[Terminé] Dépression adamantine

Qu’il faille une dizaine de jours pour obtenir des visas d’études a été une surprise. Les délais habituels vont de trois semaines à trois mois. Ce lundi est le premier jour de cours ainsi, en plus des trois adamantines qui ont fait des pauses dans leur forme alternative pour prendre des nouvelles, l’une des adolescentes s’est rendue en classe avec un classeur et un stylo pour prendre des notes. Elle n’a aucune motivation à faire cela mais c’est ce que la politesse exige. On comprend toutes l’intention de nous offrir un diplôme en carton pour qu’elles puissent le faire valoir comme s’il était réel. On comprend aussi qu’il n’est pas simple de s’inscrire à une Validation Acquis et Expérience, surtout qu’on pourrait être accusées de tricherie, ou de passer un diplôme britannique en candidat libre aux USA et d’avoir le droit de séjour chez les seconds. De plus, on n’aurait même pas essayé de faire valoir la VAE ou autre. Cela ne sert à rien dans notre attente d’activation.

Sophie s’est retrouvée dans la classe de Kali et avec une connaissance de la totalité des élèves s’y trouvant déjà, via Phoebe, ainsi que des dossiers de suivis de certains, via Mindee. En complément de ces informations, elle a demandé la permission à Kali de télécharger tous les pans de mémoire implicite concernant les cours depuis de début de l’année. Ce n’était qu’une question de secondes avant qu’elle ne soit à jour et prête à s’ennuyer profondément tout en attendant la moindre question pour lever la main. Elle sait qu’elle sera surnommée "l’animal de compagnie des profs", Esmé le lui a déjà dit. Il est interdit de parler en classe et Sophie ne chuchote même pas, au grand damne de Kali qui a fait l’effort de s’installer au premier rang avec elle, mais la discussion mentale continue avec les autres fonctions des disponibilités ; sachant qu’Esmé est disponible, malgré l’attention que lui réclame la tablette numérique. Ainsi, le visage de Sophie délaisse régulièrement son expression impassible pour la gamme d’émotion liée à une discussion dont la pertinence et la lassitude varient régulièrement. La politesse et l’envie de faire bonne impression sont là lorsqu’elle se force aux interactions sociales avec ses nouveaux camarades, pour la plupart curieux du fait de ses liens familiaux et de son arrivée tardive, mais les ruminations mentales et l’incapacité à ressentir du plaisir ne sont jamais bien loin. Cela nous fait néanmoins quelque chose de ne pas réussir à être les Stepford aux yeux des autres élèves. C’est cohérent : nous ne sommes plus nous-mêmes. Sophie préfère ne pas parler de ce qu’elle est vraiment. Les autres élèves respectent cela.

La première pause récréative arrive. Sophie reste avec Kali afin qu’elles s’isolent toutes les deux ensembles tandis qu’Esmé se surprend, après quelques minutes, à devoir répondre à une personne toquant à la porte.

« Il y a quelqu'un ? »

J’ai tellement envie de répondre "non", considère Esmé. Ça ne se fait pas, souligne Sophie. C’est vrai : ça signifierait qu’il y a effectivement quelqu’un si je réponds qu’il n’y a personne. C’est pas ce que je voulais dire et tu le sais. Oui, tout comme tu sais que j’ai pas envie de répondre. Oui, tout comme tu sais que tu dois le faire. Oui. Alors fais-le. C’est en cours. Dépêche-toi s’il te plait. Justement : il ne me plait pas. Tu m’as comprise.

« C’est Ororo, reprend avec incertitude la porte, faisant réfléchir un instant l’impliquée et sa comparse avant que l’identité ne soirée trouvée dans les souvenirs téléchargés de chez Phoebe puis s’arrondir les yeux de l’impliquée seule comme si elle venait de faire une bêtise… Vous savez. La professeure de géographie. »

Sur le lit le plus éloigné de la chambre, l’alitée râle de façon inaudible. Elle est vêtue d’un débardeur rouge et d’un jeans. Ses cheveux lisses et blonds encadrent son visage et coulent sur ses épaules. Son visage fait l’effort de prendre la dignité impassible victorienne lorsque ses deux pieds nus se posent sur le sol et qu’elle redresse son dos. Consciente qu’elle devra diviser son attention, elle laisse la tablette sur le lit. Elle se lève et entreprend de contourner les lits, agencés en forme d’étoile au centre de la pièce désormais grande comme deux chambres standard, du côté des cinq maquilleuses. Dans les miroirs de celles-ci s’aperçoivent les armoires de dressing, désormais au nombre de trois, qui occupent le mur opposé. Chacune des deux portes donnant sur le couloir est flanquée d’un porte-manteau et chaussure tandis qu’entre les deux se trouve un meuble à chaussures.

