Je commence à en avoir ma claque de ce taf de merde. C’est con à dire, ça fait peut-être un mois que je travaille là-bas…mais je me suis déjà pris la tête avec le sous-chef et le manager principal. L’autorité, c’est franchement pas pour moi. Je déteste prendre des ordres d’un autre, surtout lorsqu’il s’agit de faire fonctionner un commerce qui tente d’enfler ses clients à chaque vente. Non mais franchement, il n’y a absolument aucune loi contre ce genre d’arnaque dans ce pays tout pourri! Ah, les USA, le berceau du capitalisme décomplexé. J’ai envie de vomir.
C’est bien parce que je n’ai pas le choix que je me retrouve dans cette galère. Comme tous mes petits boulots avant, on m’a placé là pour une bonne raison. Tout d’abord, pour m’aider à blanchir l’argent qu’on me file à chaque mission - déjà que le compte en banque lié à tout ce qui touche à ma vie quotidienne n’est pas à mon nom. Ensuite, et je pense que c’est la raison principale pour laquelle on me place toujours dans les pires commerces du monde, c’est un moyen de me tenir en joue et de se foutre de moi. Ils m’observent toujours, à chaque instant. A leurs yeux, je suis un chien fou incapable de se tenir. Et je sais, au fond, qu’ils veulent faire de moi plus qu’un simple mercenaire. Ils veulent me confier davantage, m’enrôler plus loin dans leurs magouilles, pour que je ne puisse plus jamais m’en détacher. Mais ça, c’est hors de question. J’ai encore assez d’honneur et de fierté pour ne pas m’enfoncer encore plus loin dans l’illégalité. Je trouve que je suis déjà bien atteint à ce niveau-là, entre mon addiction et mes activités personnelles. Alors on va se calmer, hein!
Bref. Me voilà à me faire chier derrière le comptoir de cette foutue épicerie, à faire face à des idiots qui me prennent pour un con. Aujourd’hui en plus, manque de bol, mon très cher manager me fait grâce de sa présence. Si je ne me le fais pas avant la fin de la journée, c’est que j’aurai atteint un niveau supérieur de zénitude absolue.
Le soleil s’est enfin couché, ce qui m’autorise à retirer mes lunettes de soleil. Ca fait un nouveau sujet de moquerie je suppose, que de voir que je ne supporte pas ses rayons. Combien de fois ai-je dû me justifier auprès des chefs et des clients pour avoir cette paire sur le nez? La vitrine du magasin donne directement sur le comptoir, ce qui ne facilite pas la tâche. Je pose mon saint Graal sur le bord du comptoir, et jette un regard désabusé à la cliente qui me regarde d’un drôle d’air. Ils aiment pas changer leurs petites habitudes ces gens, depuis que j’ai foutu les pieds dans ce magasin, j’ai eu le droit à toutes les réflexions du monde. J’affiche pourtant un large sourire, dévoilant des canines bien trop longues pour être normales, ce qui ne semble pas la rassurer le moins du monde.
“J’peux vous aider, m’dame?” “ANDERSON! Faut qu’on cause!” “Ah, je crois que c’est pour moi.”
La voix mélodieuse de Sanders, mon cher manager préféré, résonne dans toute l’épicerie et fait même sursauter certains clients. Je soupire longuement, et me tourne face au bouledogue en conservant mon sourire factice. Je sais que ça l’énerve, et j’avoue que je me sens particulièrement puissant lorsqu’il perd son sang-froid en premier.
Comme d’habitude, j’ai le droit à un savon devant la clientèle qui ne pipe pas un mot. Je sais pas, moi si je suis témoin d’un truc pareil, je vais tenter de défendre l’accusé! Cette société foncièrement égoïste me tape sur les nerfs. En prime, la raison aujourd’hui est simplement une “mauvaise attitude” et la disparition du fond de caisse de la veille. Qu’est-ce que j’en sais d’où il est ce machin? C’est pas parce que j’ai une tronche de délinquant que je suis forcément un voleur! C’est dingue ces préjugés qu’on trouve dans une ville censée être ouverte d’esprit.
Je suis trop passif à son goût je crois, avec un petit air insolent. Mais il ne se rend pas compte que mes mains tremblent de rage - à moins que ce soit le manque? Peut-être un peu des deux - et que je suis prêt à lui sauter à la gorge à tout moment. En réalité, il me suffit d’un prétexte pour agir. Un tout petit écart, une atteinte à mon honneur peut-être, et boom.
La colère monte en moi, et je finis par me lever pour lui faire face, mon visage à quelques centimètres du sien. Il me repousse sans ménagement; j’en fais de même, récoltant une insulte qui choquerait les petits enfants qui nous écoutent.
“Reste à ta place, sale freak. On devrait t’enfermer.” “Tu veux crever?!”
C’est un signal qu’il me lance. Le signe que je peux me lâcher, laisser libre toute la frustration accumulée ces dernières semaines. J’esquisse un sourire dément, arrache mon badge et le lui balance à la figure. Aussitôt, le filtre que je mets généralement sur ma voix vole en éclats, et mon accent du Yorkshire ressort alors que je l’insulte de tous les noms sous les yeux ébahis des quelques clients encore présents. D’ailleurs, la plupart choisissent de quitter discrètement les lieux, nous laissant nous étriper sur place sans s’interposer.
