Les claquements de verres, cette odeur d'éthanol et de tabac. Je m'y étais vraiment habitué. J'avais profité de cette soirée pour aller au Molly's Bar. Un endroit fréquenté par les pompiers et quelques policiers qui n'étaient plus de service. J'y avais déjà mis pas mal de fois les pieds et j'avais même eu la chance d'y croiser un gardien de la galaxie en pleine beuverie. J'avais également profité du fait que je n'avais pas à garder ma fille cette semaine pour y faire un petit tour. Depuis combien de temps, je suis dans cet endroit, déjà ? Dès le début de l'après-midi, je crois. Depuis, je reste assis sur ma chaise en étant isolé à l'extrémité du comptoir. J'avais les yeux dans le vide et je buvais machinalement sans même me rendre compte que j'en étais déjà à pas mal de verre. Lorsque j'en avais marre de la bière, je passais au whisky et lorsque j'en avais marre du whisky, je passais à la vodka. Certains disent que le mélange d'alcool dans une soirée est dangereux. Ce n'est pas tout à fait vrai. Ce n'est pas une question de type d'alcool, mais bien d'une certaine quantité consommée… Et là, j'étais déjà pas mal en état d'ivresse.
« Patron. » Disais-je en terminant mon fond de whisky. « Tu m'en remettras un autre après. »
« On dit s'il te plait… »
Le mec derrière le comptoir me fixait déjà avec un mauvais œil. Lorsque j'avais laissé traîner mes oreilles dans cet endroit, j'avais appris que l'ancien propriétaire était parti se faire une santé en Écosse. Il paraîtrait même qu'il était pompier et barman en même temps. J'apprécierais partir à Glasgow un de ces quatre, arpenté les bars là-bas. Il paraît qu'ils ont du très bon whisky. Pourquoi je pense à l'Écosse tout à coup ? Je n'en sais rien. Je n'ai pas les idées claires et je sens que ma motricité n'est pas à son plein potentiel. Ah ouais, j'ai aussi des nausées qui me passent de temps en temps et je sens bien que ma salive devient parfois salée. Il faudrait peut-être que je me ravise de prendre ce verre ? Non, je peux bien me détendre encore un peu et profiter de mon week-end. L'homme vient m'apporter un verre et l'alimente du nectar tant convoité. À chaque fois il a le visage fermé lorsque son regard croise le mien. Il doit me prendre pour le poivrot de service, sans doute… Oh et puis, je l'emmerde en fait. Il peut bien penser ce qu'il veut de moi, tant qu'il me sert.
« Ce sera ton dernier et après j'arrête de te servir. »
« Ohhhh Merde, arrêeete de décoOonner ! » Ah ouais, j'ai du mal à articuler lorsque je fais des phrases longues. « Je n'ai jamais fait d'histoOire dans ton pub eeeet en plus j'ai toujouuurs payé. »
« Te fou pas de ma gueule. Tu as vu la quantité de verres que tu m'as sifflé cette après-midi ? C'est pour ta propre sécurité et pour pas que tu me claques dans les pattes. »
Je viens me retourner en ayant la sensation que tout le bar était en train de m'observer. J'avais presque oublié que je n'étais pas seul. Regardez-moi ces gens qui m'observent en me jugeant. Ils croient sans doute qu'ils valent mieux que moi en étant des pompiers, des policiers ou des médecins. Qu'ils aillent se faire foutre. Tous autant qu'ils sont. Cela vaut aussi pour le barman. Si je devais faire un coma éthylique et bien ce serait mon problème. C'est mon droit le plus strict. On est dans le pays des libertés ou non ? Moi je dirais plutôt qu'on est dans la société du jugement. Ils se sentent tous supérieurs à moi parce qu'ils ont une meilleure hygiène de vie que moi, qu'ils ont une existence plus trépident ou qu'ils estiment que contrairement à eux, je suis qu'un alcoolique solitaire. Lorsque je maintiens le regard envers certains clients, ils se contentes de dévier la tête et à faire quelques messes basses. À moins que ce soit moi qui suis paranoïaque, mais cela m'étonnerait.