« Nous arrivons, déclare notre impliquée d’une voix forte alors qu’elle s’en va récupérer une paire de sandale à talons hauts. Excusez-nous de l’attente, nous n’attendions nulle visite. »

Je vais me faire interroger sur mon absence en classe, hein ? Probablement, oui, et j’aimerai que tu ne te fasses pas passer pour moi. D’accord, surtout que cela amènerait à se demander où je suis passé. Assume les cours à distance mais ne fait pas croire que tu fugues, oui.

Une fois les sandales attachées et le doute sur quelle porte ayant été choisie par mademoiselle Munroe passé, notre impliquée s’en va ouvrir le battant en grand. Elle se tient ensuite dans l’encadrement et joint les mains au niveau de son ventre comme une Mindee ; ou une bourgeoise.

« Bonjour professeure Munroe, dit-elle avec un léger penchement du visage et du buste en avant pour la saluer. Que pouvons-nous pour vous ? »

Les yeux de notre impliquée se plissent au sourire franc de sa vis-à-vis puis elle imite celui-ci avec politesse. Son sourire se teinte d’un amusement malicieux alors qu’il est question qu’elle soit Sophie mais elle n’a pas le temps d’y répondre que ses yeux se tournent un instant ailleurs ; et que mademoiselle Munroe continue de parler en même temps. Les excuses attirent à nouveau le regard et l’expression change pour assurer qu’il n’y a pas à s’excuser, par réflexe. Puis tout se fane légèrement lorsqu’il est question de chercher "les trois grandes sœurs qui font partie du personnel du manoir".

Non, elles ne sont pas là, elles travaillent, soupire Esmé. Peut-être qu’elles vont se connecter pour savoir comment la récréation se passe, suppose Sophie. Super, je suis le répondeur. Tu ne l’aurais pas été si tu étais en classe. Ou en fugue. Tu sais que c’est Mindee ou Phoebe qui iraient te chercher. Oui, justement !

« Vous ne dérangez pas, répond finalement notre impliquée lorsque les hésitations semblent avoir vaincue son interlocutrice ; même si ce n’est pas tout à fait le cas.

- Heu… Mindee… Céleste et… Esmé ? »

Le sourire amusé revient sur les lèvres de notre impliquée et s’étend, avec une nuance plus surprise, sur celle qui n’est pas là et ne tarde pas à expliquer les choses à son interlocutrice à elle : madame Munroe a confondu Phoebe, l’assistante de direction, avec Esmé, la sécheuse de cours. Cela amuse d’autant plus Esmé que cela va énerver Phoebe. La blesser dans sa fierté aussi, ça fait parti de l’amusement de la première d’ailleurs.

« Est-ce que tout va bien ? Je n’ai pas eu l’impression de te voir dans un de mes cours aujourd’hui.

- Nous étions au premier rang du côté de la porte, en compagnie de mademoiselle Herrera, explique simplement notre impliquée, tâchant de dissimuler sa perplexité quand au fait que Sophie n’ait pas été remarquable malgré son attitude alternant la dissimulation de l’ennui et le volontarisme pour répondre à toutes les questions posées. Le fait que seule l’une d’entre nous soit physiquement présente ne signifie pas que les autres ne sont pas là. »

Ce que les trois autres savent de mademoiselle Munroe est assez flou pour nous. Sophie n’a pas jugé utile de récupérer toutes les informations de Phoebe sur ses professeurs, comme elle a pu le faire sur les élèves de sa classe. Elle se souvient que Mademoiselle n’était pas là à l’arrivée des "ainées" à l’Institut et est revenue durant la phase d’isolement ayant précédé le retour au World. D’où l’absence de curiosité ou de civilité amenant à une rencontre professionnelle. On sait aussi qu’Ororo Munroe était dans les souvenirs de Charles Xavier comme membre de sa famille et des X-Men. Ce qui complexifie la conversation.

