Physiquement, elle paraissait tout à fait ordinaire, hormis que ses yeux avaient une couleur qui ne l'était guère. Que devait-il faire ? Se rendre à la police pour signaler une enfant abandonnée ? Il n’avait pas la gueule de celui qui inspirait confiance, ayant même été suspecté dans l’agression de sa propre sœur. Cette dernière avait pourtant été mordue par une sorte d’animal... Mais il était suspecté parce qu’il avait un chien non-réglementaire en sa possession et surtout, parce qu’il s’était disputé la veille de l’agression avec Samedi à cause du fait qu’elle pensait qu’un homme l’observait depuis son jardin, alors qu’elle vivait dans un appartement miteux au 3e étage. Elle était furieuse que Rodriguez mentionne le fait qu’elle délirait probablement, au vu de sa tendance à se shooter à la cocaïne malgré les avertissements de son frère. De plus, quand elle lui avait raconté ses conneries, elle avait le regard d’une Junkie en manque. Leur dispute n'avait donc rien avoir avec son incident...
Pour autant, il avait espéré que les choses se clarifieraient une fois que sa sœur serait sortie du coma... Elle avait disparu le soir même de son hospitalisation. Une femme enceinte, blessée, échappant à la vigilance des autorités et des médecins. Et voilà qu’aujourd’hui, un bébé arrivait à sa porte. C’était le meilleur moyen d’être à nouveau suspecté. Et vous savez, Rodriguez n’était pas vraiment un enfant de cœur, déjà arrêté par le passé en possession de drogue, il était fiché dans le système informatique de la police. Les flics n’attendaient qu’une chose, avoir un motif légal pour obtenir un mandat de perquisition afin de fouiller sa demeure. Son foyer lui servait de labo pour la fabrication de ses amphétamines, c'était un petit business familial qui n’avait pas trop intérêt à être découvert. Sa femme et ses gosses mettaient la main à la patte, c’était un bon moyen de continuer à payer le loyer.
Pour toutes ses raisons, ça lui semblait improbable de signaler la présence de l’enfant... Il la déclara comme sa fille fraîchement née, une naissance d’urgence à domicile pour expliquer le manque d’évidence quant à la naissance en question. Toutefois, dès les premières nuits, l’enfant pleurait sans que la mère n’en comprenne la raison. Elle ne buvait rien de ce qu’on lui donnait, elle évitait même le sein, Cataleya allaitant encore par chance dû à sa dernière grossesse récente. Il n’y avait pas grand choix que d’aller voir un médecin et comprendre ce qui arrivait à l’enfant. Le médecin constata que le bébé souffrait d’une étrange anémie, pourtant rien indiquait une quelconque hémorragie, pas même en radiologie. Rebaptiser Morticia, elle resta en observation plusieurs jours par précaution médicale...
Après plusieurs examens plus approfondis, le médecin révéla un étrange comportement des cellules du bébé, si bien qu’il ne comprenait au début pas tellement lui-même ce qu'il observait. Mais il finira par émettre l'hypothèse très juste que l’enfant était sans doute sujet à une étrange mutation sans doute liée au gène X, ce qui pourrait expliquer l’étrange couleur de ses iris et l’attitude étrange de son anatomie. Mais ce que retenaient principalement Rodriguez et Cataleya, c’était que l’enfant devait rester sous perfusion les premières années de sa vie. C'était apparemment tout ce que réclamait son petit corps en énergie, elle n’aurait même pas besoin de manger, ce qui leur semblait bien difficile à croire.
