Une faible flamme jaillit du briquet, et enflamma l'extrémité de la cigarette. La fumée envahit rapidement ma gorge, mon nez et mes poumons dans une sensation à la fois désagréable et libératrice.
Je soupire, relâchant la fumée par le nez, et avale une gorgée de bière. Je me suis réfugié dans le bar dés la tombée de la nuit. Je devrais pourtant être chez moi, à me reposer, à profiter de ma famille et d'un bon dîner... Mais je n'en avais pas envie. Je n'en ai plus envie. Je suis parti quasiment sans dire un mot, enfourchant ma moto et m'éloignant de Staten Island. Bon sang, New York est si grande, je ne m'en rends compte que maintenant, alors que j'en explore seul les rues, esquivant les voitures et me glissant dans les espaces étroits. Je retrouve ce petit plaisir que je n'avais plus connu depuis mon mariage : être seul sur ma moto. J'avais quelque peu délaissé cette dernière depuis quelques années. Je ne la prenais que pour quelques rares virées avec l'un de mes enfants, comme je l'ai fait avec Earwen quelques temps après notre retour d'Alfheim. Elle prenait la poussière dans notre garage, sa carlingue noire devenant peu à peu grise et sale. Après un bon nettoyage, la revoilà sur les routes, fière, vive et impatiente d'en découdre. Cela m'avait manqué.
Me voilà à présent assis dans ce bar, que je connais bien. Aaron connait son propriétaire, et il est arrivé, plus d'une fois, que nous nous retrouvions à célébrer tel ou tel évènement ici, entres mecs. Je ne suis pas du genre à boire beaucoup en soirée, car je suis souvent celui qui ramène tout le monde à la maison, mais je dois avouer que les toilettes auront déjà accueilli mon ivresse avec toute la dignité dont une cuvette en inox est capable. Ce soir, en revanche, je n'ai pas envie de me mettre dans un tel état. Déjà parce que je dois rentrer seul, mais également parce que j'attends quelqu'un. A peine arrivé, j'ai dégainé mon téléphone pour demander à Aaron si un verre ou deux le tenterait. Je n'ai pas eu à attendre longtemps, il m'a dit qu'il arrivait. Nous n'avons eu guère l'occasion de parler depuis Alfheim... Il est temps de nous retrouver, enfin.
Je ne pense pas que je vais déposer tous mes problèmes sur la table, sauf s'il me le demande et qu'il insiste un peu. Je ne suis pas du genre à m'apitoyer sur mon sort. Après tout, c'est de ma faute si j'en suis là, actuellement, je n'ai pas à me plaindre, je dois assumer, point. J'avale une autre gorgée de bière, prends une nouvelle bouffée de fumée et débarrasse la cigarette de son surplus de cendres. Je me suis installé à l'écart, dans le coin fumeur du bar, et je me satisfait de ne pas me retrouver dans la foule. Le bar est fréquenté, ce soir. J'ai troqué mon habituel costard de travail contre un simple pull, un jean et une paire de baskets qui ne font que symboliser mon épuisement et mon envie de tranquillité. A quoi bon chercher à se faire beau quand on est marié ? De plus, je n'ai pas encore reçu de nouvel œil cybernétique. J'aurais pu retourner dans le caisson, et faire "repousser" mon œil disparu, mais je tenais à reprendre le travail comme avant, avec ma prothèse si pratique. A la place, histoire de ne pas rester dans cet état trop longtemps, j'ai fait installer un œil de verre. Mais je ne l'aime pas, et la sensation est très inconfortable. Pour éviter de me gratter la paupière à longueur de journée, j'ai déposé par dessus un cache œil, me donnant un petit air de pirate qui plait beaucoup à Cirth.
L'autre avantage à cela, c'est que cela repousse les éventuels curieux.
La porte s'ouvre sur mon ami, et je fais un salut pour signaler ma position. Il s'avance, droit et fier, ce héros blond qui m'a sauvé la vie et qui sait trouver les mots, en toute circonstances. Lorsqu'il arrive à ma hauteur, je me lève et le salue d'une franche accolade en lui disant : Cela faisait longtemps mon ami.
