Je redoutais clairement les retrouvailles avec Wanda à cause de sa connasse de double. J'aurais largement préféré qu'elle l'anéantisse, mais apparemment c'était pas possible. Qu'est-ce qu'une conversation avec elle allait pouvoir donner ? Est-ce qu'elle avait des remords pour ce qu'elle avait fait, dit, ou tenté de faire ? Ou est-ce qu'elle nous haïssait tous toujours autant ? Ce qui était certain, c'est qu'on ne reviendrait pas en arrière. Rien ne serait plus comme avant.
Avant quoi, de toute manière ? On avait tous vécu des tragédies, on avait quasiment tous dérapé à un moment ou à un autre. La dernière conversation avec Natasha me revint subitement en tête. Je ne juge pas les gens d'après leurs pires erreurs, m'avait-elle dit. Je ne l'avais pas fait pour elle. On s'était mutuellement pardonné, parce qu'on avait su avancer, évoluer, parce que nos liens étaient plus forts que nos différents. Espérons que ça fasse la même chose avec les deux Wanda.
Bucky écouta mon aveu, la mine sérieuse et concentrée. Il ne parut pas surpris. Il ne laissa transparaître aucune émotion, en fait. Il hocha la tête lentement, l'air pensif. Pas de jugement. C'était appréciable.
Le bruit de verre brisé mit aussitôt mon corps en tension et mon regard vif se fixa sur le comptoir. Ce n'était rien… Rien qu'une maladresse de barman. Je poussai un soupir et fixai de nouveau mon attention sur Bucky, qui m'annonçait comprendre mon sentiment. Tant mieux. Je réalisai alors que je pourrai lui confier mes craintes à ce sujet, avant d'aller voir Wanda, probablement aussi après l'avoir revue. Il me soutiendrait si j'en avais besoin, et ça me faisait du bien de m'en rendre compte. Dans cette vie compliquée que l'on menait, on avait besoin d'alliés solides.
Puis il prononça un nom qui me crispa instantanément. Loki… Cette ordure… Ce salopard… Ce… Y'avait même pas de mot assez fort pour le définir. J'avais essayé de ne pas trop penser à lui ces derniers mois, mais il hantait toujours mes cauchemars. Bucky ne le connaissait pas. Il n'avait jamais eu à l'affronter, il n'avait jamais subi directement ses manipulations. Et pourtant, il semblait avoir compris bien des choses à son sujet.
« Je confirme, il est en partie responsable. Il l'a séduite, l'a manipulée pour qu'elle tombe amoureuse de lui. Il lui a promis monts et merveilles, lui a assuré qu'il la débarrasserait de son alter-ego... alors qu'en réalité, il voulait uniquement s'emparer de sa puissance. Il a failli réussir. J'étais là quand il a voulu l'emmener. Elle a voulu le suivre, mais je l'ai empêchée de partir avec lui. Et c'est là qu'elle a vrillé. »
C'était sans doute difficile à entendre pour Bucky, mais il avait le droit de connaître la vérité. Wanda, probablement influencée par son côté sombre, avait eu une aventure avec l'un de nos pires ennemis. Et il avait été l'élément déclencheur de son basculement. J'avais ma part de responsabilité dans cette histoire, mais si je ne l'avais pas retenue par la force, qui sait ce qui se serait passé ?
