[Terminé] L’humanité est fondamentalement faite de rencontres

Les confidences s’estompent mais pas les sourires, qui perdurent longuement les lèvres comme la preuve d’un apaisement inespéré après leurs premiers échanges houleux, jusqu’à ce que la mention de Strange vienne perturber la quiétude de leurs échanges non-verbaux : si le sourire disparaît subitement, en une fraction de secondes à peine, l’expression que Maître Drumm aborde lui fait aussitôt regretter ses paroles. Pour preuve, elle mord sa lèvre comme pour s’auto-punir et elle fronce l’intérieur de ses sourcils d’un air presque désolé, quoique soucieuse des torts causés : cela est peut-être déplacé mais elle a envie de savoir pourquoi le Sorcier Suprême est la source d’une telle répulsion… Elle sait que peu de monde le porte dans son coeur — et il ne fait rien pour se faire aimer, elle peut en attester, mais la colère de Jericho semble plus profonde, plus noir, plus douloureuse…

Contre toute attente, alors qu’elle était sur le point de changer de sujet pour évoquer la délicieuse soupe généreusement offerte, il se met à parler : c’est compliqué. Elle s’en doute… Mais elle n’en dit rien. Elle se contente de pencher son menton sur le côté comme pour l’inciter à parler, lui montrant ainsi qu’elle est en position d’écoute. Et alors peut-être mis en confiance par la douceur qui émane d’elle, le mystérieux Sorcier reprend la parole…

Il est issu d’une famille de sorciers vaudou, cette première information lui arrache un premier sourire fasciné, et elle plisse légèrement ses paupières comme pour lui témoigner cette admiration et cette curiosité, car elle se rend compte qu’elle ne s’adresse pas à n’importe qui. Le petit-fils du chef spirituel de la capitale de Haïti. Sa soif d’apprendre se met en éveil, et elle ne peut que se mettre à rêver des apprentissages qu’elle pourrait faire à ses côtés : accepterait-il seulement de lui enseigner quelques secrets ? Sans doute pas… Mais qui ne tente rien n’a rien !

Mais elle perd lentement son sourire lorsqu’il prononce le nom de son frère. Daniel. Daniel Drumm. Elle fait le lien en une fraction de secondes, et c’est le temps qu’il lui faut pour que les courbures de ses lèvres s’affaissent lentement : cette histoire a été maintes et maintes fois répétées du temps où elle état à Kamar-Taj, si bien qu’elle la connait sans doute par coeur. Quelle idiote elle fait ! Elle se sent coupable de ne pas avoir su faire le lien avant, et baisse le menton durant quelques secondes, un peu honteuse de sa maladresse, tout à fait involontaire et sans malveillance aucune.
Elle écoute la fin du récit en ayant un peu de mal à soutenir le regard de Jericho, comme si elle se sentait coupable de quelque chose : lui faire remonter tous ces affreux souvenirs, bien sûr.

Triturant les pans de sa robe de ses mains un peu gênées, elle prend le temps d’assimiler les informations : Maître Drumm en veut à Strange de ne pas avoir pu sauver son frère aîné lors de l’attaque de Kaecilius. La douleur rend parfois la colère aveugle, et il est évident que Maître Drumm a surtout besoin d’un coupable...

Relevant ses yeux vers Jericho, elle presse ses lèvres en un sourire attristé, et se permet de déposer, d’un geste hésitant, sa main sur le bras de l’homme qui lui fait face, le remerciant ainsi silencieusement pour sa confiance et ses confidences. Et il pouvait être sûr que ces confidences seraient bien gardés : elle ne dirait rien à personne. « Pro-omis. » Souffle-t-elle d’une voix douce et sincère avant de retirer sa main pour ne pas le gêner, attendant par la suite quelques secondes pour dire, sur le ton de la plaisanterie mais qu’on devinait vrai : « De toute fa-açon, il ne m’ai-aime pas non plu-us. Je l’éne-erve. » Elle pointa sa bouche de son index, pour lui faire comprendre que le bégaiement était à l’origine de l’agacement de Strange. Mais s’il était attentif, Jericho pouvait voir qu’elle bégayait moins : elle se sentait en confiance avec lui, en sécurité.

Il était la première personne, depuis son arrivée à New-York, qui parvenait à la mettre autant en confiance pour calmer son trouble langagier.

Elle lui adressa alors un sourire résigné et un petit hochement d’épaules, heureuse de partager ce moment avec lui.

La confiance, partagée, est comme un secret : on craint toujours de le voir s’éparpiller et disparaître une fois confié à autrui, car on sait qu’il pourrait voler en éclat à la moindre maladresse. Mais lorsque la confiance est donnée avec autant de naturel, lorsqu’elle sonne comme une évidence, alors, cette peur est muette et invisible.

Pourquoi lui fait-elle confiance, alors que d’ordinaire, la seule proximité avec un homme lui renvoies des insécurités terrifiantes ? Elle ne pourrait l’expliquer mais, il se dégage de lui une bienveillance infinie, innée et sincère, et elle ne ressent aucun danger en se tenant près de lui. Alors, lorsqu’ils évoquent leurs désagréments avec le Docteur Strange, Milena ne peut s’empêcher de sourire avec amusement : elle ne possède pas une rancoeur aussi amère que Jericho envers le Sorcier Suprême, mais comprend qu’il lui faille trouver un coupable, quand bien même l’accusation lui semble biaisée.

