[Terminé] Tendre la patte

Sa question concernant la propriétaire du refuge la fait joyeusement rire, et il ne s’en offusque pas outre-mesure car il n’y voit aucune méchanceté : il tourne son menton en sa direction et laisse même un sourire emplir ses lèvres, comme par mimétisme. Il note qu’elle souhaitait être vétérinaire, ce qui ne le surprend pas tellement ; elle semble avoir un amour inconditionnel pour les animaux, celle-ci. « 8 ans d’étude pour être véto, non ? » Il se doute que c’est l’aspect universitaire qui rebute la jeune femme, mais n’ose pas poser la question ouvertement, de peur de la vexer ou de se tromper, il tente d’obtenir la réponse par un moyen plus subtil.

Mais, avec les chiens, la subtilité ne prend pas vraiment : méfiant, ils aboient férocement à son approche, et il lui faut tendre sa main pour se faire renifler par les canidés pour que ces derniers se calment enfin.

Cela intrigue la jeune rousse qui le questionne sur sa nature ; voilà une question à laquelle il n’est pas aisé de répondre, sans la faire fuir. Pas mutant de naissance, mais humain modifié. Comme Hulk, oui. La comparaison le fait lentement sourire, et il finit par hocher son menton de haut en bas en disant, un peu amusé : « Le vert en moins, oui. » On a les références et l’humour qu’on mérite, apparemment.

Mais si lui n’est pas totalement un mutant, elle, oui : et une vraie, elle insiste sur ce point dans sa diction, ce qui le laisse penser qu’elle est fière de l’être. Avec raison songe-t-il, car les mutations génétiques fascine l’hématologue en lui. « N’importe quel animal ? » demande-t-il en haussant ses sourcils sous la curiosité, avant de dire d'une voix un peu plus basse, prenant de l’avance sur sa prochaine question : « Ils sentent aussi un animal en moi. » Ses yeux dérivent sur les chiens derrière la grille, qui sont désormais couchés et calmés.

Elle lui a avoué ses pouvoirs, elle demande donc la réciprocité, mais il apparaît tout à coup comme très mal-à-l’aise ; lui-même ne sait pas vraiment comment les définir. « Euh… » Bien. Ça commence bien. « Vous connaissez les chauves-souris ? » C’est une bonne entrée en matière, ça…

Malgré la froideur apparente de leurs premiers échanges, la jeune femme se détend considérablement, affichant même une posture et une expression avenante et ouverte à la discussion, brandissant un sourire franc qu’il n’espérait pas voir, mais qui le réjouit et l’amène, lui-même, à être moins sur la méfiance. Puisque la dénommée Lily s’est détendue, il n’a aucune raison de craindre que la conversation prenne un mauvais tournant et qu’elle le rejette.

Elle avoue ne pas être un rat de bibliothèque et que les longues études ne sont pas pour elle ; il se met aussitôt à rire, d’un rire doux et léger, qui n’est en rien moqueur ou dévalorisant. Il peut l’entendre, même si, lui, ne se voyait pas faire autrement. « Je sais de quoi vous parlez, j’ai fait des études de médecine. » Il n’éprouve pas le besoin de préciser qu’il a été diplômé à l’âge de dix-neuf ans et qu’il est un génie dans son domaine : il ne ressent pas le besoin de l’impressionner, et ne pense même pas que ça aurait cet effet sur elle. Surtout, il ne veut pas amener le sujet de expériences scientifiques, car celles-ci s’opèrent souvent sur des souris… Pas l’endroit idéal pour avouer qu’il a déjà eu recours à cette méthode, donc.

Intrigué par la mutation de son interlocutrice, il hausse ses sourcils en l’écoutant parler ; elle semble avoir une grande possibilité de choix dans sa transformation animale, ce qui le fascine irrémédiablement. « Mais vous pouvez les comprendre sans prendre leur apparence, non ? Parce que vous avez compris, les chiens… » il demande avec un petit sourire aux lèvres, curieux d’en apprendre plus à son sujet, à condition qu’elle soit d’accord pour en parler.