Un premier coup part de mon côté, une simple claque dont la force suffit à le déstabiliser. Puisque je suis probablement viré sur le champ, j’en profite un peu, j’avoue. Ca faisait un moment que je voulais lui éclater la tronche. A en juger par sa réaction, c’est un sentiment réciproque.
Tout se passe très vite. Sa main se referme sur l’un des crayons vendus à l’unité sur le comptoir, qui finit sur ma propre main avec force. Si j’avais été normal, j’aurais sûrement un joli trou et le droit à un séjour à l’hôpital. C’est une agression physique ça, non? Je pourrais porter plainte. Mais au lieu de ça, l’objet se brise en deux sans me laisser une seule égratignure. Je grimace tout de même, la douleur étant bien présente; mais cette grimace se transforme en un rire moqueur.
Les yeux du démon, voilà ce qu’on peut voir sur mon visage. Je serais capable de le tuer sur place, et de m’enfuir comme si de rien n’était. Enfin, c’est ce que j’aime croire. En réalité, je n’ai clairement pas les couilles pour assassiner qui que ce soit. Terroriste, certes, mercenaire pourquoi pas, mais pas meurtrier. Ce qui ne m’empêche pas de lui sauter à la gorge tout de même, comme un chien fou. Pourtant, je devrais fuir maintenant. Si les flics débarquent, je suis dans la merde…et pas juste pour cette baston.
Nous avons basculé devant le comptoir, et il me semble bien que tous les clients se sont donnés le mot pour quitter les lieux sans plus tarder. Tous? Non. Un irréductible a apparemment décidé de jouer au héros, et manque de se prendre mon poing dans la tronche. Je quitte un instant Sanders des yeux pour dévisager ce nouveau venu, la lèvres retroussée à l’image d’un chien enragé.
“Tu devrais te casser maintenant toi, j’ai pas envie de faire quelque chose que je pourrais regretter. C’est entre lui et moi, ok? Ce putain de wanker me prend pour un con!”
Bronx - Epicerie du centre
Why am I this way?
Stupid medicine, not doin' anything What thе hell is fucking wrong with me? I guess thеre's no remedy. I'm so terribly lost
« Je ne peux pas admettre la violence, même contre la violence. » Roger Martin du Gard
Faire les courses. Voilà une activité qui, déjà lors de sa vie précédente, ne lui semblait nullement familière : entre ses journées interminables à l’hôpital et ses heures passées dans son laboratoire, il n’avait nullement le temps de penser à l’épicerie ou l’élaboration des menues de la semaine. C’était Odette, sa gouvernante et désormais tutrice légale de sa fille, qui avait la charge de cette tâche. Mais quand bien même n’accordait-il que peu d’importance à ce qu’il y avait dans son assiette — pour peu que ce soit végétarien, il y a des souvenirs qui restent, des images, des odeurs… Parfois, douloureuses.
En ce dimanche après-midi, après avoir quitté les bureaux du S.H.I.E.L.D., il n’avait pas emprunté le chemin habituel pour rentrer chez lui : sa capuche sur la tête, qui ne surprenait personne en raison de l’hiver qui approchait, le vampire s’était perdu dans les ruelles de New-York, prenant le temps de flâner. Il commençait à s’habituer à l’absence de sa fille, et s’était résolu à ne plus jamais la revoir : pour son bien, disait-on, il était préférable qu’elle grandisse sans porter le fardeau de ses méfaits. Elle ne s’appelait donc plus Roxianne Morbius mais Roxianne Johnson. On l’avait effacé de sa vie en quelques manigances administratives, et il s’étonnait toujours de la puissance d’un simple papier. Pour elle, il n’existait plus. L’avait-elle oublié ? Il espérait que non, égoïstement. Il ne pouvait s’empêcher d’espérer qu’elle demandait après lui, qu’il lui manque et qu’elle veuille le revoir mais… Le silence. Le manque. L’absence. Il allait devoir faire avec, de toute façon.
Mains dans les poches, un peu perdu dans ses pensées, ses pas le conduisirent jusqu’à la vitrine d’une épicerie de quartier, à travers laquelle il crut apercevoir Roxianne qui tournait dans un rayon : même silhouette menue, même gestuelle enfantine, même chevelure blonde… Se pourrait-il ? Écarquillant légèrement les yeux, il était rentré dans l’épicerie d’un pas pressé mais personne ne fit réellement attention à lui, et il ne fit pas attention aux voix déjà furibondes qu’il pouvait entendre, grâce à son ouïe très développée. Cherchant cette petite fille dans les dédales, il finit par l’apercevoir, au loin, tenant la main d’une jeune femme qui lui martelait qu’elle n’aurait pas de friandises avant le diner. Ce n’était pas elle.
Déçu, il avait mordu le coeur de sa lèvre tout en baissant les yeux, glissant de nouveau ses mains dans les poches de son sweat à capuche et restant là un instant, immobile au milieu des surgelés, à essayer de digérer ce qu’il venait de se produire. Il ne la reverrait jamais, il fallait qu’il s’y fasse, tout simplement… “Tu veux crever?!” Fronçant légèrement ses sourcils une fois sorti de sa torpeur mélancolique grâce à cette phrase, il tourna son menton en direction de la source de ce bruit, méfiant. Se rapprochant de la zone de combat tandis que les clients abandonnaient leurs courses à la va-vite pour fuir la bagarre, de laquelle il se rapprochait d’un pas lent.
