Il y a un mois, tout se déroulait comme prévu vis-à-vis du trouble neurologique sévère déclenché par le syndrome de sevrage pseudo-alcoolique de Joshua Jenkins. Mon intervention comme sa chance d’avoir un état relativement calme nous ont permis de le stabiliser et de prévenir les complications. Je suis partie une fois les quatre heures de calme passées. La longue discussion qui a eu lieu avec le Directeur Adjoint Kovacz et le médecin de garde m’ont permis d’établir la suite du traitement et de l’observation. Le principal point est le passage de prise de sang pour des tests CancerSEEK ; basé sur la détection de l’ADN. L’injection de sérum H a dû stabiliser sa greffe mais les cellules à s’être divisées lorsque le composé manquait risquent toujours d’être cancéreuses. Il faudra sortir le détenu Jenkins du Raft si c’est le cas. Ainsi, il pourra recevoir un traitement approprié. L’idée ne plait pas plus qu’avec le syndrome de sevrage pseudo-alcoolique mais la résultante du non-traitement de ce dernier donne du poids à mes propos. J’ai fait la demande à ce que la perfusion de vitamines continue malgré le fait que le manque devrait être terminé. Les carences laissées par les deux précédents mois de détention restent à couvrir. J’ai également interrogé sur la possibilité de retirer la contention. Elle n’a plus de raison médicale d’être. Elle peut avoir des raisons sécuritaires. Ce n’est pas ma décision à prendre. Tout comme celle de laisser Jenkins à l’isolement.
Chaque semaine, j’ai eu un rapport concernant le prisonnier. J’ai aussi eu des questions vis-à-vis de l’intérêt. La SHIELD et moi avons nos réponses quand aux effets du Sérum H. Le Raft ignore tout des recherches à propos des pouvoirs de synthèse. Les combinaisons de dérivés de Supgen et de Sérum H afin de stabiliser les résultats et d’éviter la dépendance sont à l’étude. Le sujet du dernier protocole expérimental a été surnommé Souris Potter : son pouvoir de vol l’a amené à heurter violemment les barreaux de sa cage et à se faire une cicatrice en éclair sur le front. L’équipe s’inquiète plus de son futur cancer que de ce trauma crânien. J’ai acheté un harnais et une laisse pour rongeur histoire qu’ils puissent s’en faire un ballon de baudruche. L’équipe qui travaille sur le projet de PS est celle qui s’amuse le plus. Le fait de travailler avec des animaux. Celle du brouilleur télépathique est plus en difficulté. Je considère simplement que si les Pouvoirs de Synthèse arrivent à être prêts avant les Brouilleurs, il faudra utiliser l’ADN d’un immunisé télépathique dans la formule. Tout simplement.
Deux des cinq projets auxquels je participe sont donc en progression. Les contre-mesures anti-télépathiques et anti-résistance surhumaines sont mes projets phares. Ainsi est-il évident qu’ils sont les stagnants. Les amortisseurs inertiels sont également un problème. Problème partiellement contourné par les amortisseurs hydrauliques déjà développés par la SHIELD. L’agent Smith en bénéficie et je m’interroge sur ma possibilité d’avoir cet honneur également. Je n’ai rien à faire sur le terrain pour l’heure mais cela pourrait changer lorsque la SWORD sera déployée. Ce n’est qu’une question de recrues. Morgan Morbius suit un parcourt de réintégration classique. Luke Hunt est en réserve pour lorsqu’on aura besoin de lui. Joshua Jenkins m’intéresse. Personne ne lui a réellement donner sa chance d’être socialement utile. Les Héritiers n’ont même pas su l’accompagner pour qu’il exploite au mieux sa télékinésie. Je vois le potentiel gâché en lui comme la complémentarité du binôme avec l’hybride jaguar. Cela fait deux mois depuis les Attentats des Masques. Peut-être pourrais-je le sortir sans que mes collègues de niveau 7 ne me considèrent comme une traitresse. Ceux des échelons au-dessous ignorent l’existence du projet ainsi ne seront-ils pas un problème.
Je soupire lourdement alors que j’appuis mon chignon roux contre la paroi intérieure du Quinjet. Je suis en tenue de travail. Maquillage inclus. Je suis sur le chemin du Raft. Il ne se passe pas un mois sans que j’y mette les pieds. Lorsque je ne m’y rends pas plusieurs fois dans le mois. Voire la semaine. Quand me donneront-ils mon badge VIP ?
L’atterrissage, l’accueil et les vérifications sont habituelles. L’escorte aussi. Le trajet est la seule chose qui varie. Ascenseur. Escalier. Quelle importance ? J’arrive quand j’arrive face au détenu Jenkins. Je lui fais face aux pieds des quelques marches qui montent vers les barreaux et la vitre qui nous séparent. Je suis naturellement plus petite d’une tête que lui. Je dois lever mon visage s’il se lève lui.
Voyons voir comment il va. Voyons voir la véracité des rapports que j’ai eus sur lui.
Vivre ou mourir. Le choix peut paraître simpliste, voire même évident. Et pourtant. Ils ont réussi à me capturer parce que j'ai été incapable de choisir de mourir. J'ai pensé pouvoir survivre. Même enfermé. Même privé de mes capacités. J'avais tort. Je ne pensais pas, je ne pouvais pas imaginer en arriver là un jour. Souhaiter de nouveau la délivrance de la mort. Que tout s'arrête. Que l'on m'achève…
Ou que l'on m'aide.