« Quoi ? Vous voooulez ma photo ? Ocuuupez-vous de vos affaires ! »
Je me retourne une nouvelle fois vers le comptoir et je me remets à boire. Est-ce que je commence à avoir l'alcool mauvais ? Avec ce qu'il m'était arrivé récemment, c'était compréhensible. Une chanteuse qui vient me menacer d'un procès et un professeur de géographie qui vient me faire chier alors que j'étais en train de travailler, ça a tendance à mettre à cran en règle générale.
Cela faisait un bout de temps que Remy n'était pas revenu dans ce bar. Depuis que Samuel, l'ancien propriétaire et bon pote de soirée, était parti en Ecosse, le voleur ne voyait pas de raison de retourner dans un établissement rempli de pompiers et de flics. Mû par la curiosité, il s'y rendit en ce soir du 22 mars, histoire de prendre des nouvelles de Samuel - se portait-il mieux ? Etait-il revenu de son pays natal ?
Il semblerait que non. Dommage, c'était vraiment un gars sympa. Mais Remy n'avait pas perdu sa soirée pour autant. Pour parler de Samuel, il avait abordé une serveuse, une charmante rouquine aux courbes bien dessinées, aux lèvres pulpeuses et au sourire ravissant. Le courant passait plutôt bien, la discussion allait bon train, et le séducteur se demandait déjà s'il allait pouvoir vérifier s'il s'agissait d'une vraie rousse ou non...
« Inverness ? C'est bien là que vit le monstre du Loch Ness ? Je ne suis jamais allé en Ecosse, mais j'ai connu pas mal d'écossaises... »
La serveuse émit un petit gloussement de rire et commença à expliquer que le Loch Ness se trouvait effectivement non loin d'Inverness, lorsqu'elle fut interrompue par un autre serveur, probablement le nouveau patron, qui lui tapa sur l'épaule avec une mine renfrognée et désigna un type au bout du comptoir qui tanguait sur son tabouret et commençait à faire du raffut.
« Faut qu'j'aille changer le fût de bière, tu veux bien faire ton boulot et m'garder ce loustic à l'œil ? Il est rond comme un ballon et je voudrais pas qu'il emmerde les clients. - C'est trop aimable. »
Le sourire de Remy était moqueur et sa remarque emplie de sarcasme. Il n'avait pas aimé la façon dont le barman avait parlé à la serveuse, même s'il était vrai que son attention était accaparée par le séducteur depuis plusieurs minutes. Puis, comme l'autre haussait les épaules d'un air agacé et partait dans son arrière-boutique, Remy, comme la jolie serveuse, posa son regard sur le poivrot qui semblait décidé à engueuler le monde entier. Si c'était pas malheureux... être ivre, seul, si tôt dans la soirée...
Cul-sec, cul-sec, cul-sec ! Personne ne me le disait pour moi alors il fallait bien que je le prononce mentalement à moi-même. J'avais remis tout cet attroupement à leurs places et du coup, en guise de récompense, je m'autorise à me siffler mon dernier verre d'une seule traite. L'alcool est la plus vieille drogue du monde après l'opium. De ce fait, on en trouve partout dans notre société contemporaine : dans le supermarché, dans les restaurants, dans les hôtels et dans les bars. Certains addictologues ont donc décidé de répertorier les différents types de consommation en plusieurs catégories : le non-usage, l'usage simple, l'usage à risque, l'usage nocif et l'alcoolodépendance. Autant dire que je me trouve tout en haut du panier. Je n'ai jamais touché à d'autres drogues de ma vie, mais la boisson me convient parfaitement pour me mettre dans cet état tant convoité d'extase et d'oublies de mes problèmes. D'ailleurs, mon verre est vide et il en faudrait un autre.