« Nos pensées sont interconnectées, résume-t-elle avec la même tranquillité que précédemment. Vous avez une voix intérieure et une conscience corporelle, nous en avons plusieurs. Les Cinq-en-Une. »

Lâchant la porte sur le seuil de laquelle Mademoiselle se trouve toujours, notre impliquée amène ses bras le long du corps tout en continuant de fixer et de s’adresser avec le respect qui est dû à un membre du personnel.

« Nous sommes parties du principe que l’Institut tolérerait cette manifestation de ma mutation. Si tel n’est pas le cas, veuillez nous excuser. »

Notre impliquée serre la gorge à l’éventuelle faute qu’elle a peut-être commise, tout en espérant sincèrement ne pas avoir à aller s’ennuyer en cours alors que son homologue le fait déjà.

On est aussi curieuses de l’acceptation des spécificités de chaque élève et de la possibilité d’exprimer librement ses spécificités dans le cadre de l’apprentissage à l’Institut. Chose qui ouvrirait plus de place à la télépathie pour peut-être passer les diplômes plus rapidement. La stratégie se forme en parallèle de la possibilité de ce qui pourrait être qualifié d’une hypocrisie si les professeurs de l’Institut ne sont pas prêts à tolérer qu’une élève suive les cours à distance car ses capacités le lui permettent. On ne demande pas encore à aller télécharger leur mémoire implicite afin de pouvoir donner les cours à leur place et de faire une validation d’acquis et d’expérience pour avoir les mêmes diplômes qu’eux après une journée. Cela étant, on demande qu’on n’ait pas toutes les deux à aller faire semblant de ne pas s’ennuyer face à eux par politesse et volonté de leur plaire parce qu’ils ont l’autorité dans leur classe.

L’énoncé de notre capacité principale surprend, ce qui laisse notre impliquée perplexe malgré son sourire poli, et l’approche vis-à-vis du quotidien est appréciée. Surtout la partie vis-à-vis du fait qu’une voix intérieure est suffisante pour lasser alors que la démultiplier est inhumain.

« Vous seriez cinq fois plus fatiguée, hasarde amicalement Esmé, haussant les épaules. Pour nous, une seule voix dans sa tête c’est dérangeant. Enfin… »

Je généralise, souligne Esmé. Je suis certaine qu’on te manque malgré tout, assure Sophie.

L’humour passé, on s’en va vers quelque chose de potentiellement beaucoup moins drôle. Surtout que l’appréciation manifestée par mademoiselle Munroe semble se diluer face à un doute et à une réflexion courte ; deux points qui effacent le sourire chez notre impliquée qu’elle attend en anticipant mentalement. La réponse étant à la négative et conséquemment positive pour nous, on acquiesce à deux avec sobriété puis Esmé sourit alors que Sophie explique pourquoi elle vient d’acquiescer dans le vide. La sollicitude de Mademoiselle est dument notée et avec un sourire appréciateur.

« Nos résultats seront concluants, assure-t-elle en réponse, avec une douceur confiante ou une confiance douce ; difficile à dire. Acceptez-vous qu’ils soient identiques ou préférez-vous qu’ils soient différents ? »

Sans l’avoir vécu nous-mêmes, on se souvient des soucis qu’ont eu nos sœurs avec le passage de diplôme à l’université. La période de deuil et de restructuration avait permis quelques souplesses vis-à-vis des règlements mais des réflexions avaient dû être faites pour les examens. Au final, la solution trouvée avait été plus simple que les craintes de Phoebe, Mindee et Céleste d’être séparées sur les journées d’épreuves afin de les passer chacune à leur tour sans croiser les autres ; ce qui aurait été aussi déstabilisant qu’usant.

« Notre mutation nous qualifie comme tricheuses à partir du moment où l’on est à moins d’une centaine de mètres des autres. Nous ferons attention à formuler les informations différemment, cependant il faut anticiper pour les examens pour qu’ils soient valides. Le plus simple est de les passer en formes adamantines. »

Sans casser les chaises. Oui c’est mieux.

