[Terminé] L'aigle et la pieuvre

Le jour de leur rencontre était enfin arrivé.

Kali venait de passer six mois à l'institut. Le temps passait vraiment vite quand il n'était pas rythmé par des assassinats et surtout lorsque l'on pouvait voir d'autres personnes que des murs mobiles. En ces six mois, elle avait fait des rencontres très intéressantes, bien plus qu'elle n'aurait pu l'imaginer. Tout d'abord Charles Xavier et Raven Darkhölme, qui étaient venus la chercher sur l'héliporteur du Shield. L'un s'était imposé comme figure d'autorité bienveillante malgré le scepticisme naturel de la jeune mutante à ce sujet et l'autre était devenue une de ses professeures préférées de l'institut, bien qu'elles n'avaient pas réellement eu l'occasion d’interagir sur le plan personnel depuis son arrivée.

Il y avait évidemment Jean, qui était plus ou moins devenue la meilleure amie qu'elle n'avait jamais eu. Et - bien que plus récemment - il y avait également les Cuckoos, dont le lien partagé était... unique.

Sur le plan scolaire, Kali avait consolidé toutes les matières auxquelles elle excellait avant son kidnapping, l'avait mise dans le top 3 de sa classe. Sa seule lacune restait l'histoire, mais avec une volonté d'en apprendre plus comme la sienne, ce qui était auparavant une terrible faiblesse était devenu un léger malus. L'ex-assassin en avait profité pour approfondir ses connaissances en japonais, appris lors de son incarcération. Elle était passée de débrouillarde à quasi-fluide, la langue l'intéressant presque plus que l'américain.

Sur le plan du combat, entre ses exercices réguliers en solo et ceux avec Mme Darkhölme, Kali pensait être devenue bien meilleure à son ancien job - même si elle n'avait aucune façon de le vérifier.

La cicatrice de son cou n'avait pas disparu et mettrait probablement des années à s'atténuer, même si la douleur, elle, avait fortement diminué.

La vie était donc devenue meilleure, à sa grande surprise, seulement entachée par sa rencontre avec un cadre d'Hydra et... celle d'aujourd'hui.

Son appétit fortement diminué, elle s'était contentée d'expédier son repas avant d'aller se préparer dans sa chambre. Ranger les couteaux. Prendre une douche rapide. Passer rapidement aux toilettes. Vérifier qu'il n'y avait pas de tâches sur son pull léger à col roulé vert et sur son jean.

Une fois prête, elle s'était rendue dans le bureau du professeur Xavier qui lui avait énoncé quelques consignes avant de l'amener jusqu'à la classe où se déroulerait l'interview. Il fallait répondre honnêtement et avec courtoisie aux questions posées, même si l'agent n'était pas mutant. Bien que mécontente, elle écouta et répondit poliment, en affirmant qu'elle ferait des efforts.

C'est ainsi qu'assise sagement au bureau du professeur de la classe, elle le vit entrer. Clint Barton.

Un humain, mais pas simple. Un héros faisant partie d'une équipe de supers.

Par politesse, Kali se leva lorsque l'agent entra, lui rendant son signe de tête. Il se présenta, chose qui n'était pas absolument nécessaire mais apprécié, la jeune mutant ayant fini par apprendre qui il était dans ses mois de rattrapage qui avait suivi son arrivée à l'institut. Son absence d'accès à internet pendant son enfance et sa captivité lui avait fait rater bien des informations utiles, dont l'existence des Avengers et l'invasion de New-York.

Elle répondit d'une voix neutre à l'agent, malgré sa mâchoire un peu serrée, montrant la chaise en face d'elle si il désirait s'asseoir.

- Bonsoir M. Barton. Le professeur Xavier m'a en effet informée des raisons de cet entretien.

S'asseyant sur sa propre chaise, Kali reprit d'un ton égal :

- Par quoi voulez vous commencer ? Un bilan physique, mental ou scolaire ?

Kali observa le regard de l'agent, se promenant sur sa personne avant d'observer la pièce. Il était pour elle logique qu'un archer soit naturellement observateur - si tant est qu'il en tirait les bonnes conclusions.

