un trésor national apparemment… descendant de la souche qui a été utilisé par Arthur Guiness lui-même au XIXème siècle. Ce type était irlandais, c'est pour cela que je me pose la question suivante : qu’est-ce qu'une bière irlandaise fout dans un bar écossais ? Oh bon sang… Je commence à être dans un sérieux état d'ébriété.

Un type vient s’asseoir à côté de moi et m’appelle l’ami.

Au risque de me répéter… Je n'aime pas être sorti de mes pensées… Pourquoi il faut toujours que les autres viennent me parler ? Je le regarde à peine et je lève légèrement mon verre en signe de politesse. Il m'a sorti de mon blocage sur ma bière et du coup je ne sais plus où j'en étais… Oh fait chier… Je commence alors à la boire plutôt vite pour espérer avoir plus rapidement ce sentiment d'ivresse. J'adore cet état. J'ai l'impression qu'il m'apaise et qu'il me permet de plus réfléchir. Je n'aime pas le revers de la médaille par contre. L'enchaînement du mal de tête, de la nausée, des coups de chaleurs et du vertige m'emmerde. J'ai à peu près appris à contourner la gueule de bois cela dit. J'essaie de boire un litre d'eau petit à petit et d'aller pisser ensuite. Des fois ça marche… Des fois ça foire. J'engloutis le reste de ma bière en ayant toujours les yeux dans le vague et une fois finis mon liquide je lève simplement la main pour faire signe au barman.

« Remettez-moi la même… »

Le patron du comptoir hausse un sourcil pour venir me juger. J'en suis à combien déjà ? Trois ou quatre pintes de Guiness je dirais. Cela doit faire 2,27 litres ingurgité et il doit être deux heures passés… C'est bon, j'ai encore de la marge. Je pense que je peux encore encaisser. Je connais mes limites. Enfin, c'est ce qu'on dit quand on commence à être rond pilon…

Le calme résonnait dans le pub. Il n'y avait pas grand monde à cette heure de la journée, il fallait avouer. Et c'était plutôt pas mal pour cogiter. Mais cela avait des inconvénients. On ne se rendait pas forcément compte de son état avant qu'il ne soit trop tard. Je commandais une seconde pinte. Je n'avais pas encore assez d'alcool dans le sang pour oublier ce pour quoi j'étais là. Le souvenir encore trop frais de la rencontre de la veille était trop frais. Je n'arrivais pas à m'y faire. Cette fille allait-elle donc me suivre toute ma vie, me tourmenter ? J'avais eu tant de mal à m'en défaire. On me l'avait arraché et je n'avais même pas eu le temps d'en faire vraiment le deuil, qu'elle réapparaissait, revenue de nulle part et tout était à refaire.

Bon Dieu que la vie était cruelle ! J'avais retrouvé un semblant d'équilibre. Je pensais avoir enfon tourner la page, mais son retour me paraissait encore prématuré et je ne me sentais pas encore prêt. J'avais noyé mon chagrin dans l'alcool, je m'étais exilé volontairement, j'avais même tenté le fantôme de service, mais je n'avais réussi qu'à faire une chose : m'éloigner de ma famille d'adoption et créer un climat de tension parmi les miens.

Il m'arrivait alors de penser à voix haute, histoire de sortir mes pensées, pensant qu'elle disparaitraient alors, mais elles étaient bien accrochées et ne semblaient pas vouloir me quitter... Un coup d'œil dans le grand miroir, derrière les rangées de bouteilles et je n'aimais pas ce que je voyais. Cela me ramenait quelques mois en arrière. Alors, je replongeais dans mon verre et je marmonnais tout seul.

- Mais pourquoi a-t-elle décidé de revenir ? Qu'est-ce que je suis sensé faire maintenant ?

Je me sentais momentanément perdu. Je replongeais dans mes vieux travers sans m'en rendre compte alors que je m'étais promis de ne le pas le faire. Etais-je si faible que ça ? Je ne pouvais recommencer à noyer mes tourments dans l'acool... ou plutôt si mais "juste pour cette fois" me disais-je ? Il fallait juste que je puisse m'en convaincre.