Lui, hésite un instant à exprimer le fait de sa mutation : premièrement parce qu’elle n’est pas particulièrement élogieuse, et qu’il craint un peu sa réaction ; elle semble le deviner car elle le rassure du mieux qu’elle peut, avec le franc-parler qui est le sien. Les mains toujours enfoncées dans les poches de son sweat, il l’observe quelques secondes avant de finalement hausser ses épaules, commençant par dire : « Ma mutation est liée aux chauves-souris. » Ça, il l’a déjà dit donc il n’avoue rien de nouveau, mais c’est peut-être pour que l’idée commence à fleurir dans l’esprit de la belle rousse, qu’il ne quitte pas des yeux malgré son air franchement hésitant. « Ce qui veut dire que… Je suis comme elles, sur de nombreux points. » On sait, c’est pas flagrant au premier coup d’oeil. Plissant légèrement ses paupières, il prend une fine inspiration avant de dire, dans une grimace : « J’aimerais mieux que cette info reste entre nous, oui… Ma mutation ne donne pas franchement envie aux gens que je sois dans les parages. » Il en rigole mais, dans le fond, cela ne le fait pas vraiment rire. Détournant le regard, il observe les chiens derrière l’enclos en demandant, d’une voix un peu troublé : « On… On va quand même les promener ? » Si elle décide de refuser sa présence, il comprendra et s’en ira. Les mains dans les poches, le regard fuyant, il n’a pas l’air franchement dangereux… Et pourtant.

La bénévole du refuge est bien plus bavarde qu’à son arrivée : la faute au sujet de la mutation, qui réveille une fierté presque patriotique dans l’esprit de la jeune femme, davantage prompt à partager sourires et pensées, rendant de ce fait la conversation bien plus agréable. Preuve en est, lorsqu’il questionne sa mutation sous la simple curiosité tout à fait saine, sans considération malsaine derrière ses propos, elle répond volontiers et sans filtre, ne semblant nullement inquiète de l’aborder malgré les temps qui courent… Et qui ne sont pas franchement favorables aux mutants.

« Je comprends, oui. C’est un pouvoir tout à fait fascinant. » souffle-t-il en brandissant un regard presque soucieux lorsqu’il revient auprès d’elle et qu’il se permet de dire, avec un soupçon d’appréhension car il ne veut pas que sa parole soit mal-interprétée : « Peut-être devriez-vous faire attention, vous savez… Avec tout ce qu’il se passe contre les mutants. C’est aussi pour ça que j’évite d’en parler. » Il ne l’infantilise pas, mais espère qu’elle comprendra que c’est un message purement bienveillant.
Les mains dans les poches, il lui adresse un sourire cordial pour adoucir ses mots moroses, révélant une vérité que tous les mutants (ou personnes pouvant s’y apparenter) préféreraient oublier : le danger les guette, partout, tout le temps.

Pour preuve, il semble hésitant à évoquer sa propre mutation : la vérité est tout autre, bien sûr, mais il est fortuit de croire que les deux discours sont liés. « Okay, genre vous dormez la tête en bas et vous volez la nuit dans les caves en poussant des ultra-sons ? Vous en faites pas, je garderai votre secret ! » Elle est rafraichissante cette fille, et s’il la trouve autant agréable, c’est peut-être parce qu’elle n’insiste pas comme une forcenée pour obtenir des réponses. « Pas dans les caves ! Je suis trop grand pour ça, il n’y a pas assez de place. » répond-t-il en se prenant au jeu, un franc sourire découpant ses lèvres tandis qu’il se retourne vers les chiens qui, loin de leurs échanges, attendant leur balade !

