[Terminé] Se découvrir soi-même

« Tu es sûre de toi ? » Demande-t-elle d’une voix fébrile à celle qui l’accompagne et qui, d’un regard presque maternel, l’encourage avec douceur. Elles avaient évoqué ces séances d’entraînement à plusieurs reprises, la rousse repoussant sans cesse le moment fatidique comme si elle craignait de se retrouver face à elle-même ; aujourd’hui, Raven ne lui avait pas laissé la moindre chance de l’éviter. La Salle des Dangers avait été privatisée pour elles seules en cette fin d’après-midi, afin que la plus jeune se sente à son aise avec celle qui était comme une grande-soeur, et même Hank n’avait pas été autorisé à assister à cette première séance d’entraînement.  Jean n’avait toléré que la présence de son mentor féminin. « Je n’ai jamais utiliser ce pouvoir, seul le Phoenix maîtrisait le feu alors… » Alors comment peut-elle savoir si elle va pouvoir l’utiliser, elle ? Et si elle mettait le feu à la Salle des Dangers ? Ou pire, si elle brûlait Raven ? Si elle faisait du mal aux bébés ?

Tout à coup incertaine, la rousse plie ses sourcils avec désarroi tout en triturant ses mains avec nervosité, debout au milieu de la salle comme une statuette de papier prête à s’effondrer au premier coup de vent. Stressée, la rouquine lance un regard envieux vers les deux portes closes, qui le resteront et elle le sait : maintenant qu’elle a réussi à la traîner jusqu’ici, Raven ne la laissera pas repartir avant d’avoir observé un progrès chez sa recrue. Tu es une X-Men Jean, tu peux le faire. Tu as les mêmes capacités que le Phoenix. Le Phoenix, c’est toi. La jeune mutante essaye de se galvaniser avec des phrases encourageantes mais, si ce n’est pas le courage qui lui manque, c’est plutôt la confiance.

Une cible apparaît alors à quelques mètres d’elle, sous la volonté de la jolie blonde qui affiche les douces rondeurs d’une grossesse qu’on ne peut plus ignorer. « Et si je te mets en danger… Si je vous mets en danger ? » Restant dos à Raven, Jean fixe la cible en remuant nerveusement ses mains vers le bas, essayant alors de se concentrer du mieux qu’elle peut sur la tâche qu’elle doit exécutée, en faisant fi de l’angoisse qui pourrait la paralyser. Si le Phoenix l’a fait, elle peut le faire. Mais elle n’ose pas se lancer… Debout, immobile, régulant sa respiration, la jeune femme a tellement peur d’échouer et de décevoir son mentor qu’elle n’ose pas essayer…

Elle n’avait pas vu les yeux de la blonde qui s’étaient levés pour chasser ses craintes vers le plafond de la libération, et toisait plutôt le regard de son mentor avec  une appréhension bavarde, qui faisait presque trembler ses cils avec une rapidité exacerbée. Raven avait fait le déplacement jusqu’à elle, vêtue d’une combinaison protégeant sa peau des flammes qui allaient, peut-être, s’échapper de ses mains d’ici peu, mais ce n’était guère suffisant pour pleinement la rassurer.  « Nous ne craignons rien Jean. J’ai confiance en toi. » Dieu que ces mots lui faisaient du bien… Elle les avait accueilli en fermant les yeux, libérant son souffle par ses lèvres arrondies sous la forme d’un petit « o », tout en tenant les mains de Raven dans les siennes, les serrant légèrement comme pour puiser dans sa force, dans cette confiance imperméable qu’elle lui offrait, malgré tout ce qui s’était passé…

Mais alors qu’elle profitait de ce moment de douceur et d’encouragements pour faire le vide dans son esprit, rétablissant de l’ordre et de l’équilibre en chassant ce qui était une boule d’angoisse, elle sentit que ses mains étaient guidées vers l’avant, jusqu’à se déposer sur le ventre rond de la belle métamorphe. Raven, dans ce geste ô combien symbolique et complice, lui transmettait bien plus de courage et de confiance qu’elle ne pouvait l’imaginer. Très vite, Jean eut le loisir de ressentir, par des vagues réconfortantes, tout l’amour que son mentor éprouvait à son égard ; la rousse se sentit aussitôt libérée d’un poids immense, gorgée d’une confiance qui l’était tout autant, grâce à Mystique. La future mère exerçait déjà son rôle de protecteur à la perfection, nul doute qu’elle allait être un parent dès plus précieux. « N’aie pas peur. La peur est ton ennemi. Tu dois apprendre à la dominer. » Apprendre à la dominer. En était-elle seulement capable ? Raven l’affirmait, et Jean savait qu’elle ne mentait pas. Elle croyait sincèrement en elle.

