New-York, un matin de janvier, dans le bureau du docteur Garner, consultante pour le S.H.I.E.L.D. La psychologue et son patient se faisaient silencieusement face, chacun installés dans un fauteuil confortable devant la baie-vitrée donnant sur le parc paisible, et sur laquelle une pluie diluvienne venait ricocher. « Alors, monsieur Barnes… De quoi voulez-vous parler ? » avait-elle fini par demander, dans une vaine tentative de nouer le dialogue avec l’animal sauvage qui tirait sur les ficelles de son sweat sans pouvoir s’en empêcher. « Je ne sais pas. » avait-il simplement répondu, le regard fuyant et la voix discrète. Il n’avait guère l’habitude d’un tel exercice, mais il savait qu’il jouait sa place au sein des Avengers, alors il n’avait pas tellement le choix.

« Peut-être pourrions-nous commencer par le début… Parlez-moi de votre enfance, vous êtes née en 1917, il me semble ? Votre enfance a-t-elle été heureuse ? »
« Je crois. J’imagine que c’est une question de point de vue, du moins, j’ai la sensation que mes parents m’aimaient beaucoup, peut-être parce que j’étais l’aîné des quatre enfants et que mon père fondait en moi tous ses espoirs. Je me rappelle surtout que je voulais le rendre fier… Oui, je voulais que mes parents soient fiers de moi, alors je faisais toujours de mon mieux à l’école, pour rapporter les meilleures notes de ma classe… Mais ils n’ont pas été fiers longtemps, malheureusement. Ma mère est morte quand j’étais très jeune, alors je me souviens mieux de mon père, même s’il est mort lorsque je n’étais qu’un enfant, lui aussi. Il est décédé d’un exercice en parachute peu avant le Noël de l’année 1937, j’avais juste onze ans à l’époque. Je n’étais pas en mesure de m’occuper de ma petite soeur, Rebecca, alors elle a été envoyée dans un internat. »

« Et vous ? Vous n’étiez qu’un enfant… »
« Je suis devenu pupille de l’État, et je suis restée au camp Leigh. Mon père avait été un militaire  alors je voulais devenir comme lui, je voulais prendre sa place en quelque sorte, pour qu’il continue d’exister à travers moi. Le rendre fier, encore. »

« C’est une volonté tout à fait louable. C’est au cours de votre jeunesse que vous avez connu Steve Rogers, n’est-ce pas ? »
« Oui. À l’époque, il était maigre comme un crayon, on aurait pu le briser d’une seule poigne… Et certaines petites brutes en profitaient pour l’intimider, et ça marchait. Moins quand j’étais là. Je suppose que c’est pour ça qu’il m’a tant aidé et protégé par la suite. C’est ce qu’on a toujours fait : veiller l’un sur l’autre. Enfin, jusqu’à… »

« …Jusqu’à ce qu’il prenne sa retraite ? »
« J’aimerais changer de sujet. »

« Parlez-moi de la Seconde Guerre Mondiale alors, cela a dû être une expérience terrible ? »
« Pas au début. Pas vraiment. Je faisais partie du 107e Régiment d’Infanterie, nous avions été entraînés tout un hiver durant au Camp McCoy Wisconsin avant d’entrer en guerre, en 1943. J’étais devenu Sergent lorsque nous avons été déployés en Angleterre. La veille de mon départ, je l’ai passé en compagnie de Steve et de deux jeunes filles, pensant que je pourrais retrouver ma soeur après la guerre… J’avais tort. Je ne me suis jamais revenu. Et je ne l’ai jamais revue. »

« Que s’est-il passé, James ? »
« Je servais sur les lignes de front à Azzano, avec mon unité, lorsque nous avons été pris en embuscade par les troupes de la Wehrmacht, en octobre 1943. On ne s’y attendait pas vraiment… Mais nous avons été encore plus surpris lorsqu’un char a débarqué et à commencé à tirer sur les nazis pour nous défendre. Enfin, nous défendre… Il faut vite le dire. Une fois que les allemands avaient été neutralisés, les armes se sont retournées contre nous : nous avons été capturés par HYDRA. » Irrémédiablement, la simple évocation de ce mot avait crispé chacun de ses muscles. C’était viscéral, ancré au plus profond de sa chair, dans l’essence même de ses os. Il fit une pause de quelques secondes avant de reprendre, encouragé par le regard insistant du médecin de l’âme. « Nous avons été faits prisonniers, et contraints de travailler dans des installations en Autriche pour fabriquer les nouveaux armements de HYDRA. Là-bas, nous subissions quotidiennement les brutalités, les violences, la faim, la peur et la torture… C’était un véritable enfer. Au bout d’un mois à peine, je n’avais déjà plus de force, je ne tenais même plus debout tellement j’étais faible… Comme je n’étais plus utile selon eux, ils m’ont envoyé ailleurs. »

