[Terminé] I can lose everything but not you

Là où les nuages et la mer se rejoignaient, au milieu de l’océan Atlantique Nord, les pales de rotor de l’hélicoptère tournoyaient dans le ciel gris comme des aiguilles de courage défiant le temps mauvais ; on lui avait mille fois répété qu’il était bien trop dangereux de voler avec une météo aussi mauvaise mais, affirmer qu’il leur avait laissé le choix aurait été un odieux mensonge. Il fallait qu’il la voit. Maintenant. Les vagues déchaînées léchaient les patins en fer sous l’engin volant, et le vent virulent venait fouetter la cabine qui tanguait parfois sous l’assaut des bourrasques mais le Soldat n’en démordait pas, malgré les conseils prudents des deux pilotes installés à leur poste, et qui échangeaient des regards inquiets. Il allait la voir. Maintenant.
ㅤㅤCombien de temps s'était écoulé depuis qu'il l’avait vue pour la dernière fois ? Trop longtemps. Le temps, justement, s’était approprié le manque depuis quelques semaines, en même temps que la colère et les angoisses, mais le paroxysme de sa nervosité avait été atteint lorsque, la veille, il avait reçu les mots alarmants du télépathe Charles Xavier. Depuis que ce dernier lui avait fait part de ses propres inquiétudes au sujet de la Sorcière, Bucky portait en son coeur une détermination sans faille, qui ne saurait tolérer aucune résistance. Aussi, lorsque la prison du Raft apparue enfin sous l’hélicoptère, véritable forteresse de sécurité comparable à un énorme rocher perdu au milieu des vagues en furie, il avait froncé les sourcils en prenant une fine inspiration pour se donner de la force et du courage. S’il avait réussi à convaincre les deux pilotes de le conduire jusqu’ici, il savait que le plus dur restait à faire…

« Je ne partirai pas avant de l’avoir vue. »
Si l’orage était acerbe, sa voix affirmait une fermeté qui n’était point belliqueuse mais qui laissait clairement entendre qu’il ne renoncerait pas à sa quête. Voilà quelques minutes déjà qu’il faisait face à un membre de la sécurité qui n’était pas facile à convaincre, et l’homme semblait de surcroit perdre patience devant son insistance féroce ; une main tendue en direction de Bucky pour le sommer silencieusement de ne pas avancer davantage, il campait sur l’opposition. Un véritable dialogue de sourds s’instaurant, aucun des deux ne voulant franchir l’étape crucial du ton qui se hausse pour devenir agressif, ils se toisaient néanmoins avec un air de nervosité de plus en plus palpable.
« Je suis envoyé par les Avengers pour s’assurer qu’elle va bien, rien de plus.  »
Petit mensonge, réalité déguisée. Ne laissant rien paraître de cette vérité arrangée, Bucky n’avait pas tressailli en la prononçant mais avait haussé l’un de ses sourcils comme pour le questionner et, pour la première fois depuis le début de leur affrontement qui avait des allures de guerre-froide, l’homme avait soupiré en s’éloignant pour remonter sa main jusqu’à son oreillette de sécurité : avec les vagues qui déferlaient comme un tonnerre d’eau salée et le vent qui soufflait en hurlant à ses oreilles, le Soldat n’avait pas bien entendu ce qu’il avait dit mais, lorsqu’il l’avait vu revenir, Bucky n’avait guère attendu pour reprendre aussitôt la parole, joignant ses mains sur le devant de son corps avec un calme olympien :
« Si vous refusez qu’on la voit, c’est que vous avez quelque chose à cacher.
