[Terminé] Sympathy for the devil

« C’est impressionnant. Mais cette rage est-elle liée ? Trop sûr de toi ou simplement inconscient ? »

Je haussais les épaules, toujours assit au bord du lit, le plaid posé sur mes genoux. La question posée par Carol était loin d’être déconnante, sauf qu’elle demandait une certaine introspection. Pour y répondre en détail, pour combler les lacunes que la jeune femme avait sur mon histoire, sur qui j’étais, il aurait fallu probablement passer une nuit entière à discuter. Il aurait surtout fallu que je l’autorise à m’analyser, à comprendre qui j’étais en lui ouvrant les portes de mon passé. Impossible. Ce qui m’animait m’appartenait et j’étais le seul capable d’y avoir accès, de comprendre et de maîtriser. Bien sûr, j’aurais pu lui donner des éléments, ouvrir une petite porte et lui expliquer pourquoi j’agissais de la sorte. Mais je n’avais pas envie de me justifier et je me doutais que –dû à sa condition, elle ne pourrait pas comprendre, se mettre à place.

« Alors même si ton exercice mérite le respect, cela vaut-il de risquer ta vie ? Parce que tu es d’accord avec moi que tu aurais pu y rester ? »

Je hochais doucement la tête. Je n’étais pour autant pas d’accord. Certes, j’avais pris une balle dans l’épaule, j’avais encaissé un nombre incroyable de coups et j’avais même été coupé au niveau des côtes mais, je m’en serais sorti. J’étais un combattant, pas dans le sens générique du terme. J’étais un combattant dans le sens où je ne savais pas abandonner, je ne savais pas baisser les bras, battre en retraite. Je tenais ça de mon père et j’en étais fier. Stick n’avait qu’accentuer des traits de caractère qui existaient déjà. Il avait seulement poli un diamant brut. Voilà probablement la raison pour laquelle elle trouvait ce que je faisais impressionnant, pour un aveugle. L’entrainement que j’avais suivi, que je m’étais imposé durant toutes ces années n’y était pas pour rien et faisait sans doute de moi l’homme redoutable que j’étais aujourd’hui.

« Ca y est, c’est l’heure du sermon ? », dis-je, une pointe d’acidité dans la voix. J’avais quitté ma blessure à l’épaule du regard et avais tourné mon visage vers Carol. « À Hell’s Kitchen, ils m’appellent l’homme sans peur. Ça te donne un élément de réponse. », ajoutais-je sur un ton plus maîtrisé. « Écoutes, j’apprécie ce que tu as fait mais…mais tu veux quoi en fait ? Tu penses que je te dois quelque chose ? ». Le ton avait encore changé, plus sec, parce que je me sentais comme une bête sauvage acculée.

Je m’étais levé et était allé me planter en face d’elle, une main sur mon épaule douloureuse et mes yeux vides plantés dans les siens. Je n’avais pas besoin de voir pour savoir qu’elle était énervée par mon comportement. Je sentais qu’elle était tendue et presque prête à m’en mettre une. Aussi près d’elle, mon sens me permettait de voir chaque détail de son visage et je me rendais compte qu’en plus d’être puissante, elle était belle. Je pouvais déterminer la couleur de ses yeux, de ses lèvres et de ses cheveux. Je pouvais entendre son cœur battre d’agacement, ses tympans vibrer à mes paroles et ses dents crisser alors que sa mâchoire se serrait.

« Ces types-là ont besoin que quelqu’un leur tienne tête, que quelqu’un leur montre la limite. », dis-je en me radoucissant, parlant évidement de Saburo. « Je suis la limite. Je fais ce que personne ne veut faire, parce que tout le monde préfère lever les yeux vers le ciel et espérer, plutôt que de regarder en bas et voir toute la merde qui gangrène cette putain de ville. », ajoutais-je en faisant encore un pas en avant, ayant pointé du doigt Carol lorsque j’avais parlé d’espoir.

C’était un fait. Les gens avaient besoin de lever les yeux et de voir des héros comme elle pour garder espoir, pour rêver et croire en avenir meilleur. Sauf que ces gens et ces héros refusaient de voir toutes ces pourritures que je m’efforçais de combattre, parce que c’était la réalité dans laquelle nous vivions et que cette réalité était moche à voir.

« Ca te va ou il faut que je me mette à genoux et implore ton pardon ? », dis-je finalement sur un ton neutre mais avec un haussement de sourcils qui laissait deviner que cette phrase avait été dite avec plus de légèreté que précédemment.

