[Terminé] La Marée montante soulève toutes les belles amitiés.

La marée montante soulève toutes les belles amitiés

Soudain, un brusque battement d’aile. Quelque chose avec deux yeux luisants fendit les airs dans la semi-pénombre et frôla Ororo avant d’atterrir à deux pattes à côté d’elle. Une chouette. Celle-ci tourna la tête vers la mutante, l’air d’avoir été dérangée, et hulula de mécontentement avant de disparaître vers une autre section du navire qui semblait encore plus sombre et moins accueillante que le reste. Le fantôme des lieux n'était donc qu'un petit animal doté de plumes, d'un bec, et d'un caractère bien trempé.

Avant qu’Ororo ne débarque, Kayla cuisinait un bon petit plat dans la cuisine. Une feijoada, pour être exact. Un plat qui contenait quelques morceaux de viande cuits à l’étouffée avec des légumes, du riz et de l’orange. L’odeur flottait agréablement dans la pièce tandis que le plat chauffait doucement sur la gazinière. Kayla avait fait quelques installations pour rendre le navire plus vivable et il devenait un peu plus confortable chaque jour. Pourquoi avait-elle décidé de vivre dans un vieux navire rouillé et grinçant ? Probablement pour avoir la paix en restant à l’écart du monde, mais aussi pour ne pas se faire connaître… Pour tomber dans l’oubli tout comme lui, tout simplement. Alors d’accord, une très grosse épave comme ça, ça attirait l’œil, surtout qu’elle était visible depuis les hauteurs de Staten Island. Mais peu de gens osaient s’en approcher car ils la croyaient hanté. Et tout comme les gens redoutaient le navire sans vraiment y avoir mis les pieds, les gens redoutaient également son capitaine. « Une femme qu’semble perdue et qu’vaut mieux éviter. Aigrie comme pas possible, un véritab’ ourson ! Elle grogne quand on lui parle ! » selon les dires d’un homme qui travaillait à Richmond. Et comme si ça ne suffisait pas, Kayla était recherchée. Bien qu’elle ait jusqu’à présent réussi à préserver son identité, elle ne s’étonnait pas qu’un jour, quelqu’un toque à la porte pour lui poser quelques questions. Mais elle n’en était pas encore là.

Bien que le nombre de ragots sur elle fussent important, Kayla était encore une jeune femme pleine de vie, qui adorait le temps passé avec elle-même et les animaux. Elle aimait aussi sortir, d’ailleurs elle sortait beaucoup sur la plage et se baignait assez souvent. Elle ramassait régulièrement les déchets qui s’échouaient autour du navire et trouvait même une utilité à certains. Aussi, plus le temps passait et plus elle contemplait la mer avec une certaine mélancolie, se demandant pourquoi elle pouvait être aussi cruelle parfois et si un jour, elle pourrait y retrouver son père, quelque part. Elle rêvait de l’Atlantide et des nombreuses autres îles qu’elle pourrait explorer. Ce qu’elle faisait aussi parfois, sous la forme d’un oiseau. Elle partait ainsi plusieurs jours découvrir du paysage et revenait, le sourire aux lèvres. Kayla était un véritable électron libre mais pouvait aussi ne jamais s’activer et préférer lire un livre dans son hamac, quand elle ne donnait pas de formes aux nuages, sur le pont du navire.

Aussi, ce soir-là, elle avait oublié de fermer la porte…

Alors que la mutante plaçait son assiette et ses couverts sur la table, elle entendit une voix proche dans le couloir principal.

La voix semblait relativement jeune alors Kayla n’avait pas vraiment peur. Et pour tout avouer, elle préférait ça que l’idée de se faire coincer par la police et devoir gâcher son dîner pour des broutilles anti-mutantes... Curieuse, elle se fit l’idée qu’il devait s’agir de quelqu’un qui s’était perdu et quitta la cuisine, laissant le plat se réchauffer pendant ce temps. Alors qu’elle faisait glisser sa main le long du mur métallique et froid de l’immense couloir, elle entendit un hululement et nota le passage d’une chouette à quelques centimètres au-dessus de sa tête (ce qui était commun ici car le navire abritait de nombreux volatiles). Elle continua son avancée dans le couloir. C’est là qu’elle aperçue une jeune fille qui devait avoir son âge, presque aussi grande qu’elle. Elle avait une coupe à l’iroquoise et un sac à dos sur les épaules.

