[Institut Xavier] The Stepford Cuckoos

On se réveille avant l’allumage des néons. Leur crépitement est le premier bruit qui accompagne nos rapides respirations. On attend un peu avant d’ouvrir les yeux, afin de ne pas être éblouies, puis redécouvre le plafond blanc. Les murs qui en coulent voient cette pureté disparaitre sous des dessins à environ un mètre du sol. On se lève de nos lits, disposés en étoile avec les pieds vers l’extérieur, d’un même mouvement. Le bruit du sas couvre le reste alors que l’on se met en rang face à lui, têtes blondes souriantes dans leurs chemises de nuit bleues. L’équipe entre. Les gardes d’abord, en uniformes et armes. Père ensuite, avec son costume blanc à chemise noire. On se balance d’une jambe à l’autre et on les salue poliment en nous répartissant les mots pour éviter les "200 mots-phrases". Père nous félicite de notre tricherie avant de nous faire reprendre une à une. Parler est un apprentissage difficile. Père est patient, cependant. Quand on parle trop, il nous fait reprendre. Quand on termine une course en se rentrant dedans, il nous fait recommencer. Quand on dessine, il nous encourage. On l’aime beaucoup.


Les hypothèses faites par le Programme concernant l’interconnexion télépathique de l’Arme XIV, même réduite aux cinq individus sélectionnés, s’avèrent concluantes. Les multiples expériences actives prévues par le Programme ont déclenché des sollicitations synaptiques chez les membres de l’Arme XIV absents comme chez les présents. De plus, même au sein des différents membres présents, le développement de l’intelligence s’est fait avec les expériences individuelles mais aussi celles vécues par les autres membres.

Le stade sensorimoteur a été atteint dans les temps mais diffère du fait des données précédentes. L’Arme XIV a été capable des réactions motrices partielles attendues, s’adaptant aux objets et aux situations, mais la coordination de ses sensations et de ses gestes s’est faite à l’échelle interindividuelle. Cependant, l’absence de maitrise du mouvement a parfois entrainé des difficultés. Les déséquilibres en avant à peine contrôlés nécessaires à l’apprentissage de la course ont aboutis régulièrement à la chute de l’ensemble du groupe.

Le stade de la représentation naissante a été atteint plus rapidement que chez un individu standard. L’apprentissage par imitation s’est développé primairement au sein de l’Arme XIV, chaque membre se synchronisant avec celui ayant le plus de facilité à interagir avec l’extérieur.

La construction du langage a été en retard. Premièrement, il y a eu une recherche de refrains alternatifs pour accomplir les objectifs fixés : plutôt que de parler trop tous ensembles, les membres de l’Arme XIV se sont répartis les portions de phrase pour réduire. Individuellement, ils ont éprouvé des difficultés à s’exprimer. Secondement, le mode de pensée par association linéaire de mots et d’images a été amplifié par l’interconnexion télépathique. Il ne s’agissait pas des associations d’un seul individu mais potentiellement de cinq, entrainant des difficultés de concentration. Troisièmement, les limitations d’interactions ont empêché une imprégnation correcte.

La coordination oculo-manuelle et la dissociation segmentaire ont été atteintes normalement, favorisées par les expériences actives du Programme. Cette seconde partie a semblé étroitement liée avec le développement de la dynamique de groupe au sein de l’Arme XIV, les individualités s’affirmant à travers la première crise d’opposition. Le développement psychomoteur subséquent a rencontré une grande réussite, les résultats des expériences actives prévues par le Programme étant satisfaisants.

La période de la pensée égocentrique a été significativement altérée. L’Arme XIV est parvenue à considérer les points de vue d’autrui et cherchait à imaginer collectivement des explications du monde. Cependant, cela a entrainé des conflits internes et les tentatives d’utilisation des leurs capacités télépathiques sur le personnel ont provoqué des conflits avec celui-ci ; heureusement protégé par des brouilleurs mentaux. Le syncrétisme, soit le fait que la pensée est centrée sur des états statiques, a empêché le rétablissement de bonnes relations entre l’Arme XIV et le personnel de sécurité. La pensée magique, soit l’absence de frontière définie entre réel et fiction, a été d’autant plus importante que les membres de l’Arme XIV étaient en accord sur leurs explications. Enfin, l’animisme et l’artificialisme se sont développés de manière normale et la perception temporelle a été également limitée au temps immédiat.

L’apprentissage des mathématiques s’est fait précocement. L’Arme XIV a commencé à utiliser une base de cinq pour compter et la transition aux bases dix s’est fait sans grande difficulté. L’apprentissage de la lecture a nécessité les exercices préparatoires habituels.

