J'ai joué. J'ai perdu. Je me suis attaqué à une cible que j'ai sous-estimée. J'ai voulu faire durer le plaisir, n'ayant pas affronté de monstre depuis un moment, et je me suis laissé déborder par les prouesses martiales et les pouvoirs dévastateurs d'une redoutable tueuse. Mais je suis toujours en vie.
Elle a pointé son arme sur ma tête, prête à m'achever. Je l'ai provoquée, lui ai expliqué avec virulence qu'en me tuant elle servirait ma cause. Elle n'a pas tiré. Ou plutôt, elle a tiré en l'air. Puis elle m'a ordonné de "ficher le camp", ce qui m'était impossible vu mon état, m'a donné un avertissement et est partie, après m'avoir assené un mesquin coup de pied qui m'a arraché un grognement de douleur.
A présent que je suis seul dans cette petite ruelle sombre, à présent que l'adrénaline retombe, je peux constater la gravité de ma situation. D'un geste de la main, je tente d'essuyer le sang qui coule de mon front et empoisse mon visage. C'est néanmoins le cadet de mes soucis. Mes jambes… me font un mal de chien. Les chairs sont brûlées, boursouflées, à vif. Je doute qu'on puisse les sauver, même si j'étais pris en charge immédiatement - ce qui n'arrivera pas, puisque je ne peux pas me déplacer.
Je ne peux pas me lever. Je ne peux pas appeler les secours, j'ai bêtement laissé mon téléphone à l'appartement. Je me traîne douloureusement au sol, avec pour objectif - illusoire - de rejoindre une rue plus grande, plus fréquentée. Mes jambes sévèrement meurtries qui frottent sur le bitume me font rapidement abandonner l'idée de bouger. Je reste donc allongé sur le dos dans cette ruelle, laissant échapper des râles de douleur, en priant pour que quelqu'un finisse par me retrouver…
Mes prières sont entendues. Je perçois des bruits de pas. Je vois une silhouette féminine. Je crains, l'espace d'un instant, que ce ne soit la tueuse qui revienne pour m'achever. Mais non. Je ne distingue pas bien ses traits dans l'obscurité et ma vision commence à devenir floue, mais cette femme est brune. Je gémis sous l'effet de la douleur puis parviens à articuler d'une voix rauque :
« Le jour où nous cesserons d'aider notre prochain, à ce moment nous aurons perdu notre humanité.»
20.09.2024, nuit, ruelle du Bronx
La journée avait été longue pour Lynda et finalement malgré le fait qu’elle soit terminée, une autre journée commençait dans l’ombre d’une nuit un peu plus fraîche que les autres. Après une matinée aux urgences de l’hôpital et un déjeuner avec des membres du Refuges pour accueillir les nouveaux arrivants et une après-midi à se perdre dans les méandres de la comptabilité, l’on aurait pu croire que le train-train quotidien de la mutante n’était pas de toute repos et pourtant… Une part d’elle était peut-être un peu en manque d’action mais elle aimait tout de même sa vie posée, sans accroc et surtout sans bain de sang.
Cependant c’était sans compter sur les informations de ces dernières semaines. Des lieux consacrés aux mutants avaient été attaqués et il y avait des enquêtes en cours, sans compter les multiples tags qui s’amoncelaient partout dans la ville. Malgré l’aspect secret du Refuge n’en mettait pas moins à l’abri ses membres. Lynda, Luther et tous les membres du Jack’s Refuge devaient rester sur leurs gardes sans pour autant sombrer dans l’angoisse constante d’une attaque potentielle.
La nuit était rapidement tombée alors que Lynda s’était enfermée dans son bureau pour faire la paperasse habituelle qui lui incombait. Aucun incident n’était venu la perturber si bien que lorsque Soraya vint lui apporter son repas du soir, elle se rendit compte qu’elle n’avait pas vu le temps passer. Prenant une pause en compagnie de sa protégée, elle se remit au travail dans la soirée pour finalement relever les yeux lorsqu’un message de sa fille lui signala qu’elle allait se coucher. Remarquant enfin l’heure tardive, Lynda se frotta les yeux avant de se décider à tout ranger pour rentrer chez elle.
