Et si...Loki n’avait jamais été adopté par Odin ?

Et si...Loki n’avait jamais été adopté par Odin ?

Quelque part sur Jötunheim...

Le vent glacial de ce début de matinée lui fouettait le visage, faisant voler ses cheveux noirs de ses épaules. Debout au balcon de ses appartements du palais de Jötunheim, Loki épiait le ciel. Ce n’était plus qu’une question de temps avant qu’un éclair ne vienne troubler le ciel sombre de la planète des Géants des Glaces et que le Père-de-Toute-Chose et son vantard de fils, Thor, ne viennent s’assurer que Jötunheim et son Roi font toujours preuve d’obéissance et de soumission. Obéissance. Soumission. Ces mots lui faisaient horreur. Inconsciemment, les muscles de sa mâchoire se contractèrent et ses poings se crispèrent tant que ses ongles laissèrent de vilaines et profondes traces dans le bleu azur des paumes de ses mains. « Cela dure depuis trop longtemps… » songea-t-il, amer et empli de rancœur et de colère, des sentiments qui ne firent que de redoubler d’intensité en étant soudain aveuglé par l’éclair transperçant le ciel. Son visage eut une expression de profond dégoût en apercevant les silhouettes des Asgardiens. Toutefois, son dégoût se transforma en étonnement en constatant qu’ils n’étaient pas plus d’une quinzaine à avoir fait le déplacement.

- Oh… Père-de-Toute-Chose …murmura Loki. Songes-tu vraiment que malgré les années, Jötunheim a oublié le massacre que tu as commis ici ?

Certes, il n’avait aucun souvenir en propre de cette guerre entre son père, Laufey, ancien Roi de Jötunheim, et Odin. Il n’était qu’un enfant, un bébé même, à cette époque. Cependant, il avait lu les récits des scribes. Il savait ce qu’il s’était réellement passé. Ce même livre trônait encore derrière lui, sur une table face à son lit. Il avait relu hier le passage qui le concernait, passage rédigé par l’un des anciens conseillers de Laufey qui avait assisté à la scène, dissimulé derrière un des immenses piliers de glace de leur temple. Se détournant des Asgardiens qui approchaient, Loki prit le livre et l’ouvrit, bien décidé à faire lire un passage à haute voix durant leur rencontre. Le livre dans les mains, Loki se dirigea à grandes enjambées vers la salle du trône où aurait lieu l’entrevue. Il prit place, posa le livre sur ses genoux et attendit l’arrivée de ses invités. Une dizaine de minutes plus tard, les hautes portes de la salle s’ouvrirent avec fracas et Odin, suivit de Thor et de leur escorte, pénétrèrent dans la salle du trône. Pianotant négligemment des doigts sur l’un des accoudoirs du trône, Loki ne fit, cette fois, pas l’effort de se lever pour aller à leur rencontre. D’ordinaire, que cette entrevue ait lieu à Asgard ou ici, il était d’usage que Loki et Odin se rejoignent à mi-chemin et que les deux s’inclinent l’un devant l’autre, en signe d’égalité et de respect. « Pas cette fois… » songea Loki et un sourire mauvais se dessina sur ses lèvres en constatant la surprise sur les visages de ses invités. Il vit Odin et Thor échanger un regard avant de finalement faire l’effort de réduire la distance qui les séparait pour se retrouver à trois mètres des marches menant au trône de Loki. Celui-ci les contempla en silence, son sourire mauvais s’étant transformé en un sourire en coin, énigmatique et indéchiffrable, tandis qu’il glissait lentement son autre main vers la couverture du livre sur ses genoux. S’en saisissant, il se leva soudain et brandit sa main libre vers le haut plafond de la salle :

- Bienvenue ! tonna-t-il, sa voix se répercuta en écho contre les murs vides. Bienvenue ! Pardonne-moi, Odin. Je manque à tous mes devoirs d’hôtes…et…de sujet.

Il descendit de son estrade, une marche après l’autre, son regard ne quittant jamais le visage ridé et borgne du grand Roi d’Asgard. Arrivé à sa hauteur, il lui tendit le livre des deux mains :

- J’ai un présent pour toi. Vois-tu…Ce n’est pas n’importe quel livre dont je te fais cadeau, pour symboliser notre si longue amitié. Cet ouvrage m’est très cher et…

Il fit mine d’être gêné :

- Me ferais-tu l’insigne honneur de lire l’extrait que j’ai marqué d’une page cornée ? Je le trouve…très à propos.

Odin, qui sembla ne se douter de rien à ce stade-là de la conversation, eut un sourire poli et répondit :

- Si c’est ce que tu souhaites.

Cette réponse fit sourire Loki, un sourire éclatant, dévoilant ses dents blanches, avant que son regard ne glisse vers l’héritier d’Odin, qu’il salua d’un signe de tête et d’un « Votre Altesse » neutre, presque froid. Puis il joignit ses mains derrière son dos, fit un pas en arrière et écouta Odin lire le passage en question d’une voix monotone avant de s’arrêter brutalement et de lever les yeux vers lui :

- Je t’en prie, continues. Nous approchons du point fort de ce récit.

- Je ne m’abaisserai pas à lire cela.

- Très bien, dans ce cas, rétorqua Loki en lui arrachant le livre des mains d’un geste rageur. Je vais le faire à ta place.