— Vous allez la voir, mais pas longtemps. Suivez-moi. »
Le temps d’un éclair, la surprise avait rompu son expression impassible pour envahir ses traits, espaçant même ses lèvres de quelques degrés. Il allait la voir… C’est qu’elle allait bien, c’est qu’elle était vivante. Le soulagement s’opérait en cet instant comme une caresse inespérée appliquée à ses pensées tourmentées, et il n’avait peut-être pas réalisé à quel point cette angoisse avait pesé sur son coeur, devenu moins douloureux en cet instant. Ne sachant pas très bien ce qui avait fait céder les agents du Raft, Bucky avait gardé les effusions de joie pour le secret de ses sentiments, ne voulant pas éveiller les soupçons de celui qui allait être son guide. Se contentant, donc, d’avaler sa salive en inspirant de nouveau une fine quantité d’air, le Soldat avait séparé ses mains en entamant le pas derrière l’agent, impatient de voir celle qui faisait toujours battre son coeur.

Le bruit lourd de leurs bottes frappant le sol de la passerelle en métal résonnait sous leurs pieds, donnant l’impression de battre à l’unisson avec le coeur du Soldat qui sursautait presque dans sa cage thoracique. La perspective de revoir Wanda l’emplissait d’une joie qu’il s’efforçait de contenir, et qui était encore prisonnière des appréhensions inquiètes formées par les mots de Charles Xavier. Elles étaient vivantes, certes, mais dans quel état de détresse ? Pourquoi le télépathe n’arrivait-il pas à entrer en communication avec elles ? Il n’y connaissait rien en matière de télépathie mais si on l’avait envoyé en urgence jusqu’ici, ce n’était pas pour rien. Quelque chose se passait. Quelque chose de grave.
ㅤㅤAprès quelques minutes de marche derrière l’agent revêche, quelques minutes durant lesquelles ils avaient traversé d’innombrables salles, passerelles, portiques et couloirs, et après que le personnel du Raft fut rassuré sur son état non-armé (bien qu’ils ne pouvaient pas lui retirer son bras, qui constituait sa meilleure arme), le Soldat avait été enfin conduit jusqu’à Wanda, dont la cellule ressemblait davantage à une chambre d’hôpital qu’à une geôle de prison. À travers la vitre rectangulaire qui donnait vue sur celle-ci, la rousse était allongée sur un lit médicalisée, amorphe, assujettie aux perfusions et tuyaux qui la maintenaient en vie ; le choc de ce spectacle pour le moins inattendu l’avait laissé un instant paralysé, figé dans une contemplation horrifiante qui avait accéléré sa respiration en même temps que les battements de son coeur, faisant trembler ses mains d’une nervosité qui l’aurait sans doute poussé à frapper la vitre si la voix d’une infirmière ne s’était pas manifestée jusqu’à lui pour le ramener à la raison. Elle souhaitait répondre à ses possibles questions et il en avait des tas à lui poser mais, alors que l’expression nerveuse de son visage crispé se déformait pour qu’il puisse prendre la parole, l’agent qui l’accompagnait avait coupé court à toute discussion en affirmant qu’il ne rentrerait pas. Alors ça, c’était mal le connaître. Les plans comme les ordres, il s’en foutait pas mal, et ce n’était pas le gringalet avec son casque qui allait l’empêcher de rentrer pour rejoindre sa bien-aimée.
« Vous croyez vraiment que j’ai fait tout ce trajet pour me contenter de la voir à travers une vitre ? »
Arquant l’un de ses sourcils avec un air hautain, Bucky l’avait regardé quelques secondes avec des iris glaçants, se rapprochant de lui pour lui faire face avant de se détourner pour poser un regard plus doux sur l’infirmière, qu’il devinait être sa meilleure alliée pour le moment. Il allait sciemment ignorer l’agent pour se concentrer sur les dires de l’infirmière, ne voulant pas perdre de temps avec l’autre abruti dans son dos.