« Cet enfoiré cosmique est un caillou dans notre botte depuis déjà douze ans. S'il y a un être dans ce foutu univers que je rêve de tuer de mes mains, c'est bien lui. »
Je n'avais pas besoin de m'épancher là-dessus, j'étais certain que Bucky me comprenait très bien. Loki était pour moi ce que Zemo devait être pour lui. Néanmoins… Je réalisai que je ne donnais pas le bon exemple en m'exprimant ainsi. J'avais longuement parlé avec le Captain des valeurs qui font le vrai héros, des combats que doivent mener les bons leaders. Ca me faisait mal de l'admettre, mais il avait raison, bien sûr. Alors je repris la parole, pour cette fois parler comme on l'attendait de moi :
« Mais faire justice soi-même n'est pas la bonne solution. Il y a eu assez de tueries. Si on finit par lui mettre le grappin dessus, je devrai trouver la force de ne pas l'abattre. »
« Autant que possible, la confiance, c'est aussi cela : apprendre à accepter le monde et les autres comme imparfaits. Et la confiance lucide consiste à ne pas se mettre en position de dépendre et de souffrir de leurs imperfections. » (C. ANDRÉ)
Sous l’aveu de l’archer, la surprise ne parcourt pas les traits du Soldat, qui demeure aussi impassible que quiet : il ne s’offusque pas non plus d’entendre que Clint garde une certaine rancoeur envers la rousse, ce dernier et sa famille n’ayant guère été épargnés par la Sorcière Sombre, cela lui parait aussi légitime que naturel. Tout en faisant machinalement tourner sa bière froide entre ses doigts gantés de noir, il redoute néanmoins la souffrance et la culpabilité que cette rancoeur engendrera auprès de Wanda, mais il ne désespère pas de voir la situation s’améliorer dans le futur, lorsqu’elle sera sortie du Raft. Il leur faudra du temps pour retrouver l’amitié solide qui les lie, certes, mais Clint est (malheureusement) bien placé pour savoir que, parfois, la douleur et la colère engendrent des conséquences dramatiques mais, pour l’heure, Bucky se garde néanmoins de brandir cet argument, songeant que c’est encore bien trop tôt pour plaider la cause de leur amie. Chacun son rythme de chagrin, chacun son rythme de colère pense-t-il.
Mais il ne peut s’empêcher d’aborder le sujet aussi épineux que sensible qu’est Loki ; si Bucky ne le porte pas spécialement dans son coeur non plus, il n’a pas un ressentiment aussi fort que celui de Clint, et peut alors constater que la simple élocution de son nom provoque, chez l’archer, une crispation aussi sincère que forte. Bucky n’a sans doute pas toutes les cartes en mains pour comprendre une telle rage envers le Dieu de la Malice, mais devine sans mal que Clint a ses raisons. De bonnes raisons. Et lorsqu’il lui délivre, le Soldat semble découvrir un pan de l’histoire jusqu’ici ignorée ; il hausse ses sourcils en redressant son visage, s’enfonce un peu dans la banquette en courbant son dos, ses deux mains quittant la table pour atterrir sur ses genoux. Il commence à parfaitement comprendre la répulsion de Clint pour Loki. « Il voulait l’emmener où ? » Demande-t-il finalement après quelques secondes de silence, essayant de ne pas paraître aussi perturbé qu’il l’est. Il ne peut s’empêcher de se demander dans quelle proportion l’Alter-Ego de Wanda a joué un rôle dans cette idylle avec Loki mais, comme cela ne lui inspire guère des sentiments agréables, il chasse rapidement ces idées pour revenir sur la table, disant alors d’une voix plus tranquille : « Tu as eu raison. Si elle était partie avec lui, il l’aurait sans doute utilisé comme une arme d’une façon ou d’une autre et, là, on l’aurait perdue pour de bon. On aurait probablement tout perdu d’ailleurs. » Ils ont suffisamment de démonstrations de la puissance de Wanda pour l’affirmer : si la Sorcière s’était alliée à Loki, les Avengers n’auraient rien pu faire pour les contrer. Clint avait fait le bon choix.
« Cet enfoiré cosmique est un caillou dans notre botte depuis déjà douze ans. S'il y a un être dans ce foutu univers que je rêve de tuer de mes mains, c'est bien lui. » L’aveu de Clint ne fait point frémir le Soldat qui, l’avouerait aussi, pourrait tenir ce même discours pour le baron Zemo. Il peut parfaitement comprendre la rage qu’il voue à l’Asgardien alors, il se contente de presser ses lèvres dans une expression de compréhension, son menton se hochant imperceptiblement avant que, finalement, le leader se reprenne, se montrant plus tempéré dans ses propos. Ayant suffisamment côtoyé Steve pour reconnaître le ton de ses mots dans les paroles de Clint, Bucky adresse finalement un sourire plus franc et complice à celui-ci en répondant, un brin amusé de ce revirement de discours : « J’ai déjà entendu ça, je crois… » Apportant sa bière à ses lèvres pour en boire une nouvelle gorgée, il doit tout de même reconnaître que Clint (et Steve) ont raison, même s’il ne peut guère se vanter d’avoir suivi ce précepte lors de sa dernière rencontre avec Zemo. Il a bien failli le tuer et… Il l’aurait fait, avec un immense plaisir, si Rocket ne l’avalt pas retenu. Et il n’en aurait éprouvé aucune culpabilité.
