[Terminé] Bienvenue sur Terre

Après ce qu'Amora pouvait qualifié de voyage chaotique auprès des Gardiens de la Galaxie, le Milano parvint enfin aux abords de Midgard. Depuis le cockpit de l'appareil, l'Ase put voir apparaître cette planète qui était le berceau de l'humanité ... et elle l'espérait, le nouveau foyer des asgardiens. Devant elle, les étendues d'eau et les continents saupoudrés de nuages de la Terre défilaient, et bientôt, une structure en orbite autour de ce monde glissa lentement dans son champ de vision. Une longue pointe métallique sertie de plusieurs anneaux se profilait, alors qu'il apparaissait de plus en plus évident que le Milano s'en rapprochait. En comprenant que sa prochaine destination serait cette station orbitale et non le sol de Midgard, Amora sentit son estomac se nouer. Ce serait donc à bord de cette chose que tout se jouerait.

A peine fut-elle descendue de la navette des Gardiens que l'asgardienne fut prise en charge par une équipe d'agents de la station qui l'examinèrent sous toutes les coutures à l'aide de curieux appareils, sans doute afin de déterminer si elle portait des armes sur elle. Puis, un disgracieux collier fut mis à son cou, sans qu'elle ne puisse décliner l'offre. Au moment où ce dernier fut refermé, la jeune femme perdit totalement le contact avec son Art. Même au prix d'immenses efforts, elle se montra incapable de sentir sa magie, qui bien que faible, était tout de même perceptible en temps normal. A cet instant, Amora eut l'impression de revenir près d'une demi décennie en arrière, alors qu'elle était encore détenue dans les prisons souterraines d'Asgard, dans une geôle dont les runes inhibaient totalement ses pouvoirs, allant même jusqu'à la couper des énergies telluriques qui parcouraient le Royaume Doré.

Un long moment, l'Ase à la chevelure d'or et aux iris d'émeraude resta seule dans une pièce des plus sobres et au design aseptisée. Une table, quelques chaises, le tout scellé au sol, une porte par laquelle elle était entrée, et un immense miroir sur l'un des murs. Si durant un temps, elle attendit, assise, que quelque chose se passe, elle avait fini par se lever, faire les cents pas à travers la pièce, s'observant par moment dans le miroir, notamment ce bijou scélérat qu'elle portait au cou. Autant qu'elle put, elle réajusta et soigna son apparence : un bustier noir aux liserés verts foncés, un pantalon parfaitement ajusté et de la même couleur et des bottes de cuir. Puis, finalement, un agent l'avait rejointe, l'invitant à s'asseoir, et ... à répondre à ses questions. Le 'SHIELD' ... Amora avait entendu les Gardiens parler de cette communauté ... de son rôle sur Midgard. Une chose était sûre, l'Ase n'était pas très enthousiaste à l'idée de devoir laisser son destin entre les mains de ces midgardiens. Mais ... elle n'avait pas non plus d'autre choix que de coopérer si elle voulait espérer rejoindre Midgard et ainsi, retrouver son peuple.

"Je me nomme Amora et j'appartiens au peuple d'Asgard, s'était-elle présentée. Lorsque nous avons fui notre monde lors du Ragnarök, j'ai été séparée des miens dans la panique et la précipitation ... et depuis, je suis à leur recherche."

Droite sur sa chaise, les mains jointes posées sur la table, Amora s'adonna à ce petit jeu que lui imposaient les différents intervenants qui venaient dans la pièce pour l'interroger à tour de rôle. Un visage de marbre aux expressions neutres, l'Ase avait depuis longtemps appris à se composer ce masque qui imposait une certaine distance entre le monde extérieur et elle.

"J'ai longtemps cru que j'étais la dernière représentante de mon peuple, allant de monde en monde à travers la Grande Nébuleuse d'Yggdrasil, sans jamais croiser l'un de mes semblables ... jusqu'au jour où j'ai fait la rencontre de l'un des miens. Alors, j'ai appris qu'une communauté existait sur Midgard ... raison pour laquelle j'ai souhaité rejoindre votre planète."