« Qu’est-ce qu’elles ont ? Pourquoi sont-elles dans cet état ? »
Parler au pluriel de la jeune femme qui se trouvait de l’autre coté du mur pouvait paraître déconcertant pour son interlocutrice, certes, mais il était inconcevable pour Bucky de nier l’une ou l’autre, pas après tout ce qu’il s’était passé et tout ce qu’elles avaient enduré : elles étaient deux à coexister dans le même corps, et il était autant inquiet pour l’une que pour l’autre. Inutile de demander laquelle des Sorcières se trouvait présentement à la surface, Wanda semblait tout bonnement incapable de formuler un seul mot dans cet état…
« Si je leur parle, elles vont m’entendre ? »
Si Wanda ne pouvait pas parler, qu’importe, il parlerait lui. L’Avenger attendit alors d’obtenir toutes les informations jugées nécessaires par l’infirmière et, la remerciant  pour son aide d’un sourire à la fois sincère et cordial, il s’était retourné vers l’agent pour lui dire, d’une voix plus froide mais néanmoins imperturbable :
« Comme vous venez de l’entendre, Wanda est en très grande souffrance. Elle a besoin de voir un visage familier et il se trouve, par chance, que j’en suis un. Alors je vais rentrer dans cette pièce que vous le vouliez ou non ; si cela ne vous convient pas, appelez-donc Nick Fury ou Maria Hill, ils se feront un plaisir de vous répondre. »
Relevant son menton, il avait planté son regard azuré dans celui de l’homme qui lui faisait face pour qu’il comprenne à quel point il était déterminé, avant de suivre l’infirmière à l’intérieur de la pièce. Grimaçant légèrement sous l’odeur caractéristique du désinfectant, Bucky s’était approché du lit de Wanda en glissant l’une de ses mains contre la sienne tandis que sa main robotique remontait à son front pour caresser distraitement la naissance de ses cheveux, avec douceur. Mais malgré la tendresse de ses gestes, la cruauté de l’instant ne trompait personne. Elle n’était plus que l’ombre d’elle-même, asservie dans ce lit médicalisé, les poignets entravés et nourrie par une sonde reliée à son nez. Bien qu’étant ému, Bucky ne fit rien paraître et lui offrit même un sourire qui se voulait chaleureux, alors qu’il prenait la parole de sa voix chevrotante sous l’émotion :
« Salut toi… »
Observant son visage aux traits creusés, la blancheur maladive de sa peau blafarde, la détresse dans ses yeux égarés, la teinte terne de ses cheveux étalés sur l’oreiller blanc, Bucky s’était finalement attardé sur le curieux collier qu’elle portait autour du cou. Fronçant légèrement ses sourcils tout en penchant son menton sur le côté, il avait demandé à l’infirmière, sans le quitter des yeux et sans s’éloigner de Wanda :
« Qu’est-ce que c’est ? »

Les informations données par l’infirmière circulent dans son esprit comme les rouages assemblés d’une angoisse qui commence à composer des réponses aux questions tortueuses : ses pouvoirs sont bridés et elle dépérit de jour en jour, voilà pourquoi Charles Xavier ne peut entrer en communication avec elle. Un instant, sa langue brûle de formuler un reproche tout aussi bouillant ; ils savent qu’elle est en train de s’éteindre mais personne n’a levé le petit doigt pour l’aider. Pire encore, personne n’a jugé bon de prévenir quelqu’un du S.H.I.E.L.D. pour qu’ils puissent intervenir et aider. Si le professeur Xavier n’avait pas essayé de la contacter par télépathie, peut-être n’auraient-ils jamais su ce qu’il se passait, peut-être ne serait-il jamais venu et… Il l’aurait perdue, pour de bon. Sans le savoir.
ㅤㅤCette idée hideuse lui soulève le coeur avec une colère féroce et il est obligé de remuer ses lèvres avec nervosité pour garder son venin, ne voulant pas se mettre à dos la seule alliée qu’il semble avoir en ces lieux. La simple idée de perdre Wanda lui est intolérable mais, conscient des enjeux et du fait qu’il n’a pas l’avantage, il s’efforce de maintenir sa colère dans le poing robotique qu’il garde scellé vers le bas de son corps — il en faudrait de peu pour que ce même poing se retrouve dans le nez de l’agent qui l’accompagne.