Le spectacle était affligeant. Deux hommes, un plus jeune que l’autre, s’affrontaient entre les caisses désertées, comme deux chiens enragés : le plus jeune avait l’ascendant mais ne semblait pas seulement armé par la colère, il avait l’air d’un démon, un diable en furie prêt à déchiqueter sa proie. Et bien que Morgan ne voulait pas s’en mêler, il se sentit obligé d’intervenir, craignant pour la vie de l’autre homme : se rapprochant d’un mouvement bien trop rapide pour être perçu, il se retrouva entre les deux, agenouillés, sa paume venant entourer la main du plus jeune pour la recouvrir et l’obligeant, par sa force décuplée, à se maintenir en l’air. « Je comprends… » Commence-t-il à dire d’une voix calme mais ferme en gardant le contact visuel avec lui. « Mais tu ferais mieux de te calmer. Tu vas aussi regretter de lui faire du mal… Il te prend pour quelqu’un de mauvais, alors ne lui donne pas raison. Prouve que tu vaux mieux que lui. Calme-toi. » Apposant son autre main sur l’épaule du plus jeune, Morbius le repousse délicatement en arrière pour l’éloigner du plus vieux, qu’il aide ensuite à se redresser. « Vous saignez du nez, monsieur… Non, ne mettez pas votre tête en arrière. Penchez-vous en avant… Oui, comme ça. Respirez lentement. » Se redressant à son tour, il attrape une boite de mouchoirs abandonné par un client et le lance aux pieds du manager, avant de se retourner vers le plus jeune, se maintenant entre les deux au cas-où. « Et toi, ça va ? »
L’homme qui me retient a une force hors du commun. Je fais de la muscu depuis que je suis sorti du labo, effrayé par la perspective de perdre encore une fois le contrôle de mon corps, et si j’ai trouvé beaucoup d’hommes qui me faisaient me sentir faible, ce n’était jamais à ce point-là. Il ne bouge pas d’un millimètre, semble ne faire absolument aucun effort pour retenir mon bras alors qu’il n’a pas l’air particulièrement musclé pourtant. Ce n’est pas un bodybuilder, simplement un type qui a l’air de ma carrure. La rage redescend presque immédiatement, remplacée par une curiosité déplacée. Il se désintéresse de moi pour s’occuper de Sanders, et je me redresse en mettant mes mains tremblantes dans mes poches.
“Je suis pas sûr que j’aurais regretté de lui avoir éclaté la tronche.”
J’en avais le pouvoir, et je pouvais également fuir les lieux sans jamais être attrapé. C’est l’avantage de n’avoir aucune identité; personne ne peut lier mon visage à un nom, et si nom il y a, il est sûrement lié à une disparition vieille de presque dix ans. Thomas Anderson n’existe pas, sur ce côté du globe. Il n’est qu’un rappel amusant d’un personnage de film que tout le monde connaît sans jamais faire la relation.
Je reste passivement en arrière, observant cet inconnu en grimaçant. Maintenant que je le regarde, j’ai l’impression de l’avoir déjà vu quelque part. Je n’ai pas une très bonne mémoire des visages pourtant - mes yeux sont trop attirés par les détails pour conserver une vision d’ensemble, ce qui me porte généralement préjudice - mais il me dit quelque chose. Sa voix aussi, d’ailleurs, et pour le coup j’aime à dire que c’est ainsi que je reconnais généralement les gens. Pourtant, rien ne me vient. Ce n’est qu’une simple sensation de déjà vu, que je finis par balayer dans un coin de ma tête. Je l’ai sûrement servi quelque part déjà, si ce n’est ici, c’était certainement ailleurs. Je change tellement souvent de taf que j’en perds le compte, à force.
“Ouais. Ca va.”
Je suis toujours en colère après Sanders, mais la rage a laissé la place au dédain. Il m’a trigger avec ses réflexions, alors qu’il savait très bien qu’il y a des sujets sensibles à ne pas aborder avec moi. Je lui jette un dernier regard, puis me penche par-dessus le comptoir pour récupérer ma veste et mes lunettes de soleil, que je pose immédiatement sur mon nez. J’ai besoin d’air, cet endroit commence à sérieusement me donner la nausée.
L’air extérieur, vicié par la pollution, ne fait que me rappeler dans quelle merde je suis. Pas seulement parce que je suis viré de mon énième travail, non; parce que je suis prisonnier de cette ville maudite, incapable de la quitter, à rembourser une dette que je n’ai jamais voulu contracter. Je dégage une mèche de cheveux de mes yeux, porte une main à mon oreille pour régler les appareils et baisser encore davantage leur sensibilité…avant de me rendre compte que ceux-ci sont déjà au minimum possible. Lâchant un juron bien anglais, je m’adosse contre le mur tout proche en serrant la mâchoire.
L’homme sort de l’épicerie, celui-là même qui me fait douter de ma mémoire. Sourcils froncés, le regard masqué derrière du verre teinté, je détaille sa silhouette avec un peu plus d’attention. Plutôt petit pour un américain - mais le monde entier me semble petit, à ce stade - j’avais raison de penser qu’il n’a pas la carrure d’un bodybuilder. Ce qui ne fait que rendre sa force plus intrigante encore.
“Hé, toi! Merci de m’avoir stoppé. Ce type le méritait pas, mais au moins les flics n’ont pas été impliqués.”