Le Bronx de nuit n’est pas aussi effrayant qu’il n’y parait cependant il arrive parfois qu’un vent glacial se glisse dans le dos de Lynda provoquant en elle un intense frisson, signe qu’elle pourrait avoir un mauvais pressentiment. Et c’est ce qui se passe lorsqu’au détour d’une ruelle sombre, elle attend des bruits étranges. S’arrêtant soudain pour observer les alentours, la médecin aussi audacieuse soit-elle par moment, ne tarde pas à se saisir du spray au poivre qui se trouve dans son sac. Une sorte de plan de secours en cas d’agression. Ce n’est qu’en plissant les yeux, qu’elle remarque une silhouette au sol, gémissant. Tout en s’approchant doucement, elle senti son cœur s’accélérait à l’idée qu’une personne soit en danger tout en pensant à l’éventualité que cela soit un guet-apens. Ce ne fut que lorsqu’elle entendit la voix de l’homme agonissant qu’elle ne baissa totalement sa garde pour se précipiter à la venue de cet homme :
« Ça va aller… Je suis médecin… Je vais vous aider… »
Elle posa naturellement une main sur le torse de cet homme qui semblait incroyablement souffrir et l’autre s’engouffra dans la main tendue afin de le soutenir… Son regard se balada sur l’ensemble du corps ensanglanté pour finalement observer les jambes dans un piteux état.
« Mon dieu… qui vous a fait ça ? Faut appeler la police… »
Elle commença à sortir son téléphone de sa poche tout en gardant non loin son spray au poivre, l’on ne sait jamais si la personne qui l’a blessée était toujours dans le coin.
La femme va-t-elle s'arrêter ? Va-t-elle oser s'approcher ? J'ai malheureusement peu d'espoir. Je suis dans un pays dont les habitants sont connus pour leur violence. Je suis dans une ville où des gens sont tués chaque jour sans que personne ne lève le petit doigt. Je suis dans le quartier le plus craignos de cette ville. Pourquoi quiconque prendrait le risque de m'aider ?
Les pas s'approchent pourtant, s'accélèrent même. J'entends la voix de cette femme, même si elle me semble venir de très loin. Je dois faire un effort pour me concentrer sur le sens de ses mots. J'en retiens surtout deux : médecin, aider. Dieu soit loué.
Je sens comme une pression sur mon torse, et des doigts qui enserrent les miens. Sa main est chaude. Ou peut-être est-ce moi qui suis froid. J'entends sa question, j'aimerais y répondre, mais je ne suis pas certain d'y arriver. Ma vue se trouble, des points noirs dansent devant mes yeux. Je souffre atrocement. Je ne peux d'ailleurs qu'articuler en gémissant :
« Mes jambes… Mes jambes… »
Je serre fort sa main, mais cela ne suffit pas à me rassurer. Au prix d'un grand effort, je parviens à me redresser à moitié alors qu'elle sort son téléphone. Je lui agrippe le bras de ma main libre. Je la supplie du regard. Je hoche la tête négativement. Inutile d'appeler la police. J'ai besoin d'une ambulance. Urgemment.
« Appelez le 999... »
Je n'ai plus les idées claires. Je ne me rends pas compte que j'ai donné le numéro de secours utilisé en Angleterre. Ma tête tourne. Mes jambes brûlent. Ma respiration s'accélère. Je ressens une vive douleur dans la poitrine. Tout mon corps se crispe. Je suis pris de convulsions. Je vais mourir dans cette ruelle, dans les bras d'une inconnue. Au moins je ne mourrai pas seul.
« Le jour où nous cesserons d'aider notre prochain, à ce moment nous aurons perdu notre humanité.»
20.09.2024, nuit, ruelle du Bronx
Si la journée a été longue, la scène qui se présentait devant elle n’augurait rien qui vaille. La médecin qu’elle était avait évidemment déjà eu l’occasion de voir de tels cas de blessures traumatiques mais dans le cas présent, la nuit d’ores et déjà bien avancée et la situation précaire dans laquelle elle se trouvait faisait qu’elle n’avait pas vraiment d’autres choix quant à l’utilisation de ses pouvoirs sous peine de voir mourir cet homme sous ses yeux.
Elle aurait pu facilement les utiliser mais elle avait toujours cette fâcheuse habitude de demander la permission ou du moins de laisser entendre que ce qu’elle allait faire n’avait rien de rationnel pour quiconque ne connaît pas sa condition de mutante. Et dans le cas présent, elle n’avait aucune idée de l’identité de l’homme qu’elle avait en face d’elle. Cependant, elle choisit alors d’écouter son instinct et de lui parler afin de pouvoir lui sauver la vie. Elle écouta ses indications et fronça les sourcils à l’annonce d’un numéro de téléphone qui à l’évidence n’était pas américain, et l’accent prononcé qui l’accompagnait lui donnant ainsi une indication sur l'origine de cet homme. Même si dans la situation actuelle, qu’il soit anglais, africain ou latino était le cadet de ses soucis.