J'ai survécu. Encore. On m'a aidé. On m'a soigné. J'ai reconnu le liquide que contenait la seringue. Le sérum. Enfin. Quelques heures plus tard, toute cette torture, cette horrible descente aux enfers, n'était plus qu'un très très mauvais souvenir. Quelques jours plus tard, j'étais de nouveau sur pieds.
Je ne saurais dire combien de temps s'est écoulé depuis la dernière crise qui m'a poussé à implorer de l'aide. La vie a repris son cours. Une vie de prisonnier, qui n'a rien d'enviable. La journée, le temps s'écoule lentement, sans distraction, rythmé uniquement par les repas qui me sont livrés. La nuit, je fais parfois des cauchemars, mais souvent, de plus en plus souvent, je rêve de ciel bleu, de vent sur mon visage, du sourire de Mère, des rues de Londres. Je préfère les cauchemars à ces cruels rêves de liberté.
Le docteur passe m'examiner de temps en temps. Il réapprovisionne ma perfusion en médicaments et en vitamines. Il fait des prises de sang. Il s'étonne que je sois en bonne santé. Il semblerait que j'aie la peau dure. Je le savais déjà. J'ai survécu au sérum, il y a onze ans. J'ai survécu au manque de sérum, il y a quelques jours. En fin de compte, je ne suis pas devenu fou.
Je survis.
Je ne sais pas pourquoi je suis encore en vie. Mais s'ils m'ont sauvé, c'est qu'il doit y avoir une raison. Ce n'est pas pour me garder enfermé éternellement ici. Alors j'attends. Je me plie aux examens du docteur. Je suis docile. Calme. Patient. J'attends. Je n'ai pas grand chose d'autre à faire, de toute façon.
Lorsque les portes de l'ascenseur s'ouvrent, je suis allongé sur ma couchette, occupé à fixer le plafond. Je me redresse lentement, m'attendant à voir la silhouette du docteur. Mais c'est un autre profil qui se dessine devant ma cellule. A présent assis sur ma couchette, je la fixe avec intensité. Elle m'observe aussi. Elle ne dit rien. Alors je parle en premier.
« Je me souviens de vous. »
C'est elle qui m'a aidé. C'est elle qui m'a sauvé. Je devrais lui en être reconnaissant. Mais je ne suis pas naïf. Ils savaient où trouver le sérum. Mais ils ont attendu que je sois brisé, que je les implore, pour me l'administrer. Je ne crois pas en la bonté d'âme ou en la charité gratuite. Pas pour moi.
Je me lève, je m'avance lentement vers la vitre. Je la fixe toujours. Elle porte la même tenue que la première fois qu'elle est venue. Elle tient la même mallette. Elle vient pour me donner ma dose. J'esquisse un bref sourire sans joie en observant la mallette. Pour me la "donner", vraiment ?
« Qu'est-ce que vous voulez ? »
Ma voix est calme et mon ton se veut le plus neutre possible. Je ne sais pas encore quoi penser de cette femme. Je ne connais pas son nom ni sa fonction. Je ne sais pas ce qu'elle attend de moi. Tout ce qui m'importe, c'est qu'elle représente potentiellement une porte de sortie.
Je reste impassible à cette déclaration. Elle m’arrange même si elle est secondaire. Je n’ai pas besoin de gratitude pour avoir de fortes chances d’adhésion à mon projet. Ainsi reste-je droite, main et attaché-case le long du corps.
Il semblerait que le détenu Jenkins soit redevenu un détenu modèle une fois les symptômes du manque passé. C’est l’image qu’il renvoie lorsqu’il se lève calmement pour me faire face, ou plus exactement me surplomber. Les quelques marches qui montent jusqu’à sa cellule accroissent encore notre différence de taille. Je fais un mètre soixante-huit. Il en fait un quatre-vingt-dix. Lui faire face impliquerait un marchepied. C’est toujours plus flagrant alors qu’il s’avance vers les barreaux et la vitre. C’est toujours plus flagrant alors que je m’avance le long des marches.
Je vois le sourire sans joie.
« Qu'est-ce que vous voulez ?
- Vous injecter votre anticancérigène à forte dépendance physique. »
Je lui réponds avec la même impassibilité dont il a fait preuve. Les deux gardes qui m’encadrent ont les passes nécessaires à déverrouiller la porte d’entrée. Reste à savoir si l’acceptation de ma demande est obligatoire pour qu’ils le fassent ou s’ils sont partant pour encourager l’obéissance. Certains milieux carcéraux sont destinés à la réinsertion. Aux Etats-Unis, ils le sont au stockage et à la canalisation des fonds étatiques. Le Raft est d’état ainsi ne transfert-il pas d’argent public vers des intérêts privés mais je ne suis pas non plus certaine qu’on puisse réellement parler de milieu carcéral. C’est une oubliette.
« Il y a deux manières de procéder, reprends-je après trois secondes de silence destinées à ce qu’il assimile la nature de son sérum. Je vous laisse le choix. »
C’est un petit choix sans grande conséquence. C’est plus que ce qu’il a d’ordinaire.
« Soit vous pouvez vous positionner dans le fond de votre cellule, face au mur et les mains sur celui-ci. Soit vous pouvez retourner vous assoir sur votre lit. »
Une seconde.
« Dans les deux cas, vous resterez ainsi le temps que j’injecte la solution à votre cathéter et ressorte. »
Je ne prends pas la peine de préciser ce qui advient s’il y a tentative de violence. Sauf erreur de ma part, Jenkins a déjà pu expérimenter l’aspect électrisant du collier inhibiteur. De plus, il sait qu’agir maintenant serait prendre le risque de voir le mois précédent se reproduire. Qu’il fasse la distinction entre l’US Marshal Service, l’US Navy et la SHIELD n’importe pas tant qu’il comprend qu’il n’a pas beaucoup de bonne volonté sur laquelle miser.