Sans doute était-il évident pour un fin psychologue de lire entre les lignes et de deviner à travers cette attitude froide et un brin dédaigneuse que la nouvelle venue ne révélait pas tout ... que son attitude affichait un certain décalage avec une coopération presque trop facile. Manipulatrice ? Menteuse ? Ou simplement méfiante et distante vis à vis d'une espèce étrangère ? Le doute était possible.

"J'ai, à l'instar de tous les membres de mon peuple, les dons et qualités propres aux enfants d'Asgard : longévité, résistance aux maladies, force et endurance", fut sa réponse concernant ses aptitudes et autres capacités.

S'en suivit une autre attente interminable, jusqu'à ce que finalement, un agent qu'elle n'avait encore jusqu'alors jamais croisé, l'invita à le suivre. Obtempérant, l'Ase fut menée dans une autre pièce. Là, elle se retrouva face à un nouvel individu, tout de noir vêtu, qui l'attendait dans son bureau. Lui tendant une main, il se présenta comme étant le directeur du SHIELD. Un instant, l'Ase resta immobile et silencieuse, son regard accroché à un détail bien particulier.

Foutu borgne ! La dernière fois qu'elle avait eu à faire à l'un d'eux, elle avait passé cinquante années à croupir dans une cellule. La peste soit des Nornes ! Il restait donc à espérer que cette fois-ci, les choses se dérouleraient mieux.

Avec grâce, Amora finit par saisir la main tendue, s'adonnant à cette pratique midgardienne, pour ensuite venir prendre place sur la chaise qui lui avait été proposée. Arborant toujours ce masque hautain qu'elle affectionnait tant, l'asgardienne observa le directeur Fury prendre place de son côté du bureau. De toute évidence, tout ce qui avait précédé n'était qu'une mise en bouche. C'était à partir de maintenant que les choses sérieuses allaient commencer et que tout se jouerait.

D'un œil aiguisé, l'Ase observait les moindres gestes du borgne, détaillant chacune des expressions qui auraient pu s'afficher sur ce visage, dans l'espoir de pouvoir y déceler le moindre indice que le langage corporel de Fury aurait pu trahir. Ainsi, elle l'observa prendre place derrière son bureau, la fixer à son tour de son œil unique, puis placer ses mains jointes devant lui. Rien. C'était comme si cet homme n'éprouvait aucun sentiment, ne générait aucune pensée. Une véritable tombe. De toute évidence, tout comme Amora avait appris au cours des âges à décrypter le langage du corps, de son côté, le directeur du SHIELD avait appris à être une énigme, à contrôler la moindre de ses réactions, afin de ne jamais se trahir malgré lui.

Face à cet échec, celle qui jusqu'alors se tenait parfaitement droite sur sa chaise, tout en affichant un visage de porcelaine aux traits froids, finit par se fendre d'un sourire. Rien de bien authentique. Elle venait simplement de troquer un masque pour un autre, optant cette fois-ci pour quelque chose de plus ... conviviale. Même si elle doutait qu'un homme comme Fury ne puisse être si simplement et rapidement désarmé, placer quelques pions ne faisait jamais de mal.

Ainsi donc, le borgne confessa ignorer l'existence d'asgardiens encore disséminés dans le cosmos. D'après les représentants du peuple de Thor, tous pensaient avoir pu quitter Asgard ensemble. Une information qui n'était pas anecdotique ... car s'ils avaient pensé ainsi jusqu'à ce jour, c'était donc qu'ils ignoraient tous que la captivité d'Amora était toujours effective le jour du Ragnarök ... qu'il restait une prisonnière oubliée dans les tréfonds de la Cité d'Or. Peut-être avaient-ils même oublié jusqu'à son existence au gré des décennies. Ou encore espéraient-ils qu'elle n'aurait pu survivre au courroux de Surtur. Cette dernière hypothèse était sans doute la pire de toutes ... impliquant que les Ases avaient sciemment abandonné derrière eux l'une des leurs à une mort certaine. Pour autant, Amora s'efforça de garder bonne figure, ne laissant en aucun cas son sourire se ternir devant ce constat.