En règle générale la toxicité de l'alcool sur le système nerveux s'engage sur deux niveaux : une toxicité au niveau fonctionnel qui fait alors apparaître des effets aigus qui persistent lorsque la dose est élevée. Ces effets en question disparaissent après que la consommation se soit arrêtée et ils peuvent engager des risques à court terme notamment avec un trouble du comportement, une absence du sens du danger et une probabilité plus élevée dans la prise de risque et du danger. Cependant, ce type de toxicité n'engendre pas de séquelles sur le long terme… C'est là qu'apparait la toxicité au niveau lésionnel qui comprend alors des effets chroniques. Ces effets apparaissent lors d'une consommation prolongée de l'alcool et peuvent ainsi laisser des traces définitives sur le cerveau. C'est ça qui entraîne la dépendance en règle générale et c'est ça qui entraine le coma éthylique… Je ne pense pas être proche de perdre conscience, en revanche je pense être proche de la dépendance.

En même temps, qu'est-ce que j'en ai réellement à foutre ?

J’ai toujours entendu de moi que j’étais un génie dans plusieurs domaines différents. Un cerveau parmi les cerveaux. Certaines personnes m’admiraient pour cela, d’autres me jalousais pour cela. Moi ce que j’en dis ? Je n’en sais rien… J’arrive à comprendre les choses en avance des autres, mais si au final c’est pour comprendre les choses les plus cruelles et les plus dévorante de mon bonheur alors je me dis simplement qu’il faudrait que je me bousille le cerveau pour arrêter de voir ce genre de phénomène qui m’entoure. Rho bon sang… Qu’est-ce que je raconte ? Je me cherche des excuses évidemment. J’aime l’alcool, car elle m’aide au contraire à réfléchir autrement. Peut-être que ce n’est au final qu’une fausse réflexion, mais j’aime bien cette pensée plus vivace et plus fougueuse qui m’anime lorsque je picole. Eh merde, je ne sais plus bien où j’en suis dans mon esprit. Je me contredis sur mes propres analyses.

Je bois une autre gorgé de Guinness. En fait, je n'ai pas besoin de spécialement réfléchir à quoique ce soit… Je dois juste me laisser aller.

L'autre type à côté de moi commence à marmonner tout seul. Je décale mon regard pour la première fois vers lui. Pourquoi elle a décidé de revenir et qu'est-ce qu'il est censé faire maintenant ? Ah, lui il est en train de sans doute parler d'une ex plus toxique que l'éthanol et qui est en train de revenir vers lui. Enfin je ne sais pas, j'ai les oreilles qui traînent, enfin métaphoriquement parlant, je ne les étire pas avec mon pouvoir. Dans tous les cas, il a réussi à attirer mon attention avec cette unique phrase. Une dégaine de bandit et une tronche qui tire six pieds de long, métaphoriquement encore une fois, non le bonhomme a l'air de ne pas être au maximum de sa forme. Je viens observer mon visage vers le miroir et j'estime ne pas être en reste non plus niveau dépression. Il faudra vraiment que je pense à tailler cette barbe un jour ou l'autre. Je le dis à chaque fois, mais j'oublie à chaque fois de le faire. Enfin bon, c'est comme ça.

« Les emmerdes, ça revient toujours. C'est pour ça que ce sont des emmerdes... »

Oh fait chier… Pourquoi j’ai décidé de lui répondre moi ? Ah ouais, la désinhibition. C’est ce qui fait le charme de l’alcool pour les grands timides. Parler de tout et sans barrière. C’était presque instinctif pour moi de lui parler. Je commence vraiment à avoir un coup dans le nez moi…

Alors je m'étais fait une raison sur mes sentiments envers Gamora, en me disant que celle qui était revenue n'était pas celle que j'avais connu - d'ailleurs, dit en passant, elle me l'avait clairement fait sentir en me balançant son genou là où ça fait mal - Elle n'avait, à ce moment là, rien de commun avec celle que j'avais rencontré. Mais la situation était bien différente et nous n'avions pas passé de temps ensemble comme avec MA Gamora...

Et alors que j'avais ruminé ma peine, que j'avais passé des jours à boire, passé des jours à me morfondre et me lamenter sur mon sort, j'avais enfin trouvé une personne qui m'avait aidé à me sortir de cette histoire de fou. Et sans penser au temps où j'avais erré et pris de la distance avec tout le monde ! Bref, je pensais en avoir fini avec tout ceci, mais non !