« Je dois la voir. »
Dit-il d’une voix calme mais ferme à l’attention de l’infirmière affable et, faisant fi des protestations plus ou moins virulente de l’agent dans leurs dos, tous deux s’engouffrent dans la cellule de la Sorcière en prenant soin de refermer la porte derrière eux, ce qui provoque bien évidemment la désapprobation de l’homme resté dehors. Ce dernier, ne démordant pas de ses positions, vient cogner contre la vitre, ordonnant à l’Avenger de sortir et menaçant même l’infirmière de lui coller un rapport mais, sitôt que ses yeux rencontrent ceux de Wanda, Bucky ne l’entend plus. Soudain, le monde autour disparaît. Il n’y a plus qu’elle.
ㅤㅤMais sa belle ne semble pas l’avoir entendu arriver puisque c’est la main qu’il pose sur ses cheveux qui dévie son menton pâle en sa direction ; doucement, ses doigts masculins distillent quelques caresses tendres, replacent correctement ses mèches rousses puis se déposent dans le creux formé entre son crâne et l’oreiller, afin d’effleurer ses cheveux d’un mouvement aérien en espérant que ces gestes, peut-être dérisoires et fluets, parviennent à l’apaiser. Son autre main, robotique celle-ci, rejoint la main de la Sorcière alitée et alors qu’il lui parle d’une voix basse, lui adressant quelques mots soufflés avec douceur, il sent qu’elle serre sa main… Le contact froid du métal contre sa paume ne doit pas lui être agréable mais, elle est là, elle lui montre, elle lui hurle à sa façon qu’elle lutte une nouvelle fois pour continuer d’exister. Ce sursaut de vie, presqu’inespéré après le portrait que l’infirmière avait dressé de sa dulcinée, lui avait arraché un sourire de joie inestimable, qui avait illuminé jusqu’à ses yeux bleus dans lesquels se reflétaient les étincelles d’un amour sincère ; Wanda n’avait pas totalement disparu, pas encore. Il était encore temps de la sauver. Mais comment ? Il remarque bien rapidement le collier épais qu’elle porte autour du cou et, intrigué par la taille imposante du bijou en fer, il s’empresse de questionner l’infirmière à ce propos ; un inhibiteur neuronal. Si Wanda ne comprend pas ce qui se dit, Bucky, lui, le comprend sans difficulté aucune. Un courant électrique de colère traverse de nouveau l’expression de son visage qui se crispe brièvement, se hérissant de quelques mouvements nerveux comme le froncement de ses sourcils et de son nez mais, penché au-dessus de sa belle, il se contient une nouvelle fois pour maintenir une stature apaisée et souriante du mieux qu’il peut, ne voulant pas l’inquiéter davantage. De leur échange silencieux, leurs iris fondus l’un dans l’autre, Bucky comprend toute la souffrance endurée par sa bien-aimée ; d’un regard, il semble lui promettre que plus personne ne la fera souffrir, que son calvaire est bientôt terminée.
ㅤㅤSa main humaine quitte ses cheveux roux pour venir intercepter la larme qui roule sur sa joue, tandis qu’il semble, l’espace de quelques secondes, réfléchir à toute vitesse. Puis, après avoir lancé un regard complice à sa belle, il lance d’une voix simple et assurée :
« Est-ce que je peux vous demander de sortir pour essayer de le convaincre que je ne représente aucun danger pour Wanda ? Elle doit l’entendre crier et je ne crois pas que ce soit bon pour elle, elle a besoin de calme et de repos vous comprenez… »
Par chance, l’infirmière acquiesce et, sans se rendre compte de la manipulation orchestrée, ressort de la chambre pour s’entretenir avec l’homme qu’elle prend par le bras et éloigne, afin que sa patiente ne puisse plus l’entendre hurler. Comprenant qu’il n’a pas beaucoup de temps, Bucky lance un bref regard en direction du couloir avant de quitter la main de Wanda pour libérer sa main robotique, qu’il remonte jusqu’au cou de sa belle ; craignant de lui faire mal, il lui murmure d’abord avec douceur :
« Je vais t’enlever cette saloperie, d’accord ? Je ne sais pas si ça va te faire mal mais, c’est pour ton bien… »
S’il semble sincèrement désolé en prononçant ces mots, son expression change radicalement lorsqu’il attrape le collier entre ses doigts robotiques, bien plus robustes et forts que sa main humaine, tout en appliquant celle-ci sur l’épaule de sa bien-aimée pour la maintenir contre le lit médicalisé. Ses sourcils se froncent de nouveau, creusant des plis de concentration sur son front tandis qu’il force pour rompre le collier scellé, qui finit par céder sous l’insistance, sans qu’il ne puisse véritablement le voir s’ouvrir : sitôt que la gorge de Wanda est libérée, Bucky se retrouve propulsé de l’autre côté de la pièce, un sursaut de surprise franchissant la barrière de sa gorge sous l'impulsion qu'il espère être un écho de sa libération. Se hissant rapidement sur ses jambes, le Soldat se rapproche aussitôt du lit de Wanda en gardant ses lèvres espacées sous sa respiration saccadée, ne la quittant pas des yeux, gorgé d’espoir et d’inquiétude à la fois.
