[Terminé] L'aigle et la pieuvre

L'aigle et la pieuvre

Clint et Kali

J'avais prévenu que la question n'allait pas lui plaire. En même temps j'étais pas là pour jouer les psychiatres ou pour la ménager. On m'avait demandé un bilan, fallait bien que je le fournisse, et le plus complet possible. Je ne pouvais pas éviter les sujets sensibles alors qu'ils étaient sans doute les plus importants. Cette demoiselle avait eu de sérieux problèmes, entraînant des séquelles physiques et surtout psychologiques qui ne seraient pas simples à effacer.

Elle resta silencieuse un court moment, mais suffisamment longtemps pour que je me demande si elle allait me répondre. Elle était passée en quelques secondes de neutre et pragmatique à glaciale et inhospitalière, presque menaçante. Je ne m'alarmai pas pour autant - il en fallait plus que ça - et supposai que c'était plutôt une réaction instinctive. Faire remonter ses traumatismes ne lui plaisait pas, bien évidemment. Je l'avais prévenue…

Elle finit par me répondre. Au moins elle ne tenta pas de me mentir. Donc, elle haïssait toujours les humains, simplement elle "faisait des efforts" pour ne pas décevoir les autres. Mouais. C'était pas idéal comme solution. Pour la réinsertion dans la société, c'était vraiment pas gagné. Surtout que si elle envisageait vaguement la possibilité de changer d'avis, ça ne l'enchantait visiblement pas.

Je relativisai en songeant qu'elle n'était ici que depuis six mois, qu'il lui restait encore deux ans à passer à l'Institut. Le racisme, s'il est ancré en quelqu'un depuis des années, ne s'efface pas du jour au lendemain. Mais je me demandais quand même comment elle pourrait s'habituer aux humains si elle passait le plus clair de son temps entourée uniquement de mutants. Xavier se mettait de sacrées œillères s'il pensait que ses petits protégés allaient miraculeusement changer d'opinion sur les humains alors qu'ils ne les côtoyaient jamais. Bref.

Elle retira ses coudes de la table et reprit son masque d'impassibilité. Si elle attendait une réaction ou une remarque de ma part, sur ce coup-là, elle serait déçue. Autant j'avais estimé que mes encouragements sur ses fréquentations pouvaient être pertinents, autant je n'avais pas à lui donner mon opinion sur sa haine des humains, d'autant plus que j'en étais un moi-même.

« Merci pour votre franchise. »

Son manque de projection à long terme rendait caduques plusieurs des questions que j'avais imaginé lui poser. Inutile de lui parler de ses possibilités d'avenir, elle s'accrochait trop au présent. Ca aurait pu lui faire du bien, pourtant, de mettre en place des projets… Mais ce n'était que mon avis, encore une fois pas besoin de le lui donner, je n'étais pas là pour ça.

« Tant qu'on est lancés, continuons sur les sujets sensibles… Le rapport évoquait des pulsions d'adrénaline que vous aviez du mal à contrôler. Dites-m'en plus là-dessus. Comment se traduisent ces pulsions, et est-ce que vous arrivez mieux à les contrôler ? »

L'idée était surtout de savoir si elle représentait potentiellement un danger pour elle-même mais aussi pour les autres.

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L'aigle et la pieuvre

Clint et Kali

En posant cette nouvelle question sensible sur ses pulsions, je m'étais attendu à ce qu'à nouveau elle se montre hostile et glaciale. Ce ne fut pas le cas. Le sujet semblait bien moins délicat pour elle, et elle me fournit des explications détaillées. Pour quelqu'un qui haïssait les humains au point de refuser de leur adresser la parole lors de son sauvetage, elle avait quand même bien évolué et coopérait, même si ce n'était clairement pas de gaieté de cœur. Je me demandais ce que Xavier avait bien pu lui donner comme consignes…

Etant moi-même confronté régulièrement à des situations dangereuses, je savais très bien ce que provoquait l'adrénaline sur le corps et l'esprit. Ce que j'ignorais, et qu'elle passa sous silence, étaient les raisons de ces pulsions. Pourquoi les ressentait-elle, y'avait-il des éléments déclencheurs ? Quoi qu'il en soit, elle avait plusieurs moyens pour les canaliser et les évacuer. Elle affirma aussi qu'elles n'étaient que physiques, qu'elles n'affectaient pas son mental et ne la poussaient pas à la violence. En somme, elles ne représentaient pas un danger pour elle ou pour les autres. C'était exactement ce que je voulais savoir. Un peu trop exactement d'ailleurs.