Ces derniers jours, ou même ces dernières semaines n’avaient pas été évidentes. J’avais couru partout, faillit perdre par deux fois mon ami d’enfance et par deux fois mon meilleur ami. Ma cheffe m'avait dit de prendre quelques jours de congés mais je lui avais répondu non. Dans le fond, je crois que j'avais besoin de travailler. Et puis il fallait quand même que je garde un œil sur Gabriela…
Avec tout ça, j'avais cette impression que ma vie avait repris son cours normal sans que je me rende compte. C’est assez étrange comme parfois l’on se focalise sur des idéaux passés, des souvenirs indémodables, des investigations interminables alors que finalement la vie continue. Les gens se lèvent tous les matins, vont au travail, continuent leur vie quand moi j'avais cette impression que la mienne s'était complètement arrêtée. Et puis il y avait eu Gabriela, entre autres choses, qui m'a permis d'avoir à nouveau une lueur d'espoir pour un avenir plus rayonnant. Elle avait cette aura, cette joie de vivre, qui faisait que chaque fois que je pensais à elle, j'avais aussitôt le sourire aux lèvres. C'était une étrange sensation que je n'avais pas ressenti depuis bien des années, mais je savais très bien que ce genre de sentiment n'était pas possible ni pour elle, ni pour moi, pas pour l'instant.
Les klaxons des voitures qui attendent derrière moi me rappellent qu'à l'ordre, le feu est passé au vert. J'accélère doucement la moto car je ne suis plus très loin du Molly's. Plus tôt dans la soirée, j'ai reçu un texto d’Aemon qui me demandait de le retrouver au bar de Samuel. Visiblement, ces derniers temps n'avaient pas étés évident pour lui non plus. J'avais eu deux/trois échos à propos de la mission des héritiers qui n'avaient pas fait plaisir à la direction. Sans forcément lui demander son reste, je lui avais tout de même proposé que s'il voulait sortir, il n'avait qu'à m'appeler chose qu'il a faite du coup ce soir.
Quelques minutes plus tard à peine, je me gare devant le bar. En retirant mon casque comme par réflexe, je me remets les cheveux en place et cela fait rire les quelques nanas qui sortent du bar à ce moment-là. Le sourire aux lèvres. Je descends de ma bécane et arrive dans le bar où je croise rapidement le regard - d'un seul œil - de mon meilleur ami. Je m'approche de lui rapidement alors qu'il se lève pour me faire une accolade. Tapotant doucement son dos en même temps que je lui réponds en rigolant:
« Bah dis donc tu te la joues en mode patron aujourd'hui ?! »
Référence peu subtile à notre chef mais la vanne me fait rire. L'instant d'après je me retrouve assis à côté de lui et fais signe au barman. Le gars commence à me connaître et je sais qu'il connaît ma demande avant même que je lui dise. Ensuite, je me tourne à nouveau vers Aemon. Il était vraiment temps qu'on passe du temps ensemble, juste tous les deux :
« Bon alors qu'est-ce que tu deviens? Dis-moi tout. C'est pas souvent que tu sors à cette heure-ci et tout seul… »
Aaron, fidèle à lui même, toujours avec le sourire et une petite plaisanterie au coin des lèvres.
Alors que nous échangeons une sincère accolade, il me demanda si je me prenais pour Fury, et je laisse échapper un rire bon enfant. Il n'a pas tort, on aurait pu croire que je tente de lui ressembler. J'aurais du me dessiner quelques cicatrices sur la figure, cela aurait été plus impressionnant qu'un simple cache œil. Aaron s'assit ensuite à mes côtés et fit un petit geste vers le barman qui hocha la tête. Mon meilleur ami est un habitué, et, rapidement, sa commande arriva, comme si elle attendait sa venue. Cela me fit sourire, et me conforta dans l'idée que je devrais venir ici plus souvent, les patrons sont très attentionnés envers leurs clients. Je trinque alors avec mon ami et bois avec lui une gorgée bienvenue de notre boisson. Passer du temps ensemble, rien que tous les deux, m'avait manqué.
Il me demanda alors de lui raconter ce qu'il s'était passé depuis notre dernière rencontre. Il souligna le fait qu'il était rare que je sorte seul et aussi tard. Je réponds à cela par un petit sourire triste et passe une main dans mes cheveux. Avant de lui répondre, je me rallume une cigarette et lui en propose une. Qui sait, peut être s'est il mis à fumer lui aussi ? Je préfère proposer, sait on jamais. Aaron est l'un des rares, avec Moira, à se souvenir d'un Aemon fumeur. Cela remonte à plus de seize ans, et j'avais arrêté dés que j'ai appris la grossesse de Moira. Les jumeaux sont nés, et je n'avais jamais repris. J'avais cependant conservé un paquet, toujours à portée de main, pour me rappeler que je ne devais pas céder à la tentation. Cela a eu l'effet totalement inverse. J'ai repris dés que j'ai appris la seconde grossesse de Moira, pour le plus grand mécontentement de cette dernière et de nos enfants.