S’il obtempère, j’en fais de même. Les gardiens du Raft m’ouvrent la porte télécommandée et je fais des pas dans la prison parfumée pour m’en aller ouvrir le tiroir par lequel les plateaux sont placés. J’y dépose ensuite mon attaché-case. Je fais rouler les chiffres jusqu’au code d’ouverture, dos tourné au prisonnier. Ma gorge est serrée et mon cœur étreint d’appréhension malgré la conscience de son intelligence encourageant la passivité et des deux hommes prêts à intervenir s’il est stupide. Parallèlement, il faut que je ne montre aucune crainte. Ses pouvoirs mutants sont neutralisés. Sa volonté aussi. J’ai attendu un mois de plus pour m’assurer le second point.
J’ouvre mon attaché-case. La mousse qui contient la seringue n’en occupe qu’une partie. La partie supérieure voit ses pochettes occupées de petits dossiers.
Je sors la seringue puis me retourne vers le prisonnier.
« Mon nom de code est Caelestis, me présente-je alors que je marche vers son cathéter. Mon équipe et moi-même nous excusons des délais de rétro-ingénierie et des symptômes que vous avez ressentis durant ceux-ci. »
Je ne suis pas désolée. Personne ne l’est dans cette affaire. Nous avons trouvé le compromis entre nos meilleurs et le plus utile. J’insère la seringue dans l’embout prévu pour cela.
« En l’état actuel de nos connaissances, nous sommes incapables de vous guérir. »
J’injecte la solution en même temps que je parle. Puis je retire la seringue et regarde l’homme.
« Nous pourrions alléger les symptômes de manque. Le cancer, lui, serait probablement généralisé. »
J’énonce des faits. Sans doute est-il une pointe de tristesse pour naitre en moi considérant la tristesse desdits faits. J’exprime plus que je ne ressens tout en tachant de garder un professionnalisme de circonstance.
« Vous ont-ils dit que la procédure faisait de vous un atout périssable, demande-je en me reculant d’un pas, seringue toujours en main et regard toujours porté vers le condamné ; en un mot comme en deux. Vous ont-ils dit que le sérum était prévu pour causer votre mort si jamais vous cessiez d’en prendre ? »
Un moyen de contrôle. Un moyen de se débarrasser des éléments rebelles. Un moyen peut être involontaire, témoignant d’un désintérêt pour les sujets de l’expérience, ou volontaire, témoignant de la malfaisance. Joshua Jenkins a grandi dans une secte qui l’a endoctriné toute sa vie. Il est temps qu’il comprenne cela.
Elle ne me répond pas lorsque j'annonce me souvenir d'elle. Elle n'esquisse pas le moindre sourire ou la moindre mimique. Elle semble aussi douée que moi pour rester le plus neutre possible. Sa réponse est aussi dénuée d'émotion que ma question. Elle me fait pourtant brièvement froncer les sourcils. "Anticancérigène" ? Que veut-elle dire par là ? Je reste néanmoins silencieux, attendant de savoir ce qu'elle veut vraiment.
Lorsqu'elle me parle du choix que j'ai à faire, je songe qu'elle va commencer le marchandage, du genre "soit vous coopérez et je vous injecte votre sérum soit vous vous obstinez à garder le silence et vous pourrissez ici jusqu'à ce que le manque vous rende fou ou vous tue"... Mais il n'en est rien. Le choix porte sur la position que je tiendrai pendant qu'elle sera dans ma cellule. Etonnant.
J'obtempère cependant, sans poser de question, et retourne donc m'asseoir sur ma couchette. Le cathéter est placé dans mon épaule gauche, tout près du tatouage du symbole des Héritiers et le tube est scotché sur mon avant-bras que je dispose donc bien en évidence et à plat sur ma cuisse. Je n'esquisse pas le moindre mouvement alors qu'elle entre dans ma cellule et me tourne le dos pour ouvrir sa mallette. Les deux gardes ne me quittent pas des yeux, et il serait de toute façon stupide de tenter quoi que ce soit avant qu'elle m'ait injecté le sérum.
Elle se retourne vers moi, seringue en main, et se présente à moitié. Je me contenterai d'un nom de code, de toute façon son vrai nom ne me servirait à rien. Ses excuses sonnent faux. Je leur ai donné la localisation de deux doses de sérum lorsque les premiers symptômes sérieux sont apparus, et je doute qu'il leur ait fallu tout le temps de ma dégénérescence pour se les procurer. Ma tête bouge légèrement alors que je lève les yeux vers elle, hausse les sourcils d'un air incrédule et lui réponds avec une ironie non dissimulée :
« Vraiment ? »
En dehors de ce mouvement de tête presque imperceptible, je ne bouge pas d'un pouce. Elle est juste à côté de moi, à portée directe, et le moindre geste pourrait être perçu comme une intention d'agression, une perception que je ne désire surtout pas. Je baisse ensuite le regard sur mon avant-bras. C'est un soulagement de voir le liquide passer dans le cathéter. Même si ce n'est qu'un sursis.
Elle me parle d'une guérison, qui selon elle est impossible. Une guérison de quoi ? De ma dépendance au sérum ? Il semblerait que ce soit malheureusement un effet secondaire du produit, même si je n'avais jamais eu l'occasion de le subir avant mon emprisonnement. J'ai toujours reçu mon injection mensuelle en temps et en heure, avec une précision chirurgicale.