« Où avez-vous été envoyé ? »
« À qui, plutôt. Arnim Zola. C’est à lui qu’ils m’ont envoyé. Autrement dit, ils m’ont envoyé à l’abattoir. J’ai reçu un sérum sans même m’en rendre compte, je suis devenu un rat de laboratoire. Il faisait des expérimentations sur nous tous et on se croyait perdus, car il était évident que personne ne prendrait le risque de venir nous chercher, mais Steve, qui avait doublé de volume et de masse grâce au sérum de Super Soldat, est venu, lui. Il nous a tous sauvé d’ailleurs. Qui sait ce qu’il serait advenu de nous sinon ? »

« Il est noté dans mon dossier que vous et votre unité avaient été libérés de vos fonctions après cela… Cependant, vous vous êtes rapidement engagé dans une nouvelle croisade, contre HYDRA cette fois, je me trompe ? »
« C’est vrai. Nous étions encore à Londres lorsque Steve nous a proposé de monter un commando pour démanteler HYDRA. Nous n’avons pas hésité trop longtemps, juste le temps de finir nos bières… » Un instant, ses yeux divaguèrent vers des souvenirs aussi lointains que réconfortants, qui lui arrachèrent un sourire des plus tendres. Un instant, seulement.  « Je m’en souviens encore comme si c’était hier. On se faisait appeler « les commandos hurlants », on trouvait que ça sonnait bien. Pour nous, c’était presque la belle vie : on était des héros, on faisait tomber les installations scientifiques de HYDRA les unes après les autres, on pourchassait Crâne Rouge… Nous étions soudés. On faisait tout ensemble, presque, comme une famille. »

« Parlez-moi de votre dernière mission au sein de ce commando. »
« Il le faut vraiment ? D’accord… Bon, alors… Début 1945, Jim avait intercepté un signal radio confirmant qu’Arnim Zola se trouvait à bord d’un train, Schne-quelque chose. Peu importe. Nous n’étions pas forcément le mieux préparés pour cette mission mais nous avions eu l’idée d’utiliser une tyrolienne pour monter sur le toit du train. L’objectif était de capturer Zola et de le faire parler pour en apprendre plus sur Crâne Rouge… Il a bien été capturé, mais les choses ne se sont pas vraiment passées comme on l’espérait. »

« C’est-à-dire ? Racontez-moi. »
« Mes souvenirs sont confus à ce propos. Je me rappelle d’une explosion qui m’éjecte hors du train, et j’ai une sensation de vide… Je crois que j’étais accroché à un rail endommagé, ou quelque chose du genre. Steve était là lui aussi, il essayait de m’aider, je l’entends encore me dire de m’accrocher et j’ai vraiment essayé mais le rail a cédé et j’ai été emporté. Je suis tombé dans le vide. La suite, je me souviens seulement d’une longue chute, interminable. Le froid, la douleur. Mon corps engourdit, des picotements dans mon bras, une horrible sensation d’engourdissement et puis… plus rien. Le néant. »

« Et vos amis ont cru que vous étiez mort… »
« Ils auraient été fous de croire le contraire. Mais j’ai survécu. Grâce aux foutues expériences d’HYDRA, j’ai survécu. J’avais déjà une physiologie améliorée il parait, je ne sais plus trop. J’ai survécu à la chute mais j’ai perdu mon bras gauche, durant l’impact j’imagine. J’étais déjà presque mort quand un soldat soviétique m’a retrouvé, et je ne sais pas vraiment si je dois l’en remercier parce que je me suis encore retrouvé entre les mains d’HYDRA. »

« Et vous avez été de nouveau victime de leurs expériences ? »
« Non, pas de tout suite. Il leur manquait un élément clef pour poursuivre : Arnim Zola. Alors ils m’ont gardé prisonnier durant de nombreuses années, je ne saurais pas dire combien mais, lorsque Zola a été libéré, ça a recommencé.  »

« Qu’est-ce qui a recommencé, James ? »
« Je ne suis pas sûr d’avoir envie d’en parler. »

Ses mains se mirent à trembler de nervosité alors qu’il cherchait un point de repère au-dehors, ayant la vague impression que la pièce était soudainement plus petite, trop petite, trop pour qu’il puisse respirer.