Et puis, Raven et ses jumeaux à naître dont j'aurais voulu être le père... mais mes désillusions me suivaient comme des loups affamés en me courant après et me torturer. Qu'avais-je comme autre solution pour oublier tout ça, pour m'offrir un parenthèse, et bien je fonçais tête baissée dans mes travers, le premier d'entre tous étant l'alcool. Celui-ci me permettant de m'épancher sur les sujets qui fâchent en espérant trouver une oreille attentive... ou pas ! M'en foutait royalement qu'on m'écoute ou pas en fait. Cela me faisait juste du bien de parler, même dans le vide. Sauf que là, on me répondait.

- Vous avez pas idée ! Elles me suivent partout il semblerait. La galaxie est pas encore assez grande !

Un coup d'œil plus poussé au gars et je voyais qu'on avait l'air tout les deux d'épaves échouées au comptoir du bureau des pleurs. Mais pourquoi payer pour une psy, qui coûtait les yeux de la tête et qui donnait des conseils souvent complètement inutiles selon moi. L'alcool coûtait peut-être aussi cher à y penser, mais le réconfort qu'il offrait était sans égal et on trouvait toujours des oreilles pour écouter. Et pour une fois, mon compagnon de beuverie involontaire semblait comprendre et même répondre. Chose incroyable étant donné qu'en général, personne ne répondait jamais dans ces cas là, mais ils écoutaient l'air absent.

Il paraissait de la même tranche d'âge que moi et semblait bien sombre lui aussi. Le ton employé ne trompait pas, lui. Pas que cela me dérangeait qu'il réponde, mais comme personne ne le faisait jamais, j'étais carrément surpris. Qu'avait-il à noyer dans l'alcool ? Une histoire d'amour, une vie gâchée ? Ce qui était sûr c'est qu'il avait raison, les emmerdes vous suivaient comme une horde à la recherche de leur proie.

Et j'en revenais à penser à Gamora, et je me demandais ce qu'elle voulait exactement. Je ne voulais plus souffrir. Et le fait de la revoir dans les parages allait être un dilemme auquel j'allais devoir faire face à un moment donné. En espérant qu'elle n'essaye pas de me reconquérir. Une fois m'avait suffit. Je voulais juste que les souvenirs passés - même si je ne les avais pas partagé avec elle, avec cette Gamora - devaient rester du passé. J'en avais bien trop souffert et je ne supporterais pas une nouvelle séparation quelle qu'elle soit. Une large rasade de bière pour finir ma pinte et j'en commandais une autre avant de me remettre à marmonner à voix haute, comme j'avais l'habitude de le faire dans ce cas.

- Pourquoi elle ? Et pourquoi maintenant ?

Je soupirais alors que le barman avançait la pinte sur le comptoir et je m'enfilais une nouvelle large rasade. J'aurais voulu sentir l'alcool me monter un peu vite à la tête pour éviter de penser. Mais il m'aurait fallu un alcool plus fort... D'ailleurs pourquoi pas du whisky ? Les terriens en faisait des bien bon. Le prix peut-être. Mais donc cela voulait dire que cela prendrait plus de temps. Soit !

La désinhibition comportementale est un trait que l'on remarque souvent lorsque quelqu'un est dans un état d'ivresse. Cela aura pour effet de lever des leviers mentaux comme le contrôle de ses émotions, l'augmentation de l'empathie et une réflexion moindre sur ce que l'on dit ou ce que l'on fait. En réalité, l'alcool neutralise deux neuromodulateurs essentiels : la noradrénaline qui permet la réactivité face au danger et la sérotonine qui régule les émotions. Là, on peut dire que mes deux neuromodulateurs ont pris un coup, car l'homme à qui je venais de parler me répond et j'avais envie de réenchérir. Selon ses dires, les problèmes le suivent partout et la galaxie n'est pas assez grande. Le fait que ses problèmes le suivent jusqu'au bout de la galaxie semble être plus de la mal chance ou des choix de vie, peut-être même les deux. Normalement, je n'en rajouterais pas, je ne lui aurais même pas adressé la parole. Cependant, là, j'en avais l'envie.