Elle parle de nouveau de cancer. Généralisé. Serait-ce donc ce qui m'attend si jamais je cesse pour de bon de prendre ce sérum ? J'encaisse la nouvelle en serrant la mâchoire. Je suis donc un mort en sursis depuis onze années. En soi, je le suis depuis que j'ai rejoint les Héritiers, puisque j'ai décidé de leur consacrer mon existence. Mais le mot "cancer" n'est jamais agréable à entendre.
Je lève la tête vers elle, lentement et sans mouvement brusque, alors qu'elle se recule d'un pas et me pose ses désagréables questions. Elle se berce néanmoins d'illusions si elle croit que cette révélation suffira à ce que je perde foi en la cause des Héritiers.
« Le sérum aurait pu causer ma mort dès la première injection. La procédure était expérimentale et à 95 pourcents létale. J'ai pourtant accepté de la suivre de mon plein gré. »
Je pourrais prendre le temps d'expliquer pourquoi, mais j'en ai déjà trop dit. Je doute qu'elle soit en mesure de comprendre ou d'adhérer à mes raisons. Elle me considérerait probablement comme un fanatique. Elle n'aurait pas tort. Je n'ai pas vraiment répondu à sa question, mais j'en ai saisi la portée implicite. Rester impassible me demande un sérieux effort de maîtrise alors que je demande :
« Puisque vous ne pouvez pas me guérir et que vous m'avez administré les deux doses que vous aviez, que va-t-il se passer maintenant ? Vous allez me regarder mourir, lentement et dans d'atroces souffrances ? »
Si elle n'est venue que pour m'annoncer ma mort prochaine, la démarche est à mon sens particulièrement sadique et cruelle. Je nourris donc un maigre espoir qu'elle ait une solution à me proposer. Si ce n'est pas le cas, je trouverai un moyen de précipiter la fin. Même s'ils peuvent atténuer les symptômes du manque, je ne veux pas revivre ça. Je ne veux pas non plus mourir diminué, sans la moindre dignité, suite à un cancer fulgurant.
Dans le face à face inexpressif, Jenkins perd le premier. L’anticancérigène le surprend un peu. Le choix, beaucoup. Après, ce n’est pas l’inexpressivité qui est le plus important. C’est l’expressivité. Contrôler ce que l’on montre tant pour dissimuler ce que l’on ne veut pas montrer, voire le fait qu’il n’y ait rien à montrer dans mon cas, ou pour montrer ce que l’on veut montrer, même s’il n’y a pas grand-chose dans mon cas toujours.
Le choix est pris comme il a été anticipé. Jenkins est ouvert à la discussion. Il y met même de la bonne volonté, pour l’injection tout du moins. Je privilégie l’hypothèse de l’ouverture à la discussion sur celle de la tentative de prise d’otage tant par la situation présente, avec deux gardes armés qui n’hésiteraient pas à intervenir en activant un collier électrique, que par la situation passée : je suis la seule personne qui est prête à avoir une conversation constructive avec lui depuis longtemps. D’où que je parle autant. D’où que je présente des excuses creuses.
Jenkins n’est pas dupe. Il transgresse même son engagement face à une troisième occurrence de surprise et de franchise. Je n’ai rien à répondre à son "vraiment". Je ne réponds donc rien. L’ironie qu’il manifeste m’indiffère profondément. Le sérum H m’a beaucoup plus fasciné que l’Héritier. Plus de potentiel. Plus d’utilisations. Plus de liens avec les puzzles qui me passionnaient profondément, autrefois. Parallèlement, cela n’empêche pas la conscience intellectuelle que Joshua Jenkins n’est que le produit d’un environnement sectaire. Il n’a jamais eu la possibilité d’être autre chose.
Son soulagement de voir le sérum H s’en aller vers son corps est psychologique. La réaction incarne mon diagnostique social.
Les explications sur la véritable nature du sérum H vont serrer les dents. Colère, plus que surprise. Quand au mouvement qui s’en suit… peut-on réellement parler de "lever la tête vers moi" lorsque l’on a pratiquement une tête de différence ? Pas de beaucoup.
Le sérum H aurait pu causer la mort de Jenkins dès la première injection. Procédure expérimentale. 5% de chance de survie. J’enregistre les informations et fais les calculs. C’est plus important que l’endoctrinement sectaire ait permis de trouver des volontaires.
« Puisque vous ne pouvez pas me guérir et que vous m'avez administré les deux doses que vous aviez, que va-t-il se passer maintenant, me demande-t-il sans me déranger dans mes calculs au-delà que la lenteur de son propre esprit, laquelle n’est même pas capable de me surprendre. Vous allez me regarder mourir, lentement et dans d'atroces souffrances ?
- Comme je l’ai dis, réponds-je immédiatement avec une pointe de nonchalance, "mon équipe et moi-même nous excusons des délais de rétro-ingénierie". Nous savons le fabriquer. »
Je lui laisse une seconde pour digérer les implications. Sont-elles meilleures ou pires pour son avenir ? A lui d’en décider. Cela m’arrange car c’est un argument de plus pour mon programme. Reste un abcès à crever avant.
« Considéront que vos chiffres sur le taux de survie au Sérum sont exacts, monsieur Jenkins. Les attentats du 28 Septembre ont fait environ 500 morts. Ceux de Londres 100. Multiplions ces chiffres par 150% pour considérer toutes les attaques qui ne sont pas recensées. Omettons le fait qu’il n’y avait pas 100% de mutants dans les victimes suscitées. »
J’hésite à le laisser faire les calculs lui-même puis évalue que cela prendrait trop de temps.