Les formes adamantines étant trois fois plus lourdes que les formes humaines, du fait de la masse-volumique supérieure du diamant organique par rapport aux tissus "normaux", les chaises, bancs et autres formes de sièges peuvent geindre face à nous ; surtout lors de périodes prolongées. On n’est pas particulièrement épaisses, avec 53kg environ pour 168cm exactement, mais cela fait 159kg une fois transformées et nos chaussures nous sont témoins que c’est plutôt lourd. Les talons rendent les armes immédiatement et les autres se tassent jusqu’à ce qu’on les enterre, généralement. Seules les bottes de terrain de nos combinaisons blanches semblent avoir été prévues pour pouvoir endurer la masse supplémentaire des formes adamantines ; ce qui n’est pas incohérent puisque la manipulation de nos codes génétiques doit avoir permis aux scientifiques du World de savoir exactement quels seraient nos pouvoirs.

« Du coup, finit par hésiter la première professeure à s’être inquiétée de notre inadaptation naturelle et sociale à un système scolaire standardisée afin de changer de sujet… J’aurais voulu rencontrer tes grandes sœurs. »

Le visage de notre impliquée reste poli alors qu’elle écoute avec attention la suite du décevant fait que ce n’est pas son absence en cours, ou plutôt celle de Sophie qui était pourtant présente, qui motive la rencontre.

C’est toujours ainsi de toute façon : faut que les gens aillent voir l’une de vous. Ne le prends pas comme ça, c’est pas ce que Mademoiselle a dit. Elle me prend pour toi. Et elle prend Phoebe pour toi. Yeah, je donne mon nom à la coincée et frustrée de service qui se donne pas les moyens de ses ambitions. Je dirais plutôt qu’elle a retenu ton nom plutôt que le sien, c’est bon signe. T’es optimiste. T’es pessimiste. Je suis réaliste. Ça se discute.

« Mais bon, vu que je suis en train de te parler, c’est comme si je parlais à toutes les sœurs, c’est bien ça ?

- La plupart du temps, oui, confirme notre impliquée en réfléchissant à comment formuler la suite. Actuellement, cependant, nous sommes Deux-en-Une. Afin de ne pas perdre de la productivité à leurs postes, mes trois sœurs l’effectuent sous forme adamantine ; laquelle est télépathiquement inerte. »

D’où la possibilité de passer les examens sous cette forme-là sans être accusées de tricherie, moyennant que le correcteur sache qu’il est normal d’avoir des copies très similaires puisqu’on tend à utiliser les mêmes mots et les mêmes formulations surtout lorsqu’on est désynchronisées : il est alors plus dur de faire exprès de ne pas marquer la même chose, puisqu’on ignore quelle chose elle sera et qu’on tend à marquer identique information lorsqu’on efface la première formulation. Sauf Phoebe, qui reste à la première formulation parce qu’elle est elle et que c’est aux autres de changer.

« Elles auront plein accès à ma mémoire sur l’heure du midi, explique posément notre impliquée avant d’hésiter une seconde. Je peux également convenir d’un rendez-vous officieux. Si vous souhaitez vous entretenir avec elles-trois, ou nous-toutes, en même temps et sans passer par une demande professorale. »

Je te hais. Merci de l’avoir fait. Viens être la secrétaire toi-même, c’est à la mesure de ta personne. J’arrive. Tu passes prendre les trois autres en même temps ? Non, elles travaillent mais je peux passer leur dire de se connecter si mademoiselle… Coucou, comment ça se passe ? Sans toi. Céleste, tu tombes bien. Ah, euh, en effet…

« J’ai Céleste qui vient aux nouvelles, signale notre impliquée après seulement 2,6 secondes de discussion interne. C’est celle de monsieur McCoy. Vous convient-elle comme interlocutrice ? »

Dans le doute, blâmer Céleste. Je vais chercher Phoebe. Merci Sophie ! Le plus intelligent c’est que Céleste aille chercher Phoebe, puisqu’elle est au sous-sol et que l’autre doit être au rez-de-chaussée, tandis que Sophie monte au troisième pour Mindee. Esmé, tu es au troisième. +1 Sophie. Je suis occupée. Moi aussi et ça ne m’empêche pas de le faire. En plus ça te fera arrêter de râler que tu sers d’interlocutrice !