« Patron ! Un autre verre ! »
« Heuuuuu, monsieur ? » S’exclame une serveuse qui était en train de roucouler avec un gus et qui s’avance vers moi. « Il me semble qu’il vous à dit que c’était votre dernier verre. L’on ne vous servira plus. »
« Rhooo, mais voOouuus avez tous décidé de venir me faAaire chier ou quoi ? » Je regarde alors la serveuse, les yeux dans le vague. « Tu sais ce que J’luUi répond à ton patron ? RegaArde. »
À ce moment précis, je ne me rends pas compte de ce que je m'apprête à faire. Je prends des décisions sans même avoir une once de réflexion. C'est l'un des effets de la désinhibition. Dans un geste brusque, je viens faire un doigt d'honneur dans la direction où serait partie le propriétaire du bar et je viens agripper mon majeur avec mon autre main pour l'étirer comme si c'était un vulgaire ficello. La serveuse vient alors écarquiller les yeux sous la surprise et émet même un cri de stupeur en voyant mon doigt élastique s'étendre. J'éclate alors d'un rire gras et non retenu. Cette scène n'est pas à mon avantage, je ne montre pas mes pouvoirs comme cela normalement. Cependant et sur le moment, c'était très drôle à mon goût. Derrière moi, deux types en uniforme de policier viennent se jeter un regard, l'un envers l'autre et d'un hochement mutuel de la tête, ils décident de se lever pour arriver derrière mon dos. L'un d'eux fait un raclement de gorge pour signifier sa présence et me montre sa plaque.
« Bon allez, ça suffit les conneries. Tu viens avec nous. »
« Ohhhh, je voOus prierais de gaArder le silence ! Tout ce Que vOus direz pourra être retenu coOontre voOous ! »
« Lève-le. » Dis l’un des poulets à son comparse. « Ce n’est pas la peine de discuter avec lui. »
Là, je suis vraiment dans la merde. Les deux hommes viennent m'attraper par les bras afin de me tirer de ma chaise. Je titube et je manque presque de m'effondrer en me levant. L'un des verres qui était sur le comptoir commence à rouler et à se fracasser sur le sol. Je ne m'en rends pas forcément compte, mais les policiers de New York ne sont pas connus pour être des tendres avec ceux qu'ils appellent mutant. Cependant, je continue à rigoler sans pour autant opposer une spéciale résistance. Je ne marche pas droit, mais ils me maintiennent à peu près en équilibre. J'ai l'impression qu'il n'y a pas de danger, je me laisse guider là où ils décident de m'emmener. Tout le bar semble silencieux et tous les regards sont tournés vers moi. C'était peut-être le verre de trop, j'aurais peut-être dû m'arrêter quand il le fallait. Oh, ce n'est pas bien grave. Je n'ai pas trop à y penser. Je dois simplement me laisser guider par ce doux état d'ébriété.
« Désolé pour le grabuge que ce type a causé. » Un policier qui me tenait en profite pour lever son képi à la foule. « Nous vous souhaitons tout de même une bonne soirée. »
« Et suUurtout, buvez avec modération ! »
« Putain, mais ferme ta gueule… »
Je me retrouve avec mes deux tortionnaires devant cette porte de sortie. Je vois flou et je ne me rends pas bien compte de mon environnement. Je pense que je vais vraiment passer un sale quart d'heure au commissariat. Ce n'est pas grave ! Je n'ai pas à y penser. Le plus important, c’est de s’amuser !
Evidemment, il avait fallu que le poivrot réclame un autre verre. Il avait fallu que la jolie serveuse aille tenter de le tempérer, puisque son patron le lui avait si gentiment demandé. Et il avait fallu que l'ivrogne, rond comme une queue de pelle, réplique par un usage vulgaire et idiot d'un pouvoir mutant. Résultat, la serveuse avait poussé un cri de frayeur comme si elle avait vu un monstre, et deux flics avaient décidé de s'en mêler, jouant les cowboys à la rescousse de la demoiselle en détresse. Ridicule...
Cette scène aurait eu lieu quelques mois plus tôt, Remy ne serait probablement pas intervenu. Il aurait pensé que le type allait passer quelques heures en cellule de dégrisement et s'en tirerait avec une amende et un gros mal de crâne le lendemain. Il aurait donc fait profil bas et n'aurait pas risqué de se faire remarquer par les flics. Mais à présent qu'il faisait partie de la Confrérie, il voyait les choses autrement. Cet homme, bien qu'ivre et stupide, risquait d'être passé à tabac, voire pire, parce qu'il était un mutant. Et ça, Remy ne pouvait plus le laisser passer.
