[Terminé] Voir ma fille heureuse est la seule chose qui compte

Madame Ranevskaia junoire est effectivement mal à l’aise à l’histoire du piston. Cela passera, puisque ce n’était ni accusateur ni critique. Ainsi, je ne m’inquiète pas du regard qu’elle donne à sa mère, laquelle acquiesce d’ailleurs. L’explication autorisée s’en vient et j’ai un petit sourire à cette histoire d’une mère et du principal qui considèrent que madame Ranevskaia juniore est surdouée. Sans doute a-t-elle de symptômes mais pas encore rencontré de psychologue pour faire le test ; ce qui est cependant étonnant pour une école spécialisée dans le domaine. Néanmoins, j’évite d’enfoncer le clou qui a déjà un peu piqué précédemment ; surtout que, pour avoir grandie avec plusieurs surdoués, je suis bien contente de ne pas en être une. Je pense suffisamment comme cela et il ne manquerait plus que mes émotions me bouffent comme elles le leur font. Sans parler des problèmes sociaux à cause de la maturité précoce, qui engendrent encore plus de mal-être avec l’hypersensibilité suscitée. Bref, être surdoué n’est pas quelque chose de facile à vivre, même si je suppose qu’une école leur étant dédié doit leur faciliter la vie. Quid de l’insertion avec les gens hors de la communauté zèbre par la suite ? Misons sur la compétence du corps professoral pour les y préparer sinon ils risquent d’avoir de fortes difficultés d’adaptation à un milieu plus ouvert intellectuellement. La vie a beaucoup d’épreuves, si on peut éviter de s’en rajouter c’est mieux ; après, être surdoué en est incontestablement une.

« Excusez-moi je me suis juste trompée, déclare Emma après mon incompréhension sur sa déclaration, c’est personne il n’y pas de "il". Oui exact, elles m’ont adoptée alors que j’étais dans la rue. Je n’avais plus personne et elles m’ont sauvée. »

J’acquiesce sans savoir si je peux renchainer sur ce sujet ou s’il ne vaut mieux pas, chose qui m’amène à ne pas trop savoir que dire au-delà de l’évidence.

« Merci ta Chance, déclare-je avec connivence, réalisant la seconde suivante que c’est peut-être encore plus maladroit que précédemment si on ne partage pas la même vision de la chance que moi ; laquelle peut se résumer à voir de la chance quand cela permet de se sortir de la malchance sans considérer la malchance arrivant en premier lieu. Désormais, tu vas pouvoir avoir une très belle vie. Tu sais déjà ce que tu veux faire ? »

Assis à mon côté, Nathan continue de traduire en silence mes dires pour madame Ranevskaia et j’en viens à avoir des questions pour elle aussi ; juste le temps de faire le tri pour ne pas être trop indiscrète. Cependant, puisque cela lui donnera un rôle plus proactif, je vais m’amuser avec les deux conversations en même temps.

« Et vous madame Ranevskaia, c’est votre nom ou celui de votre compagne ? Quel est son métier, aussi dans l’éducation ? »

Nathan m’accorde un regard en comprenant ce que je vais faire et s’en amuse comme s’en gonfle d’avance : beaucoup plus de traductions pour lui ! Deux discussions et un troll, donc, cela me va parfaitement.

J’acquiesce simplement au fait que madame Ranevskaia juniore ne sache pas encore ce qu’elle va faire. A son âge, il aurait été mieux pour elle de le savoir afin de s’y préparer mais son école spécialisée lui expliquera mieux que moi. Etant Suisse, j’ai eu le droit à un cycle d’orientation même si les méthodes pédagogiques de mon professeur étaient spéciales. Ne pas nous apprendre des choses mais nous apprendre à apprendre avant de nous guider vers les choses qu’on devait savoir et de nous évaluer sur nos apprentissages indépendants. Je trouve que cela m’a plutôt bien réussi, niveau école alternative. Sans être une surdouée, je suis polymathe. C’est, à mon sens, bien mieux ; chose qui n’est pas bien dur puisque je déprécie la douance pour les symptômes qu’elle apporte. Cela étant, j’ai d’autres symptômes : je suis une chieuse.