Le couperet était tombé. Les propos de Carol n’étaient pas nécessairement durs à entendre puisque je m’attendais à ce qu’elle me fasse son sermon de super-héros. J’avais déjà une petite idée de ce qu’elle allait me dire, ce n’était donc pas vraiment une surprise. Pour autant, les mots utilisés faisaient écho en moi et me remuaient l’intérieur. Quelque part elle avait raison. Elle avait parfaitement cerné le fait que je risquais ma vie pour ce quartier, que je m’oubliais un peu plus chaque jour pour Daredevil. C’était un fait que je ne pouvais pas nier et j’encaissais donc ses propos comme je savais encaisser les coups. En silence. De toute manière je n’avais rien à lui répondre, elle avait raison.
Avec un regard objectif, rien ne nécessitait que je mette ma vie en danger ou que j’inflige à mon corps de telles souffrances, chaque soir, chaque nuit. Sans répit. Là où elle se trompait, c’était qu’il n’y avait pas d’autre moyen. Le seul moyen extérieur que j’avais mis en œuvre pour nettoyer cette ville, ce quartier c’était mon talent d’avocat. Et ça n’avait pas marché. J’avais très vite compris que la légalité avait des limites que Daredevil devait dépasser. C’était indéniable et je ne pensais pas qu’elle était en capacité de le comprendre. Elle ne pourrait pas comprendre que j’étais lancé dans une croisade et que quoi qu’il arrive, j’irais au bout.

« C’est ton point de vue. J’en ai un autre. », dis-je simplement en retrouvant une sorte de calme. « Je ne te reproches rien, tu as fait ce que tu jugeais nécessaire. », ajoutais-je sans me perdre à nouveau dans les remerciements.

Je n’étais plus comme ça. Avant, je n’aurais pas hésité à la remercier, lui dire que j’avais apprécié son intervention. Aujourd’hui ce n’était plus le cas, je m’enfermais dans ma solitude et repoussai quiconque me venait en aide. Soupirant de fatigue, je lâchais finalement son regard et ma position pour le moins tendue face à elle. Je m’écartais de plusieurs pas sans relâcher mon épaule douloureuse et allait m’adosser à un mur.
Pendant ce temps, Carol en venait à la conclusion la plus logique : c’était ma vie après tout. Sur ce point, j’étais entièrement d’accord avec elle. Mais encore une fois, les choses la dépassait et de loin. Oui, c’était ma vie mais je ne me sentais pris au piège. J’avais fait le choix d’endosser ce costume, de faire ce que je faisais mais, je ne me considérais pas pour autant comme une sorte de martyre. Tout choix à son lot de conséquences et j’avais accepté toutes celles qui arrivaient.

« Ahah ! », m’exclamais-je dans un petit rire qui me fit rapidement me tordre de douleur, lançant la douleur dans mes côtes. « C’est un point de repli, pas un Starbuck. », ajoutais-je en grommelant de douleur. « Si le frigo fonctionne encore, y a peut-être deux trois trucs dedans. ».

À bout de force après avoir déployé autant d’énergie, autant dans le combat que dans mes échanges avec la jeune femme, je me laissais glisser le long du mur. Mon épaule était dans un lamentable état et je gardais une main dessus, comme si cela permettait de contenir la douleur qu’elle irradiait. Je me rendais à l’évidence que même si Carol avait cautérisé mes plaies, elles nécessitaient d’être nettoyées et ce qui me dérangeais le plus, c’était que je n’avais pas la force de le faire tout seul. Elle avait raison. Entre l’épaule, les côtes et mon visage ensanglanté, j’avais besoin de soins. Seule elle pouvait faire tout ça et ça me posait un problème d’orgueil d’accepter sa demande.
Je grimaçais à cette pensée et ma tête alla taper contre le mur lorsque je la penchais en arrière, comme si j’avais cherché à regarder le plafond. Les yeux fermés, comme une sorte de protection, j’avalais ma fierté.

« Il y a une boite, dans le meuble derrière toi. », dis-je en serrant les dents alors que je commençais à retirer difficilement le haut de mon costume, laissant entrevoir mon torse nu parsemé de cicatrices toutes plus impressionnantes les unes que les autres. « Merde… », grognais-je alors que j’étais coincé et n’arrivais pas à retirer ma manche. Mes sens m’avertirent que cette vision faisait sourire la femme en face de moi. « Je veux bien un coup de main. », abdiquais-je finalement en laissant retomber mon épaule endolorie.