Tant pis pour la jolie rouquine. De toute façon, sa réaction face au mutant l'avait rendue bien moins désirable aux yeux de Remy. Il poussa un profond soupir, termina son verre d'une traite, puis se dirigea vers la sortie, passant devant les deux flics et leur colis avec une belle agilité. Puis il posa un regard faussement blasé sur Monsieur Elastique et annonça, tout en espérant qu'il entrerait dans son jeu :
« Eh ben mon Jimmy ! Tu t'es encore mis dans un bel état... Sérieusement, faut tourner la page mon vieux... »
Il regarda ensuite les deux policiers et leur adressa son plus beau sourire pour leur dire :
« Oh messieurs je vous en prie, ne vous dérangez pas pour lui. Je le connais bien, c'est un de mes voisins. Laissez-moi m'en occuper, je vais le ramener chez lui. C'est pas un mauvais bougre, il traverse juste une mauvaise passe... »
Histoire de mettre toutes les chances de son côté, Remy activa son pouvoir de charme hypnotique, un don invisible mais bien utile lorsqu'il s'agissait de convaincre les gens de sa bonne foi. Ces deux policiers n'avaient pas l'air particulièrement fûtés et seraient sans doute bien heureux de se débarrasser de leur boulet pour retourner siroter leur whisky tranquillement.
Règle numéro un lorsqu'on décide de se mettre minable et d'être dans tous les excès, c'est généralement d'éviter les endroits fréquentés par les forces de l'ordre. Règle numéro deux, si jamais on s'est fait pincer par les policiers, c'est de faire profil bas et de ne surtout pas envenimer la situation en espérant s'en sortir avec seulement qu'une petite nuit en cellule de dégrisement et un rappel à l'ordre. Règle numéro trois, quand on est un optimisé et qu'on possède des pouvoirs ; ne jamais les montrer ou faire le show avec ses capacités. Autant dire que je n'avais respecté aucune de ces règles et je m'apprêtais à en payer les conséquences. J'emboîtais péniblement le pas avec les hommes de la NYPD, mais c'est alors que le type qui était en train de flirter avec la serveuse se positionna devant nous trois. Il me regarde avec dédain et m'appelle alors Jimmy. Hein ? Mais, je ne m'appelle pas Ji… Je devrais tourner la page et ne pas me mettre dans un tel état… Oh ! J'ai compris. Il veut venir à mon secours et me sortir de ce guêpier !
« Vous connaissez ce type ? » Demanda l’un des hommes avec méfiance.
« Oh messieurs je vous en prie, ne vous dérangez pas pour lui. Je le connais bien, c'est un de mes voisins. Laissez-moi m'en occuper, je vais le ramener chez lui. C'est pas un mauvais bougre, il traverse juste une mauvaise passe... »
Si je m'étais réellement appelé Jimmy et si j'aurais eu un voisin avec une telle gueule de playboy, je m'en serais souvenu. D'ailleurs, il est avec son frère jumeau là ? Non parce que… Je les vois en double. Ah… Je commence à comprendre. Ma coordination musculaire est altérée et mes muscles oculomoteurs peinent à suivre le rythme. Tout comme mes muscles ciliaires qui ne réagissent plus assez rapidement et qui ont du mal à garder le focus sur la situation. Mon nerf optique est également moins efficient. Cela a pour résultat de me faire voir flou et de diminuer ma vue. Du coup, je n'ai pas pu bien observer ce que ce bon samaritain vient de faire ou qu'est-ce qu'il s'est spécialement passé pour que les policiers se décident à s'adoucir d'un seul coup, mais il semblerait que cela a fonctionné. C'est sans doute un beau parleur, je pensais que le coup du voisin serait un peu léger comme excuse, mais finalement, s'est rentré comme une lettre à la poste.