Je me détache de mon mur pour l’approcher, nonchalant. Ma main droite quitte mes poches pour monter jusqu’à mon visage. Un bleu commence déjà à se former à l’endroit où il aurait dû se trouver un trou béant; c’est déjà beaucoup pour moi. J’ai toujours la crainte que chaque hématome se transforme en hémorragie interne, sans possibilité de retirer ce sang. Ce qui ne m’empêche pas de me battre.
“Il a essayé de me planter quand même. T’étais pas là pour faire le superman, bizarrement.”
Ma raillerie n’est pas un reproche, même si elle sonne comme tel. J’affiche un large sourire, mes dents si particulières bien visibles, et laisse même échapper un petit rire.
“T’es vachement fort pour un type aussi…mince. Je suis pas sûr de gagner un bras de fer contre toi. Encore moins une bagarre. C’est sûr que t’es pas superman?”
Maintenant que je l’ai devant moi, il m’intrigue d’autant plus. J’ai beau laisser mes yeux l’analyser à la lumière du soleil couchant, je ne trouve pas le moindre défaut sur son visage. Tout le monde en a: un bouton émergent, un poil incarné, une petite cicatrice de rasage…mais ce type-là, nada. Que dalle. C’est louche.
“Thomas Anderson. D’habitude je m’en branle, mais ça m’emmerde qu’un type comme toi pense que je suis une bestiole déchaînée. Je suis pas un mauvais type, promis. Il m’a juste…complètement trigger, et ça fait un mois que ça dure. Aujourd’hui, c’était juste la goutte d’eau qui fait déborder le vase.”
Bronx - Epicerie du centre
Why am I this way?
Stupid medicine, not doin' anything What thе hell is fucking wrong with me? I guess thеre's no remedy. I'm so terribly lost
« Je ne peux pas admettre la violence, même contre la violence. » Roger Martin du Gard
La tension retombe rapidement, aidée par la réaction inattendue de l’homme qui se comportait, il y a encore quelques secondes à peine, comme un véritable diable en furie : alors que Morgan s’était attendu à plus de résistance de sa part, il s’étonne de la facilité avec laquelle ce dernier se laisse convaincre et s’éloigne de sa victime, en interrompant ses attaques violentes envers l’homme qui a le bas du visage recouvert de sang, et qui gémit au sol comme s’il était sur le point de s’évanouir. « Ça va aller, calmez-vous et gardez la tête en avant. » Ne relevant pas les paroles de Thomas, puisque Morgan veut croire que le jeune homme aux multiples tatouages n’est pas aussi mauvais que le suggère les apparences, il le garde dans son dos le temps d’examiner rapidement le nez du vieil homme, qui ne semble pas fracturer. Enfin, si ce n’est que ça, il l’aura probablement cherché.
« Vous sentez une gêne quand vous respirez ? » Comme le vieil homme, désormais assis contre la caisse, secoue son visage révulsé de gauche à droite en tenant fermement des mouchoirs contre son nez cogné, Morgan lui accorde encore quelques secondes pour le rassurer avant de se lever, en balayant machinalement les alentours du regard : personne.
Les clients ont déserté l’endroit — avec raison, mais surtout, le jeune homme également. Morgan soupire en remettant correctement sa capuche sur ses cheveux, en se disant que c’est peut-être mieux ainsi… Il aurait aimé lui parler pour essayer de l’apaiser mais, qui sait ? Il préfère peut-être rester seul après cet incident ?
Sortant de l’épicerie en enfouissant ses mains dans ses poches, il se fait rapidement happé par la voix du jeune homme, situé à quelques pas seulement du magasin, théâtre de la violence interrompue : lui adressant un simple sourire, il finit par faire quelques pas en sa direction, prenant soin de rester à l’ombre. « Il a un couteau, tu veux dire ? » Fronçant légèrement ses sourcils, il se retourne machinalement en direction de l’épicerie, n’ayant aucune envie de jouer au super-héros mais se disant que, tout de même, il ne faudrait pas que ce dernier blesse quelqu’un… Doit-il y retourner pour subtiliser l’arme ? D’un côté, à quoi bon… D’ici deux-heures, ce tordu en aura un autre. Soupirant, il revient à la conversation avec Thomas et finit par dévoiler ses dents blanches dans un petit rire grave, secouant son menton de gauche à droite tout en disant, amusé : « Superman ? J’ai toujours préféré Batman. » C’est une blague que lui seul peut comprendre… Dommage, elle était drôle. Bon, il la garde sous le coude pour une prochaine fois !
Enfouissant encore plus ses mains dans les poches, il lève légèrement le menton avant de lui adresser un sourire apaisé, accompagné de quelques mots : « Je ne te prends pas pour une bestiole déchaînée. Seulement quelqu’un qui a des limites, et qui ne se laisse pas malmener. Mais… » Faisant une petite pause, il penche son visage à gauche et à droite avant de dire, presque amusé : « Il est vrai que tu m’as presque fait peur, là-dedans ! T’avais l’air enragé. » Sortant les mains de ses poches, il plisse légèrement ses paupières en remarquant l’hématome sur le visage de Thomas, mais ne voulant pas relever ce détail qui pourrait l’énerver, Morgan se contente de lui tendre volontiers sa main en disant, avec un brin d’hésitation, de peur d’être reconnu par le jeune homme qui, finalement, semblait fort sympathique : « Morgan. Morgan Morbius. »
Je regarde ma main avec attention, le bleu ayant viré au violet. Il faudra que je surveille ça, si je veux pas avoir de surprise dans un avenir proche. Mais en même temps, comment empêcher que ça empire? Bah. En me cramant la main, sûrement. Ca ne me donne pas envie, j'avoue.