"Il faut croire."

Réfugiés sur Midgard, les asgardiens s'étaient donc établis dans ce que Fury appela la New Asgard, un état reconnu par les nations de ce monde. En apprenant cette nouvelle, Amora regagna espoir. Elle avait donc vu juste avec cette hypothèse après avoir croisé la route d'Ases se rendant sur cette planète. Il y avait donc encore une chance pour la blonde de restaurer sa magie. Toutefois, le SHIELD ne semblait pas avoir le pouvoir d'attribuer l'appartenance à cette communauté ... ce qui ne manqua pas compromettre les attentes d'Amora. Quand bien même elle pourrait se rendre sur ce monde, elle ne serait pas forcément autorisée à rejoindre New Asgard. Mais c'était sans compter un autre souci. Avant de permettre à l'Ase de se rendre sur Midgard, le SHIELD voulait connaître un nom, Fury demandant la raison pour laquelle Amora n'en avait pas fourni.

Un frisson parcourut alors l'échine de l'Ase, son sourire déclinant quelque peu, pour ne plus être que l'ombre de lui-même. Un instant, des souvenirs lointains refirent surface, submergeant pour un temps la créature à la chevelure d'or.

"Je ..., tenta de s'expliquer Amora, mais sa voix se tut dans sa gorge serrée, la forçant à se reprendre pour pouvoir poursuivre. J'étais encore une enfant lorsque j'ai dû quitter ma famille ... il y a bien longtemps que j'estime ne plus rien leur devoir."

Sans même qu'elle ne s'en soit rendu compte, Amora avait laissé son regard décliner au gré de son explication, dérivant lentement du visage de Fury jusqu'à ses mains jointes sur le bureau. Chassant de son esprit les visages de fantômes de son passé, l'Ase se redressa prestement, mais avec grâce, se ressaisissant tout en relevant son regard sur celui de Fury. Comme plus tôt, il restait totalement indéchiffrable.

Alors, le directeur du SHIELD informa la réfugiée potentielle que l'un de ses agents était entré en contact avec les autorités de New Asgard, afin de demander des informations sur Amora. La jeune femme fronça légèrement des sourcils durant un instant lorsque le borgne lui demanda si elle avait la moindre idée de ce que le SHIELD avait ainsi pu apprendre à son sujet. Quelques secondes, l'Ase resta silencieuse. Elle doutait de l'authenticité des propos de son interlocuteur, le soupçonnant de vouloir prêcher le faux pour connaître le vrai. Cela faisait plus de cinquante cinq ans qu'Amora avait disparu du paysage d'Asgard, enfermée dans ses profondeurs, loin de la vue de tous, avec pour seules visites occasionnelles, celles d'Odin. Le jour du Ragnarök, personne n'avait pris la peine de venir la libérer pour la sauver du trépas ... comme si tous avaient oublié son existence ... ou bien ignoraient qu'elle se trouvait dans cette prison souterraine. Comme si elle était l'un des nombreux secrets d'Odin.

"Selon moi ? Absolument rien", répondit-elle avec aplomb.

S'il en avait été autrement, le directeur du SHIELD se serait-il simplement contenté d'un vulgaire collier inhibiteur comme précaution ? Aurait-il même simplement été jusqu'à s'entretenir avec elle ? Amora en doutait.

"De toute évidence, ils n'ont même pas remarqué que je manquais à l'appel ... sinon, ils n'auraient pas clamé avec assurance que tous les asgardiens encore en vie se trouvent à New Asgard., renchérit-elle avec une pointe d'amertume dans la voix. Non ... j'ai bien l'impression qu'ils m'ont oubliée ..."