« Vous êtes en train de parler de votre ex si je comprends bien. Elle est revenue lors d'un mauvais timing. Faudrait simplement l'envoyer balader. C'est douloureux sur le coup, mais après vous apprendrez à vivre sans elle. »

Il faudrait franchement que j'évite de donner des conseils à deux balles. Cela me gonflerait profondément qu'on vienne me dire ce que je dois faire alors pourquoi je suis en train de faire exactement la même chose ? Bof, je n'en sais rien, j'avais envie de parler c'est tout. Au pire, si jamais il m'envoie chier, je l'enverrais chier à son tour et la discussion s'arrêtera là. Il me pose alors la question, ou il recommence à reparler tout seul, sur l'incompréhension du « pourquoi elle et pourquoi maintenant ? ». Je n'ai jamais été super doué dans les propos réconfortants. Je n'ai jamais été doué dans les relations humaines tout court. En revanche, les peines de cœurs, ça je connais. La séparation avec Susan m'a détruit et le programme des quatre fantastiques a été mis en miette par mon propre manque de tact. J'ai une fille qui ne m'aime pas et pour couronner le tout je suis au bar à deux heures de l'après-midi. Oui, moi aussi je peux me positionner sur le fait que les problèmes viennent à moi comme des petits pains.

« C'est une simple question de probabilité. Ce n'est pas le destin ou le cycle de la vie. Vous aviez une chance sur je-ne-sais-combien qu'elle revienne et vous avez tiré le gros lot. Ni plus, ni moins. Par contre, les probabilités qu'elle parte si vous lui demandez de se barrer seraient plus en votre faveur pour le coup. Enfin, c'est vous qui voyez… »

C'est que je devrais être conseillé conjugale moi. Je dirais tout le temps la même chose. Si cela ne se passe pas bien il vaudrait mieux se séparer. Je pourrais faire une fortune dans ce simple conseil qui me parait totalement essentiel. La discussion est une perte de temps et j'espère sincèrement qu'il ne va pas me faire le coup qu'il a encore des sentiments pour elle. Même si c'était le cas, il continuerait à souffrir en la laissant dans son entourage. Je viens finir ma bière, encore une et je fais signe au barman de m'en rapporter une. Il était en train de nettoyer un autre verre et il se contente de me dévisager avant de prendre en compte ma nouvelle commande. C'est marrant de constater le regard désabusé des gens lorsque je picole. Ils me regardent à peu près tous de la même manière. Avec de l'incompréhension et une pointe de mépris. Ah ouais, j'avais presque oublié les règles de politesse. Bon ça me gonfle, mais il faudrait que l'autre voyou ait un nom sur celui qui est en train de l'accoster depuis un petit moment.

« Reed Richards. »

Voilà qui est fait. Il n’est pas obligé de me retourner le compliment en annonçant son nom. De toute manière, je ne sais même pas si je m’en souviendrais le lendemain. Je ne sais même pas si lui va se souvenir de mon nom le lendemain.

Visiblement, le gars installé à côté de moi en savait quelque chose sur le sujet. J'aurais donné mon blouson sur le fait qu'il avait connu ça pour parler de la sorte. Même si l'histoire était différente, le fait de parler d'ex faisait penser qu'il connaissait le sujet. Il avait peut-être raison sur un point : la faire partir aurait pu être une solution, sauf que c'était pas si simple. Parce qu'elle n'était pas réellement mon ex et que je ne pouvais pas lui demander de partir alors que je n'étais pas la seule personne concernée. Cela aurait été un peu égoïste de ma part.

Mais le débat était lancé et la personne qui se tenait à deux pas de moi semblait vouloir parler du sujet. Je me disais que je ne risquais pas grand chose après tout. Et monologue, je savais faire, mais parler avec des inconnu, je savais faire aussi. Et celui-là semblait comprendre le problème, même s'il n'avait pas toutes les données en mains. Il se présentait. Ben la logique voulait que je le fasse à mon tour.

- Peter Quill. répondais-je simplement pour commencer.

Je restait silencieux un moment à regarder mon verre à moitié vide et je le vidait ensuite d'un trait pour commander une autre dose de mon poison préféré dans ces cas là. Je me demandais s'il valait argumenter sur le sujet. Mais il semblait ouvert à la discussion, ce qui n'était pas souvent le cas quand on était dans un bar. On rencontrait rarement des gens pour vous écouter vraiment, alors pour vous répondre, encore moins !

Je finissais par lever les yeux et me tourner vers lui en tentant de faire court sur la situation.