Elle apporta d'autres précisions, évoquant les missions qu'elle faisait auparavant pour Hydra, affirmant que cela ne lui manquait pas le moins du monde. J'avais plus de mal à y croire et haussai un sourcil perplexe. Je faisais le parallèle avec ma propre situation : par deux fois j'avais tenté de prendre ma retraite, et par deux fois l'inaction et le sentiment d'inutilité m'avaient rapidement renvoyé sur le terrain.

« Je me doute bien que vous ne serviez pas Hydra de gaieté de cœur… Mais honnêtement, vous vous imaginez vraiment avoir une vie normale et tranquille ? Vous vous voyez devenir fonctionnaire, passer votre vie derrière un bureau ? L'excitation du terrain, si elle est volontaire et au service d'une juste cause, ne vous manquerait pas du tout ? »

Je savais que Xavier et sa sœur remontaient doucement mais sûrement leur petit groupe de héros. Je voyais tout à fait miss Herrera en faire partie. Elle serait un élément à cadrer en mission pour éviter qu'elle perde les pédales, mais elle avait l'entraînement, les capacités, la résistance à la pression face au danger. Avec un bon suivi, elle pourrait être un bon agent du S.H.I.E.L.D., ou à défaut un bon X-Men. Tant qu'à insinuer cela, autant le dire franchement.

« Je suis au courant pour le projet X-Men. Ca ne vous intéresse pas d'en faire partie ? »

@Kali Herrera

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Clint et Kali

Je ne pensais pas la décontenancer avec ces questions. J'avais sans doute poussé un peu plus loin que ce à quoi elle avait dû se préparer, mais c'était surtout parce que je ne voulais pas qu'elle se contente de me réciter ce qu'elle s'était décidée d'avance à me répondre, que ce soit sincère ou non. Voir la parfaite petite élève du professeur Xavier ne m'intéressait pas : je voulais savoir comment elle était vraiment. Je ne me faisais pas d'illusion pour autant, elle n'allait pas se livrer à cœur ouvert à moi, je n'étais ni son pote ni son psy et je ne cherchais pas à l'être.

Quoi qu'il en soit, elle abandonna temporairement sa froideur et je perçus même une certaine authenticité dans sa réponse. Evidemment que l'excitation du terrain lui manquait. Une fille comme elle n'était pas faite pour rester le cul vissé sur une chaise dans une salle de classe toute la journée. Xavier semblait l'avoir compris, puisqu'il lui permettait de faire beaucoup d'activités physiques, dont certaines encadrées en dehors de l'Institut... Mais était-ce suffisant ?

Ses arguments étaient tout à fait recevables. Au moins elle ne se voilait pas la face sur ses traumatismes et ses défauts. Son côté solitaire et anti-social ne lui facilitait pas la tâche. Et puis il y avait évidemment le fait d'avoir été formée à être une assassin, d'avoir commis très jeune des atrocités qui la suivraient toute sa vie. Avoir une « vie normale », après ça, ce n'était pas envisageable. Mais elle pouvait apprendre à vivre avec, malgré tout.

« Humm, je comprends. Après, j'pense qu'en effet, bosser en équipe vous f'rait du bien. J'ai moi-même longtemps travaillé en solo et j'ai longtemps pensé que c'était la meilleure manière de faire, que c'était comme ça que j'étais l'plus efficace. Jusqu'à c'que, par la force des choses, je m'retrouve à bosser en équipe... Ca a vraiment des bons côtés. Y'a un proverbe qui peut paraître bateau mais que j'trouve assez vrai : Tout seul on va plus vite, mais ensemble on va plus loin. Enfin bref, vous avez encore le temps d'y réfléchir. J'suis pas censé être là pour vous donner des conseils, vous en f'rez bien c'que vous voulez. »

Je conclus mon petit discours par un sourire amical. Si la situation avait été différente, si par exemple cette gamine avait été placée sous ma responsabilité au S.H.I.E.L.D., j'aurais sans doute pu m'attacher à elle, et l'aider à remonter la pente. Mais c'était pas mon rôle ici. J'arrêtai donc de causer et la laissai à son tour poser des questions. Des bonnes questions qui me laissèrent songeur quelques instants.