Lynda remonta les yeux vers le visage de l’homme en question pour lui parler mais alors qu’elle posa ses mains de part et d'autre de son visage, celui-ci fut pris de convulsions. Impossible donc pour elle de lui parler, ni même de le soigner. Il fallait attendre que la crise passe tandis qu’elle le mettait dans la position adéquate afin qu’il ne se blesse pas davantage.
Une fois la crise passée, elle vérifia son pouls et le remit sur le dos avant de se concentrer exclusivement sur ses blessures. Plaçant une main sur son torse, l’autre fut mise au-dessus de ses jambes. L’instant suivant, Lynda avait les yeux fermés et elle usa de ses pouvoirs pour soigner l’homme toujours inconscient. Il lui fallut près d’une minute pour le guérir totalement au prix d’une grande énergie. Une fois terminé, elle sentit son corps plus lourd et s’assit sur le sol de la rue froide et humide. Ses yeux étaient mi-clos alors qu’elle voyait ceux de l’homme s’ouvrir de nouveau :
« Vous êtes sauf… Mais vous allez vous sentir fatigué durant... les prochaines heures… C’est normal... je vous ai soigné... »
Essoufflée et fatiguée, Lynda gardait tout de même son regard sur l’homme qu’elle venait de secourir. Elle avait sauvé une vie ce soir mais n’en retirait pour autant aucune satisfaction hormis la sensation d’avoir fait son devoir envers autrui.
Dans une semi conscience, je sens que l'inconnue me place sur le côté, en position latérale de sécurité. La douleur est trop forte pour être supportable. Mon cœur va lâcher. Je le sens, je le sais, mon heure est arrivée. Tant pis pour la Loge, Nathaniel Pearson et Kath Hunter. Tant pis pour tous les mutants que je ne pourrai pas tuer. D'autres s'en chargeront. Je meurs au combat, je meurs en martyr, à tout juste 33 ans, comme le Christ. Dommage que je ne sois pas chrétien… C'est sur cette dernière pensée que je sombre dans l'inconscience.
Ma vie ne défile pas devant mes yeux. Je ne vois pas de lumière blanche au bout d'un long tunnel. Je ne sens pas mon âme quitter mon corps. Je me réveille simplement comme après une nuit sans rêve. Je n'ose pas ouvrir les yeux. J'ai peur de ce que je vais découvrir. Vais-je rencontrer Dieu ? Vais-je retrouver mon père ? C'est étrange, je ne me sens pas différent de quand j'étais vivant. Je me décide à ouvrir les yeux, prêt à affronter cette nouvelle réalité.
Je reste immobile quelques instants, le temps nécessaire à mon cerveau pour comprendre. Le décor n'a pas changé. Je suis toujours allongé dans cette ruelle sinistre de New York qui sent la pisse et la chair brûlée. Je suis toujours en vie. Alors pourquoi n'ai-je plus mal ? Une voix finit de me sortir de ma léthargie. C'est la voix de la femme brune venue me porter secours. J'entends ses mots. Je suis sauf. Je ne bouge toujours pas et réponds d'une voix un peu éteinte :
« Je ne suis pas mort… Je me suis senti mourir… »
Je me redresse enfin, me plaçant en position assise. Je regarde mes jambes mises à nu. L'attaque brûlante de la tueuse a désintégré mon pantalon en grande partie, ne me laissant que de quoi conserver un minimum de pudeur et de dignité. Aucune trace de brûlure néanmoins, ni de la moindre blessure. Mes jambes sont intactes. Comment est-ce possible ? Je suis encore sous le choc et ne parviens pas à formuler d'hypothèse plausible. Mon regard se pose enfin sur l'inconnue, un regard empli d'incompréhension teinté d'un soupçon d'appréhension alors que je lui demande :
« Le jour où nous cesserons d'aider notre prochain, à ce moment nous aurons perdu notre humanité.»
20.09.2024, nuit, ruelle du Bronx
Soigner un inconnu n’était pas quelque chose de rare pour Lynda, cependant, soigner un inconnu dans une ruelle sombre avec ses pouvoirs exposés alors que la situation des mutants ces derniers temps n’était pas propice à l’héroïsme. En effet, il était mieux de faire profil bas mais pour Lynda, il lui était tout simplement impossible de passer son chemin lorsqu’une personne est blessée. Qui était cet homme ? Comment s’était-il fait cela ? Et qu’allait-il penser de sa méthode de soin ? Ces questions, Lynda s’en fichait éperdument si son patient imprévu s’en sortait sans séquelles.