Il se râcla la gorge et parla fort, ignorant les protestations de son divin invité :


Là-dessus, Loki referma brutalement le livre et le jeta vers un des gardes de l’escorte d’Odin qui eut le réflexe de s’en saisir.

- Puisse la mort te faucher rapidement…répéta-t-il entre ses dents serrées par la haine. Que tu dois être déçu de me savoir toujours en vie après toutes ces années…

- Tu oublies ta place, Loki, rétorqua Thor, ce qui eut le don d’agacer encore plus le Roi de Jötunheim.

- Ce n’est pas à toi que je m’adresse…fils d’Odin, lui cracha-t-il au visage avant de reprendre à l’attention d’Odin : Tu aurais dû me tuer quand tu en avais encore l’occasion. Ton honneur était déjà terni par la mise à mort de mon père, sans raison, alors qu’il se rendait et était blessé. Qu’aurait donc pu représenter la mort d’un enfant pour le Grand Odin ?

- Choisis tes mots avec parcimonie et intelligence, Loki, l’avertit Odin. La paix dure depuis des siècles. Si elle doit être brisée, tu en seras le seul responsable pour tes actes de ce jour.

- Mes actes de ce jour dis-tu ? Toute ma vie, j’ai attendu ce moment. J’ai grandi au milieu des ruines et d’un peuple éteint. J’ai ployé le genou devant toi, je me suis écrasé et rabaissé pour que tu aies l’impression d’avoir l’emprise totale sur moi et sur ce qui restait de ce peuple que toi et les tiens avez massacré. Crois-tu que j’oublierais ? Ou que je ferais preuve d’une quelconque reconnaissance de m’avoir épargné ? Non, je rectifie. D’avoir compté sur ma nature fragile d’à l’époque pour que la mort vienne me chercher d’elle-même, sans que mon sang ne vienne souiller tes mains si propres ?

Il avait parlé de plus en plus fort et, de part et d’autre de leur position apparaissaient de plus en plus de Jötuns, certains armés d’arc, d’autres d’épées ou encore de lances. Peu à peu, ils s’étaient rapprochés, formant autour d’eux un cercle de plus en plus serré. L’escorte du Roi et de son héritier s’en était bien sûr aperçue et avait pris les armes, formant à son tour un bouclier défensif autour d’Odin et de Thor. Loki vit ce dernier s’accrocher férocement au manche de son marteau et il leva un doigt en faisant claquer sa langue contre son palais :

- Non non non, fils d’Odin. Range cela. Tu pourrais te blesser ou…pire encore. Blesser ton illustre père. Et nous ne voulons certes pas cela, n’est-ce-pas ?

Les regards furieux que lui lancèrent les Asgardiens valaient tous les mots du monde. Ravi que son plan ait fonctionné, Loki fit un pas en avant et susurra d’une voix mielleuse :

- Que ce jour marque la fin de la soumission de Jötunheim envers Asgard, Odin. Et pour m’assurer que tu ne tenteras rien contre nous, ton fils restera ici.

- Ne crois pas que conserver mon fils en otage te préservera de la guerre.

- Que m’as-tu dit avant ? Que si la paix devait être brisée, j’en serais le seul responsable ? Tu as tort, Père-de-Toute-Chose. Je n’ai jamais parlé de guerre. J’ai parlé de fin de notre soumission. A compter de ce jour, Jötunheim est libre et indépendante d’Asgard. Il n’y a plus de Neuf Royaumes sous tes ordres. Tu n’en comptes désormais plus que Huit. Mais au moindre signe qui me ferait me dire que le Grand Odin va rompre sa parole envers Jötunheim, je prendrai sa tête, fit-il en désignant Thor du doigt. Tout comme tu as pris la tête de mon père. Mais nous savons toi et moi que tu n’as aucune parole ni honneur. C’est dans ta nature. Je te vois tel que tu es depuis longtemps. Ton règne n’est qu’une succession de génocides et je jure que le génocide d’Asgard sera le mien. Je n’épargnerais personne.

L’escorte d’Odin, constatant qu’elle était en sous-effectif, ne cessait de tourner son regard vers leur Roi, en quête d’ordres. Celui-ci leva finalement une main, geste signifiant de baisser leurs armes. Loki fit de même de son côté et un des Géants s’approcha pour se saisir violemment de Thor, le poussant si brutalement vers Loki qu’il tomba à genoux devant lui :

- Tu vois ? Ton fils a déjà compris la place qui est désormais la sienne. A genoux…devant…MOI, martela-t-il. Deux autres Géants lui passèrent des chaînes aux pieds et aux poignets. Thor laissa tomber son marteau avec fracas sur le sol avant d’être poussé vers l’arrière de la salle, mené vers les bas-fonds du palais et son quartier carcéral.

- Retourne dans ton palais d’or, Odin. Et, si tu tiens à ton fils, n’attente rien contre moi. Jamais.

Puis il eut un geste vague de la main et ses soldats reconduisirent les Asgardiens jusqu’au lieu où ils étaient apparus. Loki alla alors se rasseoir sur son trône, savourant sa victoire, les chants de gloire à son nom que son peuple entonnait et les hurlements de Thor, qui lui parvenaient depuis les ténèbres de sa cellule.