“Hein? Ah nan, il a pris un crayon. Cet abruti.”
C’est qu’il a l’air quand même assez futé ce type. Je l’observe avec un peu plus d’intérêt maintenant que je l’ai vraiment en face, et esquisse un sourire appréciatif. C’est tout à fait mon genre de type, si tant est que j’en ai réellement un. Un type bien, sympa et droit dans ses bottes, tout l’inverse de ce que je peux être en somme. Les contraires s’attirent, n’est-ce pas?
Je pouffe de rire à sa réflexion. Batman, sérieusement? C’est quoi ce délire qu’ont les gens avec ce genre de super-héros? On parle quand même d'un milliardaire qui, au lieu d’investir son argent pour sauver les miséreux et s’assurer d’éradiquer le crime à la racine en offrant éducation et conditions de vie décentes, préfère enfiler des collants et une cape la nuit.
“Mouais. Superman au moins est pas responsable du problème qu’il prétend combattre.”
Je marmonne dans ma barbe, boudant tel un enfant mécontent, mais me calme aussitôt lorsqu’il s’intéresse une fois encore à moi. Il ne me prend pas pour un taré, vraiment? Ce serait bien la première personne à penser ainsi. C’est que j’ai une petite réputation à la longue, et dire qu’elle est volée serait mentir ouvertement. Il nuance néanmoins son propos, ce qui me fait soupirer de déception. Ouais…il voulait juste avoir un petit mot sympa, mais n’en pense pas moins. Je hausse les épaules, l’air totalement désintéressé.
“J’aime pas qu’on me manque de respect, encore moins en public. Les types comme lui…ils me débectent. Ils ont un peu de pouvoir et ça y est, ils deviennent les rois du monde. Ca abuse de son autorité sans jamais se faire taper sur les doigts. Du pur capitalisme. Dire que je dois cautionner ça au quotidien, franchement…”
Nouveau soupir, cette fois pour calmer mes nerfs encore à vif qui n’attendent qu’une étincelle pour repartir. Je dois me calmer; ce type n’y est pour rien, il n’a pas à subir ma colère.
Il se présente, et son nom…n’est bizarrement pas inconnu. Je fronce les sourcils en le dévisageant de nouveau, mais ne parviens pas à me souvenir où j’ai bien pu entendre le nom de “Mobius”. Ce n’est pourtant pas un nom très courant, n’est-ce pas? Morgan non plus d’ailleurs, j’ai toujours cru que c’était un prénom de femme. Un peu comme Ashley ou Alex, qui peuvent être donnés aux deux genres mais restent désespérément accrochés à un seul genre. Ca m’aurait marqué ça, non? Quoi qu’il en soit, j’accepte de lui serrer la main avec force.
“Thomas Anderson. Ouais…comme le mec dans Matrix.”
Je ne cache pas vraiment mon identité au quotidien, même si je commence à me dire que je devrais peut-être faire attention. Je n’existe peut-être pas officiellement pour les autorités, mais mes ennemis commencent à se faire nombreux à force de travailler avec mes protecteurs. Enfin…je ne risque rien à le dire à un type comme lui, n’est-ce pas? De toute façon, mon identité est connue des petits boulots que j’enchaîne. Bref. Il faudra que j’y réfléchisse calmement un jour.
“J’ai connu un Mobius je crois, enfin ce nom me dit un truc. Vous auriez pas un frangin qui bosse au McDo ou une connerie du genre, par hasard?”
C’est le plus probable, d’avoir eu un contact avec quelqu’un du même nom dans le cadre d’un de mes - trop - nombreux jobs. Je les enchaîne tellement que je commence à avoir des trous de mémoire, à moins qu’il s’agisse d’un énième effet secondaire de ma condition.
“Ou c’est peut-être juste un truc dans une BD, j’en sais rien. Ca fait très mastermind comme nom, avouez. Si vous étiez un putain de scientifique à la tête d’un réseau d’intelligence artificielle, ça m’étonnerait même pas, m’voyez.”
Moi, avoir trop d’imagination? Non, jamais! Le côté scientifique me trigger un peu, mais je peux m'en prendre qu'à moi-même.
Bronx - Epicerie du centre
Why am I this way?
Stupid medicine, not doin' anything What thе hell is fucking wrong with me? I guess thеre's no remedy. I'm so terribly lost
« Je ne peux pas admettre la violence, même contre la violence. » Roger Martin du Gard
Après l’altercation, une fois le gérant du magasin rassuré sur le fait qu’il ne risquait pas de faire une hémorragie avec un simple saignement de nez — qui s’était considérablement ralenti d’ailleurs, Morgan était sorti de l’établissement en enfouissant ses mains dans les poches de son sweat, non sans avoir, au préalable, remonter sa capuche sur ses longs cheveux sombres afin de se protéger du soleil. Il avait encore un peu de mal à croire qu’il venait véritablement de séparer deux hommes prêts à s’étriper à la caisse d’un magasin mais… Interpellé par le plus jeune des assaillants, il lui avait concédé un sourire apaisé tout en se rapprochant de lui, bienheureux de constater qu’il s’était installé à l’ombre.