2012 ♱ Les Montoya observaient depuis leur écran de télévision ce qui se passait à New York, au début septique face au propos du journaliste. Puis face au fait que toutes les chaînes qu’ils mettaient, retransmettaient la même information, ils ne purent qu’y croire. Une invasion extraterrestre, ils avaient l’impression d’être dans Independance Day, le film préféré de Rodriguez... Le choc les avait fait perdre de vue la plus jeune de la famille qui s’était dirigée vers le labo faisant bouillir chimiquement les amphétamines, ils ne se rendirent compte de l’accident qu’au cri d’une Morticia âgée de 3 ans, brûlée au second dégrée au visage. On la pensait défigurer à vie à cause de leur inattention, mais une nuit à l’hôpital et sous transfusion, avait fait disparaître les blessures pourtant extrêmes de l’enfant. Un soulagement pour Cataleya qui pensait que c’était sans doute un miracle de Dieu, même si la vérité était plus génétiquement explicable.
2018 ♱ Morticia a 9 ans, elle était assez âgée pour prendre part aux affaires familiales selon le patriarche. Rodriguez l’avait observé pendant 6 ans, depuis le miracle de sa guérison... Les deux premières années, lui avaient suffi pour réaliser certaines choses concernant la cadette de la famille. Le fait que c’était le sang sous transfusion qui lui offrait la capacité de guérir rapidement, mais surtout... La raison pour laquelle elle était sensible à la lumière, aux odeurs et aux sons, était due à une sensibilité sensorielle extrêmement développée. Cela expliquait pourquoi elle était la seule à entendre certaines choses, mais aussi le fait qu’elle se déplaçait dans le noir sans la peur de rencontrer un obstacle. Tout cela était devenu clair pour Rodriguez, qui se servit de sa fille adoptive comme une sorte de détecteur de mensonge. Les battements de cœur, l’odeur de l’adrénaline, de la sueur, tout cela était des indicateurs qu’il enseigna à Morticia à reconnaître, à comprendre... La jeune fille qui, sans le savoir, aidait son père à étendre son business familial et à monter son petit cartel local.
Cela n’avait de toute façon pas grande importance pour la petite, qui n’avait pas tellement conscience de ce qu’on attendait réellement d’elle. On disait que c’était pour le bien de la famille, qu’elle devait se servir de son flair pour retrouver des gens méchants, de voir si ces gens méchants en question étaient des menteurs ou des voleurs qui cherchaient à nuire à papa. Elle n’avait aucune idée que Rodriguez se servait d’elle pour éliminer la concurrence de son quartier... Elle ne comprenait pas tellement son importance, elle avait l’impression de n’être que la petite handicapée qui ne pouvait rien faire d’autres que de vivre sous perfusion. Et puis tout a changé subitement... Au début, entourée de sa famille devant un simple film et puis l'instant d'après, Morticia était seul... Rodriguez son père, Cataleya sa mère, Selena, Diaz et Alberto ses frères et sa sœur, n’étaient rien de plus que de la poussière qui se dissipaient dans l’air sous le regard horrifié de la fillette de neuf ans.
2023 ♱ Les Montoya étaient de retour, leur maison intacte, mais poussiéreuse et recouverte de moisissure, ainsi que de toiles d'araignée. Tout le monde semblait présent et inchangé... Il ne comprenait pas ce qui venait de se passer, c’était comme si les murs avaient soudainement changé sous leurs yeux. Cataleya fut la première à remarquer l’absence de leur petite dernière. Où était passé Morticia ? Se demanda-t-elle...
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« Et voilà, nous sommes déjà le 20 janvier 2025... C’est mon 16e anniversaire aujourd’hui. Je me demande encore ce qui me prend de m’enregistrer si soudainement. Il paraît que ça fait du bien d’écrire ce qui nous pèse, soi-disant parce que cela nous soulagerait d’un poids. Mais je ne sais pas écrire, encore moins lire. Du coup, il me reste que ce smartphone qui a, d’ailleurs, une bien étrange photo de profil. Je ne sais pas trop ce que ça représente, je n’ai pas tellement eu le temps de demander l’avis du type à qui je l’ai chouré. Quelle idée aussi de laisser un téléphone à découvert, on est à New York bon Dieu. Ça fait un an et quelques mois que la moitié de la terre était de retour. Je suis persuadée que c’est le cas de ma famille, j’ai vu des avis de recherche avec mon visage à l’âge de 9 ans accroché sur certains murs. Me laissant comprendre que depuis leur retour, les Montoya avaient dû demander l’aide des autorités pour me retrouver.