Les pouvoirs actifs de Télépathie ont été manifesté mais aucune contremesure supplémentaire n’a été nécessaire. Ceux de Chœur Mental et de Forme Alternative sont toujours latents.


La voix de Père, relayée par le haut parler de la pièce, nous informe la venue du couvre-feu. Phoebe rouspète, Sophie considère que l’on a déjà bien avancé, Irma, qui se fait désormais appelée Mindee, approuve tant Père que notre aînée, Esmé est déjà au lit par volonté de ne pas participer et Céleste range immédiatement ses crayons dans la boite qui se trouve à nos pieds. A celui du mur, les strates de dessins représentent les strates de notre progression en la matière. Les plus bas ne sont que des patates guidées par le mouvement, partiellement recouverts par ceux d’au-dessus guidés par une volonté de réalisme attendant de se réaliser. Ceux que l’on fait désormais jouent sur l’épaisseur du tracé, sur les rythmes de couleur et sur la répétition de motifs. Très fins et complets, ils représentent notre univers. Le gymnase avec ses courses, ses sauts, ses lancers et ses mannequins d’entrainement. La salle d’ateliers avec ses tableaux, ses bibliothèques, ses tables, ses chaises, ses cahiers, son matériel. La cantine. La salle de bain. La base est celle de murs blancs comme ceux du dortoir puis sont ajoutés le mobilier et finalement les gardes et Père. Si nous aimons ce dernier et la plupart de ses invités, rencontrés au fil des ans, nous déprécions les gardes casqués physiquement et mentalement. Éternelles méfiances, vieilles rancœurs, pourtant ce n’est pas faute d’être dociles et aimables. Père dit qu’ils ont peur de nous, non pas pour ce qu’on a fait nous-même mais pour ce que d’autres comme nous ont fait. Des mutants. Un jour, on aidera à ce que les mutants ne soient plus une menace pour les gens comme les gardes, pour les humains. Sophie veut être cette héroïne dont il nous parle, Phoebe veut qu’on la juge pour ce qu’elle fait et non pour ce que les autres font, Mindee veut qu’on explique qu’il n’y a pas que de mauvais mutants, Esmé se dit que la première chose à faire serait peut-être d’être plus aimable s’ils veulent qu’on les aime et Céleste trouve triste que l’on ne puisse se contenter de vivre et de laisser vivre en paix.


L’âge de la grâce est arrivé normalement. Le fait que l’Arme XIV ait maitrisé de mieux en mieux ses corps et ait été capable d’apprendre de nombreux gestes a mené au commencement de son entrainement physique. L’exubérance motrice a été mise à bon usage. L’appréhension de l’espace vis-à-vis de cinq points de vue différents a permis une progression rapide dans le travail d’équipe. Les capacités de synchronicité ont été très développées.

La mémorisation des itinéraires et la conscience de l’espace immédiat ont été excessivement faciles et la compréhension des distances a été acquise en avance. Contrairement à la norme, ce n’est pas la prise de conscience du temps qui a permis celle de l’espace ainsi les notions temporelles ont rencontré des retards d’acquisition.

L’acquisition du langage a été également en retard. Chaque individu de l’Arme XIV a été capable de s’exprimer seul mais a eu bien plus de facilité à le faire en groupe. Les interactions sociales avec des inconnus se sont passées selon les normes sociales mais l’Arme XIV a pu rapidement se montrer perturbante. Le développement de refrains alternatifs est en cours mais ralenti par l’utilisation volontaire de ce malaise. L’encouragement à ce que les membres de l’Arme XIV se concertent entre eux à haute voix a été partiellement efficace. L’éthique et les dangers de la télépathie ont été extensivement abordés face aux volontés de communication mentale avec les intervenants impliqués dans les interactions sociales suscitées. L’Arme XIV s’abstient donc d’user de ces capacités comme avec le personnel protégé.

La période de la logique concrète a été commencée prématurément. Les objets ont acquis un statut logique et concret, non plus pratique et affectif, et l’Arme XIV a commencé à organiser et expliquer le monde à l’aide d’un raisonnement et d’un ordre qu’elle établit. Ces nouvelles explications ont eu besoin de se nourrir et l’Arme XIV a donc été curieuse des choses et des gens, posant beaucoup de questions et exprimant un besoin de socialisation supérieur à celui fourni par les intervenants extérieurs.