- Euh, salut ? Tu t’es perdue ? Je m’appelle Kayla, c’est moi qui m’occupe de ce navire. Enfin, plutôt de ce qu'il en reste...

Kayla n’était pas vraiment contre l’idée de prêter une chambre à quelqu’un pour la soirée. Après tout, Ororo ne lui semblait pas hostile. L'odeur de nourriture qui avait pris plus d'ampleur leur parvenait à présent et la faisait discrètement saliver.

- Ah au fait, désolée pour Gaspard. Mais en fait y'a son nid juste au-dessus de ta tête, c'est pour ça qu'il n'a pas été très poli.

Elle ris légèrement. Elle venait effectivement de constater que le nid était vide et avait fait le rapprochement avec le volatile furieux qu'elle venait de croiser dans le couloir.

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- Oh tu sais, ce n’est pas moi qui ait choisi le nom de la chouette, ce sont ses parents, dit Kayla tout naturellement avant de poursuivre. Les animaux aussi se donnent des prénoms entre eux, tu sais ? Ils sont comme nous. C’est juste que les humains n’ont jusqu’à maintenant jamais trouvé de moyen de communication qui leur permette de comprendre ce qu’ils disent. Moi, je les comprends depuis que je suis petite. Mais même si la chouette a pu te faire peur, elle ne te fera pas de mal. Tous les animaux qui sont ici ne feront jamais de mal à personne. C’est parce que je leur interdis de le faire. A ce sujet, ne t’étonne pas de voir un tigre roder dans le coin. C’est mon ami. En fait, je n’aime pas le terme « animal de compagnie », je trouve ça irrespectueux. J'espère qu'un jour, les hommes comprendront que les animaux sont de véritables êtres vivants à part entière qui ont eux aussi une vie, une famille, des sentiments et des rêves. J'espère qu'ils arrêteront de les traiter comme des objets.

Kayla parlait beaucoup mais cela ne lui faisait pas de mal car elle n’avait pas souvent de la visite. Elle pouvait s'exprimer librement car elle avait la drôle de sensation de ne pas se sentir jugée pour une fois. Elle souri face à la remarque d’Oro concernant le navire.

- C’est exactement ce qui m’a poussé à venir m’installer ici. La curiosité. Et puis l’endroit est assez enclavé alors c’est plutôt sympa niveau tranquillité. Pas de voisins pour venir me casser les pieds, hormis quelques mouettes un peu trop bavardes… Au fait, tu ne me dérange pas, c’est juste que j’ai été surprise de voir quelqu’un entrer ici. A vrai dire, ce sont plutôt des animaux errants qui viennent…

Kayla fût interrompue par le gargouillement de l’estomac d’Ororo. Elle haussa légèrement un sourcil en se rendant compte que le sien venait aussi de gargouiller en même temps. Elle ne passa donc pas par quatre chemins et décida de mettre un terme à la petite discussion.

- On est au moins d’accord sur ce point. La cuisine est par là, si tu veux manger un morceau !

Kayla lui fit signe de la suivre et s’avança jusque dans la cuisine qui s’avérait être la pièce la plus lumineuse et colorée du bateau. C'était en réalité l'ancien self/bar du bateau qui avait été entièrement restauré et rénové. Il y avait un vieux piano qui trônait non loin des tables et des étagères contenaient des aliments parfaitement ordonnés. Kayla avait pris également possession de l'énorme bar qui, bien qu'il devait servir autrefois à servir de l'alcool, servait à présent coca, limonade et grenadine (Kayla supportait très mal l'alcool à cause de sa mutation). Cela se voyait que la mutante portait vraiment attention à la nourriture. Il y avait là de quoi nourrir au moins 4 familles de 4.

Un tigre, bien sage quant à lui, dormait dans son panier dans un coin de la pièce. Kayla installa un deuxième couvert au cas où Oro se déciderait à la joindre.