Ce n’était pas une bonne famille, je réalise dernièrement qu’ils se servaient de moi pour leurs affaires douteuses. Mais d’un côté, ils étaient bien tout ce que j'avais et quand ils ont disparu... Mon monde, c’est effondré sur lui-même. Plus personne pour m’entretenir, mais surtout entretenir l’intraveineuse de la petite handicapée. L’enfant que j’étais fut bien recueilli un temps par les services de protection de l’enfance, je n’étais pas la seule gamine qui avait soudainement perdu ses parents. C’était le chaos un peu partout dans le monde. J'avais vu à la télé que des avions s’étaient crachée, parce que leurs pilotes avaient disparu durant leur manœuvre aérienne. L’on pensait que j’étais qu’une gosse de 9 ans, tout ce qu’il y avait d’inoffensive. J’avais même fait l’erreur de dire à mes tuteurs des services de l'enfance que je souffrais simplement de fièvre, incapable de me rappeler exactement de quoi je souffrais, les mots des médecins étaient souvent compliqués à retenir et j’avais 9 ans. Et puis à l’époque, je ne voulais pas me retrouver de nouveau avec une aiguille dans le bras, donc je gardais le silence sans savoir ce que ça me coûterait de le faire.
Ils n’avaient pas mes dossiers médicaux, mon médecin avait aussi disparu... Par conséquent, je fus placée dans cet orphelinat de fortune sans que personne ne sache ce que j’étais... L’on se doutait que j’étais particulière, peut-être une mutante, au vu de la couleur de mes yeux, mais personne ne se doutait réellement de l’horreur de ce que le manque de sang allait provoquer. On parlera dans les journaux d’une sorte d’attaque animale ayant causé un triste massacre, pas de survivant, une enfant disparue... Le plus douloureux, c’était que je n’en gardais aucun souvenir et pourtant, j’en souffrais encore aujourd’hui comme si je comprenais tout de même instinctivement ce que j’avais pu faire. Je me revoyais reprendre conscience dans cette ruelle recouverte de sang qui n’était pas le mien. Depuis ce jour-là, mes sens étaient plus sensibles encore. Je ne pouvais plus me déplacer en plein jour sans porter des lunettes de protection, tout ce que j’entendais était une cacophonie de son que je discernais sans vraiment réussir à traiter toutes les informations sonores, c’était d’ailleurs une expérience douloureuse. Encore aujourd’hui, j’ai du mal à me concentrer sur un son en particulier.
Quoi qu’il en soit, je savais à l’époque que j’avais fait quelque chose de mal, j’avais peur d’être évidemment puni... J’avais pensé que personne ne me croirait, si je disais ne pas savoir ce qui s’était passé, qu’on me traitait de monstre. J'ai fui au début vers l’une des planques de mon père à laquelle il m’avait emmené si souvent. Perdue, confuse, j’ignorais ce que je devais faire, j’étais qu’une gosse qui voulait simplement rester cachée. J’étais incapable de pensées complexes comme les adultes pouvaient en être capable. J’étais vulnérable à tout, notamment à la faim. Je n’avais pourtant jamais mangé, on disait que je n’en avais pas besoin, que quelque chose dans mon corps se suffisait face à ce que je recevais par intraveineuse. J'ai même essayé de goûter un bonbon, curieuse quant à la raison pour laquelle mes frères et ma sœur en raffolaient, mais ça m'avait fait du mal, j'avais vomi jusqu'à mon propre sang... Je découvrais pour la première fois les douleurs des premières étreintes invisibles qui se resserraient autour de mon cou plus la faim grandissait. Dans cet état, la moindre odeur humaine, même nauséabonde, devenait paradoxalement succulente.
