La tête penchée sur le côté, j’observe avec attention une toile, censée représenter… Je n’en ai pas la moindre idée. Et ce n’est pas le titre qui va m’aider. Prémonition étoilée. Tu parles d’un nom. Ça ne veut rien dire. Enfin c’est joli comme nom je dois le reconnaître. Mais quel putain de rapport avec la toile ? J’ai vraiment du mal avec l’art abstrait. Comme son nom, la toile est jolie. Ce mélange de couleurs comme des taches lancées au hasard, ces superpositions de traits et de hachures. J’aime… Ouais, étrangement, j’aime beaucoup.

Elle ferait bien dans mon appart. Quel appartement ? C’est tout juste si tu as une chambre à toi. Ne sois pas rabat-joie ! Dans mon futur appartement ou dans notre refuge, peu importe. Je pourrais repasser le prendre ce soir, après la fermeture. Huuum… Je lève les yeux au ciel, exaspérée de tant de jugement, et je tire la langue à mon ami.

L’homme me frôle une nouvelle fois, me faisant grincer des dents. La première fois, j’ai laissé couler, en me disant que je me faisais des idées. Ça fait deux fois. Vieux dégueulasse. Je tourne la tête et mon regard s’arrête sur son poignet. Lui aussi a une jolie pièce sur lui. Beaucoup plus facilement transportable. Forcément, il a capté mon regard. Et me sourit. Il croit que je le matte ? Eurk. Pourtant, je lui retourne un sourire. Il se rapproche et désigne la toile. « Tu aimes l’art ? Tu viens souvent ici ? » D’où il me tutoie ? Si je lui vomis dessus, il pigera tu crois ? C’est à tenter, mais sinon tu te rapproches et tu lui piques sa jolie montre qui brille. Non. Beurk. Je préférerais lui mettre mon pied dans les couilles. De toute façon, une blondasse pétasse débarque et se colle à lui en l’appelant chéri. Il toussote et se détourne de moi, posant une main dans son dos.

Je me détourne juste assez pour mimer le geste de vomir, un doigt dans la bouche, et je range Lockheed dans la poche arrière de mon jeans. C’est à mon tour de le bousculer sans y prendre garde, main frôlant la sienne, regard croisant le sien. Un mince sourire. « Je suis désolée. Je regardais pas où j’allais. » Je lui fais un clin d’œil et offre un sourire resplendissant à la nana. Et je m’éloigne, la laissant le fusiller du regard, faisant tourner la montre entre mes doigts, avant de la glisser dans ma poche. Ni vue ni connue. Plus qu’à sortir.

Quelques pas et je m’éclipse. Mais je n’ai pas franchis la porte que l’homme me saisit le bras et commence à m’engueuler. Et merde. Ça aurait dû bien se passer. Ni vu ni connu. Argent facile. Ce genre de choses. Je ne sais même pas ce qui l’a fait percuter. Sans doute rien, un frôlement de trop, un manque de chance. Peut-être qu’il a voulu regarder l’heure. Mais qui regarde l’heure sur une montre à l’heure des téléphones portables ? De toute manière, je n’ai pas le temps de réagir outre mesure qu’un autre homme s’interpose.

Oui, c’est ça, lâche-moi. Mon plus bel air effrayé sur le visage, yeux écarquillés et lèvres tremblantes, je m’écarte d’un pas dès qu’il me lâche, me rapprochant l’air de rien du bon samaritain. « Il m’a fait mal. » « Cette petite garce m’a volé ma montre ! » « J’ai rien volé du tout ! Je voulais partir parce qu’il s’est mis à me tripoter ! » La femme fronce les sourcils et entre dans le bal, m’invectivant autant que lui. J’oublie un peu d’être polie alors que je leur réponds, mais ce sont eux qui cherchent aussi ! Je sens des picotements au bout de mes doigts, et du coin de l’œil, j’aperçois quelques étincelles bleues.

Illyana. Ouais, ouais, je sais. J’inspire profondément, me retenant de justesse de disparaître sous leur nez. Pourquoi je ne le fais pas d’ailleurs ? On s’en fout non ? Sans doute parce qu’il y a des caméras de surveillance et que ma gueule est partout dessus… Ils m’ont vu la voler ? Non, j’ai fait hyper gaffe et aucune caméra ne pointait vers nous. Et puis, l’autre mec continue de prendre ma défense, c’est marrant. Je suis loin d’être aussi convaincue qu’il semble l’être, mais autant le laisser parler non ?