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L’arche de Noé… si seulement Oro savait ce que Kayla planifiait. Elle était actuellement en train d’économiser pour s’acheter un chalutier qui lui permettrait de ramener les animaux qu’elle recueillerait des différents zoos de New-York dans leurs différents pays d’origine. C’était une idée très ambitieuse et surtout très risquée. Mais Kayla était sûre d’elle et sûre de son plan. Elle connaissait exactement toutes les sorties, toutes les entrées des zoos et les horaires de tours des gardiens. Sa première cible était le zoo du Bronx. Bien sûr, n’ayant pas d’alliés, elle comptait s’y prendre seule. La mutante gardait cependant ce secret bien gardé.

- C’est… un peu ça… une arche de Noé pas vraiment fonctionnelle cependant… dit-elle avec une voix qui trahissait une légère déception. Si seulement ce bateau n'était pas une épave et comptait un personnel à son bord, Kayla aurait pu en faire un refuge immense et accomplir son rêve beaucoup plus rapidement.

Elle amena le plat chaud sur la table. La feijoada était un plat simple avec du riz, des morceaux de viande et des tranches d’orange, qui sentait très bon et auquel Kayla apportait sa petite touche personnelle en le relevant de quelques épices. Elle en servit une bonne part à Oro avant de se servir également la même quantité puis de s’asseoir en face d’elle. Kayla la vit ensuite se servir de boissons et ne dit rien, trouvant agréable le fait que la nouvelle invitée se sente comme chez elle.

- Je suis capable de communiquer avec les animaux et je suis métamorphe animale. La cause animale me tient à cœur tout autant que la cause des mutants, c’est pourquoi je tente de militer de mon côté pour leur liberté. La voix de la paix serait plus profitable mais parfois, il faut un peu se salir les mains pour se faire entendre…

Kayla militait seule depuis quelques mois seulement. Que ce soit de la bonne façon ou non, elle ne se posait pas vraiment la question et se fichait un peu du regard que les autres ou qu'Oro pouvait lui porter. Bon ou mauvais, têtue comme elle l’était, elle ne l'aurait de toute façon jamais entendue que d'une oreille si elle avait tenté de la raisonner. D’ailleurs, le regard de Kayla glissa pendant le repas sur un tas de journal qui se trouvait empilé dans un coin de la pièce. Kayla y faisait les gros titres. « Un animal sauvage s’en prend de nouveau à un sénateur », « Troisième agression ce mois-ci en plein jour par un gorille, un mutant soupçonné d’être derrière les attaques ».

Kayla qui grignotait un pilon de poulet à ce moment, se leva pour faire mine d’aller chercher quelque chose dans le placard. Elle changea aussi de sujet pour occuper Ororo et qu’elle ne remarque pas qu’elle était en train de glisser discrètement du pied lesdits journaux sous le meuble.

- Et toi Ororo, tu m’as dit que tu venais de New-York, mais qu’est-ce que tu faisais là-bas ? Est-ce que tu es une mutante toi aussi ?

Qu’elle ne s’inquiète pas si elle fût humaine. Kayla ne s’en prenait qu’aux anti-mutants. Au pire des cas, elle ne lui ferait rien, pouvant toujours essayer de la convaincre que la cause qu'elle défendait n’était pas juste.

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Kayla qui avait terminé son petit ménage, se tourna vers Oro. Elle était restée debout, appuyée contre le meuble, car elle ne supportait plus vraiment d’être assise et ça lui prenait souvent de manger en se baladant, l’assiette à la main. Une vieille habitude pas très polie ni convenable en présence d’invités, mais qui était trop ancrée en elle pour le moment. Elle ouvrit d’ailleurs le hublot pour faire entrer de l’air dans le bateau car elle avait trop chaud. Dehors, le ciel était constellé d’étoile et le clapotis des vagues se faisait entendre contre la coque du navire. Elle acquiesça à la remarque d’Ororo.

- Oui, exactement, tous ces animaux et beaucoup d’autres. J’évite cependant de prendre la forme d’un éléphant quand une pièce est trop petite ou de me transformer en araignée face à un arachnophobe, dit-elle en rigolant.