Raclant discrètement sa gorge, il repose sa bière sur la table en appuyant ses coudes sur celle-ci au passage, lui répondant alors en agitant les doigts de sa main gauche, robotiques : « J’ai une bonne poigne, j’essayerai de te retenir. » Une façon un peu détournée et maladroite de lui dire tu peux compter sur moi.
THE FALCON & THE WINTER SOLDIER ✯ « they made you into a weapon and told you to find peace, but you can't because this is who you are, a product of war. chains are broken but are you truly free ? »
Clint Barton Avenger Agent du S.H.I.E.L.D. Niveau 8
Le sujet de Loki était très sensible pour moi, et après ce que je venais de révéler à Bucky, il serait sans doute sensible pour lui aussi. Il ne fit aucun commentaire sur la relation entre les deux, ayant sans doute besoin d'accuser le coup. Sa question me parut presque insolite, et j'eus besoin de prendre quelques instants pour me repasser la scène dans ma tête, avant de finalement répondre en haussant les épaules.
« J'en sais rien. J'crois pas qu'il l'ait dit. Mais il avait le Tesseract, il l'a toujours, donc il peut aller n'importe où. »
Je savais avoir fait le bon choix en retenant Wanda de force, même si ça avait été l'élément déclencheur de la furie de la Sorcière Sombre. Ca aurait fini par arriver de toute façon, et c'était Loki qui avait mis le feu aux poudres. Heureusement qu'elle n'était pas retombée dans le panneau par la suite, heureusement qu'elle s'était raccrochée à Bucky plutôt qu'à ce connard de dieu de la malice. Il aurait été hors de question que je me le farcisse comme beau-frère.
C'était agréable de pouvoir confier mes envies de meurtre sans me sentir jugé. Mieux, j'étais certain que l'ancien Soldat de l'Hiver me comprenait. Tout comme j'avais compris qu'il ait failli tuer Zemo, emporté par sa rage. Mais Rocket l'en avait empêché, et au final ce n'était pas plus mal. Tout comme Bucky m'empêcherait de buter Loki s'il le fallait. Cette marque de soutien, bien que sous-entendue, me toucha particulièrement. Je lui souris et levai ma bière vers lui, trinquant à sa santé avant de boire une longue gorgée.
J'avais bien vu son sourire lorsque j'avais changé de discours, et j'avais bien saisi son allusion. Oui, c'étaient les mots du Captain, plus que les miens. Mais j'étais d'accord avec notre ancien leader, même si ça me faisait mal de l'admettre. C'était beaucoup plus simple de tuer nos ennemis que de les épargner. Mais beaucoup moins noble, beaucoup moins juste aussi.
« J'vais pas t'raconter d'salades, j'ai été tueur pour le S.H.I.E.L.D. pendant plus de vingt ans, et les habitudes ont la vie dure. Mais Fury m'a promu au rang huit, le plus haut niveau d'accréditation pour un agent, juste sous Maria Hill. Faut qu'je change de mentalité. Le Captain m'a donné un p'tit cours de leadership ce matin. Fury a foi en moi, le Captain aussi. Faut que j'me montre à la hauteur. »
C'était pas vraiment un aveu de faiblesse, puisqu'en soi je pensais pouvoir y arriver… J'avais en revanche conscience que ça ne se ferait pas en un jour, et que je ne serai jamais un Steve Rogers. Mais je pouvais être un bon leader. Je l'espérais en tout cas.
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« J’en sais rien. J'crois pas qu'il l'ait dit. Mais il avait le Tesseract, il l'a toujours, donc il peut aller n'importe où. » S’il avait obtenu une destination concrète, est-ce qu’il se serait senti mieux ? Sûrement pas. Il ne sait pas trop pourquoi il a posé cette question, sûrement parce que son esprit adore formuler des pensées visant à le torturer et qu’il excelle en la matière, comme bien souvent pour ne pas dire tout le temps. Mais il note néanmoins que Loki est toujours une menace, même s’il ne s’est plus montré depuis un moment et même s’il est désormais séparé de Wanda. Peut-être qu’il est même davantage un danger maintenant qu’il a perdu la Sorcière. Mais comme le sujet est sensible pour Clint, le Soldat préfère ne pas insister, ne voulant pas remuer le couteau dans la plaie ; entre le Dieu de la Malice et son amitié torpillée avec Wanda, celui-ci a déjà suffisamment à faire, pas la peine d’en rajouter.