Les pouvoirs actifs de Télépathie ont été manifesté mais aucune contremesure supplémentaire n’a été nécessaire. Ceux de Chœur Mental et de Forme Alternative sont toujours latents.


Assises sur la table ronde de la salle d’atelier, on écoute avec attention. Peu à peu, on se fait une cartographie mentale du monde et de notre place en son sein. On est toutes impatientes de le visiter mais on comprend qu’on doive s’y préparer. De nouveaux héros apparaissent, chose inédite depuis la disparition des X-Men dans les années 80 ; pour peu qu’ils puissent être considérés comme tel, considérant leur agenda politique et leur position de promoteurs d’une bonté mutante envers une humanité que d’autres mutants mettaient en danger. Nos enseignements d’histoire mettent bien plus en avant les héros humains et simili-humains que les mutants qui ont trahis leurs engagements envers leurs alliés de la CIA à la première occasion. Le SHIELD est désormais seul responsable de la gestion des événements impliquant des surhumains et s’est vers lui que notre futur se tourne le plus logiquement. Devenir agentes du SHIELD, cela va à Sophie, à Phoebe et à Mindee tandis qu’Esmé et Céleste suivent le mouvement ; même si la première aurait préférée devenir une super-héroïne et que la dernière n’est pas certaine que la sanction soit la meilleure réponse. L’entrainement préparatoire va être difficile mais on le commence dès maintenant ainsi aura-t-on l’avantage sur nombre d’autres candidats. Le suivi médical s’est intensifié à la mesure de l’entrainement physique mais on est habituées. On ne comprend pas pourquoi on ne nous laisse pas écouter les voix intérieures des autres alors qu’on entend constamment les nôtres. Père nous dit qu’on pourra s’y entrainer plus tard, quand on sera plus grandes. La frustration est très présente chez Phoebe, Mindee et Esmé mais on la canalise dans l’entrainement.


Le développement physique lié à l’enfance s’est déroulé normalement. Les expériences actives préparées par le Programme ont été adéquates. L’Arme XIV a suivi assidument sa formation en gymnastique, en course et aux jeux à règles afin d’exploiter au mieux ses potentiels individuels. Malgré les différences, chaque membre de l’Arme XIV a semblé progresser de manière extrêmement similaire. L’apprentissage du combat a commencé en temps et en heures, l’année de ses neuf ans.

Le développement de la pensée a été en avance. La période de la pensée concrète s’est faite à la fin de la petite enfance, comme cela a été vu précédemment.

La maitrise de l’espace a également été exposée précédemment.

La maitrise du temps a poursuivi son retard mais les durées vécues et celles de la succession des évènements ont commencé à être intégrées. Cependant, les perturbations dans ces horaires sont restées problématiques. Paradoxalement, l’idée de simultanéité a été très facile à intérioriser et le travail sur les intervalles s’est fait à partir de celle-ci.

Le développement de la personnalité a été moins différent qu’attendu. Chaque membre de l’Arme XIV a développé sa personnalité polyvalente et, malgré un tronc commun très fort, des divergences continuent d’apparaitre.

Le développement d’un esprit de compétition a été présent chez quatre des cinq membres de l’Arme XIV.

L’intégration des valeurs morales des adultes a également différée selon les membres, l’un d’eux s’étant montré moins sensible.

La conscience et l’utilisation du mensonge s’est développée avec des résultats stupéfiants ; quoi qu’utilisé de façon défensive, l’Arme XIV a prouvé être apte à créer des scénarii complexes pour étayer ses histoires.

Le sentiment de justice et d’injustice s’est développé avec la même intensité et les jugements prononcés sont entiers voire cassants ; surtout entre les différents membres de l’Arme XIV.

L’exercice de responsabilité a fait l’unanimité au sein de l’Arme XIV, les expériences actives mises en place par le Programme ayant eu les effets escomptés.

Les apprentissages élémentaires ont été fait selon les directives du Programme. La boulimie de lecture dans la recherche d’acquisition de toute forme de savoirs s’est déclenchée comme prévu. Les informations rendues accessibles par le Programme ont eu l’effet escompté. La nécessité de sortir de l’environnement confiné du laboratoire a été de plus en plus présente.

La recherche d’identification à un modèle adulte a relancé les questions concernant leur mère avec plus d’insistance que précédemment. Des tentatives d’obtention de réponse télépathiques ont été enregistrées et des sanctions administrées. Les tensions entre l’Arme XIV et le personnel de sécurité ont encore augmenté.