Après une légère caresse appliquée au ventre de son mentor, la rousse s’était détournée pour faire face à sa cible, qu’elle fixait à présent avec une grande détermination. Les lèvres closes, le regard fixe, ses mains remontèrent lentement jusqu’à sa poitrine, paumes ouvertes vers son propre corps. Il lui fallait se concentrer, aller chercher, loin en elle, retrouver ce que le Phoenix avait enterré…

Lentement, ses yeux se fermèrent et ses lèvres s’ouvrirent sans qu’elle ne dise un mot ; pendant quelques secondes, rien, le silence, la quête, le travail de l’esprit. Puis, tout à coup, ses mains se mirent légèrement à trembler et l’on put voir, au coeur de ses paumes, des étincelles rougeâtres qui fulminaient : des étincelles s’échappèrent de ses doigts, pas assez pour produire des flammes mais, c’était un début.

Étant la première surprise — bien que c’était peu, Jean s’était retournée à demi vers Raven pour lui adresser un sourire complice, qui signifiait le début de la victoire. Elle n’avait pas encore totalement réussi mais avait trouvé, en elle, la capacité qui s’était révélée sous la présence du Phoenix. Son coeur battait rapidement dans sa poitrine, dans un sentiment de fierté et d’adrénaline, et son esprit euphorique eut alors une idée, que Raven allait peut-être trouver saugrenue : « Mes pouvoirs fonctionnent sous l’impulsion de mes émotions… Tu crois qu’il faudrait provoquer l’apparition de ce pouvoir ? Par une fausse attaque ? » Puisqu’elles avaient la salle des dangers pour elles toutes seules, autant en profiter un peu…

Galvanisée par l’euphorie de cette première victoire, Jean délaisse un peu son discernement pour la gourmandise, en affichant une envie imprudente d’user de ses pouvoirs sans encore totalement les maîtriser. Fort heureusement, Raven est présente pour tempérer les ardeurs de la plus jeune, la ramenant doucement à la raison : face à la sagesse des mots de la blonde, la rousse hoche son menton de haut en bas tout en remuant légèrement ses épaules, comme pour se concentrer davantage sur la tâche qu’on lui demande plutôt que de se laisser emporter par l’exaltation de sa réussite. C’est un premier pas encourageant, certes, mais elle est loin de la maîtrise qu’elle peut espérer atteindre, elle a encore beaucoup de travail devant elle. « Tu as raison… » Concède-t-elle d’une voix sérieuse, bien qu’elle fixe Raven durant quelques secondes d’un air intrigué, curieuse de sa phrase suspendue. Si elle associe son pouvoir à une émotion négative elle…? Semblant attendre la fin de cette phrase qui apparaît pour le moins importante, Jean arque l’un de ses sourcils tout en baissant légèrement son menton, questionnant silencieusement Raven du regard, elle attend quelques secondes puis se redresse, ayant ressenti une vague de tristesse de la part de sa comparse, qu’elle ne peut décemment interroger. Nul besoin d’être télépathe pour comprendre à qui Raven fait ici référence : Erik.

Pinçant ses lèvres l’une contre l’autre, Jean hésite à faire quelques pas pour consoler celle qui est comme une soeur à ses yeux, mais retient son geste en comprenant que celle-ci n’a pas envie de s’étendre sur le sujet, préférant plutôt se remettre au travail.
   Une cible orangée apparaît alors devant Jean, et celle-ci chasse ses pensées envahissantes pour se concentrer sur la demande de Raven. La création et le maintien d’une flamme. La faire passer d’une main à l’autre. La jeune mutante hoche son menton de bas en haut en assimilant rapidement cette idée, bien qu’elle doute toujours de ses capacités malgré sa première réussite et les encouragements de son mentor : « Je vais essayer. » Elle ne veut pas décevoir Raven, mais une part de son esprit sait également que l’amour qu’elles éprouvent l’une pour l’autre ne peut connaître les désagréments de la déception : tour à tour, elles sont tombées entre les mains de la Sorcière Sombre, toutes les deux, elles ont fait du mal à leur entourage mais, sans la moindre rancoeur, sans le moindre reproche, elles avaient su se retrouver. Et jusqu’à la fin, Raven sera de sa famille. Quoi qu’il arrive, quoi qu’il advienne.