« Pas de preuves ? Vous vous foutez de moi ?! Fouillez-la, vous trouverez ma montre sur elle ! Et vous êtes qui d’abord ? » La femme me dévisage, avant de tourner les talons sans ajouter un mot. « Vous êtes en train de perdre votre trophée. » Son regard passe de moi à la femme qui arrive à la porte. « Alyssa ! Attends ! » Il me menace du doigt. « Toi, tu bouges pas. » « Va te faire foutre toi et tes mains baladeuses espèce de vieux porc ! » « Je n’ai pas harcelé cette voleuse ! » Un doigt d’honneur à son intention, alors qu’il hésite visiblement encore à suivre les sages conseils du samaritain en herbe, et Alyssa donc, qui elle n’a pas hésité à partir. « Je vais appeler les flics, on verra qui de moi et de cette gamine ils croiront ! » Il sort et reste sur le trottoir, son téléphone à la main. « Connard. » J’ai sorti Lockheed sans même y penser, frottant mon nez contre son crâne, et je le relève pour pouvoir le regarder dans les yeux. « On devrait se casser. » Il hoche la tête. Comme a dit l’autre dehors, tout connard qu’il soit, ma parole n’aura pas grand-poids face à la sienne. Même si je ne resterai certainement pas jusqu’à ce que les flics arrivent. Et ça ne changera rien même s’ils sont là. Je regarde l’homme brun toujours à mes côtés. « Les flics en auront rien à foutre qu’il m’ait tripoté, vous le savez hein ? » Surtout que si c’était vraiment le cas, il n’aurait peut-être plus de main. « Vous  avez une autre sortie ? » Il peut bien me laisser partir, je n’ai rien fait après tout, non ? « Oh et euh… merci d’être intervenu. » T'as vu, je suis trop polie ! Je lui jette un regard curieux, haussant mes sourcils. « Vous lui auriez cassé la gueule s’il était pas sorti ? Et s’il revient ? »

Faut vraiment que j’arrive à mieux choisir mes cibles. Victimes ? Non, ce mec n’a rien d’une victime, c’est un trouduc arrogant et pété de tunes. Cibles, c’est bien. Donc, je dois mieux cibler et m’améliorer. Et disparaître beaucoup plus vite. Mais il n’y aurait pas de défi, ce petit shoot d’adrénaline et… Ouais, je raconte n’importe quoi. Faut juste que je disparaisse plus rapidement.

J’ouvre la bouche quand le samaritain me demande de l’attendre avant de se diriger vers la sortie. Ou l’entrée. Enfin là où se trouve l’homme quoi. Il se fout de moi ? Pourquoi je devrais l’attendre ? Je peux juste m’éclipser et tout le monde sera content non ? Pas le mec dehors, mais on s’en moque de lui c’est acté. Et ce n’est pas les gorilles que j’aperçois qui risquent de me poser problème. Pourtant, je reste là pour observer la scène. Mes sourcils se haussent quand il explose le téléphone du pervers, un « whooo » m’échappe quand il l’écrase au sol. Ah quand même… Bah j’ai la réponse à ma question je crois. On a bien fait de rester. Oui, on a bien fait oui.

« Vous êtes de la mafia ou de la pègre ? Notez que j’ai jamais trop saisi s’il y avait une différence entre les deux. Il y a une différence ? Ou un cartel ! C’est encore différent non ? Vous êtes qui exactement ? » On s’écarte un peu du sujet demoiselle. « Vous êtes plutôt costaud en tout cas, c’était impressionnant. Il ne risque pas de porter plainte contre vous ? »

Je secoue la tête en le dévisageant, bras légèrement écartés, image même de l’innocence. « Ils trouveront rien sur moi. » Un coup d’œil à Lockheed, qui est à hauteur de visage et qui semble hausser les épaules qu’il n’a pas, et je reporte mon attention sur l’homme. « Lui il en aura racheté une identique demain, alors que moi, si éventuellement je l’avais, ce qui est pas le cas, ça me rapporterait pas mal de blé, suffisamment pour manger et m’payer des trucs vous voyez. » Je plisse les yeux. « De toute façon, vous en feriez quoi de cette soi-disant montre ? Et même si c’est un connard, si vous le croyez, pourquoi vous appelez pas la police ? Vous espérez avoir quelque chose en retour ? Si c’est le cas, vous êtes encore pire que lui. » La question se pose quand même je trouve. C’est trop bizarre de casser la gueule du mec, ou peu s’en faut, et de pas vouloir me dénoncer s’il le croit malgré tout. Ça cache bien un truc non ?