Les pouvoirs actifs de Télépathie ont été manifesté et des contremesures supplémentaires ont été nécessaires. Ceux de Chœur Mental et de Forme Alternative sont toujours latents.


La sueur perle sur nos peaux et imbibe légèrement les combinaisons blanches, analogues à celle que notre mère portait. Elle était mutante et est morte à cause des mutants. Selon Père, on lui ressemble beaucoup. Il n’a cependant jamais voulu nous donner plus de détails. On est toutes en accord : on doit devenir plus fortes pour empêcher que ce qui est arrivé à notre mère arrive à d’autres. On sait comment y arriver, à présent. L’année dernière, un milliardaire en armure de combat, un géant vert, un dieu scandinave, un supersoldat disparu en opération il y a soixante-dix ans, un archer et une espionne ont arrêté une invasion extraterrestre menée par un autre dieu scandinave à New York City. Sauf Esmé qui trouve que c’est difficile à croire, on aurait toutes sorti les pompons si on en avait. Sophie nous rêve au sein des Avengers, ce qui ne dérangerait ni Phoebe ni Esmé, tandis que Mindee et Céleste sont plus réservées, surtout sur l’aspect violent. Cela n’empêche aucune d’entre nous de faire de son mieux durant les entrainements. On a les capacités d’être des agentes d’investigation comme d’intervention alors on est préparées sur tous les points. Lorsque c’est en équipe, cela se passe très bien. Lorsque c’est en individuel, cela dépend de chacune ; Esmé et Mindee s’en sortent bien, Sophie et Phoebe s’en sortent correctement. Céleste est inconstante : poussée dans ses retranchements, elle nous surclasse toutes. Sinon, elle s’en sort mal. C’est particulièrement vrai dans les entrainements les unes contre les autres. On déteste toutes cela, étant pleinement satisfaites de notre manière d’interagir entre nous sans que cela ne soit utilisé à des fins pédagogiques, mais il y a différents degrés de dépréciation. Chez Céleste c’est très élevé, pourtant c’est l’habituée des réprimandes, tandis que chez Esmé et Phoebe c’est passable. Mindee et Sophie restent concentrées sur l’objectif de l’entrainement et s’excusent toujours après celui-ci. On préférerait toutes s’entrainer contre les gardes. Ils ne nous aiment pas et c’est réciproque. Ils ne nous lâchent jamais, surtout pas lors des sorties de l’orphelinat où ils nous équipent de colliers électriques par précaution. Il ne faudrait pas qu’on utilise nos capacités mentales sur des civils, qu’importe que l’on n’en croise pas beaucoup durant les visites programmées. Le seul moment où l’on est encouragées à utiliser nos voix intérieures sur des extérieurs, c’est lorsqu’il faut extraire des informations à des individus pour le compte du Programme. Phoebe et Esmé aiment ces moments, que ce soit pour la puissance ou la connaissance qu’ils nous procurent, tandis que Sophie, Mindee et Céleste aimeraient qu’on n’ait pas à faire souffrir pour obtenir ce que l’on veut. On le fait cependant, Père nous affirme que c’est une cause juste et ce que l’on trouve généralement le confirme. Les mutants que l’on brise sont souvent des monstres, selon les critères moraux. Leurs pouvoirs leur ont permis de franchir les interdits sociétaux et de faire du mal aux humains. C’est pour cela qu’on doit leur faire du mal à eux. C’est pour cela que l’on fait de notre mieux : un jour, ils ne nous seront pas livrés arrêtés et il faudra que l’on soit en capacité de le faire nous-même. Pour en être certain, Père nous a encouragé vers une nouvelle utilisation de notre mutation. Plutôt que d’agir de concert comme cinq individus différents, il s’agissait de n’en devenir plus qu’un. Les premiers essaient n’ont pas été concluant, tant on avait de pensées à synchroniser, puis les suivants ont vu une individualité s’imposer aux autres ; celle d’Esmé puis celle de Mindee, au grand déplaisir de Phoebe. Finalement, on a réussi. Cinq-en-Une.


La phase prépubère est arrivée dans les temps, avec une parfaite simultanéité au sein de l’Arme XIV. La croissance pondérale s’est faite par bonds successifs mais les contrecoups psychologiques ont été mineurs. La compréhension mutuelle des différents membres de l’Arme XIV a permis de les rassurer. La perte d’énergie a été cependant notable mais le conditionnement préalable fait par le Programme et les exemples d’individus mutants sélectionnés ont permis de garder un niveau d’effort adéquat chez l’Arme XIV.