Les deux bénévoles retournent alors à leur mission première, et c’est la rouquine qui présente le grand vainqueur du jour : un chien à la peau souple, aux babines tombantes et au poil noir et court, prénommé Stetson. Le bougre possède une bouille plutôt attendrissante, pour preuve, le Vampire ne déloge pas le sourire apparu sur ses lèvres, et c’est sans l’ombre d’une hésitation qu’il se saisit du fameux harnais, bien qu’il ne sache même pas comment ça fonctionne, ce truc. « Il est mignon. » Un air boudeur, presque gamin, mais un corps musclé et élancé, qui bouge dans tous les sens sitôt qu’il comprend qu’il va pouvoir se dépenser. « Dis donc, il a le rythme dans la peau. » Un léger rire se faisant entendre de sa part, il s’avance d’un pas pour s’agenouiller lorsque la porte de l’enclos est ouverte, afin de passer le harnais… ou du moins d’essayer. Comment ça marche ce bidule ?! Il lui faut plusieurs essaies pour comprendre mais, enfin, il arrive à attacher l’animal qui frétillerait presque de bonheur.

« Il est adorable… » dit-il d’une voix pétillante d’affection pour le chien qui, sous les caresses venues flatter son crâne, cesse de se dandiner pour profiter de la tendresse reçue. « Je n’ai pas de jardin, dommage… » Peut-être un jour, qui sait ? « Et vous, vous avez des animaux ? » Probablement que oui, songe-t-il.

Il lui partage son inquiétude vis-à-vis des mutants, de plus en plus ciblés par des attaques assassines ces derniers temps, mais la rousse ne semble pas vraiment s’en affoler outre mesure, inspirant plutôt le sentiment contraire. « Je ne compte pas me cacher. Notre nature n’est pas honteuse et personne ne devrait avoir à en souffrir. » Elle dit vrai, mais la question n’est pas tant de savoir ce qu’il devrait en être, mais plutôt ce qu’il en est : afficher sa mutation, aujourd’hui, est quelque chose de risquée. « Je n’ai pas dit le contraire… » Souffle-t-il d’une voix sobre en écrasant une feuille morte du bout de sa chaussure, les mains enfoncées dans les poches de sa veste. Il pourrait rester sur cette note mais, craignant d’installer un quelconque malentendu, il s’empresse d’éclaircir sa voix en même temps que son propos : « Je ne dis pas que les mutants devraient se cacher, qu’on s’entende bien. Je dis que c’est risqué parce que des abrutis les prennent pour cibles. » Il ignore, exactement, combien sont tombés à cause des attaques récemment mais, qu’importe le nombre, c’est déjà trop.

Enfin, cela semble être le nerf de toutes les civilisations, à tous les moments de l’histoire : exclure de la société ceux que l’on juge différents, pour se protéger. Mais comme la demoiselle ne semble pas vouloir poursuivre la conversation en ce sens — et il peut tout à fait le comprendre car ce n’est point un sujet joyeux, Morgan s’agenouille face au dénommé Stetson pour essayer de lui enfiler le harnais, avec plus ou moins de maladresse et de galère mais, après avoir eu l’illumination et après quelques essais échoués, il arrive enfin à équiper le chien qui fulmine de joie, secouant son arrière-train et sa queue relevée pour signaler sa joie, ainsi que son impatience.
Attendri, le Vampire glisse une main câline sur la tête du chien, le caressant avec bonne volonté, un peu surpris de voir que ce dernier n’esquisse aucun geste de repli, même en étant si près de lui. Mais peut-être s’épanche-t-il trop facilement avec l’animal car, la jeune rousse semble vouloir calmer ses ardeurs : il ne faut pas trop s’attacher aux animaux du refuge car, lorsqu’ils s’envolent avec leurs nouvelles familles, cela brise le coeur. Il n’y a pas pensé… Amenuisant son sourire sans toute fois le perdre totalement, il lève un regard assagi sur sa comparse, sans cesser de flatter l’animal avec de vives caresses. « Vous avez raison… » Concède-t-il en se redressant sur ses jambes, sans s’éloigner du chien qui piétine à ses pieds, trottant d’impatience. « …Je crois qu’il est pressé. » Abaissant le menton vers le chien, dont l’attitude lui procure un petit rire, tous deux s’empressent de suivre la rousse lorsqu’elle se dirige vers le parc voisin, Stetson semblant connaître le chemin par coeur.