Je prends une première bouffée de fumée et la rejette par le nez, détournant la tête pour ne pas gêner mon meilleur ami. Je lui dis alors, avec un petit sourire : Décidément, tu lis en moi comme dans un livre ouvert mon ami... En effet, c'est... Compliqué en ce moment. Je retourne la tête vers lui pour croiser son regard. Je reprends : Comment te résumer cela sans t'assommer ... La dernière mission a été une catastrophe, je supporte mal l'absence de ma fille et... Enfin... la grossesse de Moira est en train de nous détruire. J'ai l'impression d'être le méchant, le monstre qui ne veut pas de cette nouvelle vie, et cela m'insupporte. Moira ne réagit qu'à peine, même quand je la pousse à la confrontation. J'ai... Ce n'est pas facile, j'ai vraiment l'impression d'être marié à un bloc de glace. Elle est dans son monde, heureuse d'être dans son cocon familial, avec nos jumeaux et son enfant à naitre... Et j'ai de plus en plus le sentiment que je ne devrais pas en faire partie. Elle ne me touche que rarement tu sais ? On a du le faire... Une ou deux fois depuis la défaite de Thanos...
Je baisse les yeux et tire nerveusement sur ma cigarette. Je passe une main dans mes cheveux et lui souffle, avec un petit rire : Mais je t'embête avec mes problèmes. Raconte moi toi, que deviens tu ?
Je commençais à bien le connaître le bon vieux Aemon. Lui qui était le père modèle et le mari idéal pour beaucoup, presqu’un exemple pour les autres qui faisaient pâle figure à côté de lui, moi y compris. Mais ces derniers temps, je le voyais bien il n’était plus que l’ombre de lui-même, devenant plus froid, plus impatient, plus mordant dans ses remarques et autres petites pics. Pire j’avais eu des échos comme quoi il y avait eu du grabuge entre lui et Lùthien pendant une mission. Lui qui était toujours très professionnel, plus que moi d’ailleurs. J’avais toujours tendance à garder le sourire même lorsque la situation devenait délicate, lui gardait son sérieux et son professionnalisme à toute épreuve, même si j’arrivais sans mal à lui décrocher un sourire en mission.
Ce soir, cela semblait être tout aussi compliqué que ces dernières semaines malgré le fait que j’eu le droit à un franc sourire et même un rire lorsque j’arrivais à sa hauteur en lui balançant une connerie comme à mon habitude. Je ne tarde pas à être servi et l’on trinque alors tous les deux avant que je prenne une longue gorgée bien méritée à mon gout. La bière ici est bonne et je remercie Samuel de privilégier la qualité dans son bar.
Après quelques instants, je remarque la détresse silencieuse de mon meilleur ami et décide de lui faire cracher le morceau. Il a toujours été présent pour moi, dans les moments joyeux comme les plus compliqués. C’est à mon tour d’être là pour lui mais tout d’abord, je voudrais bien savoir ce qui le tracasse tant. Je le regarde alors prendre une cigarette et décline sa proposition car je ne fume pas. Mais de mémoire, il me semblait que lui avait arrêté y’a un bon moment maintenant. Bordel, ça doit vraiment pas être la joie. Mon regard sur lui devient un peu plus inquiet alors qu’il commence à me parler. Je le regarde et l’écoute mais je reste surtout assez perplexe face à ses mots qui sont assez durs envers Lùthien. Néanmoins, je ne le juge pas, Aemon est un homme droit, s’il pense ainsi c’est qu’il y a vraiment un problème. A moi de l’aider au mieux. Je place naturellement mon coude sur le bar et ma main vient jouer avec ma barbe fine tout en réfléchissant à ce qu’il m’avoue et à mes paroles réconfortantes que je vais devoir trouver. Il semble résigné et tente de détourner le sujet mais je reste concentré. Mon autre main vient se poser sur son épaule alors que je le regard avec sérieux – pour une fois.