« Il a voulu te planter avec un stylo ? C’est ambitieux. » Mi-affligé et mi-amusé de la situation il fallait le reconnaître, le Docteur ayant perdu son titre s’était machinalement retourné en direction du super-marché avant de retrouver le visage de l’inconnu, toujours sous le joug de la nervosité. Visiblement, même Batman l’énerve. Le sourire du scientifique s’élargit tandis qu’il penche son menton sur la gauche et sur la droite, avant de lui répondre en gardant le même sourire : « Il est un symbole, je pense. Les super-héros sont rarement humains, alors je suppose que les gens ont du mal à s’identifier à eux. Batman est un simple humain, il laisse croire qu’on pourrait tous combattre le crime, comme lui. » À deux doigts d’avoir une conversation philosophique sur Batman, au milieu de la rue, après lui avoir sauvé la mise, sans oublier qu’il est lui-même un criminel et très riche. Bien que n’ayant pas accès à ses comptes. Pour le moment.
Mais si le type était enragé contre son supérieur et contre Batman, il l’est maintenant contre le capitalisme ; beaucoup de haine à diluer, donc. Hochant son menton de haut en bas, Morgan presse ses lèvres l’une contre l’autre tout en enfonçant davantage ses mains dans ses poches, avant d’en sortir une pour lui tendre. Il l’accepte et se présente, et Morgan ne peut s’empêcher d’hausser ses sourcils d’un air taquin, lui répondant alors, sur un ton exagéré de confidence : « Tu es l’Élu aussi ? » Il lui manque les lunettes. Et le manteau. Très important, le manteau.
Ses lèvres se séparent sous un petit rire tandis qu’il secoue négativement son menton, sa main glissant de nouveau à l’intérieur de sa poche pour se mettre à l’abri, au cas-où. « Je n’ai pas de frère, non. Mais je suis bien un scientifique, ceci dit ! Enfin… » Était ? On peut lui retirer son droit d’exercer mais pas ses diplômes ni ses capacités, et encore moins ses prouesses scientifiques ayant permis de sauver des milliers de gens à travers le monde. « Je ne suis pas à la tête d’un réseau, j’étais simplement à l’hôpital. Vous m’avez peut-être vu aux urgences ? Ou en consultation ? Si vous avez une maladie du sang, c’était moi. » Lui en plus pâle, plus maigre et blindé de deux béquilles pour avancer. Il se porte mieux physiquement mais son tact est toujours paralysé : parler des problèmes de santé au bout de cinq minutes de conversation, rien de mieux pour se faire des amis.
Je hausse les épaules, peu concerné maintenant que le gros de l’action est passé depuis plusieurs minutes déjà. Mais puisqu’il semble être totalement partie sur son analogie sur les super-héros, je ne peux m’empêcher de lever les yeux au ciel. Sérieusement ? On est en train de débattre sur le bien fondé des actions d’un milliardaire qui place les minorités dans un asile de fou complètement fucké qui les rend encore plus niqués de la tête ? Ah, elle est belle, l’image que je me fais d’un type comme lui ! Mais soit. Tout le monde n’est pas entièrement déconstruit comme moi, je peux lui laisser le bénéfice du doute. Le bénéfice de la naïveté surtout, puisqu’il semble voir le monde derrière un prisme rose bonbon. Enfin, c’est l’impression qu’il me donne. Amusant pour un médecin qui a dû en voir des vertes et des pas mûres. Hmm…beaucoup de couleurs dans ces analogies, vraiment.
“L’Elu ? Ah…j’aimerais bien y croire. Le monde est tout aussi pourri que celui dans lequel il évolue, remarquez.”
Matrix, une nouvelle analogie de la vie réelle, tiens. J’aime à croire que Neo se battait lui aussi contre le capitalisme, après avoir été arraché de ses griffes par ses nouveaux amis. Moi aussi, on m’a arraché à ce monde pour me faire ouvrir les yeux. Et moi aussi, je galère depuis à essayer de libérer les autres alors qu’ils ne le désirent pas. Peut-être que je suis vraiment l’élu, en fait.
“Vous êtes sûr ?”
S’il n’a pas de frère, je ne comprends pas pourquoi son visage me dit tant quelque chose. Les sourcils froncés, planqué derrière mes lunettes de soleil, je le jauge du regard. Il est mignon, je n’arrive pas à croire que je pourrais l’oublier. Après, je n’ai pas une mémoire infaillible, surtout à cause de mon addiction. Alors ce n’est pas impossible, juste difficilement probable.
“Aux urgences, hein…je sais pas, ça dépend. Vous bossez dans le Bronx ?”
Les urgences ne m’ont vu débarquer qu’une seule fois, pour être honnête. Un accident de voiture, un idiot qui m’a foncé dessus alors que je traversais la rue. On m’a emmené là-bas sans me demander mon avis, et lorsque je me suis réveillé, j’étais dans un lit à attendre qu’on s’occupe de moi. Les médecins avaient tenté de me placer une perfusion - des idiots, encore une fois - et je crois que j’ai un peu paniqué à ce moment-là. D’ailleurs, rien que de m’en souvenir, je frissonne d’appréhension.
“J’évite les hôpitaux comme la peste. Les médecins comme la peste. Vous êtes de vraies plaies ici. Mais ouais…j’ai fini à l’hosto une fois, ya un bail. On m’a pas demandé mon avis. Je me suis cassé vite, parce que ça sert à rien, de toute façon. Et j’ai pas envie d’être traité comme un putain de freak. Z’avez vu le résultat là-dedans ?”