Ma blague envers mon ami fait réagir madame Ranevskaia séniore, la gênant. Encore que, je ne sais pas si ce n’est pas mon intérêt envers elle qui la gêne mais j’essais de l’inclure dans la conversation. Elle le fait, demandant à sa fille de traduire… chose qui m’amène à échanger un regard avec un Nathan aux sourcils victorieux. Toi, tu vas pas fanfaronner longtemps avec le travail de mineur !

Je n’ai guère plus le temps de réfléchir à mon prochain coup qu’Emma commence à traduire ce que dit sa mère et que je suis la seule ici à ne pas comprendre. Les informations familiales sont enregistrées et je me garde de dire qu’avec deux parents infirmières, il est fort probable que madame Ranevskaia juniore se dirige vers le médical également, par reproduction sociale. S’il est incontestable qu’on peut chercher sa voie et s’en aller vers des métiers différents, être éduqué par des gens d’un certain milieu professionnel nous prédispose à travailler dans celui-ci par la suite. Cela ne signifie pas qu’on le fera forcément, sauf lorsqu’il est question d’héritage, mais c’est une prédisposition. Pour ma part, j’ai jusqu’à mes trente ou trente-cinq ans pour m’amuser puis l’appel de l’héritage retentira et j’irai à Orchent Enterprises. D’ailleurs, j’ai déjà énormément de reflexes de femme d’affaires et de banquière car j’ai été élevée par de telles personnes. Je le sais, je l’admets et je suis en paix avec cela. Chassez le naturel et il revient au galop, comme le veut le dicton.

L’idéalisation des parents doit aider à la reproduction sociale. On a besoin de model, tous autant qu’on soit. Madame Ranevskaia juniore idéalise ses deux mères qui sont toutes les deux infirmières donc c’est un métier qui doit avoir son estime, même si elle en connait les mauvais côtés. D’ailleurs, je suis surprise lorsque madame Ranevskaia séniore récupère la main de sa fille toute en me fixant moi… et je ne suis pas la seule ! L’interrogation silencieuse d’Emma semble trouver réponse, contrairement à la mienne. Après, je sais ce que s’est que d’arriver à communiquer sans les mots, notamment parce qu’ils ne composent que 7% de la communication. Du coup, je ne m’y arrête pas.

« Infirmière, c’est un métier de morale, dis-je doucement avec un sourire, consciente de l’abnégation qu’il implique ; même si probablement pas de la quantité d’abnégation. Je trouve qu’il faudrait vous donner des pourboires ! »

Si la dernière phrase est lancée comme une boutade, je donne réellement des pourboires au petit personnel. Les ambulanciers et infirmiers à m’avoir traitée en début de mois suite à l’explosion mutante ont tous reçus un ou deux billets de $100, dépendant du temps qu’ils ont passé à me supporter. Pour moi, c’est une somme normale à donner ainsi, pour eux, cela peut faire une belle prime sur un salaire qui n’est pas forcément très élevés. A partir du moment où on me rend directement service, j’aime donner un petit quelque chose en échange. Un mélange de générosité, d’achat de la paix sociale voire de la bienfaisance et de dédommagement pour quand je suis casse-pieds ; ce dernier point étant motif du second pourboire. Qui me supporte une fois en a un, qui me supporte dans les deux sens du terme en a un deuxième !

