[Terminé] Mission secondaire : Tuer l'assassin

J'entre dans le Sister Margaret's pour la troisième fois depuis le début du mois, avec le même objectif en tête que les deux fois précédentes : rencontrer une cible que l'on nous aurait gentiment servie sur un plateau. Après un rapide tour d'horizon du regard pour observer les clients déjà présents, je me dirige en premier lieu vers le comptoir où le barman me salue et m'offre un sourire chaleureux et complice, que je ne lui rends pas. Je lui fais un sobre signe de tête et m'adresse à lui poliment, néanmoins.

« Bonsoir. Je vous prendrai une pinte de bière brune.
- Vous retentez votre chance ?
- La persévérance vient à bout de tout.
- M'enfin quand même, elle vous a déjà posé un lapin deux fois !
- La troisième sera peut-être la bonne.
- Je croise les doigts pour vous ! »

La première fois que j'étais venu dans ce lieu, rendez-vous clandestin des mercenaires de la ville, à la fin du mois d'août, je m'étais longuement entretenu avec ce type, dénommé Weasel, pour lui acheter des informations sur Bella Donna Boudreaux et tenter d'obtenir un entretien avec elle. Je n'avais pas appris grand chose de plus que ce que je savais déjà : elle était à la tête d'une équipe d'assassins, avait une excellente renommée, considérée comme une tueuse de sang-froid particulièrement efficace et, d'après Weasel, "tout à fait baisable".

Avec quelques billets supplémentaires, je l'avais chargé de lui transmettre un message. Si elle souhaitait agrandir son équipe, elle pouvait venir me rencontrer ici, jeudi soir à 10h. J'étais donc revenu le jeudi 05, quelques jours après qu'elle ait reçu le message. Je m'étais installé à une table et avais attendu deux heures. Pas de Bella Donna Boudreaux à l'horizon. J'étais revenu le jeudi 12 et rebelotte, personne.

Je revenais encore une fois, probablement pour la dernière fois. Comme les deux jeudis précédents, j'avais opté pour un look un peu bad boy sans que ce soit ostentatoire, jean noir, tee-shirt noir évasé, veste noire en toile et manches de cuir. Mon couteau fétiche, cadeau de mon père pour ma Bar-mitsvah, était soigneusement rangé dans la poche de ladite veste.

Ma pinte de bière est prête, je la paye immédiatement et pars m'installer à la même table que les deux autres jeudis. Je regarde ma montre : il est 10h pile. Mes yeux se posent alors sur la porte d'entrée du bar, par laquelle j'espère voir entrer ma cible… même si je ne sais pas encore précisément à quoi elle ressemble, et que je doute de sa venue.

J'attends. La pinte de bière descend lentement. Mon regard fait des aller-retours entre la porte d'entrée et l'horloge fixée au-dessus du comptoir. J'observe les clients qui entrent et sortent, sans y percevoir celle qui pourrait ressembler à la chef d'une bande de tueurs. J'attends patiemment, prêt à rester jusqu'à minuit, comme les deux fois précédentes. Weasel me jette des regards amusés de temps en temps, auxquels je ne réagis pas.

Ma patience finit par payer. La femme qui pénètre dans le bar a l'élégance et la froideur d'une reine des assassins. Mon intuition est confirmée par le signe du barman qui pointe dans ma direction. Tenant à faire preuve de bonne manière, je me lève lorsqu'elle s'approche de moi et attends qu'elle soit assise pour reprendre place. Je ne souris pas, mais lui adresse un signe de tête sobre et cordial pour la saluer.

« Bonsoir madame Boudreaux. Disons que je cherche du travail et que mon domaine de compétences ne peut être inscrit sur un Curriculum Vitae. Je suis arrivé aux Amériques depuis peu, l'on m'a parlé de vous, et il semblerait que vous soyiez l'employeur adapté à mon profil. »

Elle est entrée directement dans le vif du sujet, aussi en ai-je fait de même, bien que je m'exprime à mots couverts. Les murs ont des oreilles, dans nos branches il vaut mieux se montrer prudents, même si nous sommes entourés d'une partie de la racaille de cette maudite ville.

J'avais pensé lui proposer à boire, mais comme elle s'est passée des formules habituelles que l'on peut sortir en société, je ne me sens pas forcé de le faire. Cela me convient tout à fait : je n'aurai aucune difficulté à ne pas faire dans l'excès d'amabilité. Je m'aligne sans difficulté sur son attitude : l'efficacité, la froideur et un soupçon de cordialité sont tout à fait dans mes cordes.

J'ai utilisé d'entrée de jeu la carte du ressortissant étranger. Ainsi elle ne pourra pas se baser sur mon absence de réputation dans le milieu, puisqu'elle reste encore à faire dans ce pays de cinglés. Elle me parle de mon intégration, ce qui me permet de rebondir et de lui prouver que j'ai de la ressource pour un type qui vient de débarquer.

« J'y travaille. Il semblerait que je m'en sorte plutôt bien, puisque je suis parvenu à vous avoir à ma table. »

J'aurais pu ponctuer cette remarque d'un sourire entendu, d'un clin d'œil flatteur. Ce n'est pas mon genre. Je ne suis pas là pour la draguer, je suis là pour la convaincre. Par cette phrase, je lui fais remarquer que malgré mon arrivée récente, j'ai réussi à entrer en contact avec une membre importante de la pègre. Mieux encore, elle est venue à ma demande.