Le dictaphone ne la surprit pas plus que ça - certains entretiens étaient enregistrés après tout - mais elle nota tout de même la position bien en évidence, sûrement pour la mettre en confiance vis à vis de ses intentions. Bien que la jeune mutante ne faisait pas confiance au Shield, elle pensait pouvoir mettre ses doutes de côté de par le statut de héro de son interlocuteur et le fait que le professeur l'ait laissé rentrer dans son institut. De plus, la conversation était déjà probablement enregistrée par les Cuckoos qui devaient se délecter de la rencontre.

A la proposition de commencer par le bilan physique, Kali acquiesça d'un mouvement de tête, pensant elle aussi que ce serait le choix le plus rapide. Sa proposition suivante fut également pleine de sens et la perspective de passer moins de temps dans cette salle de classe ne pouvait que l'enchanter.

- Cela me convient parfaitement.

La jeune mutante éclaircit sa gorge avant de commencer un bilan physique minutieux.

- Si l'on commence par les blessures les plus anciennes, toutes les cicatrices allant de mon torse jusqu'à mes pieds ont effectué une guérison complète et celles qui n'étaient pas des coupures ont déjà disparu. La cicatrice au niveau de mon cou...

Elle déroula son col pour révéler une cicatrice bien moins rouge qu'à son entrée à l'institut. Celle-ci était maintenant dans un ton bien plus rose, tandis que les marques blanches situées au niveau des encoches de son collier s'étaient légèrement atténuées - il était fort possible qu'elles ne disparaissent jamais.

- ... a commencé à s'estomper et est en tout cas bien moins douloureuse. Les soins prodigués par l'infirmière de l'institut se sont avérés être efficaces. La zone reste néanmoins sensible et j'essaie donc de la couvrir pour ne pas me rendre malade en l'exposant aux éléments ou aux bactéries environnantes.

Kali replia son col, avant de remonter sa manche pour dévoiler une légère cicatrice sur son avant-bras, bien plus fraiche que les autres.

- Les blessures superficielles résultant de ma rencontre avec un cadre d'Hydra ne sont plus qu'un mauvais souvenir.

Remontant sa manche, elle reposa ses bras sur la table, joignant ses mains dans une posture neutre.

- Pour ce qui est de mon besoin de me dépenser, j'ai largement l'occasion de le faire ici à l'institut. J'ai des cours d'arts martiaux avec Mme Darkhölme, l'occasion d'utiliser le gymnase avant ou après les cours et des séances de sport plus classiques. Il m'arrive également de faire de la boxe dans un club du Bronx lors de sorties encadrées à New-York.

Elle s'arrêta un instant pour tenter de réfléchir à ce qu'elle pouvait ajouter de plus. Le bilan lui semblait suffisamment complet, mais ce n'était pas à elle d'en juger.

- J'espère que ce bilan vous convient. Si vous avez des questions additionnelles, je me ferais un plaisir d'y répondre.

Le mot "plaisir" fut prononcé dans un ton si neutre et monocorde qu'il ne laissait aucune ambiguïté quant aux sentiments de Kali. Elle espérait simplement que la partie mentale serait bien plus courte, mais se doutait que ça ne serait pas le cas - elle était de sa propre opinion un cas plutôt compliqué.

- N'est-ce pas, les Cuckoos ? ne put-elle s'empêcher de penser.

Kali ne put qu'exprimer sa surprise en un haussement de sourcil lorsque Barton lui demanda de lui parler de sa rencontre avec le cadre d'Hydra. Pourquoi le professeur Xavier aurait-il caché cet évènement du Shield ? Elle songea que quelque chose d'incriminant pour elle devait se trouver dans son récit - elle pensa évidemment aux couteaux - ou qu'il n'accordait toujours pas une pleine confiance à l'organisation. Tant mieux.

Peu désireuse de s'attirer les foudres de l'un ou de l'autre, Kali fit un récit en version abrégée.

- Bien sûr. Lors d'une ballade en moto au mois de juin dans les alentours de l'institut, je me suis arrêtée quelques instants sur le bas-côté pour lire une carte. Une voiture de sport rouge s'est arrêtée devant moi peu après et un homme que j'avais déjà vu pendant mon temps à Hydra en est sorti. Il était grand, le mètre quatre-vingt dix au moins, brun et musclé. C'était un mutant aux grandes ailes blanches et aux yeux rouges, un cadre d'Hydra. Il a tenu un discours m'invitant à retourner dans l'organisation tout en tentant d'effectuer une sorte de pression psychologique - pour faire court, je l'ai fait parler en le gardant à distance avec ma télékinésie et dès que l'opportunité est venue, je me suis enfuie avec ma moto. Il m'a lancé un couteau dessus, mais par chance, celui-ci n'a fait que m'érafler.