« On pourra parler de moi plus tard t’en fais pas. Si tu as un souci mon ami, on peut en discuter et tu sais bien que tu ne me dérange jamais. »
Je réfléchis encore quelques secondes avant de prendre une gorgée de bière et de poursuivre la conversation initiale :
« J’suis pas le plus doué en conseil conjugale, surtout ces derniers temps, mais de ce que je sais, la dernière mission n’a pas totalement été un échec… Ouais bon vos embrouilles au boulot c’est pas le top mais Hill, elle t’a pas rétrogradé non ? Donc c’est que ça doit aller niveau taf quoi… Pour Earwen, je me doute… Ma princesse me manque aussi et je ne suis que son parrain mais elle est dans un endroit où elle pourra bien maîtriser ses dons. Je pense que pour elle c’est le top et puis y’a ptet moyen de lui rendre visite… enfin j’imagine…. »
Venait maintenant la partie qui semblait la plus délicate… J’inspirais un coup avant de poursuivre :
« Pour Lùthien et toi... C’est plus compliqué… Que vous ne vous touchiez pas des masses, je crois qu’il y a pas mal de couple comme ça… Surtout avec une femme enceinte… Avec Clara, y’a eu 9 mois d’abstinence quand elle attendait Elena… et ouais je te l’accorde c’est frustrant… »
J’essayais de dédramatiser mais sans être certain que cela fonctionne :
« Pour le bébé, et votre couple, c’est con mais je crois qu’il y a que la communication qui pourra vous aider… Si tu la pousse la confrontation et que ça marche pas, p’tet une méthode plus douce ou alors p’tet vous faire aider par une tierce personne. Y’a pas de honte à avoir pour un couple comme le vôtre. Vous avez traversez pas mal d’épreuves c’est normal que cela n’aille pas toujours droit… Mais surtout faut que t’arrives à lui faire comprendre que pour toi c’est pas l’éclate quoi… une lettre ou autre ? J’sais pas, un truc qui la fera réagir… »
Je repose ma main sur l’épaule de mon ami, mon frère d’arme et mon frère de cœur :
« T’es amoureux de ta femme, je le sais, je te connais. Vous vous êtes battus pour vivre votre amour… ça s’rait con que ça pète maintenant entre vous après tout ce que vous avez vécus… »
J’espérais aider Aemon avec mes mots, peut-être un peu maladroit mais en même temps, j’étais pas le doué du monde pour parler de cœur :
« T’es pas le méchant de l’histoire Aemon, t’es juste un mec qui traverse un changement dans ta vie et dans ta famille… ça fait pas de toi quelqu’un de mauvais mais quelqu’un d’humain… ça te touche c’est logique mais maintenant faudrait que vous trouviez une solution tous les deux pour que tu retrouves ta place dans tout ça… »
Aaron n'est pas seulement mon meilleur ami. Il est l'un des piliers de mon existence, l'homme sur qui je peux compter, à qui je peux confier mes secrets les yeux fermés, à qui je laisserais sans hésiter tout ce qui compte pour moi. Je donnerais ma vie pour lui, s'il me le demandait, et je sais qu'il en est conscient. Aujourd'hui encore, j'ai besoin de lui, et il a répondu à mon appel. Il se montre compatissant, et ne s'offense même pas quand j'oublie qu'il ne fume pas. C'est un ami en or, vraiment.
Très mal à l'aise, je lui expose mes difficultés, mes doutes, et je commence par mes soucis au travail. Il me rassura sur le fait que la mission n'avait pas été un échec, et que je n'avais pas été sanctionné, je relève la tête vers lui et lui offre un triste sourire. Je lui souffle alors : Tu connais Hill, mon ami. Pas une expression, rien. Elle ne m'a pas rétrogradé, certes, mais je me suis senti inutile, incompétent et puis... Comment te dire ça... Tu vas sans doute me prendre pour un taré, mais je sens au fond de moi que... Non, laisse tomber. C'est stupide... J'allais lui avouer que je sentais que quelque chose puait au sein du SHIELD, que quelque chose n'allait pas au sein de notre système, de notre organisation. Je sens au fond de moi qu'il y a une possibilité qui fait que Zemo et tous les dégénérés de son genre ont peut être finalement raison. J'allais lui avouer qu'il serait peut être temps pour moi de passer à autre chose, ou alors que je songeais au contraire à rester, tout en agissant de mon côté. Mais, malgré toute la confiance que je lui accorde, est ce qu'il me comprendrait ?
Heureusement, nous changeons de sujet, et je lui parle de ma fille. Il me dit que cela avait été dur pour lui aussi, quand sa fille était partie, et il ajouta que je pouvais toujours aller voir Earwen à l'Institut. Je me sens soudain con de lui avoir parlé de ça, alors qu'il souffre sans doute plus que moi. Je passe une nouvelle fois la main dans mes cheveux, mal à l'aise, et je lui dis avec une grimace : Je suis désolé, je me plains alors que pour toi c'est plus difficile encore... Oui je peux la voir à l'Institut, et elle progresse beaucoup. Elle me montre ses pouvoirs... Je me dis qu'elle sera bientôt capable de se protéger seule, de veiller elle même sur son petit frère et sur sa mère. Je suis fier d'elle, mais j'ai peur. Peur de ce qui arrivera quand elle n'aura plus besoin de moi. J'avale une gorgée de ma bière, prends une bouffée nerveuse sur ma cigarette, rejetant la fumée par le nez avec un soupir.
