La vie sur Asgard pouvait être pénible parfois, pour celui qui n'était pas de ce sang. Oh, Loki ignorait tout de son ascendance, évidemment ; cependant en son fort intérieur, il avait constaté cette différence avec le reste des Aesirs, la cour d'Odin. Il savait que quelque chose clochait, entendait les murmures sur son passage et comprenait, malgré le manque d'honnêteté de la plupart des courtisans, qu'on le pointait du doigt bien plus souvent que nécessaire. Le Dieu de la Malice se contentait d'apprécier l'attention, de se hisser au sommet en sachant bien que ces imbéciles ne lui arrivaient pas à la cheville, de garder la tête haute en tant que fils d'Odin et de Frigga.

Malheureusement pour lui, il y en avait un autre, de fils d'Odin. Un être bruyant, encombrant, égocentrique et insupportable qu'il se devait pourtant de supporter au quotidien. Ses sentiments envers Thor fluctuaient beaucoup ces dernières années, la faute à un ressentiment certain concernant son comportement et cette assurance que dans un avenir proche (du moins, tout aussi proche que pouvait le permettre un Odin âgé de plusieurs milliers d'années) le trône d'Asgard lui reviendrait. Un trône pour un être aussi imbu de sa personne, un être qui n'aura à coeur que de se baigner dans la vanité et l'admiration de tous...ah, Loki l'enviait et n'aimait pas ces pensées traversant son esprit lorsqu'il songeait à un avenir qu'il savait sombre.

Une fois encore, Thor était allé trop loin dans l'humiliation qu'il faisait subir à son cadet. Certes, on pourrait argumenter que Loki avait démarré les hostilités, usant de sa magie pour le tourner en ridicule et se moquer à son tour...mais il n'appréciait pas le retour de bâton, et estimait que là où sa farce était légitime, la réaction en face ne l'était pas. Peut-être parce que l'aîné des Odinson était entouré d'autres courtisans, peut-être parce que Sif elle-même se moquait en arrière plan...quoi qu'il en soit, l'Aesir ne pouvait plus le supporter. Emportant ses dagues comme de vieilles amies, il enfourcha son cheval et quitta le palais sans demander son reste, rejoignant le pont arc-en-ciel qui menait au Bifrost.

"Heimdall, très cher gardien !"
"Vous souhaitez vous rendre sur Alfheim."
"Je..."

Une fois de plus, le Gardien du Bifrost le prenait de court. Lui qui voyait et entendait tout à des millions de kilomètres avait dû observer ses faits et gestes du haut de son omniscience, et si le Dieu de la Malice le tenait en plus haute estime, il se sentirait sûrement honteux qu'un autre ait été témoin de sa déconvenue. Au lieu de cela, son visage se fendit d'un sourire factice qu'il adressa à l'homme en armure.

"Il serait avantageux qu'Odin et Thor ignorent l'emplacement où je me trouve dans les heures à venir."
"Je ne puis aller contre la volonté de mon roi."
"Alors contente-toi de ne rien dire jusqu'à ce qu'il te pose la question !"

L'agacement était audible dans la voix de l'Aesir, qui fut cependant soulagé de voir le géant le saluer avec respect avant de s'éloigner en tirant son épée. Il aurait pu s'enfuir par l'un des nombreux passages reliant les mondes entre eux, passer outre le regard de Heimdall duquel il pouvait de toute façon se dérober. Mais au fond, peut-être que Loki ne voulait pas simplement disparaître. En quittant Asgard de cette façon, il mettait un point d'honneur à montrer qu'il n'avait pas apprécié ce qu'on lui faisait subir. Il boudait, en somme.

Alfheim avait toujours été son refuge, sans que le Dieu de la Malice sache lui-même vraiment pourquoi il ressentait ainsi une telle connexion avec ce royaume. Peut-être était-ce l'omniprésence de la magie qui boostait la sienne, peut-être était-ce dû à l'abondance de la nature et le côté éthéré des elfes qu'il prenait pourtant toujours pour des êtres inférieurs aux Asgardiens. Quoi qu'il en soit, les terres elfiques l'avaient souvent accueilli les bras ouverts. Ici, il était un invité de marque. Ici, Thor n'était plus le préféré des fils d'Odin.

"Loki ! Nous n'attendions pas votre venue..."
"C'est Loki ? Oh, il n'a pas changé !"
"Vous pensez qu'il va rejoindre Lùthien ?"
"Evidemment qu'il va voir Lùthien !"
"Shhht il va nous entendre..."
"Prévenez la cour que le prince d'Asgard est présent !"
"Inutile de faire des manières, il ne s'agit là que d'une visite de courtoisie."