« 5+1=6. 6x1,5=9. 9x100=900. 900x0,1=90. 90/2=45. C’est notre 5% de survie. Etiez-vous environ quarante-cinq survivants, monsieur Jenkins ? »
Je lève la seringue entre nous et la regarde.
« Si oui, les Héritiers ont fait plus de victimes humaines que de victimes mutantes rien qu’avec leur volonté de créer des mutants. Dans un cas de figure où ils n’auraient tué que des mutants. »
Je rabaisse la seringue.
« Ce qui n’est pas le cas. La discrimination du White Rabbit Hole permet d’affirmer le 100% de mutants. La volonté antidiscriminatoire de l’événement Mutant Care signifie qu’il devait y avoir 2 à 3 fois plus d’accompagnateurs et de partisans humains que de mutants sur les lieux. Plus les intervenants extérieurs tués lorsqu’ils essayaient d’apporter leur aide aux autres. »
Ce qui doit laisser une propension de 1 mutant pour 5 humains, voire encore moins, dans le plus gros attentat des Héritiers. Sachant qu’avec 80 mutants de tués ne fait pas une grande différence dans une métropole possédant environ 25.000 individus dangereux pour l’Hydra ; sous réserve que l’algorithme Zola ne se soit pas trompé avec son 0.28% de la population et en ignorant la variable que certains surhumains n’étaient pas dangereux pour l’Hydra et que des humains normaux l’étaient, notamment les agents de la SHIELD.
Je reste silencieuse face à Jenkins pendant plusieurs secondes. Je feins un agacement croissant.
« Je pense qu’une trentaine de mutants artificiels créés par le Sérum suffiraient à entériner ma conclusion : les Héritiers ont tué plus d’humains que de mutants. Ajoutez à cela la réaction de l’opinion publique, monsieur Jenkins. "Les pauvres mutants victimes des méchants humains". »
Je romps le contact visuel pour ranger la seringue dans mon attaché-case. Je prends mon temps pour le faire. Je force la seringue à rentrer dans sa partie de la mallette. Je fixe ensuite l’autre moitié, à son côté.
« Je suis une Amie de l’Humanité. Je dédie ma vie professionnelle comme personnelle à protéger les humains contre les mutants et les extraterrestres qui les menacent. »
Je laisse mon attaché-case ouvert. Je me retourne vers Jenkins. Je croise les bras. J’appuis le bassin contre le meuble derrière moi. Je fixe Jenkins froidement.
« Eclairez-moi, monsieur Jenkins. Pourquoi une organisation sacrifierait-elle des centaines d’humains pour créer quelques mutants ? Pourquoi organiserait-elle des attentats qui marqueront l’Histoire de l’intolérance humaine face à la pauvre communauté mutante ? »
J’attends une réponse. J’ai déjà mes hypothèses mais je veux la réponse de Jenkins.
Elle a une solution à proposer. Son équipe est en mesure de fabriquer le sérum. Je clos brièvement les paupières et laisse échapper un soupir à peine audible devant cette révélation. Puis je la fixe à nouveau, attendant de savoir la suite. Elle va poser ses conditions. Ils m'ont gardé en vie pour une raison. Depuis qu'ils m'ont arrêté - ça doit faire au moins deux mois puisque j'ai reçu deux injections, voire un peu plus, peut-être trois - ils ne m'ont fait subir qu'un seul interrogatoire, et encore il était gentillet. Elle va probablement vouloir des informations.
Mais non. Pas de condition, pas de marchandage. Elle se lance dans des explications que je peine à comprendre. Elle me perd avec ses chiffres. Je tâche de ne pas montrer que je suis largué, mais je me rends compte un peu trop tard que j'ai la bouche entrouverte par l'incompréhension. Je la referme et ne dis rien. Que dire de toute façon ? Au final je ne retiens qu'un chiffre : 500 morts lors des attentats de New York. Excellent chiffre. Qu'importe qu'il n'y ait pas que des mutants dans le lot : leurs partisans humains méritent de mourir autant qu'eux.
Je sens qu'elle s'agace, sans vraiment saisir pourquoi. De toute façon elle est sur une fausse piste : la "création de mutants", comme elle l'appelle, est loin d'être l'activité principale de l'organisation. Ce programme n'est pas très utilisé, et je ne crois pas avoir rencontré plus d'une poignée de sacrifiés comme moi. Peu importe, je ne vais pas la contredire. Je ne donnerai pas d'information gratuitement.
Je l'observe ranger la seringue. Je m'interroge vaguement sur elle. Son vocabulaire est britannique, et plus élaboré que le mien, pourtant elle n'est pas anglophone de base. Elle a un léger accent, que je n'arrive pas à identifier, mais qui n'est ni britannique ni américain. Canadien, peut-être. Je ne crois pas en avoir déjà rencontré. En dehors de mon voyage forcé à New York, je n'ai jamais quitté l'Angleterre.
Ce qu'elle me dit alors m'intrigue au plus haut point, même si je le montre peu. Une amie de l'humanité ? Le S.H.I.E.L.D. pourtant emploie des mutants et des extraterrestres. Comment pourrait-elle en faire partie et lutter contre eux ? Cela me fait douter de la véracité de ces dires, et pourtant j'aimerais y croire. J'aimerais croire que nous avons des intérêts communs, même si elle n'approuve pas nos méthodes. Mais je reste méfiant.