Vint ensuite la partie la plus délicate : mon épouse. Je l'aime, passionnément, mais c'est devenu très compliqué ces derniers temps. Je lui parle tout d'abord du fait que cette abstinence forcée commence à me peser, et que je me sens frustré. Je n'ai jamais été voir ailleurs, même si je sais que Luthien n'y verrait pas d'inconvénient, je me suis imposé moi même ces limites afin d'être sur et certain qu'elle sera toujours la seule dans mon cœur.. Et c'est ce qui a contribué à notre mésentente récente. Aaron me dit qu'il avait lui aussi éprouvé des difficultés quand sa femme était tombée enceinte, et il me dit que cela changera une fois le bébé venu au monde. Je laisse échapper un rire nerveux et lui réponds, amer : Alors cela doit faire plus de vingt ans que Moira est enceinte... Je ne dis rien de plus, car je sais qu'il comprendra ce que j'insinue. Bon sang, il a fallu que j'épouse la plus belle princesse d'une planète lointaine, et elle n'est pas portée sur la chose... Une vraie princesse Disney quoi, tout est dans un conte, ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants... Comment ils font, les princes ? Un coup de baguette magique et voilà ?
Je lui parle ensuite du fait que Moira prends tout avec le sourire, et qu'il est quasiment impossible de la pousser à la confrontation. Aaron me proposa alors de lui écrire une lettre, ou de tenter un autre moyen pour tenter de communiquer avec ma femme. J'hausse les épaules et, avec un sourire, je lui dis : Une lettre oui, je vais faire ça, sinon je pensais à laisser Cirth chez un de ses copains et passer la soirée en tête à tête avec elle, afin de lui parler, sans rien dissimuler... Il me dit ensuite que je suis amoureux de ma femme, et qu'il serait bête de tout gâcher maintenant, alors qu'on s'est battu pour pouvoir vivre notre amour. Tirant sur ma cigarette, je lève les yeux vers lui, plongeant mon regard dans le sien. Il est sincère, il sait ce qu'on a vécu après tout. Il me dit ensuite que je ne suis pas le méchant dans cette histoire, que j'étais juste un mec qui traversait un changement dans sa vie et dans sa famille, et que cela ne fait pas de moi un homme mauvais. Je lui réponds alors, en secouant la tête : Alors, pourquoi je n'en veux pas ? Pourquoi je ne veux pas de cet enfant ? C'est terrible Aaron, il n'a rien fait ce petit, mais je n'en veux pas dans ma vie, je me hais pour ça... C'est pour ça que je me dis que je n'ai finalement pas ma place dans cette famille, quelque chose ne tourne pas rond chez moi... Je baisse la tête et passe une main dans mes cheveux, essayant de cacher les larmes qui perlent aux coins de mes yeux. Serrant le poing et les dents, je lutte pour reprendre contenance, et je souffle un grand coup avant de relever la tête et de dire : Désolé, je ne veux pas t'imposer ça. Tout ça, c'est pas grave au final...
Mon ami, mon meilleur ami, un frère d’arme et de cœur, voilà ce qu’est Aemon pour moi. Il compte tellement à mes yeux que je donnerais tout simplement ma vie pour lui. Ce soir, il semble vraiment déprimer, résigné, maussade et j’ai cette curieuse impression que malgré mes paroles, malgré mon soutien la situation ne s’arrangera pas en un éclair. Mais que pouvais-je faire d’autre hormis être présent pour lui.
« Si tu veux en parler franchement, n’hésites jamais. Pas avec moi. Tu me connais quand même Aemon. Quant à Hill, elle ne grogne plus qu’elle ne mord et puis l’on sait tous les deux que tu es un très bon agent alors c’est pas un petit écart de conduite une fois, qui va noircir ton CV. »
Le sujet dévie sur la famille et non plus sur le travail même si dans le cas d’Aemon tout est intrinsèquement lié puisque sa collègue de travail est sa femme. Mais lorsque l’on parle Earwen, c’est surtout l’angoisse de la voir grandir que je reconnais dans mon ami et pour cause, cette angoisse je l’ai vécu en direct quand je me suis retrouvé face à ma fille que j’avais quitté enfant et que j’avais retrouvée adulte sur Alfheim.
« Une fille a toujours besoin de son père. »
Je pose une main sur son épaule pour appuyer mes propos :
« Earwen aura toujours besoin de toi. Je peux te l’assurer. … J’vais te dire un truc que m’a dit Elena quand on était là-bas. J’ai les mêmes peurs que toi et je lui en ai parlé et elle m’a regardé droit dans les yeux et m’a dit « Papa, tu es et resteras toujours mon père, même dans un autre monde, je t’aime et j’aurais toujours besoin de toi dans les situations délicates. » Alors crois-moi quand je te dis que tu as ta place dans sa vie et ça pour toujours. »
Lorsque la conversation dévie sur Lùthien tout devient plus tendu. C’est comme si le sujet était épineux au possible et qu’importe mes paroles pour le réconforter je n’étais pas certain de trouver les bons mots :
« C’est parce que tu es un homme dont les enfants grandissent et qu’il va falloir replonger dans les affres de la parentalité. C’est parce que tu n’étais pas préparé à ce qu’elle t’a annoncé et que tu te sens probablement mis au pied du mur… Je pense que ça fait un moment maintenant qu’on est parents et que là c’est comme si tout repartais à zéro mais attends te le voir, attends qu’il naisse pour qu’il puisse prendre ton p’tit doigt avec sa main fragile et là si tu n’en veux toujours pas, l’on en reparle. D’accord ? »
Je bois une gorgée de ma bière avant de la reposer lorsqu’il ajoute que ce n’est pas grave :
« Si mon meilleur ami ne vas pas bien alors pour moi c’est important et si en parler te fait du bien alors franchement vide ton sac. Si c’est te prendre une cuite que tu veux l’on peut la prendre ici ou alors je nous emmène ailleurs. Cela reste entre nous. Y’a un endroit qui te tenterait pour te vider la tête et te changer les idées ? »
Ma proposition était une offre avec un choix cornélien à faire. Aemon connaissait mon pouvoir de téléportation, je pouvais l’emmener littéralement partout dans le monde.
