Je tourne la tête vers Caelestis et hausse un sourcil surpris. Vient-elle vraiment de faire de l’humour ? La critique sur ma ville ne m’atteint pas vraiment, le sarcasme est facile et éculé. L’important dans ce qu’elle me répond, c’est que j’y serai dans quelques heures. Je vais revoir Londres… Je vais revoir Mère… Cela paraît presque trop beau pour être vrai. Même si cela ne dure que quelques heures… Le retour à New York sera dur, mais au moins Mère saura que je vais bien. Du moins, aussi bien que possible au vu de la situation.
Je ne bouge évidemment pas lorsque Caelestis s’agenouille près de moi. Elle ressent quand même le besoin de m’en donner l’ordre. Le contact du bracelet électronique sur ma peau est froid, mais je m’y habituerai. J’ai connu pire. Bien pire. Je ne me mets en mouvement que lorsqu’elle m’ordonne de la suivre. Ma démarche n’est pas parfaitement bien assurée, il faut dire que je n’ai plus l’habitude de marcher plus de quelques pas.
L’ascenseur monte. C’est la première fois que je le prends – du moins en étant conscient. Je marque un temps d’arrêt lorsque nous arrivons sur le « toit ». Autour de nous, de l’eau à perte de vue… Cette prison est au milieu de l’océan… Voilà pourquoi ils ne m’ont jamais fait sortir prendre l’air. Cela me rassure, en un sens, sur mon échec de tentative d’évasion : même si j’avais réussi à neutraliser les gardes, jamais je n’aurai pu m’enfuir. Je suis en tout cas encore plus soulagé de quitter cette boîte de conserve.
Des gardes échangent des papiers avec Caelestis, puis ils me retirent enfin ce maudit collier. La sensation de vague de chaleur et de fourmillement qui parcourt alors mon corps est des plus agréables, et je ferme un instant les yeux pour la savourer. J’en pousse même un soupir de contentement, tout en songeant que cette réaction va encore inquiéter mon agente, mais je n’en ai rien à foutre. Elle doit déjà savoir que je ne ferai rien contre elle. Pas maintenant. Je ne vais pas tout gâcher, si près de ma liberté.
Je me comporte de façon exemplaire. Je ne bouge que lorsqu’on me le demande, je ne fais aucun geste parasite, je ne prononce aucun mot. Je profite du vent sur mon visage, des embruns et de l’odeur de l’océan. Puis je monte dans le jet, m’assieds, écoute ce que me dit Caelestis. Elle tient sa promesse, elle m’emmène voir ma mère. Je vais même dormir chez elle… chez moi… C'est à peine croyable. Bien sûr je devrai faire attention à tout ce que nous pourrons nous dire… Nous n'échangerons que des futilités, nous ne parlerons pas des Héritiers… Il n'y a plus rien à en dire, de toute façon.
Alors que le jet décolle, mes yeux sont fixés sur la prison, qui lentement s'immerge dans l'océan. Je comprends mieux beaucoup de choses. Quel enfer cet endroit. J'espère ne jamais y remettre les pieds. J'espère qu'ils ne me sortent pas seulement pour me manipuler, pour me faire craquer en me faisant revoir ma mère, avouer des choses et nous enfermer tous les deux après. Cette sombre pensée est terrifiante. Si c'est ça leur projet, je jure que je tuerai tous ceux que je pourrai tuer, jusqu'à ce qu'ils me tuent à mon tour. Je ne retournerai pas dans cette geôle sous-marine.
Je regarde Caelestis, quand elle me demande de faire silence. Qu'elle se rassure, je n'avais pas spécialement l'intention de lui faire la causette. Dans d'autres circonstances, nous aurions peut-être pu bien nous entendre, elle et moi. Je ne pense pas qu'elle m'emmène dans un piège. Je pense que son projet de réinsertion de criminels est réel, et qu'il lui tient à cœur, même si elle ne l'exprime pas. Elle n'exprime pas grand chose. Mais jusqu'ici elle ne m'a pas menti. Espérons que ça dure.
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