Voir les autres aux petits soins pour lui alors qu'il venait à peine de poser le pied sur le sol d'Alfheim gonfla l'ego blessé de l'Aesir, qui bomba le torse en esquissant un sourire satisfait. S'il avait emprunté l'un de ses chemins habituels, nul doute qu'on l'aurait ignoré longtemps avant de se rendre compte de sa présence. Mais le rayon du Bifrost est loin de passer inaperçu, et après les frasques de son frère, c'était précisément le genre de chose dont il avait besoin. De l'attention.

Evoluant dans ce décor comme s'il était chez lui, déclenchant courbettes et salutations guindées de ces créatures qu'il peine encore à voir comme digne de sa présence, Loki se présenta au palais royal la tête haute. Il savait déjà que Lùthien ne pourrait le refuser, elle qui appréciait sa compagnie à sa juste valeur. Bien qu'il ne tienne pas les elfes en haute estime, Loki avait depuis longtemps placé son amie au niveau d'une asgardienne, voire même d'une Aesir. Ce n'était pas de sa faute si elle était née dans un royaume inférieur, n'est-ce pas ? Au moins, elle compensait cette pauvre naissance par une intelligence et une magie digne de ce nom.

Alfheim était en effervescence maintenant que le mot de sa venue était passé à travers les couloirs du palais royal. Loki se pavanait dignement entre les murs, sa longue cape vert bouteille flottant gracieusement derrière sa silhouette fine et élancée, sa fierté remontant drastiquement maintenant qu’il était apprécié à sa juste valeur. Thor n’avait qu’à bien se tenir ! Si Asgard refusait de constater sa supériorité, d’autres royaumes le feraient à sa place. Oh, il y avait toujours cette frustration, ce petit arrière-goût amer que le plus grand des royaumes refuse de le reconnaître ; mais s’il parvenait à faire plier tous les autres, Asgard n’aurait d’autre choix que de revoir sa position sur sa personne.

Alors qu’il tournait à l’angle d’un couloir menant aux quartiers plus personnels de la royauté, l’Aesir tomba nez à nez avec une jeune demoiselle à la beauté renversante. De longs cheveux blonds remontés en un chignon royal, des épaules frêles mais fortes trahissant une condition physique plus qu’admirables recouvertes d’une tenue digne de la princesse qu’elle était censée être. Il n’y avait aucun doute sur la raison qui poussait leur entourage à croire en leur union secrète : là où la princesse d’Alfheim incarnait la lumière de son apparence éthérée sortie tout droit d’un livre de fantasy, le prince d’Asgard représentait une part de ténèbres qui ne faisait qu’appuyer le contraste entre leurs deux personnalités. Et pourtant…il n’existait pas de lumière sans ombre, et d’ombre sans lumière. C’était certainement la raison pour laquelle ils s’entendaient si bien.

“Ma visite ici est de l’ordre privé.”

Loki refusait de discuter davantage des raisons qui l’avaient poussées à quitter Asgard dans la précipitation, du moins pas tant que des oreilles indiscrètes pouvaient les entendre. La tête haute, il effectua un geste de la main pour inviter son amie à le rejoindre dans sa promenade, quitter les murs du palais pendant un temps.

“C’est toi que je suis venu voir, princesse. Marchons ensemble.”

Il entendrait presque les gloussements des domestiques un peu plus loin, celles qui croient dur comme fer que leur couple est une réalité. C’est vrai qu’objectivement parlant, Lùthien ferait un très bon parti : en s’unissant à elle il s’assurerait d’avoir la mainmise sur l’un des neuf royaumes sans avoir à passer par la force. Quelques manipulations par-ci par-là, l’élimination de l’actuel détenteur du trône et le voilà maître à bord. Il y a songé, le Dieu de la Malice, avant de balayer cette idée dans un coin de sa tête. Au fond, même si beaucoup aimaient en douter sur Asgard, il avait tout de même un certain code d’honneur. Trahir était son quotidien, cependant ses trahisons et petits jeux n’avaient en général pas de très lourdes conséquences - du moins pas qui menaçait réellement la vie de ceux qui ont un tant soit peu de valeur.

Quittant le confort du palais pour rejoindre la cour intérieure, Loki observa les alentours d’un regard aiguisé. Chaque visage aperçu pourrait être un espion capable de rapporter ses faits et gestes, chacun pourrait l’humilier auprès de ceux qui avaient déjà commencé à entamer sa patience. Pourtant, malgré ces quelques badauds vaquant à leurs occupations, l’Aesir ne resta pas silencieux bien longtemps.

“Certains royaumes sont en effervescence, et Asgard tourne vers eux un oeil critique. Je constate néanmoins que ce n’est pas le cas d’Alfheim…cependant vous devriez faire attention. Les braises du désespoir pourraient entacher ce royaume. Odin lui-même s’enferme dans ses quartiers et fait surveiller les branches inférieures d’Yggdrassil. En particulier Midgard.”