- Ben le truc c'est que c'est pas vraiment mon ex ! C'est compliqué... Je fais une pause pour chercher le meilleur moyen de lui expliquer en quelques mots. Pendant la guerre contre Thanos, il semblerait qu'on est fait joujou avec les réalités pour aller chercher des trucs pour faire revenir tous les disparus, d'après ce que j'ai cru comprendre - parce que j'ai fait parti des disparus - et donc le Thanos et sa clique sont arrivés du passé pour nous dégommer. Parce que notre Thanos, celui du présent avait emmené ma copine et l'avait sacrifié pour avoir sa foutue pierre de l'esprit. Mais celui là est mort. Donc le Thanos de l'autre réalité il est revenu avec sa Gamora, fille adoptive dans sa propre réalité aussi. Mais elle me connaissait pas, forcément puisqu'on s'était pas encore rencontré... Bref, elle avait pas les sentiments que j'avais pour elle. Et là, après avoir pris le large un certain temps, elle revient en se rendant compte qu'elle se gourait. Alors que j'ai mis un temps pas croyable à passer à autre chose...

Je n'imaginais pas Reed comprendre un traitre mot de mon histoire à dormir debout, mais s'était pourtant la stricte vérité. Mais les gens ne savaient pas ce qu'il s'était passé et ce qu'on avait du tous sacrifier pour empêcher Thanos d'agir. Cela avait pris du temps de tout réparer et on avait perdu des personnes chers durant cette bataille pour faire revenir tout le monde. J'y avais perdu la seule femme que j'avais vraiment aimé. Même si depuis, il y en avait eu une autre. Gamora avait toujours été la première, celle qui était la plus spéciale à mes yeux parce que j'avais su gagner son cœur de guerrière. Mais la voir revenir n'était pas simple à gérer. Il fallait que je sache où me situer et si je voulais reprendre une quelconque relation au risque de la perdre de nouveau et mourir de douleur.

Je baissais la tête de nouveau dans mon verre n'espérant pas qu'il comprenne et qu'il essaye même de répondre. Il aurait sûrement pensé que c'était pas son histoire et que je devais me débrouiller. Il aurait bien raison après tout. Je ruminais mes pensées en cherchant toujours à savoir ce que j'étais sensé faire. Je savais que je devrais en parler à Rocket. Il pourrait comprendre, il saurait me dire quoi faire. Il connaissait ce que j'avais enduré. Mais pour le moment, j'en étais incapable et il me fallait évacuer tout ça dans la seule chose qui semblait m'aider : l'alcool. Peu judicieux, mais ensuite en verrait.

Il finit son verre d'une traite avant de se présenter. C'est qu'il avait une sacrée descente mine de rien… L'amertume et l'acidité de l'alcool pur écœure rapidement et un « cul sec » est une véritable discipline pour tout bon alcoolique qui se respectait. Tout réside dans la vitesse à laquelle il faut ingurgiter le produit. Si quelqu'un a trop le gout en bouche, la nausée peut s'accompagner avec parfois même le vomissement. Pourquoi je pense à ça, moi ? Pour en revenir au sujet principal, le dénommé Peter Quill décide de m'expliquer les raisons de son problème. En m'avertissant sur le fait que c'est compliqué. Les relations amoureuses sont pour moi, au contraire, cruellement simples et c'est pour cette raison que l'on cherche à les complexifier. En revanche, lorsqu'il aborde le sujet et termine son monologue, j'éclate de rire. Je tape sur le comptoir et je tente tant bien que mal de reprendre mon souffle. Oh bordel, mais c'est quoi cette histoire ?

« Attend, attend… » Je tente de garder mon sérieux. « Tu es en train de me dire que ton ex n'est pas vraiment ton ex. Qu'elle est la fille de la plus grande menace qu'il y a eu sur cette terre et qu'EN PLUS vous n'avez finalement pas eu de relation dans sa ligne temporelle, mais que finalement et par miracle elle a des sentiments pour toi ?! » J'éclate à nouveau de rire, le serveur soupir en me voyant. « C'est l'histoire d'amour la plus drôle que j'ai entendu depuis un moment ! »

C'est bon. Je suis définitivement alcoolisé. Je ne suis plus totalement maître de mon comportement et ni même de mes gestes. Je suis partagé entre le fait que j'ai à faire avec le plus gros menteur de New-York ou si c'est vrai alors c'est vraiment divertissant. Étant donné que ce monde n'a plus aucune limite en termes de surprise, je trancherais plus sur la deuxième option. Cela me rappelle que Johnny m'avait demandé qu'on prête main forte aux autres héros lors de la bataille d'infinité. Nous n'étions plus que deux à ce moment-là. Susan et Ben avaient disparu tous les deux. Je devais m'occuper de ma fille et j'ai refusé de rejoindre la coalition. C'était le début de l'implosion de l'équipe. Pour dire la vérité, à cet instant, je n'y pensais pas trop. J'étais juste en train de profiter de mon état d’ébriété et de l'histoire de ce type. Si c'est vraiment un super héros ou en tout cas quelqu'un qui a lutté contre Thanos, alors son nom ne me dit rien du tout.