Il n’y a qu’à Nathan et Enzo que je ne donne pas directement d’argent ainsi. Je fais bien mieux : l’intéressement à mes activités. Ils gagnent "directement" autant que moi. Juste qu’après j’ai les dividendes. Et en parlant de Nathan et de le baiser, il faut que je commence à voir comment lui signifier qu’il s’est fait piquer sa place de traducteur et qu’il y a donc des conséquences. C’est moi qui le trolle lui, même si c’est mieux quand il se défend en effet ! Est-ce que je peux lui dire que, puisqu’il ne sert plus à rien, il peut se rendre utile en me laissant toute la place sur le canapé ? On n’aurait été que tous les deux, je l’aurais fait avec un grand sourire mais devant témoin… j’ai une image de marque. Qu’est-ce que je peux lui faire de suffisamment subtile pour que ça passe inaperçu ?

Madame Ranevskaia séniore n’approuve visiblement pas ma considération des pourboires. Madame Ranevskaia juniore me fait la traduction en directe, m’exposant l’avis de sa mère qui me surprend et me laisse un peu sans voix. Ne pas accepter les remerciements financiers c’est tout un concept, puisqu’ils n’engagent à rien, mais je peux comprendre la volonté d’abnégation et d’altruisme. Je souris avec un certain malaise lorsqu’il est question que ce qu’elle fasse puisse être dur. Le système de santé des Etats-Unis, pour une suissesse, est une catastrophe sans nom. Je suppose bien qu’il fonctionne exactement comme il a été pensé, cependant il n’a pas été pensé pour le bénéfice des patients. Si ceux-ci n’ont pas de quoi payer, d’une manière ou d’une autre, ils meurent devant la boutique. C’est comme les études supérieures : c’est un business. Les universités demandent des centaines de milliers de dollars à leurs étudiants qui doivent contracter des prêts auprès des banques et ensuite doivent les rembourser durant des décennies ; c’est comme acheter sa première maison dans certains pays ! Pour moi, plus que dans aucun autre pays que j’ai visité, on sent réellement que les USA ont des propriétaires et que les citoyens de la classe moyenne sont des produits ; héritages des colons esclavagistes, sans doute. Aparté mis-à-part, les conditions d’exercices du petit personnel sont à la mesure du reste : un enfer. Pour les infirmières, elles doivent faire des gardes durant des journées entières avec un manque d’effectif parce que leur métier demande des études, donc de l’endettement, et est usant physiquement comme moralement ; le tout s’autoalimentant dans un cercle vicieux. Nan, j’ai la fibre altruiste pour une banquière mais je suis pas masochiste non plus.

Ainsi, je ne sais pas vraiment quoi répondre à part une banalité. Madame Ranevskaia séniore doit être une employée modèle : elle travaille pour ses patients tandis que ses propriétaires l’exploitent. Après, le facteur "infirmière scolaire" doit effectivement beaucoup jouer. Sans doute n’a-t-elle pas tous les désavantages auxquels j’ai pensé et qui me motivent à donner à une infirmière me prenant en charge un pourboire qui équivaut généralement à un cinquième de son salaire bihebdomadaire. Pour une infirmière en hôpital, je pense que $100 de plus à la fin de la semaine c’est une aide pour beaucoup de choses. Il n’y a néanmoins aucun débat à gagner ici, ni même l’envie d’en lancer un. L’argument le plus valable à considérer pour madame Ranevskaia séniore serait surement le fait que la personne qui donne le pourboire veut aider mais je sais que les américains ont une culture du pourboire ; après tout, il est traditionnel de donner 10% du prix de la commande en pourboire à un serveur et du fait les employeurs ne paient plus que 90% du salaire minimum pour ceux-ci, les pourboires devant compléter. Pour une étrangère comme moi, c’est juste choquant. Enfin Bref…

Plutôt que de continuer à laisser s’écouler un silence bien malaisant, je vais chercher quoi dire puisque personne ne semble parti pour le faire. J’y arrive vite : merci ma Chance, on n’a pas encore abordé le cœur des rencontres comme celle de ce soir. Enfin, le cœur théorique puisqu’en pratique je préfère faire connaissance car la plupart des gens n’ont pas l’argumentation et l’analyse nécessaire à aller au-delà du sentiment que je leur ai procuré.