En balade, Morgan détend un peu la laisse pour permettre au chien d’aller renifler tous les troncs d’arbres qu’il souhaite — et ils sont nombreux, surveillant les alentours au cas-où un chien en liberté vient leur rendre visite, prenant également la peine de s’arrêter lorsque Stetson trouve un coin qui l’intéresse. Puisqu’il ne sort pas souvent, autant le laisser profiter : c’est lui qui décide du rythme de la balade et non l’inverse. Du coup, difficile de dire qui promène qui dans cette histoire.

Désireux d’en apprendre plus sur la demoiselle qui veille au grain, il se permet de lui demander si elle a également des animaux chez elle, sans se douter que la question est hautement sensible. « Nan je n'ai pas d'animal chez moi, pas en ce moment. Je travaille trop, je n'aurais pas le temps de bien m'en occuper. » Pas en ce moment dévoile le fait qu’elle n’a plus d’animaux mais qu’elle en a eu ; il soupçonne un décès récent de l’animal pour expliquer la mine sombre qu’elle affiche, le forçant à se flageller mentalement pour avoir raviver une douloureuse blessure dans l’esprit de la jeune femme. Après quelques secondes, s’en voulant sincèrement, il lui dit simplement, d’une voix sincère et contrite : « Je suis désolé… » Il est désolé pour la perte mais aussi d’avoir posé la question. Songeant qu’il est trop maladroit, il décide alors de garder le silence, pour ne pas aggraver son cas.

S’il a été maladroit, la belle ne s’en offusque pas ; du moins, ne laisse-t-elle rien présager des reproches qu’elle pourrait aisément lui formuler, et elle se contente de garder un oeil bienveillant sur le chien qui, bienheureux de sortir de sa cage, profite d’une balade où il dicte le chemin. N’étant guère habitué à l’exercice auquel il s’emploie, Morgan démontre cependant une grande volonté de bien faire, et n’hésite pas à zieuter en direction de sa comparse pour vérifier que son oeil ne s’enflamme pas d’une quelconque colère ; heureusement, elle semble approuver sa façon de se conduire avec l’animal.

Après une petite demi-heure de promenade dans le parc, temps durant lequel il a relevé la capuche de son sweat pour camoufler sa peau des affres du soleil, le Vampire comprend qu’il est l’heure de faire demi-tour pour regagner le refuge… Il trouve que c’est bien peu comme temps de sortie pour le chien mais il comprend également, dans un pincement de lèvres, que les bénévoles ne peuvent privilégier un animal au détriment des autres. « Allons-y. » dit-il d’une voix joviale en caressant la tête du chien, qui semble tout aussi heureux que lui.

Ils regagnent donc le refuge, replacent le chien dans son box — avec un petit pincement au coeur pour le Vampire, avant qu’il ne suive la jeune femme dans un bureau, se prêtant de bonne grâce à la paperasse imposée. Une fois l’administration achevée, elle lui tend sa main avec enthousiasme et il ne perd pas de temps avant de la saisir pour la serrer avec délicatesse, tout en lui souriant avec le même air réjoui. « Bienvenue dans notre refuge, Morgan ! » Les mots lui apportent une chaleur toute particulière, car il est bien heureux de les entendre, et il ne cache d’ailleurs pas sa joie : « Merci beaucoup Lily, j’ai hâte de me rendre utile ici. » Sincère, il maintient son sourire durant quelques secondes sans la quitter des yeux, ses mains s’enfonçant dans ses poches tandis qu’il a l’impression que cet instant vient de marquer un tournant dans sa vie ; cela n’est pas comparable avec son ancienne mais, au moins, il pourra contribuer à améliorer un peu les choses, sans savoir que c’est la première et dernière fois qu’il croise le chemin de cette jolie rousse au tempérament de feu.