« D’accord, j’ai compris… » Suivant les conseils de Raven, Jean ferme les yeux et expire par la bouche durant quelques secondes, les bras tendus devant elle et les paumes ouvertes vers le plafond. Il lui faut quelques secondes pour que son esprit s’apaise et se concentre pleinement et, dans la pénombre de la Salle des Dangers, une fine flamme fragile apparaît dans la main gauche de Jean : comme la lueur d’une bougie au milieu d’une vaste salle, la flamme grandit quelque peu sous la volonté de la mutante qui, gardant les yeux fermés, visualise son feu dans son esprit. Elle a réussi à la créer et à la maintenir, maintenant encore faut-il la faire passer à l’autre main… Deuxième expiration. Mais elle échoue dans cette tâche, car la flamme s’étiole et disparaît avant d’atteindre sa seconde paume, comme si un souffle invisible avait éteint la bougie. « Arg. » La frustration lui fait froncer les sourcils, mais elle se reprend rapidement en annonçant : « Je recommence. » Plusieurs essais sont nécessaires pour que la passation soit une réussite mais la rouquine, déterminée, ne lâche pas l’affaire. Enfin, lorsqu’elle réussit, elle relève légèrement sa paume droite comme pour la brandir devant Raven, un sourire de fierté aux lèvres. « Regarde ! » Clame-t-elle avec des yeux radieux, mais aussi empreint d’une certaine gratitude à l’égard de son mentor. Tout cela, c’était grâce à Raven.

Indiscutablement, la confiance qui liait les deux jeunes femmes était un élément essentiel au développement des pouvoirs de la plus jeune : Raven agissait de manière désintéressée, ne trouvant pas d’autre but que celui d’aider son étudiante à progresser et celle-ci, allouant une parfaite croyance en son mentor, puisait dans les tréfonds de son énergie et de ses capacités pour lui faire honneur, ne voulant pas la décevoir tout en ayant la certitude que l’échec ne changerait rien à leur relation.

Le climat de sécurité lui permit donc de réussir à créer une flamme, au prix de nombreux essais pas toujours concluant ; Jean était à la fois émerveillée et ébahie de découvrir qu’elle possédait, en elle, ce pouvoir. Elle avait cru qu’il s’agissait d’une spécificité propre à son double, car elle dissociait encore l’enfant meurtrie qui avait secrètement existé dans son esprit, de sa propre personne. Pourtant, elle savait qu’il n’existait qu’une seule entité. Ce que le Dark Phoenix avait été capable de faire, Jean le pouvait aussi. Sur papier, cela semblait simple.

Enfin, la réussite : une flamme, aussi fragile et frêle qu’une lumière rabrouée par le vent glacé de l’hiver, était née de sa paume. La flamme était apparue en faisant naître un sourire sur les lèvres des deux mutantes, et la plus jeune avait même écarquillé les yeux en soulevant ses sourcils, étant la plus surprise des deux. Elle avait réussi ! Elle en était capable. Il lui faudrait de l’entraînement et du temps mais, avec Raven comme mentor, nul doute qu’elle allait y parvenir. Ensemble, elles allaient y parvenir.

Mais la flamme vacille au moment où elle s’apprête à la passer dans l’autre main ; la frustration est terrible pour le Phoenix qui, fronçant son petit nez en même temps que ses sourcils, recommence aussitôt : calmée par les mots tempérants de Raven, Jean secoue légèrement ses épaules tout en essayant de se calmer. La blonde a raison ; il ne faut pas brûler les étapes. Il faut prendre son temps. « Désolée… » Marmonne-t-elle en posant un regard sur Mystique, ses mains retombant vers le bas. Prenant quelques secondes pour respirer, se vider la tête et reprendre ses esprits après l’euphorie de la première réussite, la rouquine recommence sa tâche avec davantage de concentration : là encore, plusieurs essais sont nécessaires à la concrétisation du geste, et la fatigue commence alors à se faire ressentir, bien que les encouragements de Raven lui provoque un  fourmillement de sentiments positifs.