« Je sais que c’est difficile, James… Mais je suis aussi certaine que cela vous ferait du bien d’en parler sans avoir à mesurer vos propos. Ici, c’est votre espace d’expression, seulement le votre. Je suis là pour écouter, sans juger, et rien de ce que vous direz ne franchira cette porte. Alors, parlez-moi. »

Parlez… comme si c’était aussi simple avait-il pensé. Il n’était pas aisé d’ouvrir un coffre fermé depuis des décennies… Mais il voulait aller mieux, c’est bien pour ça qu’il était là, il voulait gagner sa place au sein des Avengers et prouver aux autres qu’il avait changé, qu’il était digne d’être avec eux… Qu’est-ce qu’il aurait aimé que Mantis soit à ses côtés pour le calmer, elle était la seule qui parvenait à temporiser ses angoisses. Inspirant longuement, il avait essayé de mettre de l’ordre dans ses pensées avant de reprendre la parole, d’une voix aussi hésitante que tremblante.

« HYDRA avait un programme, ils l’avaient appelé « le Soldat de l’Hiver ». Ils ont commencé par remplacer mon bras manquant par une prothèse de haute technologie avant de me faire subir des méthodes de contrôle mental, et après ça… J’étais comme un robot qu’ils pouvaient contrôler. J’étais une arme entre leurs mains. Programmé pour tuer. Et c’est ce que j’ai fait. Je suis devenu l’un de leurs meilleurs éléments. J’étais un tueur impitoyable, mes cibles n’avaient aucune chance de m’échapper, je ne ressentais aucune pitié pour elles. J’en étais tout bonnement incapable puisqu’ils effaçaient systématiquement ma mémoire avant de me rendormir. J’étais une coquille vide. Et j’ai tué tellement de monde… Les ennemis d’HYDRA, bien sûr, étaient leur priorité. Kennedy, les parents de Tony Stark… Et tellement de personnes dont les familles n’auront jamais la chance de connaître la vérité. Parce que j’étais un véritable fantôme. Certains services de renseignements doutaient même de mon existence. »

« Mais l’assaut sur Nick Fury a révélé votre existence, justement ? »
« Personne n’y croyait vraiment, je pense… Mais ils m’ont réactivé en 2014. C’est Alexander Pierce qui a ordonné qu’on me réveille, plus exactement. Il était au S.H.I.E.L.D mais faisait secrètement partie de HYDRA et il avait un projet, le ProjectInsight. Il voulait que Fury disparaisse pour que son projet aboutisse, alors il m’avait chargé de l’éliminer pour lui. »

« Et c’est au cours de cette mission que vous avez retrouvé Steve… »
« Je ne l’ai même pas reconnu, au début. Je n’aurais même pas reconnu mes propres parents de toute façon. Si HYDRA me l’avait demandé, je les aurais sans doute tués comme tous les autres. Mais cette mission a été différente. Une fois que Fury a été déclaré mort, ils ne m’ont pas renvoyé dans ma chambre de cryostase, ni effacer la mémoire. Cette fois, Pierce m’a désigné deux nouvelles cibles : il fallait que je tue Steve et son amie, Natasha. Ils menaçaient son projet, et Pierce ne pouvait pas se permettre d’être freiné alors qu’il était enfin si près du but. Alors je les ai retrouvés. J’ai même aidé à les capturer, mais heureusement pour eux un agent du S.H.I.E.L.D était là pour les aider à nous échapper. »

Une vive culpabilité s’empare de ses traits, si bien qu’il abaisse machinalement sa casquette sur son front comme pour dissimuler son visage, honteux de ses méfaits. Bienveillante, la psychologue lui laisse le temps de souffler quelques secondes avant de poursuivre, attentive aux moindres expressions passant sur le visage de son patient.