« Wanda... ?  »

Après l’onde de choc l’ayant propulsé contre le mur de l’autre côté de la pièce, le sifflement dans ses oreilles le rend un instant sourd et désorienté ; ses pensées s’arrêtent, se figent sur les dernières traces d’une appréhension qu’il n’est pas sûr de pouvoir déterminer, puis tout lui revient progressivement. Dans le coin de son champ de vision, à travers la vitre donnant sur le couloir illuminé par des lumières artificielles blanchâtres, il aperçoit le mouvement des bras qui tambourinent de colère mais il n’entend pas la voix qui le somme de sortir sur le champ ; en-dehors de la chambre, dans l’ombre de la stupeur qui anime encore ses traits, l’infirmière tremble en tenant son trousseau de clefs entre ses mains incertaines, ne se souvenant plus de laquelle ouvre la porte de sa patiente libérée, et reçoit les aboiements de l’agent en furie. Après une légère grimace de douleur, Bucky se redresse et lance un regard hasardeux en direction de la porte déformée, qui ne laissera probablement personne entrer avant un moment ; tant mieux se dit-il, détournant les yeux vers la rousse qui prononce son prénom comme un appel à leurs retrouvailles, de sa voix qui lui avait tant manqué. Peut-on réellement souffrir de l’absence d’une voix ? Une émotion particulière le traverse, un soulagement teinté de réconfort qui fait tendre sa bouche vers le bas pendant un court instant, et qui le pousse à se rapprocher d’elle pour saisir la main qu’elle lui tend. « Je suis là… Je suis là, je ne pars pas. » Remontant leurs mains jointes, il embrasse la jointure de ses doigts pliés avant de poser un regard caressant sur elle, son pouce venant effleurer tendrement la surface de sa main tandis qu’il se rapproche encore de quelques degrés, n’accordant aucune attention à l’agent qui continue de beugler au-dehors car, en cet instant, il n’existe qu’elle.

Et cela se voit dans son regard, dans son sourire, dans ses gestes. Il n’y a plus de colère, plus de rancoeur, plus de doutes. Il ne reste alors que l’amour sincère qu’il lui porte depuis de longs mois, ces sentiments qu’il avait voulu taire mais qui ne s’étaient jamais éteints et qui ne s’éteindront jamais. « Comment tu te sens ? » Lui demande-t-il à voix basse avec un doux sourire aux lèvres, sa main libre ayant à peine le temps de se poser sur le lit qu’une nouvelle vague d’énergie le surprend, lui faisant froncer les sourcils et courber le dos par réflexe, puisqu’elle traverse son corps au niveau de son ventre. Sans même s'en rendre compte, il resserre son étreinte autour de ses doigts et reste un quart de secondes immobile avant de se redresser, les lèvres pincées mais l’expression presque joueuse ; il s’apprête à lui demander si c’est un message pas vraiment subtil de la part de son double qui serait mécontente de le voir mais, Wanda ne lui laisse pas le temps de formuler le moindre mot et saute du lit et se retrouve sur le sol, incapable de tenir sur ses jambes.