« Mesdames, reprends-je donc en me réinstallant avec le sourire, redressant le dos et posant mes deux mains sur mes cuisses tout en les regardant tour à tour, est-ce que vous êtes capables de me donner des conseils ou des critiques pour mon spectacle ? Je sais que ce n’est pas votre métier mais j’aime beaucoup avoir des retours afin, lorsqu’ils sont pertinents, d’essayer de m’améliorer. »

Je suis capable de justifier tous mes choix puisque je ne les ai pas faits pour rien et je ne peux pas promettre que tout retour entrainera changement, notamment pour un spectacle déjà produit, mais je suis curieuse des avis professionnels comme profanes. Dites-moi ce que vous avez à dire, j’écoute et je fais mon tri ensuite.

Même s’il n’y a ni conseil ni critique dans la réponse de mademoiselle Ranevskaia juniore, les compliments me font tout de même autant plaisir que sourire.

Qu’on apprécie le rythme, toujours difficile à trouver lorsqu’on mixe des chansons de genre et de durée différents, est très important. Trop long et on perd le spectateur, trop court et on le frustre. C’est pour cela que les temps musicaux durent environ 1h10 sur les 1h30 du spectacle, même si c’est déjà pas mal si on veut s’adresser à un public le plus large possible. Je ne suis pas sur un opéra non plus.

Niveau d’être impressionnante sur scène, ma première pensée va aux limitations techniques que je me suis imposée pour pouvoir faire une tournée ; puisque la première version du spectacle se faisait à travers les pays européens. Ayant bien douillée avec les contraintes horaires de cette méthode et n’ayant même pas pu terminer du fait du Snap, j’ai préféré y aller mollo pour la seconde fois : prendre une grande salle à New York et let’s go ! Si le succès y est, peut-être envisager une tournée à un moment mais pas de suite. Le spectacle me permet de donner de la joie mais il n’est pas la raison qui m’a amené aux USA et à NYC ; j’aurai pu le faire n’importe où. Parallèlement, je me doute que c’est surtout une question de présence qui est évoquée.

La présence, tout comme la voix, est quelque chose de difficile à travailler mais qui vaut pleinement la peine. Sans avoir jamais fait de mannequinat à un niveau professionnel, j’ai observé les top models dans l’utilisation de la posture et des avantages physiques pour se faire remarquer et se mettre en valeur. Merci ma Chance, j’ai une bonne base de travail mais les mauvaises tenues ou le mauvais comportement et c’était foutu. Merci ma Chance encore, j’ai toujours eu l’occasion de présenter dans mon instruction ainsi le fait d’agir en public n’est nullement une gêne ; malgré que deux mille personnes, c’est beaucoup. La main de Mike ramasse mon stress à ce sujet tous les soirs.

Pour la voix, je vais pas dire que j’aime m’entendre parler mais si un peu quand même. Et le chant, c’est encore mieux ! L’italien m’a bien aidée à savoir moduler ma voix et la rendre chantante, puisque le français peut s’avérer assez neutre dans ses intonations et que j’ai jamais accroché à l’allemand ; malgré le fait que les trois langues soient courantes en Suisse, j’ai grandie dans une région francophone. J’ai du mal avec les langues, niveau apprentissage : faut baigner dedans, particulièrement pour moi, et j’ai pas franchement le loisir de passer des années dans chaque pays dont la langue m’intéresse. Ni dans chaque pays qui m’intéresse. Surtout avec mes cinq ans de retard sur mon âge. Parallèlement, c’est avec le chant et les chansons que j’ai appris l’anglais. D’où que je chante quasiment toujours en cette langue d’ailleurs.