« Et vous avez fini par déserter HYDRA ? »
« Ce n’était pas la première fois, je crois. J’avais déjà essayé dans les années 70, à bord d’un train traversant l’Europe, mais ils m’avaient retrouvé en moins d’un an… Peut-être parce que j’étais devenu un véritable fantôme à cette époque, que je n’avais rien pour me raccrocher à l’existence. En 2014, j’ai eu des souvenirs. De vrais souvenirs. Qui n’appartenaient qu’à moi. Qui n’avaient pas été propulsés par la volonté d’autrui. J’avais mes propres pensées, mes propres volontés. Je n’étais plus une machine. Je me souvenais de Steve, je savais que je l’avais déjà vu avant l’attaque de l’autoroute, mais il a fallu la bataille de Triskelion pour que je sois réellement en capacité de me libérer de leur emprise. Et c’est ce que j’ai fait. Je suis parti. »

« Comment Steve a réagi en vous revoyant après toutes ces années ? »
« Comme un véritable ami. Comme un frère. Je le battais sans pitié et il refusait de rendre les coups. Il avait même abandonné son bouclier, et il me suppliait de me rappeler… Mais j’étais formaté. Je n’étais pas un esprit qu’on pouvait raisonner, j’étais… Je ne sais pas. Sourd, d’une certaine façon. Mais il a dit une phrase qui a été comme un électrochoc. Il m’a dit « jusqu’au bout je serai là pour toi » et… C’était comme s’éveiller d’un long coma. J’avais dormi durant toutes ces années. Je n’avais été qu’une arme de destruction, sans coeur, sans passé. Et je respirais de nouveau. »

« Cela a dû être une véritable libération pour vous… Mais également un choc immense. Vous avez dû être déboussolé, terrifié même ? »
« Je… Je ne m’en souviens pas. Tout est allé si vite. Je crois que je n’ai pas réalisé tout de suite, que je n’ai pas vraiment réfléchi. Steve était tombé de l’héliporteur, il a disparu dans la rivière qu’il y avait en dessous alors je n’ai pas vraiment pensé à ce que je faisais, j’ai suivi mon instinct. »

« Et qu’est-ce que vous avez fait en suivant votre instinct, James ? »
« J’ai plongé pour le sortir de l’eau, je ne voulais pas qu’il meurt… Mais je ne pouvais pas rester avec lui non plus. C’était compliqué, je crois, dans ma tête. Tout se mélangeait, tout était confus. Alors j’ai vérifié qu’il respirait encore et je suis parti. Je voulais savoir qui j’étais, surtout. Je voulais connaître mon histoire, mon identité. J’en avais besoin. Vraiment besoin. »

« Et vous avez trouvé ? »
« Pas exactement… Du moins, c’était encore compliqué. Je ne savais pas trop quoi faire, où aller, par quoi commencer. J’avais l’impression d’être une page blanche : sans passé et sans avenir. Alors je suis partie en Roumanie, je voulais vraiment savoir qui j’étais. La plus petite information que je trouvais, la moindre image qui me revenait, je notais tout dans un carnet. »

« Mais deux ans après… »
« Mes démons m’ont rattrapé. Il y avait eu un bombardement au Centre International de Vienne, en Autriche, et le roi T’Chaka du Wakanda avait été tué. Les journaux disaient que c’était moi. D’ailleurs, je crois que tout le monde le pensait. »

« Et Steve vous a aidé… »
« Comme toujours. Je ne sais pas vraiment s’il me pensait innocent ou coupable, en fait. Je crois que même si j’avais été coupable, ça n’aurait rien changé pour lui. Il aurait quand même voulu m’aider, parce qu’il savait que ce n’était pas vraiment moi. Il a fait bien plus que m’aider : il m’a sauvé. J’étais retourné dans mon appartement à Bucarest et le temps que je passe la porte, l’immeuble était encerclé du toit jusque dans les couloirs. J’aurais été tué, c’est sûr. Par eux ou par Black Panther si j’avais réussi à m’échapper par miracle… Mais c’est bien normal. Il pensait que j’avais tué son père, il voulait se venger. »