Plus affectée qu'elle ne l'aurait souhaité par ce constat, Amora poussa un soupir, laissant cette fois-ci, son regard dériver sur la baie vitrée qui se dressait dans le dos de Fury. A l'extérieur, à plusieurs centaines de kilomètres, Midgard s'étendait à perte de vue.

"Sans doute vais-je regretter ce que je m'apprête à vous dire ..., annonça-t-elle d'une voix tenue, sans quitter du regard la Planète Bleue. Je n'ai pas été totalement honnête avec votre agent tout à l'heure ... j'ai volontairement omis certains points me concernant", confessa-t-elle.

Lentement, ses iris d'émeraude se posèrent sur l'œil unique de son interlocuteur. Au même instant, sa lèvre supérieure s'ourla brièvement dans une expression de rancune. Une rancune non pas dirigée vers Fury dont elle venait de faire la connaissance, mais vers Odin.

"Si j'ai été séparée de ma famille alors que je n'étais encore qu'une enfant, c'est parce que j'ai été envoyée pour être initiée aux Arts Nobles ... ou ce que vous appelez plus vulgairement, la Magie., commença-t-elle. Et si j'ai été oubliée sur Asgard le jour du Ragnarök, c'est parce que j'étais retenue dans une geôle depuis plus de cinq décennies dans le plus profonds des cachots du palais royal ... de toute évidence, personne n'est venue me chercher."

Pourquoi ce soudain élan d'honnêteté ? Peut-être que ce serait une stratégie plus efficace que la manipulation avec un individu comme Fury. Et puis, qui pouvait dire que cette confession n'était une autre manière de manipuler son interlocuteur ?

Toujours aussi énigmatique, le directeur Fury observait en silence l'Ase, écoutant le récit de cette dernière, ses réponses partielles autant que ses révélations. Pas un seul instant, il ne sembla surpris ou contrarié sur ce que voulut bien lui raconter Amora, semblant toujours aussi imperturbable. En savait-il plus qu'il ne voulait bien le laisser entendre, ce qui aurait pu expliquer l'absence de surprise ? Ou bien était-il simplement le genre d'individu que rien ne pouvait ébranler ? Le mystère resterait sans doute entier. Quoi qu'il en fut, la totale maîtrise dont il faisait preuve quant à la gestion de ses expressions corporelles, priva l'asgardienne de l'un de ses atouts, en l'empêchant de collecter des indices sur le fond de sa pensée à son insu.

Puis, un terme tomba, telle une sentence glaciale et implacable, étrécissant le regard que l'Ase posait sur le midgardien. La Saga de l'Enchanteresse. Impossible que le nom de ce récit ait eu la moindre chance d'être connu sur Midgard. Si Fury l'avait employé au cours de cette conversation, c'était forcément qu'il lui avait été rapporté par des asgardiens. Ainsi, ses agents avaient-ils réellement collecté des informations au sujet d'Amora auprès des résidents de New Asgard. Et à n'en pas douter ... la teneur de ce récit, ainsi que le point de vue du conteur, ne jouaient pas en faveur de la magicienne. Alors, le regard de l'Ase s'assombrit en comprenant les implications de telles connaissances à son sujet, ses sourcils se fronçant légèrement, sans pour autant compromettre la beauté de son visage.

A présent, Fury souhaitait savoir si l'emprisonnement de l'Ase avait suffi à lui faire revoir son attitude, ainsi que ses intentions. Alors qu'Amora était sur le point d'ouvrir la bouche pour répondre, le borgne ne lui en laissa pas l'occasion, lui ordonnant de n'en rien faire. La chique coupée, l'Ase referma ses lèvres pour retourner au silence qui venait de lui être imposé. Elle mobilisa une bonne part de sa volonté à accepter un tel traitement, tant sa fierté venait d'être mal menée.