Me voilà encore en colère maintenant, je me suis monté la tête tout seul. Je claque de la langue contre le palais, agacé, mais tente de me calmer tout seul. Je soupire longuement.
“Bon…ok, vous êtes pas des plaies. Enfin pas pour les autres. Mais j’ai pas confiance. Vous savez trop de choses. Pis ils ont voulu m’attacher là-bas, j’aime pas.”
Bronx - Epicerie du centre
Why am I this way?
Stupid medicine, not doin' anything What thе hell is fucking wrong with me? I guess thеre's no remedy. I'm so terribly lost
« Je ne peux pas admettre la violence, même contre la violence. » Roger Martin du Gard
“L’Elu ? Ah…j’aimerais bien y croire. Le monde est tout aussi pourri que celui dans lequel il évolue, remarquez.” D’accord… Il est drôlement positif, ce garçon. Haussant ses sourcils, il prend une fine inspiration tout en hochant brièvement son menton de haut en bas, un peu désarçonné face à cette boule de nerfs à vif. Qu’est-ce qu’il a pu vivre pour n’avoir que de la colère en lui ? Morgan se pose évidement la question mais, n’étant pas psychologue et n’ayant pas envie de l’être, il ne pousse pas plus loin la réflexion. Il a assez de problèmes pour ne pas réfléchir à résoudre ceux des autres.
Il s’apprête à prendre congé de Thomas mais ce dernier, le trouvant familier, se demande s’ils ne sont pas déjà croisés ; puisqu’il était un médecin éclopé pouvant à peine marcher, il avait plutôt tendance à marquer les mémoires. « Si je suis sûr de ne pas avoir de frère ? » La question est sérieuse ? Il ne s’en offusque pas mais il ne peut s’empêcher de la trouver un peu risible, si bien que son sourire prend des accents amusés quand il rétorque, sans méchanceté aucune : « Je suis sûr, oui. Ou alors on m’a menti toute ma vie. » Il a bien une soeur mais elle est décédée dans l’accident de voiture ayant également tué ses parents, donc, les chances d’avoir une fratrie cachée sont assez faibles.
Mais peut-être se sont-ils croisés à l’hôpital ? “Aux urgences, hein…je sais pas, ça dépend. Vous bossez dans le Bronx ?” Avant, oui. Il mordille le coin de sa lèvre en perdant un peu son sourire, bien qu’il hoche son menton de gauche à droite. « Oui, j’y ai longtemps travaillé. » Plus maintenant. Le passé est révolu, il ne pourra sans doute jamais plus y mettre les pieds mais il n’a pas encore totalement digéré cette réalité. Il est en bonne voie, mais encore faut-il faire le deuil après l’acceptation.
Morgan n’a pas vraiment le temps de s’épancher sur ses propres blessures que, déjà, Thomas s’emporte une nouvelle fois ; sous ses propres mots, d’ailleurs. Les médecins sont tous des plaies. AH. C’est un peu ironique comme formulation mais Morgan se contente de légèrement froncer ses sourcils sous l’incompréhension, tout en papillonnant longuement des cils, sans trop comprendre d’où il sort toutes ces méchancetés sans fondement. « Il arrive parfois que les patients partent avant qu’on arrive… Les temps d’attente peuvent être longs. » Il est loin de se douter des réelles raisons de ce départ mais, en l’état des choses — en l’état de nervosité surtout, il n’a pas vraiment envie de creuser le sujet, au risque de voir l’énerver davantage.
Contre toute attente, Thomas se ravise : pas tous les médecins sont des plaies… On progresse. Il tique néanmoins en attendant qu’on a voulu l’attacher, car c’est généralement réservé aux patients agités, qui finissent bien souvent dans l’aile psychiatrique. « On a voulu vous attacher pour quelles raisons ? » Il s’entend parler et regrette presque aussitôt d’avoir posé la question… Il va encore s’énerver tout seul en parlant.
Il a travaillé au Bronx, hein ? Voilà déjà une information intéressante. C’est donc un médecin de là-bas, et peut-être que…ah, je ne saurais pas le dire. Je ne relève pas donc, préfère garder cette idée dans un coin de mon esprit au cas où elle soit utile plus tard. Quoi qu’il en soit, il ne sera pas forcément de mon côté pour dire que les scientifiques sont tous des pourris. S’il en fait partie…d’un coup, je le regarde d’un air suspicieux. Est-ce qu’il connaît ceux qui m’ont fait subir…tout ça ? Je n’ai étrangement pas envie de le savoir. Parce que je ne sais pas comment je réagirais, face à l’un d’eux. Je n’ai jamais tué de mes propres mains, même lorsque j’ai dû quitter le laboratoire il y a un petit moment maintenant. Alors est-ce que je serais capable de l’agresser ? J’en sais rien, et je n’ai pas envie de le découvrir.
Je fais un effort colossal pour calmer mes nerfs. Là, à cet instant précis, j’aurais bien besoin d’une trace. Mais…déjà, je n’ai rien sur moi - je n’ai pas envie qu’on tombe sur mon petit matos au travail, si vous voyez ce que je veux dire - mais en prime, je crois qu’il ne me reste plus rien. Alors me voilà à subir à la fois ma sensibilité au bruit, à la lumière du soleil, mon côté soupe au lait et le début de manque qui ne tardera pas à se faire sentir. Ce n’est pas une bonne journée.
