I am a Phoenix.
Watch me fall. Watch me burn. Watch me rise.
1976, comté d'Ulster, New-York, USA
« D'après la carte, nous ne sommes plus très loin... » Repliant l'épaisse carte en papier qu'elle tenait entre ses mains, Elaine lança un regard enjoué à son mari, qui conduisait leur voiture flambant neuve sur une calme route de campagne. Traversant une foret verdoyante qu'il admirait avec quiétude, John Grey rendit un sourire attendrit à son épouse, avant de lancer une oeillade dans le rétroviseur pour observer leur fille qui fêtait, en ce jour joyeux, son onzième anniversaire. Elaine lança une main câline à celle-ci, effleurant le genou de Jean avec une tendresse toute maternelle car, cet enfant, cette petite fille qui avait les cheveux aussi roux qu'elle et qui arborait les grands yeux bleus de John, était tout ce qu'ils avaient toujours désiré. Elle était sage, bien trop calme et silencieuse pour son jeune âge, avait-il déjà eut à la réprimander pour une quelconque bêtise ? Tandis que le véhicule filait calmement sur la voie, un silence paisible avait envahi l'habitacle de la voiture, un silence à peine troublé par les ronronnements grésillants de la radio qui peinait à chanter correctement dans cette zone isolée. Agacée par les sursauts incessants de la radio, Jean fit tournoyer le bouton beige du poste sans broncher, seulement d'un regard, changeant alors les fréquences à de multiples reprises, à la recherche d'une radio capable d'aligner deux mots sans couper. Irritée des bruits incohérents qui résonnaient dans la voiture, assise sur la banquette arrière, Jean semblait s'impatienter en frottant frénétiquement ses doigts les uns contre les autres. Ses parents se mirent à parler, évoquant sans nul doute les activités qu'ils feraient durant ce week-end à la campagne, mais Jean ne les entendait pas. Elle n'entendait que les grésillements de la radio, de plus en plus fort, comme un tambour que l'on frappe avant une guerre. Si ses yeux n'avaient pas quitté le bouton blanc du poste radio, ils eurent fini par s'abaisser sur ses chaussures blanches qui se joignirent d'un mouvement brusque, comme deux voitures à la trajectoire liée. Quelques secondes plus tard, la voiture des parents de Jean se mit à dévier de sa voie, percutant de plein fouet la voiture d'en face. Le choc fut mortel. D'innombrables petits morceaux de verres brisés avaient volé en éclat à l'intérieur de l'habitacle, perforant et tailladant les deux adultes qui se trouvaient à l'avant ; miraculeusement, Jean en sortit indemne. Sans l'ombre d'une égratignure, sans même une écorchure. Pas la moindre blessure n'avait été relevée sur son corps lorsqu'elle fut transportée à l'hôpital.
Les policiers rapidement dépêchés sur les lieux n'avaient pu que constater le décès des trois adultes, sans pouvoir expliquer les raisons de l'accident. Certains policiers émirent l'hypothèse de freins défaillants, d'une perte de contrôle du véhicule ou bien encore une simple inattention qui fut fatale. La seule survivante fut bien incapable d'aider les enquêteurs : elle n'avait rien vu, elle ne savait pas ce qu'il s'est passé, ce n'était pas sa faute, elle ne voulait pas y aller, elle leur avait pourtant dit. Était-elle responsable ? Elle pensait que oui. Pourtant, elle n'avait pas bougé de sa place et n'avait même pas crié pour déstabiliser sa mère qui conduisait. C'était lui, c'était son esprit. C'était plus fort qu'elle, il était plus fort qu'elle. Elle n'avait rien pu faire pour l'empêcher de se venger. Les policiers qui l'entendirent prononcer ces quelques aveux désordonnés songèrent que c'était simplement la manifestation du choc de l'accident et ne prirent guère ses mots au sérieux. Transportée à l'hôpital, quelques psychologues se succédèrent à son chevet, jusqu’à ce que Charles-Xavier, professeur de biologie et secrètement mutant télépathe, soit appelé par un confrère désireux d’avoir son avis. Cette rencontre, bien qu'elle l'ignorait encore, allait changer son destin à jamais.