ㅤㅤㅤInstinctivement, il recule alors de quelques pas pour lui laisser de l’espace, baissant le menton pour l’observer mais ne comprenant pas tout de suite ce qu’il se passe dans le corps de sa belle. Les pouvoirs, tout comme la télépathie et autres bizarreries de ce genre, il n’y connait pas grand-chose mais, qu’importe, il ne prend pas le temps de chercher à comprendre et se rapproche à nouveau de la rousse, s’agenouillant pour être près d’elle malgré les vagues successives qui le traversent, lui occasionnant une désagréable sensation qui se situe quelque part entre la gêne et la douleur. Elle le supplie et, ne sachant que faire pour l’aider, il se rapproche davantage pour l’enlacer, l’encerclant de ses bras musclés malgré les vagues d’énergie qui continuent de cogner contre son corps. « Je suis là… Calme toi, tout va bien, c’est fini. » Si la douleur lui est largement supportable, il s’inquiète surtout de ce qu’elle peut ressentir, elle. Caressant d’abord ses cheveux de sa main humaine, il embrasse le sommet de son crâne avant de glisser ses deux mains près de son visage pour l’encadrer, ses yeux azurés se plantant dans les siens pour qu’elle garde ce point d’ancrage avec la réalité et, peut-être, qu’elle arrive à trouver un semblant de quiétude afin de maîtriser ses pouvoirs. « Calme-toi, tu es capable de gérer ça, je le sais… Tu es la personne la plus forte que je connaisse, concentre-toi…  » Ne leur donne pas une raison supplémentaire d’avoir peur de toi. Il maintient le contact visuel avec sa belle, ses mains rivées auprès de son visage, ses pouces caressant ses joues, l’encourageant silencieusement et la soutenant du mieux qu’il peut, en espérant que ce soit suffisant…

Les tendres retrouvailles qu’ils partagent feraient presque oublier l’endroit sordide où ils se trouvent : l’amour enfin avoué se voit libéré dans l’environnement d’une prison, dont les geôliers derrière la vitre sont aussitôt oubliés. Mais elle, elle est là, tout près de lui, il peut sentir la douceur de sa peau contre la sienne plus rugueuse, admirer l’intense bleu parcourant ses yeux de vagues intrépides, parfois mélancoliques, parfois pleines d’espoir, mais l’écume porte une émotion vive dans ses iris azurés, promettant une paix qui les unirait sous peu. Les rapprochements sont encore timides, les caresses, éparses. Il n’ose pas la toucher plus qu’il ne le fait déjà, de peur de lui faire mal, de peur de la voir disparaître une nouvelle fois ; il a l’impression que le moindre mouvement brusque peut briser cette bulle de douceur qu’ils viennent de se créer et, en même temps, l’urgence du moment tonne derrière la vitre de la chambre, une petite voix alerte lui murmurant que le temps est compté : d’une seconde à l’autre, l’agent et l’infirmière peuvent entrés et briser la quiétude suave qu’ils ont l’un pour l’autre. Une quiétude amoureuse qui fait fleurir des baisers de tendresse sur les lèvres, des effleurements fiévreux qui en disent bien plus que ce que la voix ne peut formuler : des je t’aime soufflés dans le langage corporel, dans le langage si particulier des cils qui battent et qui avouent ce que l’autre sait déjà mais qu’il est primordial de dire : je t’aime.