Peut-être devrais-je parler de tout cela. Peut-être pas. Je vois pas ce que cela apporterait, en fait. Néanmoins, j’apprécie vraiment que mes efforts et mes travaux mettent des étoiles dans les yeux et des sourires sur les lèvres. Certes, c’est pour quelques heures et ça ne changera pas la vie de la personne mais au moins aura-t-elle un bon moment de plus à se souvenir. Quand je regarde Emma, parce que mademoiselle Ranevskaia juniore c’est bien mais là je suis trop contente pour être de mauvaise foi, je suis contente de ce que je fais. Je sais que je fais non seulement ce que j’aime mais ce que d’autres aiment aussi.

« Heureuse que cela vous ait plu, dis-je en acquiesçant avant un sourire qui dévoile et souligne mes dents du haut ainsi qu’un petit mouvement de tête de gauche à droite content. De manière générale, musique, chant, danse et théâtre ça vous intéresse ? Parce que j’ai une surprise pour vous. »

J’attends la réponse avant de lever et de m’en aller vers l’une des étagères qui bordent la maquilleuse. J’y récupère deux enveloppes, se trouvant parmi un certain nombre d’autres ; il y en avait une centaine au début, je crois. A coup d’une à trois chaque soir de semaine, ça part vite. Après, j'en demanderais de nouvelles si j’arrive au bout.

« Tenez, reprends-je à mon retour, en les tendant à mademoiselle Ranevskaia juniore comme séniore… même si je réalise à ce moment que ça ne sera pas forcément des plus intéressants pour la seconde. Ce sont des laisser-passer pour le Next Wave Festival 2024 ! »

Je suis contente quand je dis cela et j’espère que cela sera communicatif. C’est bien d’être d’abord content et ensuite de demander ce qu’est le NWF !

« Tous les ans, la Brooklyn Academy of Music organise un festival afin de permettre à de jeunes artistes sélectionnés de quitter leurs salles de quartier afin de faire leurs œuvres et leurs collaborations interdisciplinaires ici, explique-je en me rasseyant. Y’a de tout et, comme ce que je fais, du tout mélangé. En tirant le numéro chance ce soir, vous avez aussi gagné un laisser-passer pour un spectacle de votre choix. »

Certes, les autres sont payant mais la BAM pouvait pas vraiment se permettre de me voir distribuer des passes illimités chaque soir non plus. Dans tous les cas, ça encouragera à revenir et peut-être à découvrir un peu plus ; ce qui est un bonus vis-à-vis de mon parrainage de l’événement.

« Les dates, arts et performances sont sur le site internet. Y’a une petite brochure explicative avec le billet. »

Je fais claquer mes mains l’une dans l’autre de contentement, fatiguée de la soirée mais ravie qu’elle se soit déroulée comme elle l’a été ; même si j’aime bien mes trente minutes de pause entre le spectacle et la rencontre, ne serait-ce que pour ne pas avoir à gérer la sécurité et pouvoir me laver un peu pour chasser la transpiration. Après, c’est plus mémorable quand ça ne se passe pas comme prévu !

« Peut-être que, d’ici quelques années, c’est vous qu’on verra sur scène mademoiselle Ranevskaia. »

Je ponctue ma déclaration à Emma, et le troll qui l’accompagne, d’un clin d’œil. On en arrive à la fin de notre rencontre mais je ne chasse pas dehors ; j’espère ne pas stresser avec mon sous-entendu, c’est une blague avant tout puisqu’elle a déclaré ne pas savoir quoi faire. Si cela l’encourage à se mettre en avant, tant mieux. Si cela déclenche une vocation, peut-être que j’aurai changé une vie en effet. Là n’est pas mon ambition : elle a profité du moment, elle a apprécié la chance de la rencontre et c’est tout ce que je peux demander. Avec une boisson, un repas, une douche et un gros câlin à un oreiller, certes.

Emma est contente et ce sentiment se partage d’autant plus lorsqu’elle explique les choses en langage des signes à sa mère. Celle-ci répond avec le sourire et je me dis que c’est pratique : quand on parle, on doit ouvrir notre sourire même s’il se voit encore, généralement. Quand on signe en revanche… tout bénef’ ! Sauf peut-être le fait que la personne ne regarde plus le visage mais les mains. Me concernant, comme je tends à parler avec les mains de toute façon, c’est kif-kif.