Le développement psychomoteur continue grâce aux expériences actives prévues par le Programme. Malgré le sentiment partagé de maladresse et de gaucherie, l’Arme XIV est restée dans les prévisions attendues vis-à-vis de ses capacités sportives et manuelles.

Le développement de la pensée logique formelle comme celui de la pensée abstraite ont été atteint. La manipulation des connaissances, la mise au point d’analyses et de synthèses ainsi que la création de raisonnement sont supérieures à la moyenne ; notamment lorsque l’Arme XIV a la possibilité de débattre et de faire des opérations intellectuelles collectives. Cependant, le développement des notions et des valeurs personnelles, par rapport à celles héritées des adultes dans la période précédente, a posé quelques difficultés vis-à-vis à l’Arme XIV. La pression sociale a permis de maintenir les différents membres dans les axes prévus par le Programme.

L’émotivité affective a été présente mais difficile à évaluer. L’Arme XIV a semblé penser avant de ressentir, là où l’évolution étudiée chez les enfants de son âge montre l’inverse. Cela pourrait être un résultat de l’interconnexion psychique : l’Arme XIV n’a pas besoin d’extérioriser ou de consulter un individu extérieur vis-à-vis de son ressenti et rationnalise donc celui-ci. Les symptômes du HPI ont été recherchés et les résultats sont concluants.

Le rejet du système de l’adulte a été canalisé envers le personnel de sécurité. Les tensions ont encore augmenté.

La confrontation de sa nouvelle pensée avec celle de l’adulte a été absente. Comme avec l’émotivité affective, l’Arme XIV a semblé se concentrer sur elle-même et seuls deux de ses membres ont été prompt à réagir aux stimulations destinées à déclencher cette confrontation. Le risque conséquent a été difficile à évaluer : l’un des extrêmes du spectre étant que Programme ait réussi à inculquer une obéissance naturelle à l’Arme XIV, l’autre que l’Arme XIV éprouve une méfiance envers le Programme et tâche de la cacher derrière sa docilité.

Le détachement vis-à-vis des figures parentales a également été difficile à évaluer. Les phases alternatives d’attachement et d’opposition sont apparues à titre individuel chez l’Arme XIV mais rares ont été les moments où les membres étaient suffisamment séparés pour que cela se fasse sans l’implication des autres. De plus, il a été envisagé que ce soit un élément d’un plan plus complexe.

La revendication des libertés nouvelles s’est concentrée quasi-exclusivement envers le personnel de sécurité, contribuant à l’augmentation des sanctions et au rejet du système. Le sentiment d’infériorité résultant a semblé être accepté mais le peu d’émotivité affective et de confrontation de la pensée laissent les connaissances du Programme à l’état d’hypothèses.

Les limitations d’interaction avec des jeunes gens de l’âge de l’Arme XIV et l’interconnexion psychique de celle-ci ont impliqué qu’il n’y ait pas besoin de confident extérieur, comme expliqué précédemment.

Les pouvoirs actifs de Télépathie et de Chœur Mental ont été manifestés mais aucune contremesure supplémentaire n’a été nécessaire. Ceux de Forme Alternative sont toujours latents.


Le monde est si différent lorsqu’on le perçoit à travers l’astral. Les ombres du personnel de l’orphelinat et celles de ses sous-sols, protégés par des brouilleurs psychiques. Les lumières des formes de vie au-delà de l’orphelinat, humaines ou mutantes, animales ou végétales. La ligne d’horizon, où tout disparait dans les ténèbres. L’environnement immédiat, où tout apparait comme on l’imagine. Ce n’est pas mon imaginaire qui le sculpte, c’est celui de ma proie. Tous les mutants sont dangereux, la plupart pouvant tuer un être humainement constitué sans grand effort, mais les télépathes sont d’une dangerosité différente. Plus subtile. Plus pernicieuse. Il est possible d’ignorer que l’on a été victime d’un télépathe, contrairement à beaucoup d’autres mutations. Le meilleur moyen de les contrer est de ne pas jouer selon leurs règles ; les brouilleurs psychiques sont faits pour cela. Lorsque l’on joue selon leurs règles, cependant, il faut ses propres télépathes. Les combats astraux sont difficiles à décrire ; cela ressemble à jouer une partie d’échec tout en faisant un bras de fer, un pugilat d’enfants et un duel à l’arme médiévale. Stratégique, brutal, hargneux et précis. Certains l’ont comparé à une battle de danse ou de rap, j’aime l’idée. J’aime gagner, également. Les défenses mentales adverses s’érodent, fracturées sous mes assauts télépathiques. C’est bientôt fini. Son esprit est bientôt à moi. Il disparait. Je réagis immédiatement, balayant violemment le plan astral pour détruire un éventuel camouflage. Rien. Au-delà de l’orphelinat, des lumières disparaissent à leur tour. Elles ne laissent pas même une ombre, comme si elles n’avaient jamais existé. Mes cinq paires d’yeux quittent l’astral pour regarder le physique, constatant la disparition de mon interrogé.