Pourquoi est ce que j'avais l'impression qu'il ne comprenait pas ?
Aaron est mon meilleur ami, le frère que je n'ai jamais eu. Je l'aime profondément et je serais capable de donner ma vie pour lui mais, en cet instant, je sens comme un fossé qui, lentement mais irrémédiablement, se creuse entre nous. Je reste stoïque, essayant de ne pas m'énerver, car ce n'est pas le moment. Il me dit cependant que je pouvais tout lui dire, que j'étais son meilleur ami après tout et qu'un petit écart de conduite ne va pas noircir mon CV. Je lève alors mon œil valide vers lui. Je lâche un petit soupir et passe une main dans mes cheveux avant de décider, une fois de plus, de lui accorder ma pleine confiance. Je lui souffle, en me penchant vers lui : Ecoute... Je... Comment te dire ça... Ce n'est pas Hill, ou la mission, même si cela a contribué dans ce ressenti.. Je sens qu'il y a quelque chose de pourri, au sein du SHIELD. Cela sent mauvais mon frère, et en faire partie commence vraiment à m'écœurer. Des outils, de simples pions, voilà ce que nous sommes aux yeux du SHIELD qui sacrifiera ses hommes par milliers pour parvenir à ses fins.
Je secoue la tête, ne voulant pas en dire plus. Je lui fais confiance, mais je pense que, comme le talentueux agent qu'il est, il n'hésitera pas à me jeter en prison ou à m'arrêter tout court s'il sait ce que j'ai en tête en cet instant. Je ne veux plus arrêter Zemo, je veux le rencontrer, lui parler, apprendre de son expérience à lui pour devenir un homme meilleur, un homme qui saura protéger sa famille. En parlant de famille, notre conversation dérive sur ma fille et sur le fait que la voir partir et grandir m'effraie. Je ne peux comparer ma situation à celle de mon meilleur ami, car il a beaucoup plus souffert que moi ces derniers temps, surtout depuis notre retour de la planète natale de ma femme. Mais je ne peux m'empêcher de ressentir ce même sentiment. Il me rassura, me disant que ma fille aurait toujours besoin de moi. Je souris et pose une main sur son bras. Je serre doucement les doigts sur son muscle et lui souffle : Merci... Tu sais toujours trouver les mots toi...
Nous parlons ensuite du bébé de mon épouse, celle qu'elle porte encore et qui naitra d'ici quelques mois. J'avoue à Aaron que la venue de cet enfant me rends plus mal à l'aise qu'autre chose et que je n'en voulais pas dans ma vie. Il me dit que c'était une réaction normale mais que cela changera quand ce bébé viendra au monde et qu'il prendra mon petit doigt dans sa petite main toute fragile. Je baisse la tête, me sentant soudain très mal à l'aise. Je n'ai pas envie que cela arrive, je vois sa venue comme un problème, non pas comme une bénédiction, et j'ai l'impression d'être le méchant dans l'histoire. Encore pire, j'ai le sentiment que personne ne peux me comprendre. Tous partent du principe que cette naissance est un cadeau du ciel et que, d'ici quelques mois, je le comprendrais enfin, mais je n'ai pas envie de comprendre ! Je ne veux qu'une chose : que tout cela s'arrête !
Je ravale alors un commentaire qui aurait pu blesser mon ami et lui dis à la place, en haussant les épaules : Si tu le dis... Mais je ne suis pas convaincu. Je préfère en rester là, de peur de me montrer méchant et sec. Aaron est mon ami, je ne veux pas le perdre à cause d'un mot prononcé sous le coup de la colère. Il me demanda alors ce que je souhaitais faire, afin de me changer les idées. J'hausse une nouvelle fois les épaules avant de boire une nouvelle gorgée de bière. Je lui dis : On peut rester là... Si ça ne te dérange pas... Je ne me sens pas de bouger...