« Bon et admettons. C’est une chance ! C’est comme si… »

Bordel… Je cherche mes mots. L'alcool entraîne souvent une complication dans le langage et dans la manière de s'exprimer. J'ai le regard dans le vide et je dois avoir sans aucun doute l'expression d'un poisson mort. Il ne faudrait pas que j'aie l'air hésitant. Si je commence à bégayer je risque de perdre toute ma crédibilité. Déjà que je n'en ai pas l'air d'en avoir beaucoup à ses yeux, il ne faudrait pas que je passe de 0 à -1. Je prends une gorgée de ma nouvelle commande pour me donner du courage. Si je dois être coach en relation amoureuse improvisée autant le faire avec panache ! Je suis sûr qu'il me remerciera plus tard. Ou pas. Dans tous les cas, j'ai envie de me prêter au jeu pour cette fois. Ce n'est pas comme si j'étais le parfait exemple sur ce qu'il ne fallait absolument pas faire pour garder des relations solides avec sa bien-aimée. Pour garder des relations sociales solides avec tout le monde de manière générale.

« Voit cette Gamora comme une nouvelle page blanche… Immaculé de tous tes anciens problèmes. Ce n'est plus la même, vu que vous existiez sur un plan de la réalité et du temps différent. Qui plus est, elle a des sentiments envers toi. C'est bien ce que tu me dis, non ? Alors, fonce champion ! Tu as cette bénédiction que tous les mecs comme moi n'ont pas : repartir à zéro ! »

J’aurais dû éviter la précision sur « tous les mecs comme moi », mais bon à cette heure-ci je ne me retiens plus tellement dans mes propos. Je crois que c’est le meilleur conseil qu’il a dû recevoir jusqu’ici. Non, j’en suis même certain ! Je suis vraiment le réparateur des cœurs brisés.

Je me sentais un peu honteux lorsque Reed se mettait à s'esclaffer une fois que j'avais raconté mes malheurs. Pourquoi m'être épanché de la sorte, et bien pour être écouté pardi ! Mais pas pour espérer qu'on se moque de ma situation. Mais que pouvais espérer d'un étranger à moitié éméché ? Je ne pouvais m'en prendre qu'à moi sur ce coup là ! Et évidemment il riait au éclat en pensant à mon histoire de fou. Et je me renfrognais en regardant la mousse disparaitre dans ma pinte en glissant mon index autour de la couronne du verre, peiné et encore une fois honteux.

Pour moi, mon histoire n'avait rien de drôle, bien au contraire. C'était triste à pleurer. Alors d'accord, c'était un peu complexe, mais amusant ? Pas du tout ! Pourtant je n'avais pas la force de retorquer. Je sentais mon désarroi grandir. Je ne trouverais donc jamais de solution à mon problème.

Mais il finissait par s'arrêter de rire et commençait par parler de manière plus sérieuse. On sentait bien que les mots n'étaient pas venu facilement. Les effets de l'alcool sans aucun doute. Il remettait ses idées en place et reprenait sur un ton de thérapeute donnant un conseil à son patient. Et là, je comprenait qu'il n'avait pas complètement tort. Devais-je vraiment voir ça comme une chance, une chance de tout recommencer, de reconstruire une histoire avec celle qui avait tout été pour moi mais qui ressemblait plus à un programme qu'on aurait rebooté ? Et la chance m'était donné de retrouver Gamora, d'une certaine manière. Je savais pourtant que l'histoire n'aurait rien de commun avec celle que j'avais vécu avec MA Gamora et rien ne me disait non plus que cela fonctionnerait. Alors fallait-il vraiment risquer le coup ? L'inconnu semblait me le conseiller vivement.

- Et si cela ne fonctionnait pas ? J'ai des sentiments pour elle, même si elle n'est pas celle que j'avais connu. Le risque en vaut-il la chandelle ?