Puis c’est une partie de moi qui se volatilise.

Mon Chœur se brise. Mes cœurs se brisent.

Un cri de choc. Quatre sanglots de douleur. Huit genoux qui heurtent le sol. Phoebe tremble de tout son corps. Mindee vomit. Esmé commence à paniquer. Céleste se durcit et s’inquiète de Sophie.

Sophie.

Un cri de choc. Quatre sanglots de douleur. Huit yeux qui cherchent désespérément ce qui nous manque. Celle qui nous manque.

Céleste rampe jusqu’à sa dernière position connue. Esmé se roule sur le dos. Mindee répète le nom. Phoebe jure.

Phoebe tente de se relever. Mindee répète le nom. Céleste se retourne horrifiée.

On sent une nouvelle partie de nous-même mourir.

Un silence de choc. Trois sanglots interrompus. Six yeux qui s’échangent des regards. Phoebe rechute. Mindee revomit. Céleste tend la main vers les… on ne sait pas quoi. Vers cette poussière qui était notre sœur.

La lumière rouge de l’alarme remplace sporadiquement le sang qui devrait se trouver là. Elle ne saurait cependant remplir le vide. Celui-ci nous dévore.

Le vide est calme.

Le vide est serein.

Le vide n’est pas un état de choc.

Des yeux adamantins échangent des regards froids. Des cerveaux adamantins analysent lentement les informations. Sophie s’est désintégrée. Esmé s’est désintégrée. Nous sommes seules dans nos têtes, ce qui s’applique très probablement à nos sœurs encore présentes.

Quelque chose rebondit sur Phoebe pour se perdre dans le chaos. Les câbles qui partent du projectile le lient jusqu’à l’un des gardes, laissé seul dans son office. Phoebe bondit. L’impact avec le mur est surprenant, sans parvenir à surprendre aucune de nous cependant. C’est inattendu, certes, mais utile. L’impact du diamant propulsé par une force surhumaine a eu le résultat logique lorsqu’il a rencontré l’agresseur. Était-ce le résultat escompté ? Seul Phoebe le sait. Cela aussi, c’est inattendu. Cela ne dérange pas, cependant. Pourtant, cela devrait.

Alors que l’une se dérage de l’impact sanglant, les deux autres se relèvent sans difficulté. Les regards s’échangent, les voix intérieures des autres restent muettes. Les tentatives de connexion à l’astral sont toutes aussi infructueuses.

« Que fait-on, interroge Céleste à voix haute.

- On avance, répond Phoebe en se tournant vers la porte de sortie de la salle d’interrogatoire.

- On découvre ce qui se passe, ajoute Mindee en entreprenant de marcher.

- On trouve Père ?

- D’accord.

- Ça me va. »

Nous nous arrêtons toutes trois en une ligne au premier croisement de couloirs, moins gênées par l’alarme que les coups de feu et le cri de l’un des gardes. Notre Monde est attaqué, il faut neutraliser les mutants. Nous aurions été en accord avec cela si "les mutants" ne s’était pas accompagné d’une arme à feu pointée sur nous. A la constatation du sang couvrant notre nouvelle ainée, le coup de feu part. Son effet n’est pas plus impressionnant que celui du pistolet à impulsion électrique. Cela n’a pas empêché une réaction immédiate face au danger, tout illusoire qu’il ait été, et, tandis que Céleste et Phoebe heurtent le mur, Mindee heurte le garde. Les dégâts sont similaires à précédemment.

« On ne contrôle pas notre force, constate Mindee en regardant le garde désarticulé contre le mur.

- On aura des explications à fournir, considère Céleste en s’écartant de Phoebe.

- On aura des explications à recevoir. »

La radio crachote à l’épaule de l’agent de sécurité. L’homologue signale que Père a ordonné de ne pas entrer en contact avec l’Arme XIV avant de s’être équipé de balles en diamant.

« Pourquoi cela ne m’attriste pas ?

- Pourquoi cela ne m’étonne pas ?

- Pourquoi cela ne me choque pas ?