Voir ainsi Aemon était relativement troublant pour moi. J’ai toujours connu mon meilleur ami comme étant quelqu’un de positif ou de confiant mais alors qu’il se tenait à mes côtés, j’avais le sentiment d’être en face d’un homme en proie à la confusion et au doute. Cela ne tarde pas à se vérifier lorsqu’il se confie à moi en me livrant ses doutes et ses pensées… Il doute du S.H.I.E.L.D., de son système. Ses mots me laissent perplexe durant quelques instants et je réfléchis à ce qu’il me dit. J’entrouvre un instant mes lèvres mais aucun son ne sort alors que mon regard quitte Aemon pour se perdre dans le vide. Il y a quelques années, je me serais offusqué de ces paroles et je l’aurais probablement réprimandé pour le fait qu’il pense ainsi et qu’il en parle surtout mais maintenant je ne suis plus le même homme. Trop de deuils, trop de soucis personnels, trop de combattants perdus… Je ne sais pas, je suis perdu :
« Tu … Je vois… enfin … non j’vois pas mais j’entends que tu puisses ressentir ça… »
J’aurais voulu ajouter d’autres mots mais je me retiens parce que je comprends alors qu’il y a une fêlure dans notre relation. Là où nous avons toujours été d’accord, je sens désormais qu’il y a des différences. Rien de grave, c’est minime mais c’est là. Il n’en reste pas moins mon meilleur ami et je n’en reste pas moins à son écoute même si désormais je pourrais comprendre qu’il ne se livre plus vraiment à moi par crainte que je ne puisse pas le comprendre ou l’entendre je suppose. Cependant, c’était clairement pas mon genre de ne pas avoir une oreille attentive, surtout avec ceux que je considère comme ma famille.
« Je ne suis pas certain de partager ton point de vue mais Aemon … »
Je pose ma main sur son épaule pour lui prouver ma loyauté :
« Je serais toujours là pour toi, mon frère… Saches-le… »
Peut-être ne m’entendrait-il pas ? Peut-être ne me ferait-il pas confiance ? Mais au moins, j’aurais tenté de le lui faire comprendre. Le sujet dévie du travail sur la famille Baskerville et je tente de trouver les mots pour le réconforter par rapport à Earwen et cela semble fonctionner. Je lui réponds à son remerciement par un simple hochement de tête, pas besoin d’en rajouter. En revanche, concernant l’enfant à venir, je n’ai pas le même sentiment et Aemon non plus. Je le regarde un peu inquiet mais tout de même présent pour mon ami :
« Tu n’as pas l’air convaincu… Après… Je… »
Je cherche un peu mes mots avant de me racler la gorge et de me reprendre :
« Tu aimes toujours Earwen et Cirth ? C’est déjà acquis, quant au dernier arrivant .. hé bien, il aura toujours sa mère pour recevoir de l’affection… »
De mon point de vue, j’aurais aimé chacun de mes enfants, mais le destin ne m'en a offert qu’une fille que je chéris plus que tout. Si je ne suis pas du genre à renier les bambins, je pense que mon meilleur ami a davantage besoin de soutien que de réprimandes et je suis prêt à lui offrir tout le soutien nécessaire… sans jugement.
Je lui proposais alors de partir en cas de besoin de se changer les idées mais Aemon refusa, je lui souris alors et me tourna vers le Barman pour commander une nouvelle tournée avant de me tourner vers Aemon :
C'est bien ce qu'il me semblait. Il ne me comprends pas.
Je laisse échapper un triste sourire. Alors c'est moi le problème ? Je suis réellement devenu taré ? Pourquoi est ce que je me mets à penser cela, alors que je suis pourtant un homme fidèle et propre sur lui, sans tâches, au tableau de chasse bien fourni et dont les exploits sont chuchotés dans les couloirs. Je devrais être fier de moi, ambitieux, heureux de servir une telle institution. A la place, j'ai peur, j'ai honte, je me méfie, je regarde en coin. Aaron ne comprends pas, il est dans l'optique que le SHIELD reste une institution fort honorable. Je vois son regard, je vois son hésitation. Je lâche un soupir dépité et avale une gorgée de ma boisson avant de lui direLaisse... C'est pas grave, cela passera. Je n'en suis pas convaincu, je ne dis cela qu'avec l'espoir de le rassurer. Il posa sa main sur mon épaule, me disant qu'il serait toujours là. Je lève les yeux vers lui, le regardant dans les yeux, et lui réponds, en souriant : Merci mon frère...