« Elle me dit de vous dire que Mindee est dans son bureau, à cet étage. »

Parce qu’il fallait que vous trouviez un placard à balais pour vous installer dans l’étage qui est normalement interdit aux élèves afin de recevoir lesdits élèves en entretien individuel donc lorsqu’ils ne seraient pas accompagnés ni surveillés. C’est vrai que votre volonté de ne rien déranger en bas et de ne pas prendre une salle qui avait déjà un usage certes mais secondaire, comme un salon, était plutôt stupide. C’est pas moi, j’ai rien fait, et en plus c’est vrai puisque c’est même pas mon bureau mais juste celui de Mindee et Phoebe !

Nous demander des résultats différents va impliquer que l’on doive échouer volontairement pour que les notes puissent varier d’un ou deux points. On le fera et on sait déjà que les notes de Sophie, présente en cours, seront inférieures à celle d’Esmé. Question de s’imposer. Mademoiselle Munroe ne s’impose pas beaucoup et doute de façon inversement proportionnelle. Elle tente de se justifier, de donner des conseils et c’est donc avec un petit sourire que notre impliquée acquiesce.

Me séparer de ta voix sur les exercices, c’est l’objectif de la forme adamantine, souligne Esmé. Tu ne vas pas lui préciser que cela ne change pas notre manière de réfléchir, demande Sophie. Elle est déjà assez en galère comme ça. D’accord.

En parlant de galère, une nouvelle arrive avec l’évocation de ladite forme adamantine. Après la surprise, c’est l’incompréhension qui se dessine sur le visage puis dans les mots de Mademoiselle. Notre impliquée la regarde un instant après ses deux questions, puisqu’elle a déjà expliqué les choses de notre point de vue.

« La forme adamantine est télépathiquement inerte, répète-elle. Elle est immunisée à la télépathie et incapable d’en produire. Plus d’Esprit-Ruche, du fait. Ni d’émotion ou de sentiment, d’ailleurs. »

Plus de tricherie ou de difficulté à tenir son rôle parce qu’on est psychologiquement fragiles par notre propre stupidité, en somme. Merci de ne pas le lui expliquer ainsi.

La discussion avance et l’objectif vexant de mademoiselle Munroe est avancé.
La discussion avance et l’accomplissement de l’objectif est avancé également.

Céleste rejoint l’Esprit-Ruche et l’on s’organise pour rameuter tout le monde mentalement.

« J'accepte de voir n'importe laquelle de tes sœurs sans problème. Si Mindee est au bureau c'est qu'elle doit travailler, non ? »

Notre impliquée s’apprête à répondre mais le geste du pouce sous le menton l’amène à pencher la tête sur le côté d’incompréhension et à laisser la pensée de Mademoiselle se finir sans la perturber d’une réponse déjà prête mais prématurer. Aller au rythme des autres est frustrant pour l’une, gentil pour l’autre et normal pour la troisième ; d’autant que notre propre rythme s’est accéléré de cinquante pourcent techniquement.

« Et si on mangeait ensemble sur le temps de midi avec tes trois grandes sœurs, tu crois qu'elles accepteraient, demande mademoiselle Munroe en ramenant la tête de son interlocutrice droite afin de tourner les yeux sur le côté dans une interrogation mentale à une Céleste dont elle sait déjà la pertinence de réponse du niveau de son introduction : "Ah, euh, en effet…". Tu pourrais même venir avec Esmé si tu le souhaites.

- Elles accepteront, acquiesce avec assurance notre impliquée. Je pense cependant qu’on se répartira les rôles afin d’accompagner tout de même mademoiselle Herrera. »

Tu penses qu’elle parle d’Esmé en pensant Phoebe ? Cela ferait bizarre d’inviter l’assistante de direction en séparé alors qu’elle souhaite rencontrer les trois membres du personnel. La pauvre doit juste être totalement perdue quant à qui est qui. Elle pense que je suis Sophie. Et tu ne la détrompes pas. Tout le monde est toujours comparé à Sophie de toute façon. Moins puisque les gens d’ici ne l’ont pas connue. J’en suis désolée. Ce qui amène encore à ce que tu sois la meilleure.

« Sinon, oui, complète notre impliquée, les trois membres du personnel sont à leurs postes actuellement. »

Même s’il y en a des plus ou moins actives et pertinentes. Du coup, je ne dérange plus Mindee et Céleste ne dérange plus Phoebe. C’est mieux pour notre survie, oui. Ok pour Mindee mais vous êtes sûres pour Phoebe ? Oui. Oui.