Mais même l’amour ne peut rien contre l’expulsion d’énergie qui s’établit dans le corps de Wanda ; sans même pouvoir esquiver l’attaque involontaire, Bucky se retrouve projeté de l’autre côté de la pièce tandis que la rousse tente de descendre de son lit, ses jambes ne pouvant la supporter après tant d’heures d’immobilité ; elle s’effondre et se roule alors en boule pour tenter de restreindre ce qui peut l’être, mais ses pouvoirs se déploient sans qu’elle ne puisse réellement les contenir. Mais qu’importe le danger, le Soldat n’écoute que son coeur et ne perd pas de temps à examiner l’endolorissement de son épaule ; il se dirige sans attendre vers sa belle, qu’il ne sait comment aider, et suit son instinct en passant ses bras autour de son corps mal en point, ignorant les vagues d’énergie qui viennent percuter son torse. Il se met alors à lui parler en la serrant tendrement contre lui, effleurant sa joue, sa tempe et son front d’une main câline tout en l’encourageant et lui insufflant une confiance infinie pour qu’elle reprenne le contrôle de ses pouvoirs : elle en est capable, il en est sûr. Et petit à petit, sous les douces paroles qu’il lui fredonne, comme une rengaine amoureuse, le calme s’établit dans l’esprit et le corps de la jeune femme, qui ne distille plus ses vagues d’énergie ; il en est immédiatement soulagé, débarrassé de l’inconfort provoqué par celles-ci, mais ne lui démontre pas. Il se contente de plonger ses iris azurés dans les siens, détaillant chaque parcelle de son regard qui est un océan dans lequel il se perd volontiers, dans lequel il s’abandonne, s’oublie, se pardonnerait presque. À ses côtés, il devient un autre homme, un homme capable d’aimer mais, aussi étrange que cela puisse être, il est aussi un homme aimé. Lui qui pensait ne pas la mériter, ne pas être assez bien pour elle… Il se sent vivre sous son regard, bercé par une tendresse qu’il ne voudrait jamais quitter. Se pourrait-il qu’il ait traversé les années pour la rencontrer ? Il veut y croire. Ils étaient destinés à se rencontrer, s’aider, se soutenir, s’aimer.

Lorsqu’une larme glisse le long de sa joue, il ne cherche pas à l’effacer ; il comprend que c’est une larme de soulagement, de joie, et il veut la laisser vivre. La dernière larme d’un chapitre douloureux qui vient de se clore. La dernière page vient d’être écrite, désormais, il faut commencer un autre chapitre : la renaissance de leur amour. Mais est-ce que leur amour allait survivre aux révélations qu’il s’apprêtait à lui faire ?

Pressant ses lèvres l’une contre l’autre, sans perdre le regard amouraché qu’il a déposé sur son visage, Bucky semble hésiter, chercher ses mots. Elle pourrait lui en vouloir et il le comprendrait, mais il se refuse à lui mentir. « J’imagine combien tu as pu souffrir ce jour-là… » Commence-t-il à dire en replaçant délicatement une mèche de ses cheveux derrière son oreille, avant que sa main féminine ne vienne sur la sienne, robotique ; c’est une vision étrange, et il croit même percevoir comme la sensation d’une caresse à son contact, mais ne s’en étonne pas plus longuement. Entrelaçant leurs doigts, en espérant que le froid du métal ne lui soit pas désagréable, il reprend la parole, en essayant de choisir ses mots avec soin : « En réalité, je n’ai jamais eu la gorge tranchée. Et ce n’était pas Loki, que tu as vu. » Comme il devine que ces premières paroles soulèvent plus de questions que de réponse, il observe son visage un court instant avant de reprendre, d’une voix toujours aussi calme et douce : « C’était Raven Darkholme, tu la connais déjà il me semble. Elle a pris l’apparence de Loki pour qu’on puisse réaliser notre plan : te faire croire que j’étais mort pour que tu reviennes, que tu reprennes le dessus. Et pour les illusions, c’est une élève de Charles Xavier qui a usé de ses pouvoirs. » Il n’incrimine personne, surtout pas Clint, qui est l’auteur du plan : si elle doit être en colère, ce sera contre tous, il est hors de question qu’il sacrifie son ami pour se dédouaner de ses responsabilités. Mais à présent que la vérité a été révélée, il attend sa réaction, craignant qu’elle le rejette et redoutant qu’elle lui en veuille pour cette machination aussi cruelle que fourbe…