D'après de directeur du SHIELD, la réputation de l'Ase étant déjà faite auprès de son peuple, New Asgard n'était sans doute pas une bonne idée comme destination. Bien qu'elle aurait souhaité le contraire, Amora était bien obligée d'admettre ce fait, ne pouvant le contredire. Aussi, une fois de plus, elle resta silencieuse, étouffant son ire derrière ses lèvres scellées. Avec cette possibilité de rejoindre son peuple qui s'éloignait, l'Enchanteresse voyait également la source potentielle de sa magie lui filer entre les doigts. Mais loin de la laisser sans solution alternative, Fury aborda alors le lien existant entre le SHIELD et ... Thor.

A la mention de l'héritier d'Odin, Amora sentit tout son corps se tendre sur sa chaise ... tout son être se crisper ... toute son essence se recroqueviller en plus profond d'elle-même au risque de voler en éclat de fureur. Fury proposait que la magicienne fasse ses preuves auprès du fils de celui qui l'avait condamnée un demi siècle plus tôt ? Comme si Thor n'avait pas déjà une opinion toute faite à son sujet, lui, le fils du Père de Toutes Choses. Cette option ne plaisait pas à l'Ase ... ce serait comme être une nouvelle fois jugée, avec une issue qu'elle connaissait déjà. En son fort intérieur, Amora sentait sa colère enfler un peu plus sous l'effet de cette nouvelle injustice. Mais quel choix avait-elle réellement ? Sans doute valait-il mieux faire face à la condamnation d'un seul homme, fut-il même le roi de son peuple, plutôt qu'au jugement de tous les siens.

Se levant de son bureau pour se tenir face à la baie vitrée, Fury désigna deux points sur la planète qui se tenait devant eux. L'un indiquait la position de New Asgard. L'autre, de la ville de New York, et l'actuelle position de Thor. Reportant son attention sur Amora, le borgne lui demanda alors pour quelle raison le SHIELD lui accorderait une chance de racheter ses fautes du passé, affichant toujours ce même air flegmatique et indéchiffrable.

Quelques secondes, Amora garda le silence, tentant de gérer intérieurement la fureur homérique qui se déchaînait en elle. Son visage se figea dans une expression totalement dépourvue de la moindre trace de sourire, ses lèvres pincées pour contenir derrière ce rose délicat, toutes les paroles courroucées qu'elle aurait tant voulu déverser. Quant à son regard, bien que toujours habité de ce vert si caractéristique, son éclat n'en paraissait pas moins beaucoup plus sombre que d'accoutumé, semblable aux eaux d'un océan déchaîné par une tempête.

"Je n'ai aucun grief à l'encontre de Midgard ou de ses habitants, et je saurai être une invitée exemplaire", parvint finalement à répondre Amora d'une voix étrangement posée au regard de ses luttes intérieures.

Se forçant au calme et à se détendre, l'Ase se recula dans le fond de sa chaise, reposant ses mains jointes et aux doigts enlacés sur ses genoux croisés, adoptant un port des plus nobles et élégant. Pour autant, son visage restait stricte et dur, tout autant que son regard.

"Qui plus est, si vous éprouvez des inquiétudes vis à vis de ma magie, sachez qu'elle est en grande partie épuisée, Odin s'en étant assuré, ajouta-t-elle. Vous pouvez interroger ces voyageurs répondant au nom de Gardiens de la Galaxie ... hormis peut-être celle qui a la peau verte : il est évident qu'elle ne m'aime pas pour la menace potentielle que j'ai pu représenter pour le non couple qu'elle forme avec Starlord."

Ces dernier propos, Amora les avait lancés avec un dédain évident dans la voix, son regard se parant pour l'occasion de mépris à l'encontre de Gamora.

"Quant au contenu de cette saga ... vous le savez bien, l'histoire étant écrite par les vainqueurs, son impartialité et l'authenticité des faits qui y sont relatés, sont à considérer avec critique , conclut-elle d'une voix amère. Je ne nie pas ce qui m'a été reproché à cette époque ... j'estime simplement que les raisons qui m'ont poussée à de tels excès, ont été délibérément occultées."

