[Terminé] Un air de déjà-vu

Cette entrevue, en solitaire et loin de l’Institut, entre Lynda et Jean est dès plus agréable pour la plus jeune, qui découvre une femme ô combien doucereuse, prévenante et calme, capable d’écouter et de comprendre avec une tendre empathie. Il n’est donc pas étonnant qu’elle s’accorde parfaitement avec Charles, et la rousse ne peut que se réjouir de la compter parmi les membres de sa famille, désormais.

Lorsque le cookie vagabonde du plateau de la belle brune à celui de l’étudiante, celle-ci fronce ses sourcils d’un air incrédule avant de relever son regard azuré sur sa comparse, sans comprendre, visiblement, pourquoi elle lui donne le précieux sésame aux pépites de chocolat. « Tu es sûre ? » Souffle-t-elle entre deux confidences et deux morceaux de son premier cookie, non pas qu’elle veuille refuser le deuxième — loin de là, mais elle ne voudrait pas non plus la priver d’un met aussi délicieux. « Tu sais déjà comment me faire plaisir… Merci ! » Lynda vient de gagner le coeur de Jean : il faut absolument que Charles épouse cette femme incroyable.

Leur conversation devient cependant plus sérieuse lorsque Jean confie ses aspirations d’avenir, et le fait qu’elle songe de plus en plus à rejoindre le monde de la politique, quand bien même se sait-elle aussi sensible que timide. « C’est très noble de ta part de vouloir autant aider à la cause mais… » L’adverbe lui fait froncer les sourcils tandis qu’elle se met à mâcher plus longtemps son morceau de cookie, semblant redouter la suite de cette phrase. « Il ne faut pas te perdre en route. Il faut avant tout faire quelque chose que tu aimes. Que cela soit en sciences humaines ou en politique, tu auras tout à fait l’occasion d’aider à la cause. » Pas de raison d’avoir peur, Lynda se souciant simplement de la durabilité de ses choix, qui ne sont peut-être pas en adéquation avec ce qu’elle aime. Comprenant parfaitement le sous-entendu de la brune, Jean hoche d’abord son menton de haut en bas d’un air parfaitement complice, avant de lui répondre de vive voix — une fois qu’elle a fini de manger. « Je sais mais, les sciences humaines…. C’est intéressant, bien sûr, je ne dis pas le contraire. Mais j’ai l’impression que ce n’est pas ce que je dois faire. » Ce qui n’induit pas le fait qu’elle sache quoi faire, cependant.

Après un regard circulaire autour d’elle, Lynda reprend la parole, avec une grande discrétion. « Tu sais, les gens comme nous, l’on se défend depuis bien des décennies pour une cause qui a encore du mal à perdurer, mais je suis intimement persuadée que cela évolue dans le bon sens. » Cela la fait lentement sourire car elle a l’impression d’entendre les mots, plein de bon-sens, de Charles. « Preuve à l’appui, je parviens à travailler dans un lieu public comme l’hôpital et j’utilise mes facultés presque tous les jours, que cela soit pour sauver des personnes comme nous que des personnes qui n’ont pas le gène X… » C’est, en effet, une nouvelle grandement réjouissante. Les mains sagement posées sur ses cuisses, elle hausse ses sourcils sous l’agréable surprise que ce récit lui procure, sans perdre son sourire jovial. « Ceux qui disent avoir peur de nous sont ceux qui ne nous connaissent pas, c’est pour cela qu’ils ont peur… Nous aider comme tu le dis, c’est avant tout leur montrer que nous ne sommes pas une menace pour eux… et c’est un long chemin à parcourir… Il faut que tu en aies conscience Jean. » Oui, vraiment, il n’y a plus aucun doute : Lynda est faîte pour être la compagne de Charles.

Remontant ses mains sur la table pour s’attaquer au deuxième cookie, la plus jeune fait de nouveau entendre sa voix, d’un ton toujours aussi calme et affable : « Je comprends totalement ce que tu veux dire, et je partage ton avis mais… J’ai l’impression qu’il n’y a personne pour porter ce message. Personne pour nous représenter vraiment. Je crois qu’on gagnerait à sortir de l’ombre. » Mais peut-être se trompe-t-elle ? Il faut dire qu’elle est encore jeune, et sans nul doute trop fougueuse pour pleinement entrevoir tous les dangers et les difficultés qui se dresseront sur son chemin pavé de bonnes intentions. Mais n’est-elle pas trop naïve ? « Je ne te dis pas de ne pas le faire, attention… Je te mets simplement en garde sur cette voie, tu auras un bon nombre d’obstacles et je ne voudrais pas que tu en souffres. » Elle est bienveillante, Lynda. Jean est touchée de sa dévotion, si bien qu’elle se permet, quelques secondes, de déposer sa main sur son bras pour la gratifier d’un éloquent sourire. « Ça me touche. Et je te remercie de m’avoir écoutée et conseillée, c’est vraiment adorable de ta part. » Finissant son cookie rapidement, elle jette un regard à sa montre pour se rendre compte que la conférence va reprendre d’ici peu de temps. Les deux comparses n’ont alors pas d’autres choix que de terminer leurs boissons promptement, avant de rejoindre la salle en bavardant de tout et de rien, déjà liée par une relation complice qui, sans nul doute, fera le bonheur de Charles lorsqu’il l’apprendra.