Elle l’avait alors soigné sans réfléchir à la suite malgré tout, la médecin avait pris soin de jeter un œil aux alentours pour vérifier qu’ils étaient bien seuls. Et après quelques secondes interminables d’une lumière qui aurait été aveuglante si Lynda n’avait pas fermé les yeux, elle sentait d’ores et déjà son énergie la quitter pour entrer en cet homme et ses blessures se refermaient déjà. Finalement il était en vie, sain et sauf et alors qu’elle bascula doucement en arrière, elle lui précisant que la fatigue ressentie était tout à fait normale.
Le laissant lentement reprendre ses esprits, elle l’observe s’asseoir et s’interroger sur la façon dont il a été miraculeusement guérit. Il était censé mourir et il serait probablement mort s’il n’était pas tombé sur Lynda. Une part de chance avait fait leur rencontre sans qu’aucun ne soupçonne encore qu’il s’agissait peut-être, là, d’une de leur pire rencontre. Évidemment que l’homme ne comprend pas comme il a pu ainsi s’en sortir indemne. Évidemment que la situation dépasse l’entendement et la rationalité. Mais qu’allait-elle pouvoir lui dire d’autre que la vérité ? Elle n’était pas du genre à mentir et encore moins quand la personne en face d’elle méritait de savoir la vérité sur sa guérison.
« Je suis vraiment médecin mais… vos blessures étaient trop importantes, je n’aurais pas pu vous soigner de façon normale… Alors j’ai utilisé mes pouvoirs de guérison… Je n’ai pas pu vous en faire part avant car vous étiez inconscient… »
Cherchant un moyen de se justifier en voyant le visage de son interlocuteur en train de se décomposer sous ses yeux, elle poursuivit lentement :
« Au moins vous êtes en vie et vous n’aurez pas de séquelles aux jambes, ni de cicatrices. »
Mon regard perdu passe plusieurs fois du visage de cette inconnue à mes jambes nues et intactes, et cette vision me fait me demander si je n'ai pas rêvé. Mais la douleur était on ne peut plus réelle, et l'odeur désagréable de barbecue flotte encore autour de moi. Je me penche en avant et palpe mes jambes pour m'assurer que ce n'est pas une illusion. Je ne ressens plus aucune douleur, aucune gêne, seulement une grande fatigue.
J'appuie de nouveau mon dos contre le mur de la ruelle. Je relève les yeux vers la médecin lorsqu'elle explique qu'un soin "normal" n'aurait pas suffi. Qui est-elle ? Et qu'est-ce qu'elle m'a fait ? Un pouvoir de guérison… Mon visage se décompose lentement alors que je comprends enfin ce qu'il s'est passé, que je réalise ce que cela implique. Ma voix est encore faible mais elle est emplie de mépris lorsque j'énonce cette sinistre vérité :
« Vous êtes une mutante… »
Et elle insiste. Elle m'a sauvé la vie. Une mutante m'a sauvé la vie. Ses paroles sont censées me rassurer, mais elles ne font qu'accentuer la nausée qui monte en moi. Je dois la vie à un des monstres que je m'acharne à combattre. Si elle attend de moi de la gratitude ou une quelconque forme de remerciement, elle peut attendre longtemps. A présent que je sais ce qu'elle m'a fait, sa simple présence à côté de moi me donne envie de vomir.
« C'est un cauchemar… »
Les émotions de la nuit, ma near death experience et la fatigue qui me terrasse ont momentanément supprimé le filtre entre mes pensées et mes paroles : je ne me rends compte de ce que j'ai dit qu'après l'avoir dit. Il est probable qu'elle pense que je parle de mon agression. Il est possible aussi qu'elle comprenne mon aversion pour ceux de sa race. Peu m'importe.
« Le jour où nous cesserons d'aider notre prochain, à ce moment nous aurons perdu notre humanité.»