« Michael ! » Je ne savais pas pourquoi il avait une tête à s’appeler Michael. « Qu’eEest-ce que c’est bon de te reuuuhvoir ! » Lorsque les policiers ont commencé à me lâcher, je viens enlacer d’une manière lourde le bougre qui était venu à ma rescousse. « Faudrait qu’tuUu passes à la maison un de ses quatre, j’t’OooOfrirais un verre ou deux ! »
Le geste est totalement spontané et je le serre de mon étreinte en tapotant ma main contre son dos. Quoi ? Il faut bien que je rentre dans son jeu, non ? Histoire de crédibiliser tout son petit baratin. Du coup, j'ai endossé le rôle du gentil voisin paumé. J'espère le jouer bien et surtout, j'espère ne pas en faire trop. Les deux policiers se regardent à nouveau en voyant la scène et ont un œil plutôt déconcertant de la situation. Je viens alors m'appuyer sur l'épaule du parfait inconnu et je force un sourire plutôt carnassier envers les hommes en bleu. Il faudrait peut-être que j'en fasse un peu plus ? Peut-être qu'il faudrait que j'accentue le rôle du type qui doit tourner la page pour que la mise en scène soit parfaite. Dans ce cas… Mon sourire se transforme en un visage de tristesse et je viens alors caler mon front contre son épaule en le serrant de plus belle et en mimant un état de chagrin. Il faut que je fasse attention… Il ne faudrait pas que je l'empêche de respirer avec mon étreinte.
« Oh si tu saAavais Michael ! Tous part en vrille dans ma vie ! Toi, t'es l'une des rares persoOonne qui m'a toujours compris ! MerciIi, merci et encore meEerci ! »
« Bon, ça va… » Affirme l'autre gendarme à mon sauveur « Qu'il rentre chez lui et qu'il n'importune plus personne. On compte sur vous. »
Les deux hommes d’armes s’en vont alors reprendre leurs places et je crois qu’il est maintenant l’heure pour mon prétendu voisin et moi de tirer les voiles et de sortir d’ici. J’ai la nette impression que je ne suis plus le bienvenu dans cet établissement.
Les policiers étaient dubitatifs, mais comme l'avait supposé Remy, ils ne semblaient pas contre l'idée que quelqu'un d'autre fasse leur boulot à leur place. Il fallait simplement que le poivrot comprenne le petit jeu du voleur... Heureusement, un éclair de compréhension passa dans ses yeux troubles, et il donna la réplique à cette scénette improvisée.
Remy fut forcé de bien prendre appui sur ses jambes pour éviter de basculer en arrière lorsque l'ivrogne tomba dans ses bras. Au moins il avait compris. A son tour, Remy lui tapota le dos, doucement, comme un geste de réconfort. Il garda son sourire las, mais intérieurement s'amusa à répondre à la perche tendue par son nouvel ami.
« Et si on passait chez toi tout de suite, hein ? Mais plus d'alcool pour ce soir. »
Le sourire que "Jimmy" offrait aux deux flics était dangereux, ils auraient pu à nouveau mal le prendre, alors Remy poussa à fond les potards de son charme hypnotique pour faire passer la pilule. Heureusement que lors de l'utilisation de ce pouvoir-là, ses yeux ne changeaient pas de couleur... Ca aurait été dommage de se griller à ce moment-là. Mais l'ivrogne jouait bien son rôle malgré tout, en le serrant de plus belle, pleurant presque. Un bon acteur, vu les circonstances !
« Tu me remercieras demain mon vieux. »
Puis il leva le pouce en direction des deux flics, pour confirmer qu'il s'en occupait. Le duo de cow-boys mordit à l'hameçon. Heureusement, comme beaucoup de leurs confrères, ils n'étaient pas très malins... Et puis, après tout, pourquoi auraient-ils douté de la sincérité de Remy ? Un bar comme celui-ci ne pouvait pas avoir de mauvaises fréquentations... N'est-ce pas ?
Les deux acteurs sortirent donc du pub bras dessus bras dessous, Remy faisant au mieux pour supporter le poids de l'ivrogne. Comme il ne pouvait décemment pas l'abandonner sur la voie publique dans son état, il l'emmena jusqu'à sa voiture qui, par chance, n'était pas garée très loin. Il espérait simplement que son "voisin" n'allait pas dégobiller sur la banquette de sa Chrysler.