Dans une profonde expiration, Amora laissa toutes ses tensions la fuir. Elle était parvenue à dire le fond de sa pensée sans perdre son calme. Et même si elle éprouvait toujours une forme de colère qu'elle estimait légitime, elle était parvenue à la contrôler afin de rester maîtresse d'elle-même, ainsi que de ses pouvoirs.

Comme à son habitude, Fury restait silencieux, fixant l'Ase de son seul œil, tandis qu'elle répondait à ses questions. A n'en pas douter, il avait su déceler la tension qui habitait l'asgardienne, et ceci malgré tous les efforts qu'elle avait mobilisés pour tenter de n'en rien laisser paraître. Mais certaines blessures provoquaient des maux bien plus forts que la volonté de garder bonne figure, se frayant un chemin à travers les fissures de l'âme, afin d'éclater au grand jour, même à travers la meilleure des armures.

Un nouveau silence s'invita dans le bureau du directeur. Fury, à présent debout aux côtés de son fauteuil, se laissa le temps d'intégrer les révélations qui venaient de lui être offertes, mais également d'en comprendre les différents aspects. Pour atteindre cette position, celle de directeur du SHIELD, il devait forcément être un homme intelligent. Certes, il devait également être un homme prudent et rusé, mais avant tout, il devait être détenteur d'un intellect vif et supérieur à la moyenne. Aussi, l'Ase ne fut-elle pas surprise par la nouvelle demande du patron des lieux. Pour juger une histoire, Fury demandait à en connaître les différentes versions, ou tout du moins, le point de vue de tous les partis. Il voulait connaître l'histoire de l'Enchanteresse telle qu'elle l'avait vécue.

Un instant, Amora resta interdite, suivant du regard son interlocuteur alors qu'il se rendait auprès d'une commode pour remplir un verre d'eau. En silence, elle le fixa, alors même que lui avait cessé de le faire. Lorsqu'il revint à elle, ce fut pour lui tendre le verre. Quelques instants, elle continua de le fixer dans son œil unique, l'ombre d'une angoisse du passé glissant un court moment sur son visage aux proportions divines. Peut-être y avait-il aussi une part de contrariété ... celle provoquée par l'indiscrétion dont son interlocuteur avait fait preuve. Avait-elle envie de se replonger dans tout ceci ? De confier à un illustre inconnu ses plus intimes blessures ?

Mais la véritable question était de savoir si elle avait véritablement le choix de le faire ou non ? Baissant les yeux sur la boisson, l'Ase finit par s'en saisir, alors que déjà, Fury retournait s'asseoir derrière son bureau, dans l'attente de réponses Comme pour se donner de la force, mais également pour tenter de dissiper cette boule d'inconfort qui semblait vouloir prendre place dans sa gorge, Amora but une gorgée. Un geste presque précipité ... tant par la nervosité de devoir dévoiler cette part de sa vie qu'elle aurait voulu oublier, que l'angoisse de ne pas y parvenir sans rester digne.

"La Saga dit de moi que j'ai séduit et ensorcelé des hommes afin de les manipuler et de les tromper pour les exploiter ... qu'après avoir obtenu d'eux tout ce qu'il m'était possible d'obtenir, je les abandonnais ... brisés et sans espoir ... parfois même rendus fous. Un récit qui me décrit comme une vile tentatrice avide de pouvoirs et uniquement motivée par le désir de nuire à l'ordre établi", commença l'Ase.

Manifestation de la colère que provoquait chez elle cette farce, Amora fronça légèrement les sourcils, alors que ses doigts se resserraient subtilement sur son verre. Replongée ainsi dans ce mensonge, l'Ase portait son regard dans le néant, fixant sans but l'un des points du bureau de Fury.

"Ne pouvant tolérer une telle menace au sein d'Yggdrasil, Odin envoya ses meilleures traqueuses à ma poursuite, afin qu'elles me ramènent à lui pour qu'il puisse me juger ... comme vous pouvez l'imaginer, ce procès n'en a pas véritablement été un ... , poursuivit-elle d'une voix amère. Mais ceci n'est que la fin de mon histoire ..."