Kali pensait avoir passé le plus dur en parlant de cet évènement à l'agent Barton. Hélas. Le sujet de son intégration au sein de l'institut fit une entrée fracassante. C'était l'aspect le moins reluisant de son temps ici - elle aimait être solitaire et ne se sentait pas nécessairement à sa place parmi des élèves qui ne partageaient au fond qu'un même gène avec elle.

D'une voix calme, la jeune mutante répondit à la question.

- Mmm. Pour ce qui est de mes camarades de classe, j'entretiens une relation cordiale avec eux, bien que distante. Je n'ai jamais eu beaucoup d'amis à l'école, même avant Hydra. Néanmoins, j'ai réussi à me faire une très bonne amie avec laquelle j'effectue des sorties et discute régulièrement. Au sujet de mes professeurs, j'ai plus d'affinités avec M. Xavier et Ms. Darkhölme. Je m'entends également très bien avec trois membres du personnel, les Cuckoos.

Eeeeet elle s'arrêterait là. Pas question de parler plus d'elles, surtout si ces dernières captaient ses pensées en ce moment même. Mais, Jean et les trois sœurs à part, elle devait avouer qu'elle n'avait pas fait plus d'efforts que ça pour s'intégrer - une ironie pour celle qui tentait d'exceller dans tous les domaines.

Kali nota d'ailleurs le manque d'intérêt vis-à-vis de ses résultats. Plutôt sûre que la qualité de ceux-ci n'étaient pas à revendre, elle supposa que cette interview visait à voir si elle était redevenue "normale". Hélas pour lui, plus le temps passait et plus elle était convaincue que certains aspects de sa personnalité demeurerait changés à tout jamais. Elle l'avait accepté. Néanmoins, il était fort possible que le Shield ne le voit pas de cet œil là. Il n'y avait pour elle rien à critiquer dans ce qu'avait fait Charles Xavier : que ce soit au sein du Shield ou dans une famille d'accueil, elle se serait renfermée sur elle jusqu'à devenir indépendante et...

Et quelque chose. Elle ne savait pas quoi. Tout ce qu'elle savait, c'est que sans cette main tendue, elle n'aurait pas connu ce semblant de paix intérieur qu'elle éprouvait lors de son quotidien à l'institut.

Kali jugea la frustration de l'agent Barton compréhensible, bien qu'elle la laissait néanmoins totalement indifférente. Elle n'avait pas de compte à rendre au SHIELD et encore moins aux Avengers. Sans se presser, elle attrapa le post-it qu'il venait de remplir et lui répondit un laconique :

- Très bien.

Cela ne l'engageait à rien et, hormis cas extrême, elle continuerait probablement à contacter le professeur Xavier en premier. Le post-it sagement posé devant elle, elle enchaina sur ses relations amicales. L'agent sembla écouter sans faire preuve de pitié à son égard. Tant mieux. Le nom de sa professeure d'arts martiaux le fit néanmoins tiquer et il fit même ses éloges - la question de leur rencontre la laissait aussi cruellement indifférente, mais elle nota néanmoins le regard de Barton qui mettait un peu trop longtemps à se réajuster, perdu dans ses pensées pour un court instant.

Il ne tarda cependant pas à se reprendre, lui parlant de la valeur inestimable de quelques amis proches plutôt qu'une foule. Kali n'aurait pu s'imaginer entourée d'une foule d'amis - chez Lanciano, il y avait Raisel... et les autres. Pas des amis, pas même des camarades. Juste... d'autres personnes. La jeune mutante était suffisamment lucide pour se douter qu'elle ne parviendrait jamais à s'entourer d'une foule. Mais une poignée ? L'objectif, si tant est qu'elle se le fixe un jour, était atteignable.

Peu désireuse de partager ses pensées à ce sujet, Kali préféra hocher de la tête et approuver d'une voix neutre :

- En effet.

La question suivante la prit de court.