« Mais vous avez été arrêté, si je me souviens bien ? »
« Par les hommes du GSG9, oui. Ils m’ont placé en détention dans une cellule de confinement, à Berlin. HYDRA n’était pas loin, encore… Prenant l’identité d’un psychiatre, Helmut Zémo, qui ne faisait pas partie d'HYDRA pourtant, a réactivé le programme du Soldat de l’Hiver, dans ma tête… J’ai essayé de résister, vraiment.  De toutes mes forcés, je ne voulais pas céder, je ne voulais pas redevenir celui que j’avais été. Mais ça. Ces mots. C’était comme une pulsion animale. J’ai réussi à me sortir de cette foutue camisole dans laquelle ils m’avaient attaché, mais je n’étais plus moi-même de nouveau. Heureusement, Steve a réussi à me garder avec lui avec l’aide de Wilson. »

« Et les Avengers se sont divisés… »
« Tony et T’Challa voulaient ma peau, ce que je comprends. Et Steve voulait me protéger, comme d’habitude. Des amitiés ont failli être brisé à cause de moi, à cause de ce Helmut Zémo surtout. C’était lui qui était derrière tout ça, en fait. Il voulait me faire porter le chapeau, m’utiliser pour que les Avengers s’entretuent parce qu’il avait perdu sa femme, son fils et son père dans l’attaque contre Ultron en Sokovie. T’Challa a tout découvert, mais mon bras avait été détruit, et j’étais encore trop dangereux. Trop instable. Moi-même je le sentais. Mon esprit était comme divisé en deux… D’un côté, il y avait Bucky. De l’autre, le Soldat de l’Hiver. Et je ne voulais pas que ce soit lui qui gagne. »

« Et vous avez obtenu l’asile au Wakanda ? »
« On pourrait peut-être faire une pause ? Je suis fatigué. »

En réalité, il n’avait plus envie de parler. Il en avait déjà trop dit. Le reste devait probablement être déjà écrit sur le dossier qu’elle tenait entre ses mains, alors pourquoi aurait-il besoin de parler davantage ? Est-ce qu’elle voulait s’assurer qu’il n’était pas un menteur ? Qu’il était au courant de tout ce qui lui était arrivé, qu’il se souvenait de tout ?

« J’ai besoin que vous répondiez à la question, James. »
« Soit. C’est vrai, je me suis effectivement réfugié au Wakanda, comme vous venez de le dire. Là-bas, ils ont enlevé ce qu’il restait de mon bras robotique, mais le plus gros problème était dans ma tête. Même si j’avais repris le contrôle, la programmation mentale d’HYDRA était toujours là, et j’étais incapable de m’en débarrasser tout seul. T’Challa avait déjà fait tant pour moi… Il m’avait accueilli dans son royaume, j’avais été soigné grâce à lui… Et c’est encore lui qui m’a aidé. Lui et sa soeur Shuri. »

« Comment T’Challa et Shuri vous ont aidé ? »
« Par le sommeil cryogénique. La dernière image que j’ai, c’est Steve à côté de moi. Le reste… Je ne sais que ce qu’on m’a dit. Tous les déclencheurs de contrôle d’HYDRA ont été effacés de mon cerveau, jusqu’à ce que je sois enfin libre. T’Challa voulait m’aider à trouver la paix, et grâce à lui et à Shuri, j’avais réussi, je crois. J’ai vécu au Wakanda jusqu’en 2018. »

« Que s’est-il passé en 2018 ? »
« Vous le savez très bien. »

« Ce ne sont pas les faits qui m’intéressent. C’est comment vous les raconter, ce que vous avez ressenti, ce que vous avez pensé… Alors, dites-moi ce qu’il s’est passé en 2018, James. »
« Bucky. »

« Vous évitez la question… Mais très bien. Dites-moi ce qu’il s’est passé en 2018, Bucky. »
« Si ça vous amuse… J’ai reçu un bras en vibranium de la part de T’Challa, pour remplacer celui que Tony avait détruit en Sibérie. Le combat contre Thanos était déjà engagée, je n’ai pas hésité à rejoindre le champ de bataille… Après tout, j’étais fait pour ça, non ? Mais cette fois, j’étais du bon côté. En fait, je pensais que les choses seraient différentes. Je pensais qu’on gagnerait. Mais c’est lui, qui avait gagné. Il avait les cinq pierres d’Infinité alors il a simplement claqué des doigts et… En quelques secondes à peine, j’ai eu l’impression de m’endormir. J’ai appelé Steve, je crois, et puis… Plus rien. Plus rien pendant cinq ans. »