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Orpheline. Ce mot ne signifiait pas grand chose à ses yeux. Lorsque l'on a seulement onze ans, on n'est pas réellement capable de comprendre ce que la mort engendre comme conséquences. Au début, on ne s'inquiète pas non plus de l'absence prolongée d'un parent. Maman est peut-être au travail, elle est sans doute occupée mais elle va bien finir par rentrer, il suffit de lui faire un beau dessin et d'être bien sage jusqu'à son retour. Alors, on recouvre mille feuilles blanches de formes dérisoires à l'hôpital, des silhouettes en bâtons, des oiseaux en V, des soleils à dix branches et des maisons carrées. On dessine la famille qu'on connait et qu'on aime, celle qui nous rassure, celle qui se dispute quand les courses ne sont pas rangées mais qui oublie aussitôt la raison des éclats de voix. Lorsque Jean avait onze ans, c'est sa famille qui a volé en éclats.
Profondément meurtrie et traumatisée par cette expérience, Jean s'enferma dans un état catatonique qu'aucun remède ni médecin ne semblait pouvoir briser. Elle était bien trop jeune pour supporter seule le fardeau d'une telle perte, et elle s'enferma dans son esprit avec sa propre douleur et ses nombreuses incertitudes. Que devait-elle faire de toutes ses questions, à qui en parler ? Que devait-elle faire pour que le poids de la tristesse s'efface ? Le chagrin avait fini par la ronger de l'intérieur, rendant ses sourires amers et ses joies bien rares. Qu'est ce qu'elle allait devenir ? Sans famille pour la prendre en charge, on songea d'abord à l'orphelinat. Bien que peu réjouissante, cette option semblait être la seule. C'est alors que Charles-Xavier, appuyé par ses amis médecins et psychologues, proposa de prendre l'enfant sous son aile.
Âgée de seulement onze ans, venant de perdre sa famille et ses repères, Jean Grey déposa alors ses deux petites valises dans l'une des chambres de l'Institut Xavier, peu fréquenté à l'époque. C'est ainsi que durant des années, jusqu'à ce que Jean atteigne l'adolescence, Charles-Xavier lui enseigna la faculté de contrôler ses capacités ; il lui apprit à manipuler ou à soulever des objets par la simple force psionique, aptitudes qu'elle développa à ses côtés jusqu'à l'âge de seize ans. C'est au cours d'une des premières séances d'entraînements données à Jean que Xavier, comprenant que la jeune fille avait du mal à maitriser ses pouvoirs, décida d'ériger des barrières psychiques pour restreindre ses capacités afin de protéger les autres mais également la protéger d'elle-même. Mais, secrètement, ceci ne fut pas la seule raison d'une telle mesure ; télépathe, Xavier avait vu dans l'esprit de son élève que l'accident de voiture de ses parents n'avait rien d'un malheureux coup du sort. Jean, involontairement ou non, avait provoqué la mort de ses parents sous le coup de l'agacement et la colère, sans même en avoir conscience. La peine, l'agacement et l'impatience s'étaient mélangés pour former l'explosion d'un geste dont elle n'avait guère mesuré la portée ; Jean s'était rendue coupable de la mort de son père et de sa mère. Pensant que la culpabilité éprouvée par la jeune fille était responsable des épouvantables cauchemars qui peuplaient ses nuits depuis son arrivée, Xavier prit soin de cacher ces souvenirs tortueux de son esprit, songeant qu'il était préférable qu'elle ignore les erreurs du passé. Partant d'une bonne intention, ces barrières psychiques eurent pourtant une effroyable répercussion sur l'esprit de Jean, causant involontairement l'éveil d'une dangereuse personnalité réprimée ; le Phoenix Noir. Cette présence, imprévisible et malfaisante, a été enfouie dans les tréfonds de son esprit fractionné par les barrières psychiques, terrassée sous l'ignorance de Jean et écrasée par le silence, mais n'attend qu'une occasion pour s'emparer du corps et de l'esprit de la mutante qu'il habite.