Après avoir bu une nouvelle gorgée d'eau, Amora déposa son verre à moitié vidé sur le bureau, reportant alors un regard aigri sur Fury. Une nouvelle fois, l'Ase prit une profonde inspiration, redressant les épaules, tout en reprenant place au fond de sa chaise.

"J'ignore ce qu'il en est aujourd'hui, mais auparavant, la Magie tenait une part importante dans la société asgardienne. Elle jouait un rôle sous bien des aspects : à travers notre technologie et notre science, au sein de notre vie politique mais aussi militaire. Sur le monde d'Asgard, elle se trouvait partout, imprégnant chaque chose, chaque créature, chaque pierre, chaque plante., reprit-elle d'une intonation plus sereine. Vous pouvez donc sans difficulté imaginer la place que tenaient les mages au sein d'une telle société, mais également les enjeux que représentaient la découverte d'un individu doté d'affinité avec la magie."

Plissant légèrement les paupières, Amora porta son regard sur Midgard, l'observant à travers la baie vitrée qui séparait le bureau de Fury du vide spatial.

"J'étais encore une enfant lorsque j'ai manifesté ce don pour la magie ... bien plus jeune que ce qu'il était habituel de voir. J'étais destinée à une place de choix au sein de la société Ase, raison pour laquelle très tôt, j'ai été confiée à des érudits pour m'initier aux Arts Nobles. Ce fut à cette période là que j'ai été séparée de ma famille, termina-t-elle avant de marquer une nouvelle pause pour reporter son regard sur le directeur, un regard froid. N'imaginez pas qu'un tel apprentissage ne se fasse sans douleur, sans sacrifice ... sans souffrance. Mais j'étais douée ... trop même pour mes précepteurs. Si bien qu'il fut convenue de me confier à une reine magicienne afin de me fournir une éducation à la hauteur de mes capacités. Karnilla, souveraine de Nornheim."

Ce fut au tour d'Amora de se lever. Les bras croisés sous sa poitrine, elle fit quelques pas dans la pièce, la conduisant face à cette baie vitrée à la vue imprenable. A la surface du verre, le reflet de l'Ase lui renvoyait son regard. Un regard embrumé par la nostalgie et les démons de son passé.

"Tout se passait pour le mieux ... jusqu'à ce que je grandisse ... jusqu'à ce que je devienne une jeune femme., poursuivit-elle d'une voix froide. Ma beauté naissante a alors fait naître de la peur, ou bien était-ce de la jalousie ... je ne le saurai jamais. Les Nornes ont alors déconseillé à leur souveraine de poursuivre ma formation ... ce qui m'a valu d'être exilée ... avec un apprentissage inachevé."

Sans quitter sa place, Amora se tourna en direction de Fury, les bras toujours croisés.

"J'ai réussi à trouver un nouveau maître, pour tenter de terminer ce qui avait été commencé, reprit-elle avec la gorge serrée. Même si cela n'avait rien de simple avec un individu aussi sévère qu'il l'était, j'ai pris sur moi, acceptant d'être exploitée ... rabaissée ... jusqu'à ce qu'il exige plus de moi ..."

Le regard une nouvelle fois fuyant, Amora se replongea dans ce souvenir qu'elle avait depuis longtemps refoulé. Sur son visage, le dégoût et la colère s'exprimèrent sans qu'elle ne puisse rien y faire. Sa lèvre supérieure s'ourla comme pour traduire la nausée qu'elle éprouvait. Resserrant les bras sur elle, elle ferma les yeux un instant, alors qu'en même temps, elle sentait sur son cou un début de picotement provoqué par son collier.

Serrant les dents, l'Ase prit une nouvelle inspiration, plus profonde que les précédente. Dans l'expiration qui suivit, elle relâcha une bonne partie des tensions qui s'étaient subitement accumulées en elle.

"Excusez-moi ..."