Est-ce qu'elle se sentait bien ici ? C'était une question très vague qui lui fit ouvrir et fermer la bouche trois fois avant qu'elle ne puisse formuler une réponse cohérente.

- Je... me sens mieux ici qu'au SHIELD ou à Lanciano. C'est... plus calme et je suis mieux entourée.

La pique envers le SHIELD était là involontaire, fruit du cerveau de Kali qui tournait au ralenti en essayant de formuler des sentiments qu'elle n'était pas du genre à révéler à n'importe qui.

- Je pense que c'est l'endroit idéal pour mes études et une réinsertion dans la société.

C'était là une légère esquive de sa part, mais elle ne désirait vraiment pas parler de ses pulsions qui, bien que réduites, n'avaient pas disparu et des ses pleurs qui eux ne s'étaient pas taris. De plus, chaque mot qu'elle avait prononcé jusque là était honnête.

- C'est un lieu où je peux me projeter dans le futur, même si celui-ci n'est que pour l'instant proche, ou à court terme.

Une pointe d'agacement passa sur son visage. Le motif de la visite de l'agent n'était-il pas de vérifier que tout se déroulait bien au sein de l'établissement ? Que venaient faire ses sentiments dans le lot ? Elle ne les partageait qu'en partie avec le professeur Xavier et il s'imaginait qu'elle allait tout lui dire comme ça ?

Avec une cordialité verglacée, Kali s'adressa à l'agent, la mâchoire involontairement un peu serrée :

- Pourriez-vous s'il vous plait poser des questions plus précises ? Je vous avoue ne pas être très à l'aise avec des réponses aussi ouvertes.

C'était techniquement une réponse oui/non, mais elle était sûre qu'un simple "non" n'aurait pas compté comme de la coopération. Cordiale. Elle devait s'efforcer de rester cordiale. C'était ce que lui avait demandé le professeur et elle s'appliquerait à le faire, même si elle devait avoir un anévrisme en le faisant.

Alors, à contrecœur, elle s'efforça de faire disparaitre l'agacement de son visage pour quelque chose de plus neutre.

Ne pas lui plaire ? Elle n'en doutait pas maintenant. Elle préférait néanmoins avoir des questions plus précises - l'introspective n'était pas son fort.

Sauf que l'agent Barton était du genre direct. Bien plus qu'elle ne l'aurait imaginé vu le ton diplomatique qu'il employait.

Accusant le coup, Kali resta un instant silencieuse avant de poser ses coudes sur la table, ses deux mains jointes devant son visage. Son regard, jusqu'ici oscillant entre neutre et froid était maintenant devenu polaire, tandis que sa posture dévoilait une hostilité jusque là masquée. Il n'y avait cependant pas d’agressivité dans ses paroles et son attitude, rien qui suggérait qu'elle n'allait passer à l'attaque - simplement que le sujet lui était... déplaisant.

- Mon ressenti sur les humains n'a pas changé. Je fais simplement plus d'efforts pour ne pas décevoir mes amies et le professeur Charles Xavier.

L'ordre était important. Si le professeur restait très tolérant avec elle, ce ne serait pas nécessairement le cas de Jean si elle méprisait des humains devant elle ou tenait des propos injurieux à leur égard. Et pour ce qui était des Cuckoos... elle ne voulait pas les décevoir. D'une autre façon.

- Voilà pourquoi je parlais un peu plus tôt de réinsertion dans la société. Si je dois interagir avec des humains, je le ferais d'abord aux côtés de mes compagnons mutants. Et si cela amenait à un changement de mon opinion sur le sujet...

Sa voix exprimait un doute manifeste sans pour autant l'établir comme une impossibilité. Elle s'était déjà un peu apaisée en prenant sur elle, mais il n'était pas exclu que le reste de sa haine disparaisse un jour, doute ou pas. C'était son problème : Kali était incapable de voir plus loin que le court terme.

-... je l'accepterais, que cela me plaise ou non.

Estimant qu'elle avait dit tout ce qu'elle pouvait dire sur le sujet, la jeune mutante enleva ses coudes de la table pour se caler à nouveau contre le dos de sa chaise, le dos bien droit. Elle ne doutait pas un instant que l'homme, l'humain en face d'elle aurait quelque chose à dire sur le sujet. Son visage redevenu neutre, elle écouta donc attentivement ce qu'il avait à dire.