20.09.2024, nuit, ruelle du Bronx
Etrangement le fait d’être affaiblie suite à l’utilisation intensive de ses pouvoirs lui donna quelques frissons. Si dans un premier temps, elle n’y fit pas attention, elle fronça légèrement des sourcils au second frisson qui s’imposa dans son dos. Comme un mauvais pressentiment, comme un instinct qui lui faisait comprendre qu’elle devait se méfier. Mais ce n’était pas possible, c’était forcément une erreur due à la faiblesse de son corps fatigué d’avoir donné tant d’énergie. Cet homme, elle l’avait soigné, elle l’avait sauvé de la mort alors pourquoi pourrait-il était méprisant envers elle ? Et puis, elle se rappela les rares fois – mais néanmoins présentes dans ses souvenirs – où elle avait soigné des personnes qui n’avait pas été reconnaissant, critiquant aussitôt sa mutation et ses pouvoirs même si sur le coup, elle avait sauvé leur vie d’une mort certaine. Non, lui n’était pas comme ça, il était désespéré, il l’avait supplié et … Ses mots froids, glaçants et méprisants sortirent de sa bouche… Sa mutation, c’était tout ce qu’il avait retenu… Le frisson dans le dos de Lynda se diffusa dans la totalité de son corps qu’elle recula doucement tout en restant à terre. Elle ne serait pas capable de se relever aussi facilement.
« Je… »
Les mots suivants enclins à un dégout monstrueux envers Lynda la firent douter d’un coup de la pertinence de sa présence ici. Ces derniers temps, les rues n’étaient pas sûres. Et la pensée d’avoir soigné non plus une victime mais un criminel s’imposa alors à elle. Elle l’aurait soigné de toute façon, Lynda soigne tout le monde, sans distinction, sans jugement, mais cependant, elle aurait potentiellement pris des précautions pour sa propre sécurité. Et c’est dans cet instant, qu’au lieu de penser au spray au poivre qui se trouve à portée de main, elle pense à Charles ou même à Jessy et se dit qu’elle devrait se lever et partir d’ici tout simplement… Mais… son corps n’agit pas et à la place elle parle doucement :
« Je suis sincèrement navrée… Si j’avais pu faire autrement, je l’aurais fait mais… vous alliez mourir… Je suis médecin, j’ai fait le serment de soigner et de protéger les autres… Vous auriez préféré mourir, ici, tout seul ? »
La mutante a comme un léger tremblement et un mouvement de recul lorsque j'énonce sa misérable condition, la mettant face à sa monstruosité. Oui, elle est une mutante. Une aberration. Une erreur de la nature. Elle m'a soigné, certes. Mais cela ne change rien à ce qu'elle est. Il est même envisageable qu'elle utilise habituellement ses pouvoirs pour soigner d'autres mutants, nous freinant dans notre combat. Si c'est le cas, j'espère que mes collègues ont pu repérer l'endroit où elle opère et qu'elle fera bientôt partie de nos cibles. Elle n'a peut-être plus que quelques jours à vivre. C'est peu probable, mais cette pensée me fait tout de même du bien.
Alors qu'elle reprend la parole, mon expression de dégoût se mue en haine. Je n'ai que faire de ses excuses. Si elle s'est sentie obligée d'utiliser ses pouvoirs sur moi, c'est parce qu'une de ses congénères a bien failli me tuer en me blessant d'une atroce manière et en me laissant pour mort dans cette ruelle miteuse. Je fixe donc la médecin d'un œil mauvais, la bouche déformée par un rictus de colère et lui réponds sèchement :
« J'aurais préféré que les mutants n'existent pas. »
Je déboutonne la manche de ma veste en cuir pour la remonter et laisser voir le tatouage qui orne mon avant-bras droit, indiquant fièrement en lettres majuscules « Human Rules ». Cela pourrait se traduire de diverses façons : les règles humaines, la domination humaine, ou le règne de l'humain. Dans tous les cas, le message est clair. Je ne lui montre évidemment pas le tatouage des Héritiers, vu que le symbole est en train d'être tagué partout dans la ville, mais celui-ci devrait suffire à lui faire comprendre que je ne veux pas d'aide des mutants.
« C'est une mutante qui m'a mis dans cet état. J'ai été violemment agressé par quelqu'un de ta race. Alors n'espère pas la moindre reconnaissance de ma part. »
Moi aussi je protège les autres. J'ai simplement des méthodes plus radicales. Moi aussi je soigne le monde de la gangrène qui le ronge. Je devrais tuer cette mutante, sortir mon poignard et l'égorger sur le champ. Mais je doute d'en être capable, tant je me sens harassé par la fatigue. C'est d'ailleurs de sa faute à elle si je suis aussi épuisé. Elle l'a avoué un peu plus tôt. Je pourrais sans doute réussir à me relever et me saisir de mon arme, mais elle aurait le temps de prendre la fuite, potentiellement de prévenir la police. Ce n'est pas le moment de me faire arrêter. Je ne peux que la blesser moralement, en lui énonçant une vérité simple et claire :
« Le jour où nous cesserons d'aider notre prochain, à ce moment nous aurons perdu notre humanité.»