« Allez, je vous ramène chez vous ! C'est quoi votre adresse ? »
Il n'avait aucune envie de ramener ce déchet humain dans son propre appartement. Les personnes qui venaient chez lui étaient d'une bien plus agréable compagnie. L'homme avait beau être un mutant, il y avait des limites à la charité de Remy. Il allait le dépoter là où il lui dirait d'aller puis rentrerait chez lui et tâcherait d'oublier cette mauvaise soirée, en songeant que ça aurait pu tourner plus mal... Mais la soirée n'était pas terminée.
C'est plutôt rare les gens qui viennent au secours de leurs semblables dans cette société pourrie. D'ordinaire, ils sont plutôt à attendre bien gentiment que justice soit faite par un super-héros ou par n'importe quelle connerie de ce genre. À ce moment précis, je devais bien avouer que Michael m'avait retiré une sacrée épine du pied. Les policiers s'en retournent à leurs préoccupations et nous n'avions plus qu'à prendre la poudre d'escampette. Il fallait nous voir sortir de ce bar. Un vrai duo de pochtrons, enfin… Surtout moi. J'avais du mal à marcher droit et cela avait pour conséquence que mon nouveau collègue de théâtre improvisé devait sans doute me maintenir avec une certaine difficulté. J'étais encore dans l'euphorie de l'alcool à ce moment précis et l'éthanol a désinhibé sans aucun doute ma propre raison. Alors, lorsqu'on était sur le chemin de sa voiture, je ne pouvais pas m'empêcher de lui proposer :
« Tu saAais Michael… C’éTaiIit pas de la comédie ce que je t’ai dit hein. Tu peuUux venir boire un veEerre à la maison, c’est ma tOournée ! »
C'est comme ça que je fonctionnais. Je savais qu'une fois à l'intérieur de son véhicule, j'allais ressentir de la fatigue à cause de la digestion de l'alcool. Du coup, pour éviter le contrecoup, j'étais partant pour boire encore jusqu'à plus soif afin de rester dans cet état d'ébriété. Eh oui, je l'appelais encore Michael. Il en sera baptisé ainsi par mes soins. Nous arrivions finalement dans sa voiture. Il faisait assez sombre et dans mon état actuel, je n'arrivais pas vraiment à savoir si ce gentleman des temps modernes possédait une superbe caisse ou non. À vrai dire, cela ne m'intéressait pas réellement. J'aurais pu lui proposer de prendre ma propre voiture que j'avais moi-même garé 100 mètres plus loin, mais je ne pense pas qu'il serait spécialement d'accord pour me laisser conduire. Bouarf, ce n'est pas tellement grave. J'irais la chercher demain dans le pire des cas. Ah, il me demande mon adresse… Alors, si ma mémoire est bonne, c'est…
« 498 E 10th Street à Manatha.. »
Je me coupe soudainement dans ma phrase. Oula, j'ne me sens pas bien d'un coup. C'est vrai que j'avais oublié ce moment où un individu a consommé beaucoup trop d'alcool d'un coup. Je n'avais pas fait attention, mais je suis en train de beaucoup saliver. Mon bulbe rachidien, situé dans le bas de mon cerveau a sans aucun doute demandé le réflexe des contractions de mes abdominaux pour que l'intestin grêle remonte son contenu dans mon estomac. À ce moment précis, ma glotte, située dans ma gorge, a un mécanisme de sécurité afin d'éviter que le contenu ne s'infiltre dans ma trachée et provoquerait ainsi un étouffement potentiel. Après cela, la contraction amène mon sphincter inférieur de l'œsophage à s'ouvrir et je n'ai pas le temps de pencher suffisamment ma tête sur le côté que c'est un véritable dégluti qui vient s'abattre sur les pauvres chaussures de Michael. « Oh, un arc-en-ciel ! » comme dirait ma fille.
« Désolé… Ça fait du bien là où ça sort comme on dit... »
Je ne sais pas si l’homme va se montrer de nouveau amical envers moi après cette action. Je pourrais lui dire que ce n’est pas vraiment ma faute. En effet, l’alcool a eu un effet sur mon tube digestif. Elle est un irritant naturel des muqueuses qui composent ce tube en question. Enfin bon, je ne crois pas que l’information lui serait spécialement utile pour le moment. Je ne sais même pas s’il tenait particulièrement à ses chaussures ou non.