« Je vous remercie beaucoup madame et j’ai beaucoup apprécié ma soirée, conclut madame Ranevskaia juniore en me faisant pincer les lèvres au "madame" mais continuer de sourire malgré tout. Je ne pouvais pas rêver à part peut-être le combat. »

Je me fige à cette déclaration inquiétante, entendant le "au revoir" sans vraiment l’écouter. Oui, madame Ranevskaia séniore semble très expérimentée dans les arts martiaux, voire les systèmes de combat puisque je ne saurais pas faire la différence de visu, et son utilisation sur un autre spectateur a posée problème d’entrée de jeu. Qu’une enfant admire ses parents est normal mais je dois avouer que je suis en bug là : à défaut d’infirmière, comme je le supposais, Emma voudrait casser des gueules. Le MMA est quelque chose de courant en Amérique du Nord, plus qu’en Europe même s’il s’y est popularisé ces dernières années, après je ne suis pas certaine que ça soit de cela qu’elle parle. Misons sur les compétitions d’arts martiaux, même si c’est dur d’en vivre, et pas sur juste du cassage de gueule. Une wannabe super-héroïne ? C’est pas vraiment un métier non plus pour l’instant, personne ne semblant avoir eu l’idée de négocier les droits sur les produits dérivés afin d’en tirer revenu avant moi ; mais c’est logique, c’est comme ça que Georges Lucas a fait sa fortune après tout. Enfin Bref…

« Fais attention à toi, finis-je par répondre en ponctuant d’un clin d’œil. Au revoir. »

Après la formulation orale et souriante à mademoiselle Ranevskaia, je me tourne vers la vraie madame et penche légèrement tête et buste en avant pour lui signifie mes salutations. Une fois l’échange terminé, c’est Nathan qui prend le relai pour les conduire au hall de la BAM où elles pourront s’en aller comme elles sont venus ; ou presque, après tout leur soirée a été mieux que prévue !

Enfin seule dans ma loge, je réfléchis sérieusement au fait de faire ma toilette de chat ou d’aller au bus comme ça pour faire ma toilette entière. Evidemment, je réfléchis avachie sur le canapé, dos courbé et tête sur le dossier avec les yeux vers le plafond. C’est pas glorieux comme position, surtout avec les bras aussi échoués que le reste de ma personne, mais c’est sincère. Etant une optimiste, je me dis que d’avoir commencé trente minutes plus tôt, on a dû finir avec cette même avance. Traduction : je vais bientôt être couchée ! Oui, à cette heure et après mon spectacle comme sans ma pause, j’ai des préoccupations qui sont assez basiques. Grignoter, me doucher, me coucher. Même pas de vrai repas, je sais, mais il est tard et ça aide à tenir la ligne à défaut de la franchir.

En parlant de la franchir, d’ailleurs, c’est peut-être la rencontre la plus étrange que j’ai eu ici. Avec un numéro chance, s’entend. Le handicap en a vraiment été un et la rencontre partait mal avec la violence et la fatigue. Au final, si beaucoup de détails sont bizarres, cela s’est bien passé et j’en suis contente. Je me demande si je reverrais Emma… et si je serais capable de me rappeler son prénom ou si elle restera dans ma mémoire comme "madame Ranevskaia juniore". Voire MRJ. MRJ et MRS, je vais tellement être la seule à me comprendre. Quoi que c’est déjà régulièrement le cas. ENFIN BREF.

Prenant une grande respiration, je m’apprête à me relever pour attendre Nathan et y aller. Puis je décide que, quitte à l’attendre, autant restée à moitié assise et à moitié allongée comme je le suis. Je dirais bien que je suis une larve mais je préfère me considérer comme un ver luisant !