Soufflant, Jean ferme les yeux quelques secondes tout en balançant sa nuque en arrière pour essayer de détendre ses muscles engourdis. Elle utilise ses mains, alors pourquoi a-t-elle aussi mal au dos ? Ramenée à la réalité par la voix de Raven, Jean pose ses doigts espacés sur ses propres hanches tout en écoutant attentivement son mentor, qui lui programmait déjà un exercice qui semblait bien compliqué.

Des petits points blancs étaient apparues entre les deux jeunes femmes, obligeant la plus jeune à froncer de nouveau les sourcils, sans contrariété mais plutôt de concentration. « Il faut que ma flamme suive le chemin, c’est ça ? » Raven est exigeante… Il faut déplacer la flamme, exercice déjà périlleux, mais aussi réussir, tout en la maintenant vivace, à la diviser pour transmettre de son feu. Affronter la Sorcière Sombre semble plus facile. « Bon… » Elle tente de se motiver mais elle est bien la dernière à y croire.

Fermant les yeux, la rousse inspire profondément avant de souffler, ramenant toute sa concentration sur la mission que Raven vient de lui confier ; du bout de ses doigts tendus, une flamme apparaît après quelques secondes, presque une minute, et grandit faiblement. Tendant alors sa main vers le premier point blanc, la mutante déplace sa flamme jusqu’à celui-ci mais ne parvient pas, malgré tous ses efforts, à l’embraser. Il fallait, mentalement, maintenir le feu tout en le portant sur une cible ; pour l’heure, c’était encore une tâche bien difficile. « Je n’y arrive pas… » Marmonne-t-elle en se débattant intérieurement, des perles de sueur commençant à apparaître sur son front. Relâchant finalement la pression, elle abaisse son dos en appuyant ses mains sur ses cuisses, demandant d’une petite voix : « On peut faire une pause ? »

L’entraînement est éprouvant, mais Jean ne rechigne pas à la tâche et s’y emploie avec une grande détermination et application, même lorsqu’elle sent que son corps commence à venir à bout de ses dernières forces. Ou peut-être est-ce sa fatigue mentale qui se répercute sur son physique ? En tous cas, ses muscles finissent par s’engourdirent, son dos devient douloureux et une barre vient alourdir son front, perlé de sueur. Elle n’a plus la force de continuer. Mine de rien, cultiver ses pouvoirs et les développer demandent une grande énergie, c’est pourquoi elle demande une pause ; une main appuyée sur sa hanche, l’autre venant tapoter son front avec sa manche, elle attend la réponse de son mentor… D’abord silencieuse, celle-ci finit par acquiescer, soulageant ainsi la jeune fille qui soupire sans même s’en rendre compte.

Désireuse d’étirer son dos tiraillé par des tensions d’efforts et de nervosité, elle le courbe en appuyant ses mains sur ses cuisses, rapidement rejointe par Raven qui dépose ses mains sur les siennes. « Je sais… Je me demande encore comment elle… Le Phoenix. Comment il a pu développer ce pouvoir. » Raven ne peut sûrement pas répondre à cette question, mais elle est la seule avec qui elle se sent libre d’évoquer son double ayant semé le chaos. Non pas que Raven avait été épargnée, loin de là, mais Jean sait que son amie, sa soeur, est capable de tout entendre et de tout accepter. Entre elles, l’amour est indéfectible.

« Je te fais confiance. Tu sais comment nous torturer ! » La plaisanterie a au moins le mérite de faire naître un sourire sur les lèvres de la rousse, qui se redresse en regardant ses mains un court instant, s’octroyant le mérite d’avoir progressé. Pas autant qu’elle l’aurait voulu mais… Un autre jour, comme dit Raven. De toute façon, son intérêt est rapidement porté sur autre chose !

Les lèvres portées en avant dans une sorte de moue étonnée, elle fronce légèrement ses sourcils tout en disant, d’une voix suspicieuse mais enjouée : « Un hammam ? Nous avons un hammam à l’Institut ? » Et pourquoi ne l’apprend-t-elle que maintenant ?! Un sourire encore plus grand que sa surprise apparaît sur ses lèvres, et elle ne perd pas de temps pour attraper le bras de sa comparse en lui disant, telle une enfant impatiente : « Où est-il ? »