“Je sais pas, parce que je voulais me barrer je suppose. Mais j’aime pas ça. Faut pas restreindre mes mouvements comme ça, j’aime pas, c’est horrible. Je peux pas.”
Un frisson parcourt mon échine à cette simple phrase. L’idée même d’être attaché dans un lit, ou sur une table d’autopsie peut-être, me ramène des années en arrière. Je baisse la tête, la secoue même pour tenter d’oublier ce moment, mais n’y parviens pas réellement. Alors je retrouve le regard de cet homme, qui définitivement me rappelle quelque chose.
“Attendez, mais…je sais où je vous ai vu !”
Les pièces du puzzle se mettent en place dans mon esprit, doucement mais sûrement. Je penche la tête sur le côté, interloqué. Si c’est vraiment lui…non, c’est impossible ! Il aurait changé à ce point en si peu de temps ? C’était il y a à peine quelques années !
“Vous étiez tout maigre, vous aviez l’air en fin de vie là ! Avec des béquilles, ou je sais pas quoi…c’est pas possible, c’était pas vous, si ? Mais vous avez dit que vous avez pas de frère, alors c’était forcément vous ! Mais…”
Je le jauge du regard, encore intrigué par cette réalisation. Il y a quelque chose qui cloche. Comme s’il avait absorbé l’énergie vitale de ses patients pour se renforcer…non, ça, ça ressemble à un film d’horreur des années 2000.
“Comment vous êtes devenu aussi BG en si peu de temps ? Vous avez pris des stéroïdes magiques, ou quoi ?”
A ce stade, je ne vois pas comment il peut avoir réparé son corps aussi facilement, aussi rapidement. S’il était réellement aussi mal en point que ce que j’avais vu à l’époque, ce docteur qui m’avait approché alors que j’étais en pleine crise, il n’y a aucune raison pour qu’il soit aussi musclé aujourd’hui ! J’avoue que je ne comprends rien, et ça me perturbe.
Bronx - Epicerie du centre
Why am I this way?
Stupid medicine, not doin' anything What thе hell is fucking wrong with me? I guess thеre's no remedy. I'm so terribly lost
« Je ne peux pas admettre la violence, même contre la violence. » Roger Martin du Gard
Il n’a nul besoin d’être un fin observateur pour se rendre compte du changement de ton dans la voix, et dans les micro-expressions, de son interlocuteur, bien moins ouvert à la discussion ; il apparaît même comme suspicieux, comme s’il craignait que le médecin se révèle être un savant fou désireux de le traîner dans un laboratoire pour quelques sordides expériences. Les expériences, puisqu’elles ont bien existé, ont été contre sa propre personne ; ce n’est ni rassurant à dire et à entendre, alors il décide de garder cette information pour lui, essayant plutôt de dédramatiser la situation avec humour : « Généralement, on a peur du dentiste et non pas du médecin des urgences. » Un léger sourire aux lèvres, il tente de provoquer le même aux lèvres de son cadet quand ce dernier, toujours bougon, s’enfonce dans ses mauvais sentiments concernant le monde médical. Bon. C’est pas gagné.
Comprenant qu’il ne le ferait pas changer d’avis, Morgan joue la carte de l’apaisement en haussant légèrement ses épaules, son menton se hochant de haut en bas comme s’il démontrait physiquement qu’il validait les sentiments du tatoué. « Ça ne se commande pas, les phobies. » Même si celle-ci doit être sacrément handicapante : s’il a un accident ou tombe gravement malade, comment va-t-il faire pour être soigné ? Pour l’instant, il est jeune et en bonne santé mais en vieillissant… « Attendez, mais…je sais où je vous ai vu ! » Ah ? Intrigué, Morgan arque l’un de ses sourcils en levant légèrement le menton, un petit rictus aux lèvres. « Vous étiez tout maigre, vous aviez l’air en fin de vie là ! Avec des béquilles, ou je sais pas quoi…c’est pas possible, c’était pas vous, si ? Mais vous avez dit que vous avez pas de frère, alors c’était forcément vous ! Mais… » Tout maigre, en fin de vie et avec des béquilles, c’est tout à fait son ancien-lui.
Merde.
Visiblement surpris, il reste quelques secondes interdit, comme figé dans la déconvenue, avant de se mouvoir enfin en redressant ses épaules et sa nuque dans un même mouvement. « Disons que… »« Comment vous êtes devenu aussi BG en si peu de temps ? Vous avez pris des stéroïdes magiques, ou quoi ? » Il prend le compliment avec plaisir, mais cela ne se voit pas vraiment sur son visage tant il se retrouve pris au vif d’une question à laquelle il ne sait quoi répondre : pas la vérité, c’est certain. Un semblant de vérité semble être plus judicieux. « J’avais une maladie, j’ai été guéri. » Ce n’est pas totalement vrai, mais ce n’est pas faux non plus. Hochant simplement ses épaules, il se permet même de dire, avec un petit accent amusé dans la voix : « C’est le but de l’hôpital : soigner les malades. » Peut-être que cette transformation miraculeuse va changer son regard sur les médecins ?
Accueil
![[Terminé] Everybody's full of Sugar Honey Ice & Tea ft. Morgan Morbius Jokw](https://zupimages.net/viewer.php?id=23/17/jokw.png)