Elle remarqua qu’Oro n’était pas forcément très à l’aise à raconter son passé mais Kayla le trouvait incroyable. Elle se reconnaissait un peu en elle lorsqu’elle lui raconta qu’elle était membre d’une aide humanitaire. Kayla n’aidait peut-être pas les populations civiles, mais elle avait donné quasiment tout son héritage à des associations qui défendaient la cause animale. Savoir qu’elle n’était pas seule à tenter d’œuvre pour le bien, la faisait légèrement sourire. Kayla se serait sans doute sentie très à l’aise dans un groupe de super-héros. Mais au fond, elle se sentait rejetée par tous et doutait très fortement de la place qu’elle avait dans ce monde, d’où son envie d’isolement. Son mépris pour l’humanité lui revint brusquement en arrière-goût, alors qu’elle trouvait l’histoire d’Ororo passionnante. Elle remarqua cependant qu’elle perdit toute sa joie de vivre en prononçant le mot « enseignante ». Kayla aurait adoré enseigner la biologie dans une école. Elle ne comprenait pas pourquoi Ororo faisait cette tête. L'expérience d'enseignement avec des élèves devait être géniale. Mais elle se rappelait qu’elle était bien trop marginale pour pouvoir exercer un métier de la sorte et que les élèves auraient sans doute peur d'elle…

- Ça va, Oro ? lui demanda Kayla qui venait de remarquer le visage emprunt de tristesse de son amie (et qui n'avait pas non plus fait attention au diminutif qu'elle venait d'utiliser pour le coup). Kayla se sentait un peu gênée. Elle avait dû être un peu trop indiscrète et éveiller un souvenir probablement douloureux en elle. Elle s’excusa. Désolée, je pensais pas que… enfin bref… Jamais été douée pour les excuses... marmonna-t-elle dans sa barbe.

Kayla s’étira et s’allongea dans le hamac qui se trouvait dans un coin de la pièce. Elle commença à se balancer légèrement de droite à gauche.

- Une mutation en rapport avec le contrôle de la météo ? Mais c’est super classe ! Tu dois être vachement puissante ! s’enthousiasma Kay avant de bailler. Ouaah… désolée, je suis trop claquée… si t’a envie de rester dormir ici pour ce soir, ne te gêne pas. Y’a toute la place que tu veux. Sinon, je veux bien que tu me laisse un peu de soleil en part…

*ROOOONFFLLEE*

Kayla n’avait même pas eu le temps de terminer sa phrase qu’elle s’était endormie d’un coup, laissant le loisir à Ororo de faire ce qu'elle voulait à bord du navire. Et oh misère, il restait encore un journal à sensation qui traînait dans un coin... Si Oro le remarquait, Kayla était foutue.

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Le soleil perçait par la fenêtre du hublot au lendemain matin. Au dehors, quelques mouettes rieuses se faisaient entendre et volaient en cercle autour du navire. L’air était frais et sentait bon le sel marin. Kayla avait passé une excellente nuit. Malgré tout ce qu’elle aurait pu penser, elle avait été heureuse d’accueillir quelqu’un chez elle et de partager un bon moment. Aussi bizarre que celui pouvait lui paraître, elle appréciait véritablement quelqu’un pour une fois. Ororo lui ressemblait tellement…

Lorsqu’elle ouvrit les yeux, elle remarqua une couverture qui n’était pas sur elle la veille et la retira avant de se faufiler doucement en dehors de son hamac pour s’étirer. Ororo dormait encore et elle ne voulait pas la réveiller. Elle se dirigea vers la table et commença à préparer des sandwichs pour le déjeuner. C'est alors qu'elle remarqua la présence d’un journal à moitié ouvert sur la table et fronça les sourcils. Elle était pourtant sûre de les avoir tous cachés hier soir. Si Ororo l’avait lu, elle pouvait s’attendre soit à de la crainte de sa part lorsqu’elle se réveillerait, soit à des reproches ou quelque chose d’autre. Elle ne fit pas de bruits pour le moment mais craignait de perdre la seule personne qui était devenue pour elle son amie depuis son arrivée aux Etats-Unis. Kayla passa rapidement en tête tous les arguments valables qu'elle pouvait sortir pour se justifier.