« Vous êtes revenu cinq ans plus tard, grâce à Bruce Banner ? »
« Oui. Je me suis réveillé au Wakanda, un peu comme si on m’avait assommé la veille. Sans trop comprendre, mais sans trop chercher non plus. On avait une revanche à prendre. Et on l’a eu. Ce putain de Thanos a été vaincu… Grâce à Tony. Il l’a payé de sa propre vie… Vous vous rendez-compte ? Il s’est sacrifié pour tous les autres. Il avait une femme, une fille, une vie… Et il n’a pas hésité à mourir pour qu’on puisse vivre. Alors que moi, j’ai tué ses parents et je suis vivant. »

« HYDRA a tué ses parents, Bucky. Pas vous. Vous n’étiez que l’instrument, vous n’aviez même pas véritablement conscience de vos actes. »
« Il n’empêche que ce n’est pas juste. Il ne méritait pas ça. »
« Vous non plus. Personne ne mérite ça. »

Un court silence s’était installé entre eux, un silence presque paisible, secret. Les yeux rivés sur sa main métallique, James ne pouvait s’empêcher de se questionner : méritait-il vraiment de vivre ? La honte et la culpabilité étaient si lourdes à porter… Elles ne laissaient pas beaucoup de place pour autre chose.
Après quelques secondes de silence, voyant que la séance touchait à sa fin, le docteur Garner reprit la parole d’un ton plus léger, afin d’apaiser ses pensées avant qu’ils ne se quittent.

« Vous vivez à présent avec les Avengers, comment ça se passe ? »
« Euh… Bien. Bien. Je crois. C’est encore nouveau pour moi, et je n’ai pas vraiment l’habitude de vivre avec d’autres personnes… Mais ça se passe bien. Je ne me sens pas toujours à ma place mais… J’imagine que c’est le temps d’adaptation qui veut ça, et que ça viendra. Ou quelque chose du genre. Mais ça va. Tout va bien. »

« Vous avez tissé des liens d’amitié avec les autres ?  »
« Je… Oui, je pense. »

« Avec qui, par exemple ? »
« Wilson. Sam est une personne admirable, très courageux et loyal, je n’ai pas été surpris quand Steve l’a choisi pour être son successeur. Je sais qu’il fera toujours de son mieux pour l’honorer. Ensuite il y a… Clint, je crois. On est pas meilleurs amis mais on s’entend bien, je pense ? J’espère. Je n’ai pas l’impression qu’il me voit comme un meurtrier, il est pas du genre à juger les autres. Et j’apprécie son franc-parler, il n’a jamais peur de dire ce qu’il pense. Et puis, il y a… Wanda. Mais c’est plus compliqué. »

« "Compliqué" ? »
« Dans le bon sens du terme. »

« Parce qu’il existe un sens positif au terme compliqué ? »
« Avec elle, oui. Parce que, quand je pense à elle, rien ne me parait insurmontable, ou difficile. C’est comme… Je sais pas. Je sais pas trop, en fait. Mais ça me plait de ne pas savoir, de pas pouvoir décrire ce que je ressens. C’est comme s’il y avait un tremblement de terre dans mon coeur chaque fois que je la voyais ou que j’entendais son nom. C’est ridicule, non ? J’ai l’impression d’être malade. Oui, malade. D’elle, d’une certaine façon. Mais je n’ai pas envie de guérir. »

S’il savait… Il ne tiendrait pas le même discours. Mais il était encore ignorant de la cruelle vérité qu’il devrait bientôt affronter, et ce mirage de bonheur servait bien sa cause en ce jour. Visiblement satisfaite et rassurée des derniers mots de son patient, la psychologue avait refermé son cahier tout en pressant ses lèvres dans un sourire amical, signant la fin de cette séance riche en confidences. Si elle n’avait rien dit, elle avait songé que James était sur la bonne voie : certes, sa culpabilité le dévorait encore, mais c’était la preuve qu’il était capable d’éprouver des remords et de la compassion, et qu’il était désireux de bien faire à présent. Cela prouvait surtout que les scientifiques d’HYDRA avaient échoué. Il n’était pas le monstre qu’ils avaient voulu créer.