« Puis-je faire autre chose pour vous ? »

Tu penses qu’elle va regarder son appel de classe et voir que c’était Esmé absente et Sophie présente d’ici ce midi ? Mademoiselle galère suffisamment pour que non seulement elle le fasse mais en plus elle s’en veuille de la confusion. Tant qu’elle ne t’en veut pas à toi d’avoir mentir. Techniquement, je n’ai rien fait de tel : je n’ai pas confirmé ni infirmé mon identité. L’omission peut être considéré comme un mensonge. Oui mais s’en est pas forcément un puisqu’on omet souvent mais ne ment pas.


Avant l’arrivée des deux plus jeunes, on avait l’habitude de manger à la table des personnels le midi et avec Kali et Jean à une autre le soir. Sans avoir besoin de se couper des élèves à défaut de le faire de leur bruit ambiant, on voulait s’intégrer aux personnels de l’Institut en pause sur le même créneau que nous. Après le 1er Novembre, on a arrêté de venir manger au réfectoire. Prendre les plateaux, les ramener dans les chambres ; c’était interdit aux élèves mais pas aux personnels, techniquement. Tout aussi techniquement, Sophie et Esmé n’étaient pas élèves. Elles étaient immigrantes illégales. Un détail pour certain comme madame Darkhölme, qui se considère au-dessus des lois et règlements et l’est effectivement au sein de l’Institution de son frère, mais pas pour nous. Il a fallu quatre jours pour que l’on fasse l’effort de ressortir de notre chambre autrement qu’en forme adamantine et que l’on mange dans la population de l’Institut ; même si c’était désormais à l’écart des personnels. Entre nous et avec Kali. Le fait que Sophie et Esmé soient devenues élèves nous a amené à respecter le règlement les concernant : on mange toujours au réfectoire. Isolées.

Arrivées avec presqu’une dizaine de minutes après la sonnerie, les trois adultes sont avec leur tenue habituelle. Chemise blanche à col large et liseré noir, jupes droites, collants et ballerines noires également. Leurs cheveux d’un blond foncé descendent le long de leurs visages et de leurs gorges jusqu’à leurs épaules et épaulettes. Toutes de chairs, elles s’en vont à une table pour attendre leur rendez-vous tandis que l’une des adolescentes rejoint l’autre en compagnie de Kali. Si la tenue de ces dernières est identique aux précédentes, leurs cheveux sont attachés en un chignon ne laissant tomber autour de leurs visages que les favorites.

Lorsque mademoiselle Munroe arrive, nos trois impliquées se lèvent en signe de respect.

« Bonjour mademoiselle Munroe, saluent-elles d’une seule voix victorienne, attendant que leur interlocutrice s’assoit pour en refaire de même. Que pouvons-nous pour vous ? »

. . .

Lorsque mademoiselle Munroe déclare avec entrain que notre impliquée ne peut plus rien faire pour elle, celle-ci acquiesce avec déférence.

Ne plus prendre mon temps me convient même si j’en ai à revendre, considère Esmé. Elle est gentille même si elle semble aussi perdue que la moyenne des autres professeurs sensés guider les élèves, considère Sophie. Pourquoi elle se demande si elle t’a en cours ou pas alors qu’elle est venue te reprocher de pas y être en pensant qu’Esmé y était alors que tu es Esmé et qu’elle te prend pour Sophie qui y était-elle, demande Céleste. Comme dit la cheffe, elle est paumée. Je l’ai pensé, je l’ai pas dit. Il faut pas le dire. Vous êtes sures que vous voulez pas que je le fasse ? C’est une question où répondre "oui" comme "non" a le même résultat : celui que tu veux ! Méthode Phoebe : Esmé, la ferme ! Céleste, tu m’impressionnes. Céleste, langage ! Merci et désolée…


Mademoiselle Munroe arrive avec encore moins d’assurance que précédemment. Nos trois impliquées en pince les lèvres à l’unisson et sans un bruit. Phoebe a l’habitude d’intimider les élèves voire les adultes manquant de confiance en eux et cela éclabousse légèrement Mindee et Céleste, lorsque les interlocuteurs ne sont pas certains d’à laquelle ils parlent. Toutes, on a également l’habitude de perturber nos interlocuteurs de part les signes extérieurs de notre mutation ; et on l’assume en attendant qu’ils nous acceptent comme on est et acceptant que cela puisse leur réclamer du temps voire ne jamais arriver.