Sans vouloir le défendre, d’ailleurs, la brune hausse ses épaules d’un air désinvolte en formulant, hésitante tant sur la forme que le fond : « Il n’a pa-as beaucoup de pa-tience. » Mais est-ce une surprise ? Pas vraiment. En rejoignant New-York et son nouveau mentor, elle savait à quoi s’attendre : du moins espérait-elle la même chose le concernant. S’il avait été prévenu de son bégaiement, peut-être aurait-il refusé de l’avoir comme disciple et alors… Et alors il serait la même personne désagréable qu’il est aujourd’hui. Finalement, ça n’aurait peut-être pas changé grand chose.

Mais la plaisanterie désarme rapidement les tensions accumulées concernant le Sorcier Suprême, si bien qu’elle se met doucement à rire en haussant ses épaules vers le haut, en même temps que ses paupières qui se plissent avec amusement. Il n’a pas tort, là non plus. Mais tout de même… Si elle lui manque de respect ou se montre trop belliqueuse, il pourrait la renvoyer ? Elle l’ignore, mais cette perspective suffit à la convaincre d’endurer : si elle n’est plus MaM, alors tout le chemin parcouru pour se reconstruire n’aura servi à rien. « Raison de plus po-our l’agacer. » Un sourire espiègle perdure sur ses lèvres après avoir prononcé ces quelques mots, tandis qu’elle hausse l’un de ses sourcils en entendant la question de Jericho.

Prenant quelques secondes pour réfléchir à l’origine de sa curiosité, elle hoche son menton de haut en bas tout en roulant lentement des yeux, avant de répondre : « Je crois que la peu-rr vi-vient de l’ignora-ance. Je ne veux plus av-avoir peur. Je veux sav-voir. » Un sourire suave se forme sur ses lèvres tandis qu’elle penche son menton sur le côté pour planter ses yeux mordorés dans ceux de son nouvel ami : « D’Inde. » Américaine, elle est née en Inde et c’est sur le chemin de ses ancêtres qu’elle a trouvé sa voie, alors impossible de répondre autrement. « Orphel-line, j’ai été adop…adopt… » Le mot ne vient pas. Peut-être parce qu’il est trop difficile à dire : à tous les niveaux. Sa mère adoptive qui l’empoisonnait pour la rendre malade et ainsi s’attirer la sympathie des autres. Son père qui savait mais ne disait rien. Non, ces deux-là n’ont rien du titre parents. Elle n’a pas été adoptée. De son point de vue, elle a été achetée.

Ses yeux brillent d’une certaine émotion durant quelques secondes mais elle se reprend rapidement, et lève légèrement son menton pour reprendre, l’air de rien : « Tu conn-ais, l’Inde ? »

Comme une cicatrice ne s’étant pas tout à fait refermée, la Sorcière peine à articuler le mot pourtant limpide que ses lèvres ont commencé à dessiner : adopter. Phonétiquement, ce n’est pas le mot le plus compliqué, ni celui qui lui pose le plus de problème lorsque sa langue ricoche mais, sans qu’elle ne sache pourquoi — ni ne veuille savoir pourquoi, en cet instant, elle a été incapable de le prononcer. Il faut dire qu’elle n’en parle pas souvent, tout comme son passé de femme battue… Il lui est peut-être plus facile de cacher la poussière, trop douloureuse et encombrante, sous le tapis. L’avantage est qu’on ne voit pas la poussière, on finit presque par oublier qu’elle est là mais, elle ne disparaît pas, jamais. Elle attend, patiemment, de survoler de nouveau les pensées pour les irriter, pour répandre la douleur qu’on croyait avoir oublié.
A Kamar-Taj, elle avait cru que ses plaies avaient été entièrement pansées mais, depuis son arrivée à New-York, elle avait l’impression de redécouvrir ses blessures, qui n’avaient point disparu.

Mais, comme il est plus simple de les ignorer, Milena préfère orienter la discussion sur un sujet qui lui est moins sensible : l’Inde. La technique fonctionne à merveille puisque Jericho se laisse prendre au jeu : heureusement que ce n’était point des devinettes sinon, il aurait perdu. Bombay ou New-Delhi, elle fronce son petit nez devant sa maladresse et se permet d’émettre un léger rire, qui n’est en rien moqueur : pour preuve, elle se penche de nouveau sur son carnet pour raturer quelques lignes, lui permettant d’écrire une phrase bien trop longue, qui lui aurait pris un temps fou si elle l’avait prononcée de vive voix : Les gens confondent souvent ! Mais on ne dit plus Bombay, c’est Mumbay le véritable nom Tournant le carnet vers Jericho pour que celui-ci puisse le lire, elle lui offrit un sourire chaleureux pour lui signifier qu’il n’y avait aucun malaise, mais qu’il s’agissait plutôt d’un détail, auquel le peuple indien était cependant attaché. Néanmoins, le nom de Bombay est devenu si populaire qu’il ne fait réagir presque personne… sauf celle qui se trouve face au Sorcier Vaudou, bien sûr. Entre le mentor et l’apprenti, qui est le molosse maintenant ?

Sans moquerie aucune, la jeune femme lui adresse un sourire réconfortant, ainsi qu’un regard complice, avant de délaisser son carnet sur le côté, intriguée par la proposition que Jericho lui soumet : d’abord curieuse, elle presse ses lippes en un sourire intéressé, l’encourageant à parler d’un haussement de sourcil, avant d’hocher son menton de haut en bas. Trouvant l’idée tout à fait ravissante, elle redresse ses épaules en relevant son bras, affichant une mine grandement réjouie lorsqu’elle lui tend son petit doigt, pour sceller leur accord comme il se doit : « Deal. » Le début d’une prometteuse collaboration et, qui sait, d’une belle amitié ?