Poser des limites, c'est plutôt sain dans la vie. Une bonne manière de ne pas se mettre dans l'embarras, d'être à l'aise. Peut-être qu'avec un peu de temps... Thomas finiras par parler. J'aimerai qu'il se confie à moi. Je suis certain qu'il ne me dis pas encore toute la vérité, mais ça viendras peut-être quand il sera en confiance. Moi non plus je ne lui ai pas tout raconté de ma vie, j'ai omis les détails gênants de mon passé. Omis de lui dire qu'on m'a surnommé Jun le buisson jusqu'à mon adolescence, à cause d'un mutisme chronique. Alors... Il faut que je lui laisse le temps.
Il a l'air sincère et je ne pense pas l'avoir influencé avec ma voix. Si je maîtrisais mieux mon pouvoir, si j'étais une horrible personne... Oui, je pourrais sans doute lui parler pour le convaincre ? J'ignore si mon pouvoir est capable d'une telle chose. L'honnêteté ce n'est pas réellement une émotion. La sincérité néanmoins, est appréciée. Tom m'a clairement annoncé qu'il lui fallait un peu de recul avant de complètement s'ouvrir. Qu'il ne fait pas ça parce qu'il ne m'aime pas, mais juste parce qu'il en a besoin lui. J'avoue être surpris à sa déclaration soudaine. Une semaine c'est plutôt court mais... J'imagine que c'est le coup de foudre pour lui ? A moins que ce ne soit ma foutue voix encore une fois. Qu'est-ce que je peux y faire de toute manière ?
Je me force à lui adresser un sourire. Ce n'est pas lui, mais moi qui soudainement suis encore angoissé de savoir s'il m'aime vraiment et si c'est pour les bonnes raisons.
« Et moi... Je vais avoir besoin de temps pour réaliser que tu m'aimes pour autre chose que ma voix. »
Il faut se laisser vivre. C'est ce qu'on dit souvent mais ma nature angoissée m'en empêche concrètement. Profiter tout simplement sans réfléchir ? Alors que si ça se trouve, je lui lave le cerveau sans m'en rendre compte ? Gardant sa main sur ma joue contre la mienne, je réclame moi aussi un baiser chaste.
« L'un comme l'autre, on a besoin de prendre nos repères. C'est pas une mauvaise chose je trouve. »
Mieux vaut la prudence à la précipitation. C'est tentant parfois de sauter sans réfléchir. Si je m'écoutais, il y a déjà plusieurs jours que Tom serait venu chez moi. Plusieurs jours que je l'aurais embrassé, plusieurs jours que j'aurais fais bien plus que ça avec lui. Des activités beaucoup moins chastes qui me tentent, mais que je m'interdis pour m'assurer qu'il n'est pas lobotomisé par mes paroles. Je vois bien les regards qu'il pose sur moi depuis le début, depuis notre tout premier date improvisé au pub. Si je suis sans doute plus discret que lui dans mes intentions, plus doué pour masquer mes pensées, j'ai également les mêmes envies.
« Je sais que t'es déconnecté, mais est-ce que t'as quand même entendu parler du principe de netflix and chill ? »
Nous avons tous les deux des problèmes pour faire confiance au jugement des autres, il semblerait. Moi parce que je dois planquer mon identité et mon passé…ainsi que mes actes présents, je ne vais pas mentir. Lui, parce qu’il a dû avoir un passif pas très sympathique avec cette voix angélique qui lui donne l’ascendant aisément sur la psychée des gens. Ca va être compliqué d’établir une relation sérieuse sur le long terme, pourtant je fais l’autruche et balaye le problème sous le tapis. “On verra plus tard”, que j’ose me dire. Parce que je n’ai pas le choix, parce que je ne veux pas le perdre. Je me suis attaché, c’est trop tard. Je ne peux pas le laisser partir pour quelque chose d’aussi con.
Il me pose une question, et je dois avouer que je ne suis pas vraiment la conversation d’un seul coup. Netflix & chill? J’en ai vaguement entendu parler, de cette expression. C’est ça, quand on peut espionner malgré soi les conversations des autres; on se retrouve à entendre des dingueries, ou des messages codés du genre. Je fronce les sourcils, peu sûr de moi sur ce coup.
“Euh…comment dire. Je crois? C’est un truc de jeune ça, non?”
Damn, voilà que je sonne comme un vieux boomer à parler comme ça! Je réprime difficilement un rire moqueur, me rendant compte du décalage de notre conversation. Mais je me reprends vite; j’ai franchement pas envie qu’il me croit trop décalé par rapport à lui, et qu’il profite de ce prétexte pour me virer. Oui, je suis encore un brin insecure.