Après avoir croisé les bras, elle reprend la parole pour poser des questions qui cette fois attendent clairement des réponses. Je prends quelques instants pour réfléchir à ce que je vais dire, puis je me décide à parler.
« Vous ne voyez que la partie émergée de l'iceberg, agent Caelestis. Le but premier de notre organisation n'est pas de créer des mutants mais bien de les exterminer. »
Je ne risque pas grand chose à faire cette révélation qui n'en est pas une. Il est évident que les attentats ciblaient des mutants.
« Quant aux opérations de New York et de Londres, elles étaient de grande envergure oui. Mais il y en a eu bien d'autres avant et il y en aura bien d'autres encore. »
Le massacre de la Loge et les attentats du 28 septembre n'étaient clairement pas discrets, c'est vrai. Allez savoir pourquoi ils ont décidé de les revendiquer, d'afficher notre symbole et de faire connaître notre nom sur ce coup-là. Mais l'organisation existe depuis des décennies, elle est très bien implantée en Grande-Bretagne et s'étend en dehors de l'Europe. Même si les autorités locales ont réussi à mettre la main sur quelques Héritiers lors de l'assaut de Ridgewalk, ce sera heureusement bien insuffisant pour réussir à nous arrêter. C'est du moins ce que je crois.
« Mais vous avez peut-être mieux à proposer ? »
La question n'est qu'à moitié sarcastique. Je continue de penser que cette femme représente potentiellement une porte de sortie. Et je caresse à présent l'espoir, même si cela me paraît trop beau pour être vrai, que cette porte de sortie puisse en plus me permettre de continuer ma lutte.
« Eclairez-moi, monsieur Jenkins. Pourquoi une organisation sacrifierait-elle des centaines d’humains pour créer quelques mutants ? Pourquoi organiserait-elle des attentats qui marqueront l’Histoire de l’intolérance humaine face à la pauvre communauté mutante ? »
J’attends une réponse. J’ai déjà mes hypothèses mais je veux la réponse de Jenkins.
« Vous ne voyez que la partie émergée de l'iceberg, agent Caelestis. Le but premier de notre organisation n'est pas de créer des mutants mais bien de les exterminer. »
J’écoute un évitement de ma question qui ne me surprend pas en gardant les bras croisés et le visage froid. Ma seconde hypothèse en va à l’incompétence des Héritiers et c’est celle qui changera moins le paradigme de Jenkins tel qu’il vient de l’énoncer. Il est également intéressant de voir que c’est le doute qui accompagne l’énoncé des "opérations de New York et de Londres". Qui ponctue la croyance que "il y en a eu bien d'autres avant et il y en aura bien d'autres encore". Je soupire par le nez.
« Mais vous avez peut-être mieux à proposer ?
- Pour exterminer les mutants, demande-je avec une nonchalance parfaitement sincère. Un dérivé du Supgen utilisant uniquement le déstabilisateur de Gène X ou un virus ayant besoin dudit gène pour se reproduire et créer des symptômes mortels suffirait au massacre recherché. »
Solution violente dont les effets peuvent être grandement variés fonction de l’OGM ou du pouvoir dont le contrôle est perdu. Je privilégierais le virus pour des raisons de limitation des dommages collatéraux. Notion étrangère aux Héritiers.
« Les probabilités de mise au point d’un antidote ou d’un vaccin sont néanmoins non négligeables, signale-je avec mollesse et en haussant les épaules. Personnnellement, j’aurais concentré mes recherches chimiques sur la création d’un inhibiteur du Gène X. Possiblement tiré d’un mutant. Ensuite, j’aurais fait du lobbying pour l’intégrer dans les protocoles de traitement des eaux destinées à la consommation humaine. »
Solution pacifique faisant perdre les pouvoirs tant que les individus continuent de s’hydrater. La partie complexe étant de réussir à convaincre les industriels de l’assainissement et de la distribution d’accepter le projet. Et de le garder secret.
« Cela ne les extermine pas. Certes. Cela les faits disparaitre. Ce qui reste plus efficace que créer des mutants en sacrifiant des humains. Surtout pour les utiliser comme kamikazes et rendre les mutants populaires. »
L’agacement revient avec un peu plus de sincérité que précédemment. Je continue de le surjouer.
« Je ne comprends pas pourquoi les Héritiers n’ont ni cherché à créer un sérum permettant de tuer les mutants ni utilisés leurs mutants kamikazes pour prouver la nécessité d’exterminer les mutants. »
Une pause.
« Le pire ennemi de la communauté mutante est la Confrérie des Mutants. Chacun de ses crimes prouve aux humains qu’il faut empêcher l’utilisation des pouvoirs. D’une manière ou d’une autre. »
Une seconde pause.
« Les attentats de votre organisation ont créé des martyrs chez les mutants et leurs partisans. Les humains sont encouragés à venir en aide aux victimes. Les Héritiers sont ceux qu’il faut combattre. »
Je ponctue cette déclaration d’un soupir nasal. Ma mâchoire se crispe puis s’entrouvre alors que ma langue pousse contre mes dents. Je prends une inspiration puis soupire réellement.
« Alors… votre organisation est-elle simplement stupide ou est-il possible que Lord Locke n’ait pas été totalement sincère avec vous ? »
Lord William Samuel Locke, membre du parlement britannique et arrêté le 20 octobre par une collaboration de la SHIELD et du Scotland Yard. L’un des gros bonnets des Héritiers dont le nom devrait avoir le mérite de faire réagir. J’ai plus d’informations que je ne le dis.