Si Bucky a toujours eu du respect pour Clint, ce moment partagé en sa compagnie le laisse entrevoir une autre facette de celui qui est le leader des Avengers ; une facette moins lisse, moins sûre d’elle-même, plus nettement tranchée dans les défauts humains. Clint est comme lui : il aimerait être l’illustre modèle qui mérite le titre de héros, s’efforce de le devenir tout en ayant conscience des travers étant les siens. La colère. La vengeance qui s’obtient dans le sang : oeil pour oeil, dent pour dent. Mais tous deux travaillent sur cet aspect de leur personnalité, tous deux essayent de devenir meilleurs, des hommes dont Steve pourrait être fier : n’est-ce pas déjà la preuve qu’ils sont presque déjà les personnes qu’ils veulent devenir ?
Bucky ne peut le nier ; face à Zemo, il aurait bien aimé l’achever, le réduire en miettes, ne laisser que son cadavre pourrir dans le caniveau. Et il l’aurait fait si Rocket n’était pas intervenu pour le rappeler à la raison… Ce n’est pas vraiment l’image qu’on se fait d’un héros, et encore moins la vision qu’en a Steve. « Je vois très bien ce que tu veux dire. » Dit-il en pressant ses lèvres l’une contre l’autre, d’abord d’un air coupable puis résolu, ne pouvant pas changer ce qui ne peut l’être. « Tu l’es, je n’ai aucun doute là-dessus. » Sincère dans ses paroles et dans sa confiance, Bucky lui adresse un sourire en coin avant de relever sa bière d’une main, la maintenant au-dessus de la table comme d’une invitation à trinquer avec lui pour fêter cette bonne nouvelle, la première depuis un moment. « À ta promotion, tu le mérites et tu vas assurer. »
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Tout comme moi, Bucky Barnes s'exprimait peu, choisissant probablement ses mots avec soin pour que chaque phrase soit pertinente, efficace. Nous n'étions pas du genre à bavasser, à parler pour ne rien dire. J'avais même l'impression qu'il était encore plus taciturne que moi. Mais ses répliques étaient franches, sincères, et touchantes. Il m'avait proposé son soutien, à présent il m'offrait sa confiance. Je prenais volontiers les deux. J'aurai besoin d'alliés de sa trempe.
On se ressemblait, tous les deux. Même s'il ne l'exprimait pas clairement, je me doutais bien que lui aussi devait sans cesse se questionner sur sa légitimité à faire partie des héros. J'espérais simplement qu'il finirait par avoir pleinement confiance en ce qu'il y avait de bon en lui. Se focaliser sur le négatif ne nous aidait pas à avancer, bien au contraire. Il méritait sa place dans l'équipe tout autant que les autres.
Je souris de nouveau lorsqu'il me félicita et me complimenta pour ma promotion. Je trinquai volontiers avec lui avant de finir ma bière, en même temps que lui. On finit par quitter le bar et se séparer, ayant chacun des choses à faire. Cette rencontre, en apparence brève et simple, avait marqué une évolution certaine dans notre relation. Plus qu'un collègue, je le considérais désormais comme un allié solide, un homme sur qui je pouvais compter. J'espérais qu'il en pensait de même pour moi.
Sur le chemin du retour, je réalisai en revanche que Bucky ne s'était pas vraiment confié sur lui-même. Il avait parlé de Wanda, de Loki, de moi, mais à aucun moment il n'avait évoqué son propre ressenti, ou donné un avis personnel, ou parlé franchement de ses craintes, de ses doutes. Je souris intérieurement, songeant que j'avais longtemps été ainsi, moi aussi. J'avais encore du mal à me confier, d'ailleurs. Bah, ça viendrait. Il finirait par s'ouvrir un peu à moi. A notre prochaine discussion, peut-être...
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