Si elle était étonnée de voir mon corps dans cet état, moi ça ne me surprenait plus. C’était devenu une habitude, une sale habitude certes, mais je m’y étais fait. Mon corps était mon outil de travail et je ne le ménageais pas. Je poussais sans cesse, chaque jour un peu plus. Je repoussais toujours la limite, j’allais toujours plus loin et je ne refusais de m’arrêter. J’avais embrassé ce rôle de mon plein gré, j’avais décidé en mon âme et conscience de tout faire, absolument tout faire pour protéger Hell’s Kitchen. Ce qui arrivait à mon corps, les marques, les brûlures et les cicatrices était secondaire. C’était ma pénitence et j’avais appris à l’accepter.

« C’est une jolie collection que tu as là, mais il falloir mettre un frein pendant quelques jours. Il te faut cicatriser correctement avant de rejouer au justicier. Sinon, ça ne guérira pas correctement ».

Mon visage s’abaissa comme si cela avait été nécessaire pour que je puisse la voir. Elle était entrain de s’occuper de la plaie cautérisée au niveau de mon abdomen. Heureusement que je gardais quelques planques comme celle-ci un peu partout et que j’avais toujours un minimum de matériel pour me rafistoler. Ce qui m’inquiétais le plus dans tout ça, c’était qu’habituellement je le faisais seul. Ces derniers, j’avais de plus en plus besoin de quelqu’un pour m’aider, ce qui me laissait à croire que j’approchais de cette fameuse limite.
J’observais Carol faire, mais surtout, j’observais son visage, ses traits fins, ses cheveux ondulants par vagues gracieuses en suivant la mesure de ses gestes. À travers mes sens, elle apparaissait comme entourée d’une sorte d’aura lumineuse de puissance, quelque chose de difficilement descriptible…mais quelque chose qui attisait un feu en moi. Ce qu’elle renvoyait me plaisait, cette force, cette détermination, c’était…séduisant ?

« As-tu des vêtements ici ? Je suppose que oui… ».

Je fronçais les sourcils. C’était une planque, pas un magasin de fringues. Il m’était arrivé par le passé de laisser un costume de rechange dans ce genre d’endroit, mais ici ce n’était pas le cas. Je m’apprêtais donc à lui répondre alors qu’elle inspectait le frigo mais elle fut plus rapide. Avant même que le moindre son sorte de ma bouche, je la vis s’envoler. Je hochais doucement la tête, une étrange pensée traversant mon esprit. L’espace d’un court instant, j’imaginais ce que j’aurais pu être si j’avais eu ses pouvoirs. J’osais penser qu’avec une telle puissance à ma portée, j’aurais certainement accompli ma quête mais, je me connaissais trop bien. Je savais ce qui m’habitait. Une telle force m’aurait permis de faire tout, absolument tout sans exception et il n’y aurait pas eu de limite à fixer.

Sortant cette idée de ma tête, je me penchais pour attraper la boite équivalente à une trousse à pharmacie. Fouillant un moment dedans en utilisant mes sens pour repérer ce que je cherchais et comprendre ce que mes doigts touchaient, j’en sortais finalement une plaquette de médicaments. Des anti-douleurs à base de morphine, un truc que Claire m’avait donné. Normalement, il ne fallait en prendre qu’un. Je respectais la posologie comme je respectais mes adversaires. J’ingurgitais donc deux cachets, espérant qu’ils fassent effet suffisamment rapidement pour atténuer les douleurs qui habitaient mon corps.

Carol réapparu, des sacs de nourriture dans les mains, m’indiquant par la même occasion qu’il s’agissait de nourriture chinoise. Je n’avais pas spécialement faim, il me fallait surtout du repos. Je la regardais déballer les sacs devant moi, silencieux, étalant les différents plats sur la table avant de venir se planter en face de moi afin de me tendre une paire de baguettes. Mon visage au regard vide alterna entre les baguettes qu’elle me tendait et le visage de la jeune femme.

« Je ne suis pas le genre de type à accepter qu’on lui vienne en aide. », dis-je sur un ton neutre. Cédant ensuite à une pulsion, j’attrapais la main tendue de la jeune femme afin de la forcer -grâce à l’effet de surprise, à se pencher en avant. J’attrapais alors ses lèvres avec les miennes durant un court instant. « Je n’ai pas faim et…et c’est la dernière fois que je te remercies. », ajoutais-je en comparant ce court baiser à un remerciement pour ce qu’elle avait pour moi.  