Se forçant au calme, Amora se concentra sur sa respiration, se tournant une nouvelle fois en direction de Midgard. Sans doute ne voulait-elle pas qu'à cet instant là, Fury puisse décrypter quoi que ce soit ... pas durant ce moment de faiblesse.

"J'ai fait ce que je devais faire, révéla-t-elle sans le moindre remord dans la voie, presque détachée. Je suis alors devenue la personne qui est au cœur de la Saga de l'Enchanteresse. Je suis devenue ... l'Enchanteresse."

Tout au long de son récit, Amora avait pu sentir sur elle l'œil scrutateur du directeur du SHIELD, mais trop assaillie par les douleurs issues de ses cicatrices passées, elle n'y avait pas prêté attention, ne cherchant même pas à feindre la moindre expression ... ou encore à dissimuler ou minimiser le retentissement que ces souvenirs pouvaient avoir sur elle. Elle préférait se concentrer sur sa propre volonté, afin de la maintenir d'une seule pièce ... d'éviter qu'elle ne perde le contrôle de ses émotions dans un moment aussi crucial que cet entretien. Son avenir se jouait sans doute dans cette pièce.

Silencieux, Fury laissa l'Ase lui raconter sa version des faits, partager avec lui son histoire ... un morceau de sa vie. En silence, elle l'en remercia. C'était sans doute la première fois qu'il lui était permis de se défendre ainsi ... de simplement prendre la parole, sans être interrompue ou muselée. Rares étaient les individus à prendre le risque de laisser à un pratiquant des Arts Nobles l'usage de sa langue. "Un bon mage est un mage muet" se plaisaient à dire les habitants d'Asgard.

Son histoire terminée, l'Enchanteresse fut surprise par la question de Fury, tout autant que par la prise de position qu'elle impliquait à l'égard de l'Ase. Il venait de lui demander qui elle souhaitait être à présent qu'elle pouvait de nouveau prétendre à la liberté : l'Enchanteresse, cette créature manipulatrice et maligne, ou bien la personne qu'elle aurait souhaité pouvoir devenir si elle en avait eu la possibilité. Décontenancée par cette situation, Amora se tourna une nouvelle fois en direction de son interlocuteur, ses fins sourcils se fronçant légèrement. Ne venait-elle pas de lui dire qu'elle ne niait aucunement les accusations qui avaient été proférées à son encontre un peu plus d'un demi siècle plus tôt ? Et pourtant ... il lui offrait ... une nouvelle chance.

Une nouvelle fois, Fury l'enjoignit à ne pas répondre à cette question, mais plutôt à réfléchir à cette possibilité qui s'offrait à elle de reprendre sa vie en main, de recommencer mais d'une façon différente. De laisser le passé derrière elle. D'un hochement de menton, elle lui indiqua qu'elle avait compris, et qu'elle acceptait cette offre.

Bien évidemment, le directeur du SHIELD ne manqua pas de rappeler à l'Enchanteresse que l'organisation continuerait de la garder à l'œil. Le contraire l'aurait d'ailleurs étonnée. L'Ase ne vit en cette annonce aucune forme de menace, simplement une procédure standard. En revanche, elle n'imaginait pas que le SHIELD serait prêt à lui offrir une assistance sous diverses formes afin de l'aider à s'intégrer sur ce nouveau monde. Serait-ce réellement nécessaire ? Amora n'en était pas convaincue. Toutefois l'offre avait été faite, et si d'aventure la blonde finissait par en avoir besoin, ce serait toujours bon à prendre.

"Je vous remercie Nicholas", s'adressa-t-elle à lui avec un léger hochement de tête qui lui manifestait une certaine forme de révérence.

Cette épreuve de l'entretien passée, Amora pouvait sentir un poids en moins sur ses épaules. Ainsi, elle n'avait pas été éconduite aux frontières de Midgard comme elle l'avait craint. Dès lors, ses traits semblèrent se détendre légèrement, redevenant plus doux et plus aimables, ses lèvres allant même jusqu'à se parer d'un discret sourire.