J’étais qu’une gamine incapable d’avoir la force morale de résister aux premières pulsions... Je m’étais nourrie sur un SDF qui vivait sous un pont, proche de la planque. Découvrant d’ailleurs pour la première, que mon corps était bien plus fort que ce que je pouvais l’imaginer, alors que le pauvre homme se débattait. Et je savais ce que je lui faisais, mais j’étais incapable de m’arrêter jusqu'à ce que je sente sans cœur cesser de battre. Traumatisme à jamais gravé. La peur m’avait poussé à prendre le premier bus long trajet que je trouvais à la gare, inconsciente des risques, je m’étais installée clandestinement dans le compartiment réservé aux valises. Quittant ainsi Los Angeles pour New York sans savoir où le bus m’emmenait. Un voyage qui dura 3 longs jours... L'on m’avait retrouvé inconsciente et déshydratée à l’arrivée. Personne ne savait qui j’étais et comment je m’étais retrouvée là. Quand je m’étais réveillée à l’hôpital, sauvé encore une fois par une intraveineuse salvatrice... Je n’avais pas donné mon nom, restant muette à toute tentative de dialogue.
Toujours effrayée quant à ce que l’on pourrait me faire en sachant qui j’étais et ce que j’avais fait. Partant du principe que l’on savait ce que j’avais fait... Et même si ce n’était probablement pas le cas, ce n’était qu’une question de temps avant qu’ils finissent par le découvrir, du moins dans mon esprit. J’ai fui dès que l’occasion s’en présenta. De ce fait, depuis 2018, je vis à New York... Je savais ce que mon corps réclamait et je faisais tout pour le rassasier, j’ai bien tenté le sang animal, tout ce que je pouvais trouver dans les rues de New York : rats, chats errants ou pigeons... Mais ça calait sans vraiment rassasier. J’ai cédé alors à cette vie dégoutante, car trop lâche pour me livrer à la justice et rechercher une aide adéquate. J’ai commencé par me nourrir sur des SDF, plus facile, plus discret. Je les considérais comme un moyen de m’entraîner à boire ce dont j’avais besoin pour ne pas avoir à tuer. Puis ensuite, sur des Junkies inconscients au bord de l’overdose, ceux-là n’avaient pas conscience de ce que je leur faisais, il ne laissait aucun témoignage potentiel à leur réveil. Et des camées, ce n’était pas ce qui manquait à New York.
Bref... C’est pour toutes ces raisons, que je me refusais à retourner chez les Montoya. Même s'il n'était pas une famille respectable, ils avaient une sorte de morale, des principes parfois religieux comme toute famille colombienne et portoricaine, ils étaient chrétiens après tout. Je ne désirais pas les forcer à vivre avec mes démons intérieurs. *sirène de véhicule de police* Merde...Bon, il va falloir que j’y aille... Une dernière chose, qu’est-ce que je voulais dire ? Oui... Je squatte les lieux abandonnés, en suivant justement l’exemple des Junkies. En réalité, je vis quasiment là où ils squattent. Ce sont des lieux insalubres, mais je n’ai pas tellement choix, c’est soit ça, soit la rue. Au moins, je peux trouver des vêtements de rechange qui ne m’appartient pas et même me doucher quand la plomberie marche encore, ce n’est donc pas la mer à boire. Papá, mamá... Si vous venez à trouver, par je-ne-sais-quel miracle, cet enregistrement. Pour votre bien et le mien, ne me cherchez pas.
Je sais que ma demande peut paraître égoïste, que mon mode de vie est loin d'être saine ou idéale. Mais je me sens plus confortable loin de vous, loin de ce que je pourrais vous faire en cas de perte de contrôle. Mais surtout, je me sens en sécurité en vivant caché, en squattant les lieux considérés comme abandonnés. Surtout depuis cette histoire horrible avec ce chasseur de tête. Je ne veux pas que des gens avec les mêmes ambitions que lui, viennent d'apprendre mon existence. Il se pourrait que le simple fait de revenir auprès de vous, allait indubitablement mettre à nouveau en lumière ma pauvre vie. Et ça, je refuse... J'espère que vous comprendrez mon choix. Je vous aime malgré tout. »