« J'peux pas vous dire... Généralement ils lâchent pas leurs agents comme ça, mais vu qu'le projet a été avorté et pas en douceur... Tant qu'vous êtes ici j'pense que vous êtes en sécurité, vous avez disparu des radars, mais s'ils peuvent vous remettre la main dessus ils hésiteront sûrement pas. La preuve en est avec ce type qui a tenté d'vous récupérer. Après, si c'est quelque chose qui vous inquiète, on peut mettre en place un protocole de protection plus poussé pour quand vous êtes en dehors de l'Institut. »

C'était là un sujet potentiellement risqué à aborder, mais qui méritait de l'être. Après tout, je ne pouvais pas être certain qu'elle allait refuser la proposition si je ne la lui faisais pas. Mais avant de possiblement entrer dans les détails de ce potentiel protocole, je voulais déjà voir si cette simple évocation de protection provoquait un rejet immédiat chez elle ou pas.

@Kali Herrera

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Clint et Kali

Je savais pas vraiment où j'allais avec mes conseils, d'ailleurs j'avais bien précisé que j'étais pas censé lui en donner. A mesure que l'entretien avançait, ma vision de cette enfant - qui n'en était plus vraiment une depuis longtemps - évoluait. Je me retrouvais un peu en elle et j'aurais aimé pouvoir l'aider davantage… mais c'était pas mon job. En tout cas je lui avais parlé avec sincérité, et mon approche semblait porter ses fruits, puisqu'elle était bien moins froide qu'au début de l'entretien.

Je m'étais d'ailleurs attendu à ce qu'elle rejette violemment ma proposition de protection du S.H.I.E.L.D., mais elle déclina l'offre poliment, en argumentant en faveur des capacités des membres de l'Institut à la protéger. Ce qui posait problème quand même… Xavier avait-il conscience qu'il n'avait absolument aucune légitimité pour agir sans notre approbation, même contre des criminels ? Il avait les capacités mentales et les moyens techniques d'agir un peu partout sur Terre, certes, mais il n'en avait pas le droit.

« Apte sans doute, mais pas habilité. L'Institut est une école, pas une organisation gouvernementale. Son personnel n'a aucun pouvoir légal de faire justice soi-même. A moins de s'associer à nous. C'est bien pour ça qu'on a créé un partenariat d'ailleurs. »

Elle était peut-être pas au courant de ça, allez savoir. Xavier ne lui en avait peut-être pas parlé. N'empêche qu'il ne devait pas s'amuser à régler ses problèmes tout seul, ou il allait récolter de sérieux problèmes. Miss Herrera avait plus confiance en lui qu'en nous, vu qu'elle était ici depuis six mois c'était compréhensible. Je ne cherchais pas à la convertir à notre cause, mais il était important qu'elle comprenne à quelle sauce elle risquait d'être mangée.

Il était aussi possible que je me montre trop méfiant vis-à-vis de Xavier et de ses projets. Il était peut-être pas cintré au point d'envoyer illégalement des gamins au casse-pipe… Il n'avait pourtant pas hésité à utiliser des mineurs sur le terrain, dans l'affrontement contre Willow. Et même s'ils avaient prouvé qu'ils savaient se défendre, c'était quand même chaud de risquer la vie d'adolescents.

Miss Herrera tenta de me rassurer, en affirmant qu'elle suivrait un protocole de confinement si jamais Hydra revenait après elle, qu'elle ne sortirait pas seule, mais ça ne faisait que me conforter dans l'idée que l'Institut chercherait à tout régler tout seul. Je tapotai du doigt le post-it que je lui avais donné et qu'elle avait pour le moment laissé sur le bureau, avant de répondre :

« Vous avez mon numéro. Si Hydra vous cherche des poux dans la tête, appelez-moi. Je pourrai me coordonner avec miss Darkhölme pour mettre en place une action commune et légale, qui ne compromettrait pas l'existence de cette école. »

Ce n'était pas formulé comme un ordre, ni comme une menace, bien au contraire. Je cherchais à la protéger, en un sens. Elle n'avait pas à faire les frais d'une potentielle mauvaise gestion de son directeur, alors qu'un partenariat était censé être en place pour justement éviter ce genre de dérives. Une fois ce conseil donné, je repris en main le dictaphone, prêt à l'éteindre, et annonçai :

« Bien, je pense qu'on a fait l'tour. A moins qu'vous ayez autre chose à me dire, je vais vous libérer. Et hésitez pas à m'appeler. Vraiment. »

@Kali Herrera

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