“Je veux dire…c’est un message codé, je crois. Mais je sais pas trop ce que ça signifie. Au moins, je sais ce que c’est Netflix!”
C’est un bon début ça, non? A en juger par son regard, ce fameux “message codé”, il l’a déjà utilisé plusieurs fois. Peut-être même avec moi, mais je ne m’en suis pas rendu compte. C’est pour ça qu’il voulait se mettre devant la télé avec moi, aujourd’hui? Pour “Netflix & chill”? J’ai vraiment l’impression d’être dépassé. Peut-être que je suis vraiment un vieux boomer, après tout.
“Tu peux me montrer ce que tu entends par là…non? Je veux dire…m’apprendre. Ca pourrait être amusant.”
Avec cet écart énorme de génération entre lui et moi - pas qu’il ait l’âge d’être mon fils, mais même pour quelqu’un de mon âge, je suis du genre vieillot sur plusieurs niveaux - il y a fort à parier que j’en apprendrai beaucoup à ses côtés. Je le regard d’un air innocent, du moins c’est ce que j’espère. Parce qu’à l’intérieur, je ressens ce besoin de l’embrasser, de le toucher, de sentir son parfum, sa peau contre la mienne. Mes pensées sont en roue libre maintenant que je suis chez lui, mais je ne veux pas le brusquer. C’est à lui de faire le premier pas, je n’ai pas envie de le traumatiser. Et si je me fourvoyais? Et si je n’arrivais pas à lire ses expressions, ses gestes, si je le poussais à me quitter sur-le-champ? AH. Putain d’anxiété.
Staten Island - Domicile de Jun
Why am I this way?
Stupid medicine, not doin' anything What thе hell is fucking wrong with me? I guess thеre's no remedy. I'm so terribly lost
Ah le pauvre ! Encore une fois, nos différences deviennent évidentes. Un mode de vie loin de la technologie pour Thomas, alors que pour ma part je suis bien incapable de vivre sans. Parce que j'ai toujours grandi avec, même en étant gamin. On a très vite eu la télé avec le câble, puis un ordinateur connecté avec internet, de quoi jouer aux jeux vidéos sur le PC. De quoi déclencher une vocation très jeune chez moi aussi, qui déjà vers dix ou douze ans voulait faire des bruitages pour les jeux. Il ne faut pas diaboliser la modernité ! Comme quoi, ça permet à certaines personnes d'avoir un travail qui leur plaît ou au moins un passe temps sympa. Les darons d'une autre génération qui pensent que ça rend nécessairement violent ou débile prouvent seulement leur bêtise et leur manque d'éducation en la matière. J'attend de voir un fan de jeu d'énigmes péter un câble et commettre une tuerie de masse!
« Ah, t'as du connaitre les dates au cinéma à ton âge vénérable, non ?... Bah c'est un peu la même chose, mais à domicile. »
Je le charrie sans doute un petit peu, en le traitant à demi mots de vieux schnok. Mais c'est de bonne guerre et il saura probablement que ce n'est pas bien méchant. Petit pincement sur ses côtes en rigolant, avant d'allumer Netflix sur ma télé.
« Un p'tit film d'horreur c'est toujours une bonne idée non ? Comme ça si t'as peur, tu pourras venir te blottir dans mes bras je te protègerais. »
Oh, je doute qu'il panique devant du faux sang et un fantôme en 3D. Mais c'est encore une fois pour la blague. Si je ne suis pas spécialement trouillard, il se pourrait bien que ce soit moi qui me rapproche. On ne sait jamais, c'est surtout un prétexte pour pouvoir se câliner devant un film qu'on regarde d'un air distrait pour profiter de la présence de l'autre à ses côtés.
« C'est la météo idéale en plus, tu ne trouves pas ? Avec l'orage dehors. Nous manque plus que des trucs à grignoter. »
Être vegan c'est plus compliqué qu'il n'y paraît. J'ai appris par exemple récemment que les bonbons ne sont pas nécessairement sans protéines animales à cause de la gélatine. Les chips, par contre, c'est safe. Paquet vidé dans un gros bol et me voilà qui rejoint Tom pour m'installer définitivement.
« Dracula c'est un classique, tu l'as peut-être vu à l'époque ? »
Mon âge vénérable, mon âge vénérable…c’est qu’il est presque vexant, ce petit ! Heureusement je ne prends pas la mouche. Il en faut tout de même beaucoup pour me vexer, moi. Je suis un mec trop chill pour ça !
JunJun propose un film d’horreur, et je dois avouer que ça me plaît bien comme idée. Bien qu’il me traite comme une petite chose fragile qui pourrait être effrayée par de simples images, dans mon esprit, c’est plutôt l’inverse qui se produit. J’espère le voir se blottir contre moi, pouvoir l’entourer de mes bras puissants et lui offrir un cocon de chaleur pour le rassurer. J’esquisse un sourire satisfait, et acquiesce volontiers.