Je baisse les yeux. Sera t'il toujours là le jour où nous allons devoir nous confronter ? Il doute déjà, se demande ce qui ne va pas chez moi. Même par rapport à mes doutes par rapport à mes enfants, il me réponds que si j'aimais déjà mes jumeaux, ce serait également le cas avec le nouveau petit, et que, si c'était pas le cas, il aurait toujours sa mère. J'hausse les épaules et lui réponds en secouant la tête : Non, ce n'est pas bien, je me dois de faire des efforts, ce n'est pas sa faute après tout, il ne mérite pas d'être ainsi écarté. Je l'aimerais et l'élèverais comme ses aînés, et il faut même que je fasse mieux que cela. L'ennui.. C'est que je ne sais pas si j'en aurais la force, je ne sais pas si j'en serais capable. C'est con, mais je doute de plus en plus, comme tu as pu le voir... Je devrais voir un psy, mais je n'en ai pas envie... Si c'est pour me retrouver à devoir prendre des cachets, laisse tomber... Tu aurais fait quoi toi ?
Il me demande si je souhaite bouger, je réponds par la négative et il me dit que cela lui convenait. Il commanda une nouvelle boisson et je dis, avec un sourire que j'essaye de rendre sincère : Celle ci est pour moi. Maintenant, parle moi de toi mon frère, change moi les idées, sinon je vais inviter n'importe laquelle de ces filles à danser. Je lâche un rire en désignant un groupe de demoiselles derrière nous.
Malheureusement, le fossé que je craignais se creuse entre mon meilleur ami et moi-même lorsque je lui avoue ne pas vraiment partager son point de vue mais je veux aussi qu’il sache que s’il décide de changer de métier, ou même de voix, il restera toujours mon frère de cœur. Cet homme que je connais depuis bien des années a été mon principal pilier dans toutes mes difficultés, il est normal que lorsque chez lui cela flanche, je lui rende la pareille même si nos opinions divergent. Il ne semble pas vraiment convaincu alors je persiste et signe dans mes paroles :
« Je t’assure Aemon, quoi qu’il se passe dans ta vie, dans tes choix, je te soutiendrais et je ferais le maximum pour toi. Tu es mon frère et tu sais combien j’aime ma famille. »
Même si ma vraie famille n’est plus vraiment là, je sais que lui, Aemon Baskerville, est ma famille. En parlant de famille, l’on en vient à parler de l’enfant à naître dans sa famille et là également visiblement il y a quelque chose qui cloche. Je savais que Lùthien était aux anges mais cela ne semblait pas être le cas de mon ami assis à côté de moi. Il doutait, beaucoup et là encore je tentais d’avoir les mots pour lui-même si le sujet n’était pas idéal pour moi. Avec Clara, l’on voulait des enfants et nous n’avons eu qu’une fille que j’ai dû laisser sur Alfheim pour son bonheur à elle.
Après, je connais suffisamment bien Aemon pour savoir qu’il aime ses enfants, cela a toujours été un papa poule et il me l’a encore avoué quelques instants plus tôt en étant en peine maintenant que sa fille grandissait.
« Franchement, je… Je pense qu’il est encore tôt pour se dire si oui ou non tu aimeras ce gamin, il n’est même pas né. Et puis quant au fait d’aller voir un psy, j’en ai vu un personnellement pour Clara et Elena et cela ne m’a jamais posé de soucis et je n’ai pas eu le moindre cachet à prendre. Le fait de parler à des personnes qui sont là pour écouter cela peut aider parfois, ou alors boire une bière avec ton ami et parler tout simplement. C’est comme tu veux. »
Je bois rapidement une gorgée avant d’ajouter quelques mots supplémentaires :
« Et puis, j’vais pas tarder à habiter dans ton quartier et la maison te sera toujours ouverte, de jour comme de nuit alors profites-en. »
Je reporte à nouveau ma bière à mes lèvres quand il me demande de parler de moi. J’ignore pourquoi mais j’éternise légèrement ma gorgée pour retarder l’inévitable : parler de moi. Finalement, je repose la chope presque vide et regarde le serveur à qui Aemon avait fait signe de relancer une tournée. Et puis je parle en conservant le regard dans le vide :
« Bouarf, tu sais pas grand-chose… Je pense que … J’envisage de retrouver quelqu’un… Je me sens un peu plus près qu’avant… Et puis… y’avait cette fille qui me plaisait bien… »
J’ai un sourire un peu triste en pensant à Gabriela. Purée qu’elle était pétillante cette fille.
« Elle était souriante, un vrai rayon de soleil… Et puis, elle a eu des soucis et s’est éloignée… Je n’ai plus trop de nouvelles… J’en prends pas non plus tu vas m’dire mais le fait est que j’ai eu mon lot de galère et que j’ai pas la foi pour encaisser les galères de mes potentielles copines… Putain… si t’invites une meuf, c’est moi qui repars avec… »
Je ris légèrement avant de le perdre aussi rapidement qu’il est apparu :
« Non, plus sérieusement, tu me vois avec quelqu’un ? Autre que Clara ? »
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