Suffisamment d’informations pour avoir un point de vue différent sur la situation. Je ne vois pas la partie émergée d’un iceberg. Je vois un homme qui nomme cela un iceberg pour se donner l’impression que sa vie est digne du Titanic. Moi j’appelle ça le glaçon que je mets dans mon whisky.
Elle repart dans des explications scientifiques. Je ne comprends pas tout, je ne sais pas ce qu'est le Supgen, mais je comprends plus de choses que lorsqu'elle enchaînait les opérations mathématiques. Elle évoque la possibilité d'un virus qui ciblerait le gène mutant. Elle l'évoque au conditionnel mais avec suffisamment de détails pour me laisser à penser qu'elle y a déjà songé avant cette conversation.
Elle parle aussi d'un inhibiteur du gène mutant. C'est une technologie qu'ils possèdent déjà. Je porte la main au collier qui orne mon cou et m'empêche d'utiliser mes capacités télékinétiques et hausse un sourcil, mais ne fais pas de commentaire. En revanche, lorsqu'elle parle de la possibilité d'inhiber le gène X en se servant des capacités d'un mutant, je rétorque amèrement :
« Vous auriez pu avoir une excellente cobaye antipathe pour cela. Dommage que votre collègue lui ait bêtement tiré une balle dans la tête. »
Valentina avait cette capacité. Elle l'avait développée de la même manière que moi, elle faisait partie des quelques sacrifiés. Je n'avais pas spécialement d'affect pour elle, elle n'était qu'une autre arme de l'organisation, mais la voir se faire abattre sans sommation m'avait agacé. Ne serait-ce que parce que cela m'avait alors empêché de la tuer moi-même. Mais peut-être que son cadavre pourrait encore servir aux théories scientifiques de Caelestis. A condition qu'elle veuille réellement tenter l'expérience, ce dont je doute.
Elle continue de dénigrer les Héritiers. Elle ne comprend pas que ma foi envers l'organisation est inébranlable. J'entends ses arguments, mais je m'en fous. Je me fous de savoir ce que les autres pensent de nous. Nous avons fait le choix de sacrifier nos vies et possiblement nos âmes pour sauver le monde du cancer qui le ronge, quitte à le faire contre son gré. Nous ne sommes pas des héros. Nous faisons ce qui doit être fait. Chaque mutant tué est un problème de moins et nous sommes suffisamment forts et nombreux pour continuer la lutte jusqu'à ce qu'il n'y en ait plus aucun. J'en suis intimement convaincu. Jusqu'à ce qu'elle parle de lord Locke.
Un éclair d'inquiétude passe sur mon visage. Comment ? Comment connaît-elle ce nom ? Comment peut-elle savoir ? Je n'ai jamais rencontré cet homme personnellement, je suis situé bien trop bas dans l'échelle hiérarchique des Héritiers pour cela. Mais j'ai déjà entendu ce nom dans la bouche du supérieur de mon superviseur, dans des phrases comme "Lord Locke sera fier de ce que vous avez accompli", ou encore "Lord Locke pourra étouffer l'affaire". Lui, il est plutôt en haut de l'échelle. Qui a pu bien parler de lui ? Qui a osé nous trahir ?
J'accuse le coup. Je sens la colère monter en moi. Mes mains se crispent sur le bord de la couchette. Ils en savent plus qu'ils ne devraient. L'organisation est en danger. Mais je ne vais pas entrer dans son jeu. Je ne dirai rien sur lord Locke, je ne ferai même pas mine de prétendre que je ne sais pas de qui elle parle. Les dents serrées, le regard mauvais, je réponds sèchement :
« A quoi bon me poser toutes ces questions ? Je ne suis ni un scientifique ni une tête pensante de l'organisation. Je suis un soldat, un tueur de mutants. Je ne suis bon qu'à ça. »
Je ne suis pas celui qui pourra lui fournir de précieuses informations sur les aspirations secrètes des Héritiers. Je ne suis pas celui qui pourra l'aider à créer un virus anti-mutants. Je suis une arme, très efficace, mais qui actuellement est rangée au fond d'un tiroir et ne peut servir à rien.
La réplique amère m’intéresse à défaut de me sortir de mon apathie. Nous aurions pu avoir une excellente cobaye antipathe si "Emy" n’avait pas rompu les rangs pour assassiner l’un de ses objectifs principaux avec la compétence qui lui est habituelle. Je ne lui reprocherai pas d’avoir tué une antipathe et libéré le télékinésiste qui a failli tuer plusieurs de ses collègues ; elle ne pouvait pas connaitre les capacités. Je lui reprocherai d’avoir refusé de suivre les ordres et de protéger ses proches pour le plaisir de n’en faire qu’à sa tête. Elle est plus dangereuse pour ses alliés que pour ses ennemis. Tout comme elle est hors sujet ; au sein de la SHIELD comme de mes pensées actuelles. L’antipathe des Héritiers a été disséquée par une équipe de collègues ayant la formation pour et j’ai pu consulter les résultats publiés au sein de l’organisation comme je le fais d’ordinaire. Le fait que la capacité soit active, nécessite sa concentration, et non passive nous pose cependant le même problème que pour la télépathie de synthèse ; sachant que celle-ci n’est pas un projet auquel je participe. Mon intérêt va à l’anti-télépathie ainsi qu’à des fusils télépathiques. Il ne va plus à entrer dans les têtes des gens à des fins psycho-médicales depuis longtemps.