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Les années s'écoulèrent, lentes, paisibles, sans fausse-note. L'enfant de onze ans était devenue une jeune fille de dix-huit ans, non pas accomplie mais au moins débarrassée des démons du passé, devenus fantômes invisibles. Mais si Jean se croyait à l'abri du danger, qui n'existait que dans les cauchemars qui perturbaient encore ses nuits, elle eut rapidement à affronter des menaces bien plus grandes qu'elle n'aurait pu les imaginer. L'équilibre de son quotidien fut balayé par l'explosion de l'Institut et l'enlèvement de Charles-Xavier, son mentor, ami et allié, dont l'absence mit à mal l'esprit bancal de Jean, qui avait alors perdu tous ses repères. Néanmoins, malgré les troubles qui obscurcissaient son esprit, elle fit de son mieux pour aider Diablo, Scott et Logan à libérer Raven, avant que tous ne s'emploient à secourir Charles, retenu en Égypte par Apocalypse. Après une lutte mentale acharnée entre Charles-Xavier et Apocalypse, ce dernier fut tué par Jean après que celle-ci ait libéré les pouvoirs du Phoenix pour la première fois avec l'aide de Charles. L'étendue de ses pouvoirs fut alors révélé au monde, mais la jeune femme n'en ressortit point indemne. Comment était-ce possible ? Comment avait-elle pu ignorer tout ce temps ses pouvoirs ? Était-elle un danger pour les autres ? Risquait-elle de blesser ceux qu'elle chérissait plus que tout ? Effrayée par ses propres capacités, qu'elle avait maîtrisées seulement grâce à Charles, elle fut ô combien perturbée de découvrir ce dont elle était capable, et ce qui se cachait dans son esprit depuis tout ce temps. Sans véritablement comprendre les rouages de son passé, de son présent et de son avenir, encore hautement marquée par les récents événements, elle n'eut guère le temps de s'en remettre qu'un nouveau malheur frappa de plein fouet les mutants.
Alors que les mutants n'étaient pas encore de retour au Manoir, une anomalie ouvrit une faille spatio-temporelle qui les transporta trente-cinq ans dans le futur. Ils se retrouvèrent devant l'Institut, qui n'avait guère changé, contrairement à la vie dans cette réalité parallèle : dans cette réalité existaient des hommes et des femmes extraordinaires, des super-héros connus, acclamés et aimés par le plus grand nombre, et qui répondaient au nom d'Avengers. Si le fait d'être projetée si loin dans l'avenir paraissait tout d'abord effrayant pour celle qui n'avait qu'un passé faussé entre les mains, Jean avait senti un espoir poindre en son cœur : peut-être que les mutants, un jour, seraient autant aimés que les Avengers ? Elle avait osé y croire, sans véritablement accordé trop d'importance aux Avengers, dont elle suivait vaguement les épopées sans en connaître tous les secrets. Car elle avait eu l'impression d'être une page blanche marquée à l'encre invisible, dont le récit lui était encore indéchiffrable, tenu secret par une clef introuvable. Mais elle n'eut guère le temps de chercher davantage d'explication car, les Avengers avaient échoué dans leur bataille contre Thanos, qui les fit disparaître sitôt qu'il en eut l'occasion. Elle avait vu quelques silhouettes familières s'étioler de poussière en silence, sans pouvoir crier, sans pouvoir bouger. Ceux qu'elle aimait n'étaient plus. Le destin avait été scellé par une main cruelle. Quelques secondes plus tard, ce fut à son tour de s'éteindre. Il n'y avait plus rien.
Elle ouvrit de nouveau les yeux cinq ans plus tard. Cinq longues années qui passèrent comme cinq secondes pour elle. Sans douleur, sans mouvement, sans pensée, sans idée. Les Avengers, qui avaient autrefois échoué, venaient de gagner la guerre contre Thanos, défaisant le génocide qu'il avait infligé à l'humanité. Elle s'éveilla dans sa chambre de l'Institut avec les yeux lourds mais l'esprit léger, comme si elle avait été maintenue en sommeil depuis trop longtemps, et qu'elle peinait à reprendre conscience de son propre corps. Mais tout était redevenu comme avant, ou presque.
Un an plus tard, et venant de fêter ses dix-neuf ans, Jean s'est progressivement acclimatée à l'époque dans laquelle elle vit désormais, bien que celle-ci est foncièrement différente de tout ce qu'elle a connu par le passé. Curieuse de tout, désireuse de connaître le monde, elle est un esprit vif qui se questionne sur tous les sujets possibles. Élève brillante, qui excelle notamment en sciences et en histoire, Jean s'interroge à présent sur son avenir : que fera-t-elle ensuite ? Où est sa place, où doit-elle aller ? Si elle sait qu'elle peut compter sur ses amis, et sur son mentor, elle ne peut s'empêcher de sentir seule parfois, bien que, sans le savoir, elle ne l'est jamais. Le Phoenix, endormi, tapi dans l'ombre de ses pensées opaques, ne la quitte jamais.