“Va pour le film d’horreur. J’en ai pas vu depuis un bail, mais on se faisait des sorties nanars dans ma jeunesse.”
Avant que nous tombions tous dans le radicalisme en fait. Pas que je regrette mes actions, loin de là; mais parfois, je suis nostalgique de cette innocence qui ne faisait que s’effriter peu à peu à cette époque. J’étais déjà junkie, bien que je n’avais pas encore touché à l’héroïne. Non, à cette période, c’était plutôt un mix entre la weed, les champignons et la kétamine. Un cocktail déjà explosif, mais que voulez-vous. Je n’ai jamais été un gentil garçon.
Jun est bien équipé pour ce genre de soirées, c’est le moins qu’on puisse dire. J’attrape une chips pour commencer à grignoter, n’ayant pas vraiment beaucoup mangé ces derniers jours. C’est que je ne suis pas très doué pour cuisiner, encore moins pour avoir des horaires fixes de repas. Alors les snacks comme ça, ça fait bien l’affaire en général !
“Dracula ? Un film d’horreur ?”
Je pouffe de rire à cette simple phrase. Moi qui pensait qu’il allait me sortir un Conjuring ou un truc du genre, je me suis fourvoyé !
“Ca dépend. La version de 1931 ? C’est que je suis plus tout jeune…”
Une petite raillerie pour reprendre sa taquinerie précédente, et me voilà à rire de nouveau. J’ai l’impression d’être bien plus détendu en sa compagnie, ce qui est une sorte de miracle en soi. Je passe mon bras autour de ses épaules pour le rapprocher de moi, et dépose même un baiser sur sa tempe. Je pense que ce film…je n’en verrai pas beaucoup, de ses images.
“Ca va être difficile pour moi de rester concentré sur un film en ayant une si jolie créature à mes côtés, tu sais…”
Moi, sortir des disquettes? Jamais, voyons !
Staten Island - Domicile de Jun
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« Ah non, le remix de 1992. J'étais même pas encore né pour être honnête. »
C'est que c'est pas nécessairement très simple, de se mettre à l'aise. Le film qui aideras sans doute, Thomas qui comprend où j'essaye d'en venir en lui proposant une séance cinéma à domicile. Sourire aux lèvres, à venir me lover contre lui.
« Mais promis, même si ça vaut pas l'original des années 30 tu devrais aimer, y a quand même eu un certain progrès technique depuis le temps dans le cinema. »
Un tendre sourie qui étire mes lèvres à sa petite réflexion. Rester concentré sur le film, quelle idée. Il a tout autant conscience que moi que ça ne peut devenir qu'un prétexte si aucun de nous deux n'a pas envie de regarder jusqu'au bout. Qu'on pourras laisser tourner sans y faire attention, s'il y a plus intéressant à faire.
Je suppose que nous avons suffisamment pris notre temps pour nous apprivoiser tout les deux. Que cette semaine de date peut se conclure désormais, maintenant que le pas du premier baiser a été passé avec succès. Si je crains toujours que ma vois n'influence ses sentiments, si j'ai toujours peur de lui avouer toute la vérité à mon sujet, je tente désespérément de mettre de côté toutes ces pensées. Essayer de profiter un peu, pour une fois, sans me poser une centaine de questions.
Mes doigts qui s'emmêlent aux siens, ma tête contre son épaule à ne pas vraiment suivre le film qui commence à peine. A simplement essayer de ne penser à rien, de profiter de cette présence. A écouter son cœur, la main libre qui finit par enlacer un peu sa taille afin d'encore nous rapprocher d'avantage. C'est que c'est important, pour moi, l'affection. Que je n'ai pas envie d'être simplement perçu comme une sirène séduisante par mes partenaires. J'ai envie d'être plus pour eux, pour lui en particulier. L'envie de croire qu'on pourrait se comprendre tout les deux, bien qu'on ne se dise pas tout pour le moment. Un jour, peut-être. Un jour sans doute.
Timide baiser sur sa joue en relevant le visage vers Tom, profitant de sa chaleur, de sa présence tout simplement.