Je me renfrogne un peu alors qu’il ne répond à aucune de mes questions. Les gens ont oubliés la politesse en cinq ans ou quoi ? Les gens évitent de crier sur les toits qu’ils font partis d’une organisation criminelle quand tel est le cas. Humpf. On va dire ça. Mais je pourrais leur être vachement utile ! Non. « T’es carrément pas drôle. » Je secoue la tête et me concentre sur le mec bon samaritain chelou qui me fait face. « Donc vous êtes le proprio de la galerie. Toujours est-il que vous l’avez agressé dehors, pas ici, doooonc... » Mais bon, visiblement, il en a rien à carrer de toute façon. Donc soit il est un peu trop con et arrogant, soit il est pété de tunes et arrogant. Les deux n’étant incompatibles.

Mais je ne m’attendais quand même pas à la suite. Il m’a vue ? Fait chier. Peut-être qu’il bluffe, mais j’en doute. Je cligne des yeux, me demandant à quel point il se fout de ma gueule, mais le pire, c’est qu’il a l’air sérieux. Un bon samaritain un peu trop con et trop arrogant ? Possible, mais ça existe les gens naïfs comme ça ?… Curieuse, je penche la tête sur le côté, Lockheed suivant le mouvement à côté de moi. « Pourquoi vous voudriez m’aider ? Vous ne me connaissez pas. » Qu’il n’aime pas les pervers, ça, je peux piger. Mais ça n’implique pas forcément de vouloir aller jusqu’à acheter une montre volée à une nana qu’il ne connaît absolument pas. « Si ça se trouve, je suis dangereuse, peut-être que moi, je fais partie de la bratva, allez savoir. » Ça aurait été une possiblité, si j’étais restée en Russie après tout.

« Vous voulez vraiment parler de ça ici ? » Un regard vers les autres types et les caméras. « Admettons que j’ai une montre à vous filer. Et je dis pas que c’est le cas… » Je me mordille l’intérieur des joues, essayant d’estimer rapidement la montre, avant de me rendre compte que je m’en fous totalement, de sa valeur. « 5 000. En cash. » Je croise les bras, Lockheed reposant contre mon épaule et je le dévisage. « Vous avez ça ? »

Je suis possiblement arrogante et sûre de moi, mais à côté de lui, je suis petite joueuse. A-t-il raison d’avoir autant confiance en lui ? Probablement oui sinon il ne le serait pas. Quoi que les hommes sont sacrément cons parfois. Quoi qu’il en soit, au final, ce n’est pas mon problème. S’il se retrouve dans la merde parce qu’il aura menacé le mauvais mec, je n’y serais absolument pour rien.

Je me renfrogne à nouveau quand il ricane, mais mon sourcil se hausse quand il reprend la parole.  « ты русский* ? » J’en oublie d’être vexée ou mécontente et un léger sourire ourle mes lèvres. En même temps, je n’ai rencontré aucun russe ni même de personne parlant russe depuis… depuis mon arrivée aux Etats-Unis je crois. Je le dévisage, le détaillant des pieds à la tête, comme si le fait d’être russe pouvait changer ce que je voyais… et c’est un peu le cas. Vite fait. Est-ce que je me méfie moins de lui ? Non, carrément que non, bien au contraire. Ce sont tout autant des enfoirés que les autres, voire pires. Mais quand même… « Depuis quand vous avez quitté la Russie ? »

Mais s’il a du fric, on peut faire affaires. C’est comme ça que ça marche après tout non ? Mais il fait quoi là ? Je reconnais que je m’attendais pas trop à ce qu’il me sorte du cash comme ça, au milieu de la galerie… ni à ce qu’il ait autant sur lui. Putain de merde, il est blindé de tunes. Ça a l’air si facile pour lui. Je reste à le fixer, lui et cette énorme liasse de billets, alors qu’il me répond.

« Bizarre ? C’est méga chelou oui. » Mon regard passe de lui à l’argent et je fronce les sourcils. « Je ne vous donnerais rien ici alors qu’il y a des caméras partout. » Je ne suis pas totalement stupide. « Vous faites vraiment dans le social ? Pourquoi ? » Il veut peut-être réellement aider les gens, les gens charitables existent tu sais. J’ai une moue et regarde le dragonnet. « Les gens qui semblent trop gentils le sont jamais vraiment, tu le sais. On le sait tous les deux. » Tout le monde n’est pas comme le docteur Reyes Illyana. Nouvelle moue de ma part. nouveau regard vers le russe. « Vous entendez quoi par faire connaissance ? Et de quel genre de boulot vous parlez ? » Je me renseigne, c’est déjà pas mal. Et tu pourras toujours t’éclipser pour être en sécurité. Je hoche la tête. Oui, je peux toujours.

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