20.09.2024, nuit, ruelle du Bronx
La raison et la franchise n’eurent aucun effet sur cet homme dont la haine vorace envers les mutants n’était plus cachée. Elle avait tenté de lui faire comprendre que sans son intervention, il serait probablement mort seul, sans que quiconque, ni même le médecin le plus expérimenté, ne puisse faire quelque chose. Mais non, l’homme ne voulait rien entendre. Pire encore il parlait de race. Cette haine viscérale qui faisait commettre les actes les plus inimaginables guidés par la peur de l’autre. Lynda ne répondit rien, à la place, elle recula lentement, gardant son regard vers lui alors qu’il lui dévoilait son tatouage, parfaitement significatif de son opinion. Se tenant prête pour le moindre geste suspect qui pourrait la mettre en danger. Lynda était bienveillante et généreuse mais elle n’était pas folle ou naïve. Elle avait parfaitement compris que cet homme lui serait hostile à la moindre occasion et sa seule chance était de prendre de l’avance avant que la fatigue ne se dissipe pour lui.
Il vociféra d’autres propos – ou insultes – contre une autre mutante, celle-là même qui l’avait mise dans cet état. Mais considérant, son aversion pour les mutants, Lynda songea que peut-être c’était de la défense alors que lui l’avait attaqué. Elle ne le saura jamais et à vrai dire, cela ne la concerne pas. Pour la médecin, il y avait une personne qui avait besoin de soins, elle les lui avait fournis et cela s’arrêtait là.
« Je n’attendais rien. Je vous ai soigné c’est tout… »
Il est inutile de rester dans cette ruelle sombre plus longtemps, en compagnie de cet homme. Lynda se redresse alors d’abord sur ses genoux et puis sur ses jambes. Elle marque un pas pour retrouver son équilibre tant la fatigue est présente mais elle a l’habitude de cette fatigue. C’est son seul avantage sur cet homme pour partir la première.
« Je pense qu’il est plus sage que je m’en aille. Je ne vous ai jamais vu, ni soigné et vous ne m’avez pas vu non plus, comme ça, on continue nos vies chacun de notre côté. »
Tout en parlant, Lynda reculait de quelques pas, soigneusement lents pour ne pas le brusquer. Elle avait récupéré son sac au passage et continuait de fixer cet homme mais surtout ses mains.
« D’ici quelques heures la fatigue aura disparu et vous n’aurez pas d’autres séquelles que votre âme tourmentée. Bonne soirée à vous. »
Elle recula encore de plusieurs pas avant de faire demi-tour tandis qu’elle tournait au carrefour de la ruelle avec une rue plus passante malgré l’heure tardive. Aussitôt, la mutante soupira de douleur et de culpabilité. Le moment avait été bref mais intense et malgré toute la bonté dont elle pouvait faire preuve, elle restait humaine malgré tout. Il ne l’avait pas blessé physiquement mais moralement c’était autre chose. Elle se surprit alors à sentir une larme sur sa joue et en portant la main à son visage, elle remarqua que ses joues étaient humides. Ce n’étaient pas la première larme qui coulait mais le stress l’avait empêché qu’elle s’en rende compte.
Elle pressa alors le pas pour rentrer chez elle, changeant de chemin par rapport à d’habitude et regardant régulièrement derrière elle pour vérifier qu’elle n’était pas suivie. Soudainement, elle sentit une aura douce et chaleureuse qui l’enveloppa :
« Charles... »
Elle avait prononcé son prénom dans un murmure alors qu’il confirmait sa présence dans son esprit. Il avait senti qu’elle n’était pas bien et avait alors pris soin de vérifier si tout allait bien. Expliquant rapidement qu’elle avait eu une rude soirée sans entrer dans les détails. Nul besoin de lui parler de ce taré qu’elle avait soigné. Elle préférait se concentrer sur la chaleur procurée par la présence même psychique de son compagnon tout en rentrant chez elle. Lorsqu’elle fut enfin dans son appartement, Charles l’appela afin qu’il passe un peu de temps à discuter l’un et l’autre avant de se retrouver sous la couette, se promettant de se revoir très vite. Lynda s'endormit rapidement, aidée par le télépathe et elle ne repensa plus à cet homme… Pas avant plusieurs semaines en tout cas.
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