- Peut-être nous croient-ils responsables.

- Peut-être veulent-ils régler des comptes.

- Peut-être croient-ils qu’on tente de s’échapper.

- On se rend ?

- On se bat ?

- On s’enfuit ? »

La décision est prise pour nous lorsque des portes coupe-feu commencent à se fermer dans le couloir. Nous courrons à leur encontre.


Le développement physique s’est déroulé comme prévu. Malgré la grande fatigabilité, la résistance et l’endurance de l’Arme XIV ont augmenté et son besoin de dépense physique a permis la continuation de sa formation paramilitaire.

La capacité à manier des concepts abstraits a été supérieure à la moyenne, notamment grâce à la confrontation constante au sein même de l’Arme XIV. Les grandes spéculations ont été explorées à travers les interrogations écrites et orales liées à la scolarité mais leur étendue exacte est inconnue.

L’affirmation de soi-même a été difficile à évaluer, du fait de la docilité montrée et des raisonnements cachés par l’Arme XIV. Il n’est pas certain que l’engagement à la cause du Programme soit conservée, considérant l’évasion des membres de l’Arme XIV ayant survécu à la désintégration ayant affecté la moitié de la population.

Le besoin de sécurisation affective, à savoir d’être compris, reconnu et aimé, n’a pas nécessité d’apport extérieur. Du fait des objectifs du Programme, la recherche de sa place dans la société et de ses rapports avec les autres étaient secondaires ; tous deux étant prédéfinis. Cependant, l’évasion laisse à penser que cette recherche soit croissante à l’avenir.

Les capacités d’autonomie vont pouvoir être évaluées à distance. L’évacuation du complexe d’entrainement en Angleterre va être organisée prochainement, comme prévu par la Phase 3.

Les composantes de l’Arme XIV restées sur place vont être scellées et dissimulées jusqu’à activation de la Phase 4., comme prévu par la Phase 3.

Tous les pouvoirs actifs des membres activés de l’Arme XIV ont été manifestés.

Passage en Phase 3.


On est perdues. Le Monde, notre Monde, est perdu également. Après un passage en camp de réfugiés, on a été interviewées par les services sociaux lorsqu’ils ont commencé à essayer de lister les orphelins créés par la désintégration de masse. On a beaucoup hésité à parler de nos origines puis on s’est limitées au strict minimum les informations données afin de seulement pouvoir contacter Père. L’orphelinat a confirmé notre existence mais signalé son incapacité à accueillir des résidents suite aux événements. De plus, notre tuteur a été déclaré décédé durant ceux-ci. Les démarches seraient faites afin que les services sociaux héritent de notre garde jusqu’à notre majorité ; sous réserve que le chaos administratif permette de le faire en temps et en heure. Notre passé s’est désintégré en un instant, tout comme nos sœurs avant lui. Leurs spectres accompagnent nos jours et hantent nos nuits. Evidemment, les services sociaux n’étaient pas en capacité de nous garder et nous ont renvoyées au camp de réfugiés. On a tâché de se rendre utiles, de s’occuper des autres pour ne pas avoir à s’occuper de nous-mêmes. Céleste voudrait retourner à l’orphelinat mais Phoebe et Mindee s’y sont opposées, considérant que sans Père – ou qui qu’il ait pu être – on n’avait aucune chance de justifier des morts et de notre fuite. On s’est lancées à corps perdus dans ce monde auquel notre Monde nous a étrangement préparé, au final. On apprend vite, cependant. Très vite. Seulement, cela ne suffit pas à répondre à toutes les questions. Qui est-on ?

Qu’est-ce qu’un coucou ?


La Phase 1 a été un succès. La récupération des ovules de la mutante Emma Frost auprès de Trask Industries, qui l’a étudiée lors du Programme Sentinelles à la fin des années 60 et au début des années 70, a permis le processus de clonage au sein d’un orphelinat factice créé par le Programme. Comme pour les autres Programmes de l’Arme Plus, des sites extérieurs aux USA mais sous contrôle de l’OTAN ont été utilisés afin d’en assurer la discrétion. La construction des chambres de clonage ainsi que l’expérimentation de cette technologie ont été menées à bien mais des retards de production de sujets viables ont été rencontrés. Les tentatives de construction d’un réseau d’amplification télépathique, technologie mise au point par Henry McCoy et Charles Xavier avec la CIA dans les années 60, se sont avérés infructueux. La surproduction de clones et les modifications ADN afin de les lier psychiquement a été approuvée comme alternative afin de construire un "Cerebro" biologique. Ainsi, les spécimens ratés mais néanmoins dotés de capacités télépathiques ont été conservés dans les chambres, elles-mêmes brouillées psychiquement afin que la concentration de mutants ne puissent être détectée par un appareil de type "Cerebro" avant l’activation de la Phase 4.