La douceur de Jun contraste réellement avec mon côté “brute de décoffrage”. Je le sens bien se rapprocher, tenter quelques timides interactions, comme prendre ma main dans la sienne. Je sais qu’il veut, lui aussi, que notre relation avance d’un nouveau pas dans la bonne direction. Que nous consommions cette attirance, cet amour qui nous lie tous les deux. Parce qu’en une semaine, nous en avons appris beaucoup sur l’autre. Certes, il y a toujours ce petit jardin secret - lui comme moi d’ailleurs, je suis persuadé qu’il ne m’a pas tout dit, même si je doute qu’il travaille secrètement pour la pègre de New York et se drogue au quotidien - mais dans les prémices d’une relation, les secrets sont quasi toujours présents. Peut-être que je lui en dévoilerai plus un jour, lorsque je serai à l’aise. Ou peut-être pas, qui sait ? Je ne voudrais pas qu’il s’éloigne, qu’il se dise que je suis une très mauvaise personne. Trop mauvaise pour lui en tout cas. Je l’aime déjà tellement…
Cette simple pensée me fait me désintéresser immédiatement du film pour poser le regard sur lui. Son visage parfait, sans aucun défaut, respire une douceur qui me donne envie de le prendre dans mes bras à chaque instant. Lui pense que sa voix est la raison pour laquelle tout le monde se prosterne à ses pieds ; moi, je pense qu’il se fourvoie entièrement. S’il voulait vraiment jouer au muet avec moi, me privant de cette délicieuse expérience qu’est l’audition d’une voix de sirène, je l’aurais tout de même attrapé dans mes filets et lui dans les siens. Parce qu’il est incroyable, Jun. Parce que je n’ai pas ressenti autant d’attirance pour qui que ce soit depuis des années, si jamais je l’ai ressenti un jour. Est-ce que mes amourettes d’adolescent étaient aussi intenses ? J’en doute. J’étais trop jeune, et toujours défoncé à cette époque. Pas que je sois plus sain aujourd’hui, remarquez.
Le film tourne en arrière plan, cependant ni lui ni moi ne nous intéressons à l’écran. Nos baisers se font de plus en plus torrides, et s’il est timide au début, il se laisse bien vite embarquer par mon enthousiasme. Je nous laisse pantelants, à chercher de l’air, tandis que je me retrouve au-dessus de lui à dévorer sa gorge de mes canines étrangement longues. Un vrai petit vampire, qui n’a pourtant rien à voir avec ce qui tourne encore à la télé derrière moi.
Je relève la tête pour le regarder, les yeux brillants d’envie. Lui aussi semble le vouloir ; mais est-ce réellement une bonne idée ? Nous nous connaissons depuis seulement sept malheureux jours. Et s’il le regrettait ? S’il finissait par m’en vouloir de l’avoir traîné là-dedans si rapidement ?
“Je ne ferai rien que tu ne veuilles pas, bébé.”
Petit surnom affectueux pour lui, qui semble s’en amuser. Il me rassure d’un baiser, et je sais déjà qu’il a accepté son destin. Lui aussi en a besoin. Il veut continuer, aller plus loin avec moi, profiter de ma présence comme je profite de la sienne. Lâchant un petit soupir de soulagement, je prends la liberté de me redresser. Nous n’allons pas faire notre première fois sur un canapé, n’est-ce pas ? Il a besoin de confort, et moi aussi. Je veux le traiter comme une petite princesse, il le mérite largement. Alors nous voilà à rejoindre une chambre encore plongée dans la pénombre, sachant bien où tout cela nous mènera.
_____
Je n’aime pas agir ainsi, mais je n’ai pas le choix. Il est encore tôt lorsque j’émerge enfin, le soleil n’est pas encore levé mais les crampes m’ont sorti du lit. Un dernier regard, une dernière caresse à mon amant qui semble particulièrement bien dormir. Un sourire se dessine sur mon visage ; sourire qui se transforme en grimace alors que les crampes reprennent encore. Je dois rentrer à la maison. Retrouver Ezekiel peut-être, puisque je doute d’avoir beaucoup de matériel chez moi. Quoi qu’il en soit, je dois quitter ma belle au bois dormant. Je dépose donc un baiser sur sa tête, attendri par son doux visage endormi, et saute dans mes vêtements. Du moins…ceux que je parviens à retrouver. Tant pis, il aura le droit de garder une de mes chaussettes.
Dans le salon, j’ai au moins la présence d’esprit de prendre un stylo et un morceau de sopalin - puisque je ne trouve pas de feuille inutilisée - afin de lui laisser un petit mot. Je ne voudrai pas qu’il se dise que je suis parti comme un voleur après l’avoir sauté !
“Ai dû partir tôt, désolé. Si tu veux me voir, viens au Starbucks. Sinon je sais où tu habites maintenant : ) Je t’aime ”
Voilà. Si avec ça il croit encore que je ne veux pas de lui, je ne sais plus quoi faire ! Un dernier regard en arrière vers cette chambre où je serais bien resté plusieurs heures de plus, et je finis par quitter les lieux à regret. Ce n’est pas la dernière fois que je le verrai, mon petit Jun. La prochaine fois au moins, je serai certain de rester plus longtemps à ses côtés.
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