C'était la véritable question. Fallait-il vraiment tenter au risque de tout foirer. Fallait-il que je risque de retomber dans mes travers si elle me rejetait au bout du compte, se rendant compte qu'elle s'était trompé ? Et bien il allait falloir oser pour savoir et tenter d'accuser encore une fois le coup si cela ne fonctionnait pas. Peut-être que cette fois, la pilule passerait un peu mieux, même si j'en doutais un peu. Me connaissant, il me faudrait encore passer par un parcours chaotique de mélancolie et de beuverie pour tenter d'oublier...

Ah. Il est en train de me dévisager parce que j'ai ri aux éclats sur sa situation. Il a l'air d'être mal à l'aise, mais je ne pouvais pas m'empêcher de continuer à rire. Pour dire la vérité, je n'arrivais plus à avoir cette distance au niveau de la bienséance. Une situation me faisait marrer, je me marrais. Je risque d'avoir des regrets par rapport à cela. Lorsque je bois et que je réagis de manière inappropriée à une situation, j'ai toujours des regrets le lendemain. Cependant, lorsque je prends un peu plus le temps de l'écouter, lorsque je lui parle d'une manière un peu plus solennelle, il semble m'écouter et mordre à l'hameçon. Bordel, mais je ne suis même pas sûr de mes propres conseils, je suis une catastrophe dans les relations. Alors, pourquoi diable est-ce qu'il essaie de se raccrocher à des branches qui sont déjà brisées ? Sûrement parce qu'il est au fond du trou. Il me pose ensuite une question plutôt intéressante.

« Est-ce que le risque en vaut vraiment la chandelle ? Bah… Je dirais qu'il n'y a plus de chandelle et plus aucun risque d'ailleurs. Réfléchi cinq secondes… Elle revient sur terre pour te revoir et pour te parler à nouveau. Il y a forcément une corrélation. Tu es beau garçon en plus de cela. Tu n'aurais plus qu'à jouer de tes charmes et le tour est joué ! »

Jusqu'à quand va-t-il me prendre au sérieux ? Pour résumer la situation, il me demande la façon de comment réagir si cela ne marchait pas entre eux. Étant donné qu'ils ont déjà été en couple sur une temporalité différente, je dirais qu'il a toutes ses chances. C'est comme s'il remettait une partie de jeux vidéo à zéro. Les probabilités sont remises, elles aussi, à neuf. Il a des sentiments pour elle, même si ce n'est pas la même personne qu'il a connu. Forcé de constater qu'il se trompe ! Si. C'est la même personne ! Avec une perception des choses différentes, avec un vécu différent et une mentalité sans aucun doute différente, mais c'est la même personne ! Du coup oui, il a sans doute ses chances. En revanche, il va falloir qu'il la joue fine… Refaire le même numéro de séduction pour sa dulcinée serait un pas de travers. Non, il faudrait qu'il refasse son jeu de charme, mais en mieux. Enfin ça, je ne sais pas bien comment lui dire…

« Refait le même truc que tu as fait avec elle, mais en mieux. Il faut que tu sois sûr de toi, sinon ton plan tombera à l’eau ! »

Je ne sais pas. Cela a l'air foireux ce que je suis en train de dire. Il y a peut-être un fond de vérité, mais c'est sans aucun doute mal exprimé. Je me demande ce que cela aurait pu donner si j'aurais pu repartir à zéro avec Susan… J'aurais sans doute fait les mêmes erreurs. Encore, encore et encore. Je n'ai pas une très haute estime de moi-même et je me dis : qu'importe la manière, j'aurais forcément foiré là où il ne faut pas. C'est pour cela que quelque part, j'ai une certaine affection pour le garçon. Lui donner des conseils n'est pas simplement là pour me foutre de sa gueule. C'est surtout pour lui permettre de comprendre. Il faut saisir la chance que l'on a d'avoir une deuxième possibilité. Si cela n'est qu'un échec alors tant pis. Il a l'occasion de sortir de l'éternel enfer des paradis des cœurs perdus. Alors, il doit saisir l'occasion et refaire sa vie. Même s'il a sans aucun doute demandé conseil à la pire personne qui soit sur cette terre.

« Dans tous les cas, tu as les cartes en main. Ne les gâches pas. »

Bon sang… Une phrase plus bateau que celle-ci ? Tu meurs. Je me permets de vider mon verre d'une traite et je vois définitivement trouble. Sans doute qu'il serait-il tant pour moi de rentrer ? Non… Je suis sûr et certain que je peux encore encaisser.