La Phase 2 a été un succès. Cinq spécimens ont été sélectionnés durant leur développement fœtal afin de connaitre une croissance hors des chambres de clonage. Ces spécimens ont été désignés comme étant l’Arme XIV dans les synthèses du Programme, cependant ils n’en sont que la clé d’activation et de guidage. Leur développement et leur éducation ont été faits selon les prévisions du Programme. Leur endoctrinement a été parcellaire mais l’implantation de la nanotechnologie de contrôle compensera une éventuelle déflexion lors de l’activation de la Phase 4. En raison des événements de désintégrations massives communément dénommés "l’Eclipse", seuls trois des cinq membres de l’Arme XIV ont pu quitter les lieux du Programme. Cet imprévu n’a pas réellement impacté les préparatifs du Programme : les membres de l’Arme XIV croient toujours être des orphelines transformées en armes involontaires, chose augmentant les chances que des super-héros acceptent de les aider.

La Phase 3 est en cours. En raison du peu d’influence que le Programme cherche à exercer sur l’Arme XIV lors de cette phase, la synthèse est excessivement courte. La nanotechnologie de contrôle influencera l’Arme XIV dans la recherche d’un contrôle de leur télépathie à une échelle planétaire ; au plus probablement par maîtrise de l’utilisation d’une technologie type "Cerebro". Cet apprentissage peut potentiellement se faire si le SHIELD ou les Avengers développent similaire appareil. Suite à la réouverture de l’Institut Xavier en 2023, les X-Men doivent avoir été sélectionné comme cible prioritaire.

La Phase 4 attend le moment adéquat pour être activée. Les installations du Programme n’ont pas été compromises, malgré une investigation du SHIELD. Les chambres de clonage sont prêtes à transformer les 1.118 clones comateux en Cerebro biologique afin de créer une arme de destruction massive psychique. Si l’Hydra n’est pas parvenue à utiliser le SHIELD pour exterminer les êtres dotés de pouvoirs en 2014, nos chances d’y arriver via l’espèce mutante sont supérieures.


Aider est devenu une vocation. On l’a fait dans des conditions de nécessité, parce qu’on le pouvait. Puis les choses se sont améliorées. Les gestionnaires du camp de réfugiés, plus que nous remercier, nous ont conseillé de poursuivre dans cette voie. Avec l’effondrement de la population dû au Snap, trouver un travail même sans diplôme était devenu facile et on est devenues assistantes. Rapidement, on a découvert les différentes versions du métier. Chacune plaisait à l’une d’entre nous ainsi ne s’est-on pas détournées de ce domaine. On n’oubliait pas notre réel but mais on avait plus de chance d’émigrer aux USA avec un visa de travail que d’études ; c’étaient les travailleurs qu’il fallait remplacer. Nos débuts dans une association d’accompagnement jeunesse liée aux orphelins faits par le Snap nous ont mené à nous faire financer un Bachelor de Gestion en alternance. Ils se sont soldés par le visa recherché afin de se rapprocher de notre objectif final. Puis on a appris pour l’Institution Xavier.

Selon les informations que nous avons eu durant notre enfance, les identités des nouveaux dirigeants correspondent à celles des X-Men, pourtant disparus dans les années 80. Plus que mener l’enquête, nous espérons les intégrer. Pourquoi eux plutôt que le SHIELD ou les Avengers ? Le second serait plus facile mais on ferait moins partie d’une équipe tandis que les troisièmes sont limités à l’intervention. Malgré un avis autrefois désapprobateur, les X-Men sont probablement notre meilleure chance. Néanmoins, le retour des personnes disparues durant l’Eclipse signifie la perte de nos emplois. Si on n’en retrouve pas, nos visas de travail aux USA seront rendus caduques. Au début, on pensait retourner au Royaume-Uni pour essayer de retrouver Sophie et Esmé, logiquement de retour également, mais on les retrouvera plus facilement avec l’aide des X-Men. On a envoyé des CV à l’Institution, deux pour chacune afin d’explorer des pistes d’emploi dans l’assistance et dans l’accompagnement à la jeunesse. On attend ses réponses désormais. Peut-être se posera-t-il la question qui est la clé de tout nous concernant.

Qu’est-ce qu’un coucou ?