L’éclair d’inquiétude m’intéresse à défaut de me sortir de mon agacement. La colère est une continuité de la peur et une réaction normale à celle-ci puisque le réflexe de fuite est présentement impossible. Tout se passe comme il est logique que cela arrive et comme j’ai joué pour. L’endoctrinement des Héritiers est une muraille. J’ai fait mon service militaire dans un régiment du génie. J’y ai été formée aux techniques d’attaque, de défense et de construction des infrastructures militaire. J’ai agi comme pionnière et comme sapeuse. Que la muraille soit physique ou mentale, le principe de la sape fonctionne toujours. Atteindre la zone. Tester la construction. Trouver un point faible. Préparer l’explosion. Voire si cela suffit à tout faire s’effondrer ou s’il faut recommencer.
La hiérarchie. La hiérarchie est un point faible.
Jenkins s’est crispé. Jenkins s’est fermé. Je regarde cette prévision sans rien ressentir. Je continue mon travail. Je ne suis pas là pour qu’il m’ouvre les portes. Je suis là pour les faire s’effondrer.
« A quoi bon me poser toutes ces questions, me demande-t-il sans me faire décroiser les bras mais en diminuant mon agacement feint. Je ne suis ni un scientifique ni une tête pensante de l'organisation. »
Hiérarchie.
« Je suis un soldat, un tueur de mutants. Je ne suis bon qu'à ça. »
Je regarde l’émotion liée à la conclusion. Est-ce un dérivé de joie, un de tristesse ou un de dégout ? Je ne vois que la colère. Tant pis.
« Et votre expérience du terrain vous a-t-elle amené à tuer plus de mutants ou d’humains, lui demande-je simplement, continuant d’explorer la galerie que je creusais malgré ma découverte du point faible. Pour ma part, je vous interroge car je n’ai pas accès à vos supérieurs. »
Une seconde de pause avant que j’hausse les épaules.
« Enfin, j’ai croisé quelques scientifiques. Impossible de leur faire avouer comment synthétiser le sérum puisque nous ne torturons pas, nous. »
Je décroise les bras. Je pose les mains sur mon siège improvisé. Je me réinstalle.
« Ce qui me fait penser : vous ne trouvez pas que c’est contraire à votre idéologie anti-mutante que de placer l’antipathe et vous-même à la tête de l’opération la plus importante ? »
Je lève les mains au niveau du buste. Mes paumes sont ouvertes. Mes épaules s’haussent de nouveaux.
« Les attentats n’étaient-ils pas une diversion pour couvrir votre enlèvement de mademoiselle Hunter, après tout ? »
Je suis une arme. Je suis un tueur de mutants. C'est mon rôle en ce monde. Je n'ai jamais envisagé de faire autre chose. Je pensais que cette lutte durerait jusqu'à ma mort. Je n'avais jamais imaginé que je puisse finir enfermé, à croupir en prison.
Inutile.
Je suis vaguement en colère contre les Héritiers qui n'ont pas trouvé le moyen de me sortir de là… Mais j'ai toujours su que j'étais un élément sacrifiable, que je ne leur serais utile que tant que je pourrais tuer des mutants. Je suis surtout en colère contre moi-même, d'avoir échoué, d'être ici, de ne plus servir à rien.
La question de l'agent Caelestis me renvoie à toutes les grandes actions que j'ai pu mener. J'y repense avec un mélange de joie et de colère. J'étais bon. Je faisais partie des meilleurs. C'est un mince sourire nostalgique qui vient étirer mes lèvres pincées et adoucir légèrement mon visage fermé alors que je repense durant quelques instants à ma gloire passée.
« Beaucoup de mutants. Quelques humains, uniquement les partisans de ces monstres. »
Je ne suis pas un psychopathe qui tue au hasard pour le plaisir de tuer. Je suis un soldat investi d'une mission bien spécifique, même si la majorité du monde ne la comprend pas.
Sa réflexion sur la torture me laisse indifférent. Je suis plus occupé à me demander comment elle aurait pu croiser des scientifiques de l'organisation. Y'en avait-t-il à New York ? Je n'en suis pas certain. D'autres ont dû se faire épingler et balancer des noms. D'autres ont craqué. D'autres ont trahi. Les enflures. Cela ne devrait pas être suffisant pour faire s'écrouler l'organisation, elle est bien trop implantée, nous sommes bien trop nombreux, et les plus puissants agissent dans l'ombre. Mais ils ont le nom de Lord Locke.
Caelestis décroise les bras. Elle semble se détendre un peu. Sa question suivante me fait grincer des dents. Je me félicite néanmoins, car fut un temps j'aurais éclaté la tête du premier imbécile qui aurait osé insinuer que j'étais un mutant. L'agente se gourre. Encore une fois, elle est loin de tout savoir. C'est ce qui me permet de conserver un semblant de calme. Même si l'évocation de Hunter met mon self-control à rude épreuve.
« Hunter était MA mission. Je traquais cette salope depuis qu'elle avait réussi à s'enfuir de la Loge de Londres. C'était devenu une affaire personnelle. »
Ce n'est pas tout à fait vrai. Bien sûr, j'en avais fait une affaire personnelle. Mais mes supérieurs m'avaient affecté à cette traque, pour des raisons plus importantes que simplement "récupérer la connasse qui nous avait échappé". Les carnets… Le S.H.I.E.L.D. a dû les récupérer. Je me demande vaguement ce qu'ils pouvaient contenir. Je me demande surtout si Hunter et Pearson ont fini par être attrapés et tués une bonne fois pour toutes.
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