« Mes motivations ? L'argent. Le besoin de prendre un nouveau départ, dans un nouveau pays, de me forger une nouvelle réputation. Et puis, c'est tout ce que je sais faire, et je le fais bien. »

C'est annoncé avec une franchise presque insolente. C'est cependant dit sans arrogance. Je me vends, certes, mais sans fierté mal placée. Je semble sérieux, implacable, convaincu de ce que je dis.

« Quant à satisfaire votre curiosité, nous avons un ami commun… un membre de la noblesse sokovienne. »

Si je ne suis pas là pour la séduire, il semble que mon attitude et mes paroles aient un effet sur elle. Elle affiche un sourire flatté. Ce doit être une femme à tendance dominatrice, après tout son surnom donne la couleur. Je l'imagine bien collectionner les hommes, jouer avec et s'en débarrasser. Une veuve noire aux cheveux d'or. Je ne suis néanmoins pas homme à me laisser attraper dans sa toile.

Lorsqu'elle me félicite pour être parvenu à attiser son intérêt, je hoche la tête sobrement et esquisse un sourire, très mince, très furtif. Je ne suis pas d'un naturel souriant, ce qui convient bien pour un assassin. Ce bref sourire doit donner l'impression d'être précieux, puisque rare. Elle reconnaît ma valeur, je lui en suis reconnaissant. Cela ne va pas plus loin.

Je suis soulagé d'apprendre qu'elle entretient toujours de bonnes relations avec Zemo. Elle est loin de se douter qu'il lui a planté un couteau, non, un espadon, dans le dos. Si elle savait qu'il l'avait en réalité vendue à une organisation de tueurs de mutants, elle regretterait sans doute un peu plus sa décision.

« C'est un homme qui a des principes. »

Et qui n'hésite pas à les enfreindre lorsqu'il trouve une meilleure opportunité. La Reine des Assassins lui a été bien utile durant un temps, lorsqu'il était "dans une situation délicate", mais à présent qu'il a trouvé de meilleurs alliés, il trahit sans vergogne la première au profit des seconds. Ce qui me pousse à n'avoir aucune confiance en lui, même s'il nous sert sur un plateau une cible de choix.

« Il a dépeint un portrait très élogieux de vous. Une femme dangereuse, très efficace, aux pouvoirs impressionnants… C'est ce détail qui m'a particulièrement intéressé. Votre… entreprise… n'emploie-t-elle que des personnes aux capacités hors du commun ? »

Rien ne me permet de l'affirmer, néanmoins ce serait un beau coup de chance. Si j'avais l'occasion de débusquer et détruire un nouveau nid de mutants, cela me ferait un bien fou, en plus de me faire remonter dans l'estime de mes supérieurs.

Je ne tiens pas à ce que la conversation s'attarde trop longtemps sur Zemo. Un mensonge ne peut pas tenir si l'on demande trop de détails. La mutante insiste, désirant savoir comment je l'ai rencontré. Je réfléchis à une réponse. Je note mentalement que le Baron était "en mauvaise posture" la dernière fois qu'ils se sont vus… Décidément, il semble attirer les ennuis.

La chance semble être avec moi. Je n'ai pas à répondre, puisque nous sommes interrompus par un serveur qui vient apporter un verre à la jolie blonde. Il ne vient pas de moi. L'a-t-elle commandé en arrivant, ou cela vient-il d'un admirateur dans le bar ? J'espère qu'elle est bien venue seule, mais je ne peux pas en être certain. Une femme comme elle doit avoir beaucoup de contacts, connaître beaucoup de monde, surtout dans ce genre de lieu. Il ne faut pas qu'on s'attarde ici trop longtemps.

L'arrivée du verre a en tout cas détourné la conversation, me permettant de poser des questions bien plus intéressantes. La réponse est décevante, néanmoins : pas de massacre de colonie de mutants au menu. Je me contenterai d'une reine.

Je présume que son discours est censé me rendre admiratif. Elle se place en sorte de Robin des Bois des temps modernes, à recueillir les pauvres criminels en cavale, à leur donner du boulot tout en leur assurant sa protection. S'ils lui sont redevables, il est plus aisé pour elle de les manipuler. C'est malin. Mais peu glorieux. Mon opinion n'est pas requise, et cela m'arrange. J'aurais dû mentir à nouveau.

« Un échange de bons procédés, en somme. Je n'ai pas ce genre de problèmes. J'ai toujours su rester dans l'ombre. »

C'est vrai. Jusqu'à présent, je n'ai jamais eu le moindre souci avec la justice. Je ne me suis jamais fait prendre. L'organisation est suffisamment prudente et influente pour éviter ce genre de désagréments.

Je bois à mon tour une longue gorgée de ma pinte, tenant à la terminer rapidement. Puis je reprends la parole, pour doucement amorcer la suite du programme.

« En revanche, je possède moi-même quelques talents cachés… mais que je ne pourrai pas vous dévoiler en public. »

Je n'ai absolument pas conscience du double-sens de ma phrase. Tout ce que je souhaite, c'est la faire sortir d'ici, l'emmener dans un coin sombre et isolé - ce qui ne sera pas compliqué à trouver dans le Bronx - et passer enfin aux choses sérieuses. Tuer une meurtrière… Quand on y réfléchit, c'est un acte altruiste.