« Bonjour mesdames et merci d'avoir accepté ce repas avec moi, s’exclame Mademoiselle après avoir posé son plateau et fait un salut de la main, ne répondant pas à notre question mais nous amenant à lui sourire avec politesse. Bah, c'est-à-dire que nous n'avions pas eu l'occasion de nous présenter. »

C’est vrai que vous avez fini par arrêter d’essayer de rencontrer tout le monde comme à vos débuts, souligne Esmé. D’un autre côté, elles avaient rencontré tout le monde ou presque à leur arrivée et les choses se sont complexifiés ensuite, souligne Sophie. On a peut-être été trop prises dans nos quotidiens pour continuer à aller vers tout le monde, admet Céleste. "On se croisait sans vraiment prendre le temps de se connaitre" comme dit Mademoiselle, répète Mindee. Est-ce réellement une mauvaise chose que de protéger les autres de nous, demande Phoebe.

« D'ailleurs, excusez-moi mais… Vous pouvez me redire qui est qui parmi-vous ?

- Ne vous excusez jamais de demandez et n’hésitez jamais à le faire, répond-t-on à trois avec sollicitude.

- Je suis Phoebe, déclare celle du centre, assistante de monsieur Xavier.

- Je suis Mindee, continue celle de droite, accompagnatrice pédagogique.

- Et je suis Céleste, conclut celle de gauche, assistante de monsieur McCoy. »

Et je suis Sophie. Esmé, arrête. Le pire c’est qu’elle le croit. C’est mal de confondre les gens ainsi. C’est donc logique qu’Esmé le fasse. Parce que tu n’es pas satisfaite quand les élèves serrent les fesses en pensant que Mindee ou Céleste sont toi lorsqu’ils les voient dans les couloirs ? Esmé, s’il te plait. C’est pas faux… Techniquement c’est pas la même chose, là c’est pour le respect des règles. Merci Mindee, surprenant venant de toi.

Après s’être assises, nos trois impliquées échangent tout autant de regard entre nous alors qu’il est question de se concentrer. Les trois visages se tournent ensemble vers celui de mademoiselle Munroe et se part de cordialité.

« Avez-vous déjà lu nos dossiers ou souhaitez-vous un résumé en guise de présentation ? »

On est pleinement conscientes de ce que nos dossiers d’employées, ainsi que d’élèves pour les deux nouvelles, dévoilent de nous. Phoebe y a accès. Les professeurs l’ont-ils ? C’est déjà plus improbable, en effet. Après, sans doute fait-on jaser et il y a Jean à prendre en compte : Mademoiselle et notre amie doivent avoir suffisamment d’affinité pour que celle-ci ait transmis des informations sur nous. Informations qui doivent être tangentes avec le dossier que les X-Men ont logiquement monté nos concernant, si l’un d’entre eux a pris le temps de le faire. On n’en sait rien puisque notre relation avec l’organisation est complexe ; principalement dû à la dépréciation mutuelle partagée avec leur cheffe, madame Darkhölme, mais également aux raisons même qui motivent une distanciation à l’origine. Le manque de confiance. Les trois premières d’entre nous sont venues à l’Institut en se disant qu’elles pourraient protéger les gens comme avec le SHIELD via les X-Men tout en continuant d’aider les autres comme elles ont découvert l’aimer avec les humains. Les deux dernières sont venues sans aucune de ces illusions. Depuis, on préfère essayer de prendre soin de nous plutôt que de se prendre la tête avec les histoires des X-Men ; ainsi que de risquer de le faire vis-à-vis des membres de l’organisation pour qui nous sommes potentiellement, à raison, les armes de ceux qu’ils considèrent comme leurs ennemis. Mademoiselle Munroe semble prête à essayer de dépasser cela. Même si on n’est pas dans notre meilleur état, on tâchera de se montrer à la hauteur de ce qui est attendu de nous. D’autant que, comme la plupart des membres de l’Institut, Mademoiselle semble ne pas oser avoir de grandes attentes et plus être dans le besoin d’être aidées ; chose que l’on trouve motivante même si elle s’accompagne à présent d’une ambivalence craintive. Autant dire que dans les cinq secondes suivant notre question, on est silencieuses et occupées à réfléchir entre nous comme à la réponse de Mademoiselle.