Si elle avait exprimé ses pensées, je n’aurais fait qu’acquiescer. Je n’avais pas toujours été ainsi, plein de cette espèce de dualité. Il y a de ça quelques années, j’arrivais encore à définir une véritable limite entre Daredevil et Matt. J’arrivais à limiter l’impact que l’un avait sur la vie de l’autre, je ne cherchais pas autant à repousser les limites, à mettre en danger. J’avais réussi, à cette époque, à compartimenter et même à définir de vraies lisières aux actions de chacun. Mais à cette époque, j’avais des amis sur qui je pouvais compter. À cette époque, j’avais Foggy, mon éternel ami d’enfance avec qui j’avais absolument tout vécu et partagé. Puis il était parti. À cette époque, j’avais Karen. Indéfinissable Karen qui avait tant fait pour Foggy et moi. Enfin, à cette époque il y avait Elektra. Elle avait occupé une place importante dans mon cœur, je l’avais aimé de tout mon être et je ne m’étais jamais remis de l’avoir perdu. Jamais. C’est en perdant tout, peu à peu, que j’étais devenu l’homme que Carol avait en face d’elle.

Mais, de tous temps, j’avais aimé les femmes. C’était très certainement bête à dire, mais j’avais toujours été un homme d’aventures. Je savais que malgré mon handicap, j’avais un physique avantageux pour autant, je n’en avais jamais fait un atout dans ces quêtes de séduction. Les choses s’étaient toujours faites de manière naturelle, comme ce soir par exemple. Il m’avait semblé naturel d’attraper la main de Carol alors qu’elle me tendait ces baguettes, et de l’embrasser. Il avait s’agit d’une pulsion, rien de plus. J’avais eu envie de le faire. Un besoin comme un autre de lui exprimer ma gratitude. Un moyen comme un autre de lui montrer que malgré le fait que je ne voyais pas comme les autres, elle me plaisait.

Peut-être était-ce malvenu de ma part, peut-être que je n’aurais pas dû agir ainsi mais c’était fait et, sur l’instant, elle ne me repoussa pas. Enfin une bonne nouvelle, moi qui m’étais attendu à subir un nouveau sermon de sa part. Au contraire même, elle accepta de partager ce baiser avec moi et je devais avouer que cela était agréable, électrisant.

« Tu devrais manger. On retrouve plus vite ses forces… ».

Je fronçais les sourcils alors que nos lèvres s’étaient séparées et qu’elle venait de prononcer cette phrase. Qu’est-ce qu’elle ne comprenait pas dans je n’ai pas faim ? Je m’apprêtais à lui répondre, à lui comprendre d’une manière beaucoup plus claire cette fois-ci que non, je ne comptais pas m’attaquer à ses plats chinois. Je comptais lui dire que mon épaule me faisait souffrir, que mes côtes n’arrêtaient pas d’envoyer une sale douleur dans tout mon corps, mais je n’en eu pas le temps.

Sans avoir le temps de prononcer le moindre, je la vis écarter l’objet qui nous séparait…et venir s’asseoir sur moi. De tous les scénarios que j’avais imaginé, celui-ci n’en faisait pas partie. J’aurais cru qu’elle laisserait les choses ainsi, au pire qu’elle me sermonne mais certainement pas qu’elle relance…et en faisant tapis en plus ! Alors qu’elle passait ses jambes de part et d’autre des miennes pour s’installer sur mes genoux, je glissais mes mains sur ses hanches, accompagnant son mouvement. Puis elle m’embrassa, plus énergiquement que précédemment. Un baiser qui en disait long sur ce qu’elle ressentait et pour le coup, j’étais dans la même situation. Elle m’attirait, depuis qu’elle était entrée dans ce hangar et avait fait étalage de sa puissance, son charisme, elle m’attirait.

Je répondais à son baiser, mêlant mes lèvres aux siennes et habilement, naturellement je fis remonter mes mains depuis ses hanches. J’attrapais son chemisier, l’extirpais du jean afin de glisser mes mains dessous et de pouvoir sentir la peau de Carol sous mes doigts. Mon corps se tendit sans que je ne puisse pour autant lâcher ses lèvres. Paradoxalement à ce qu’elle dégageait, sa peau était douce, tendre. Mes doigts glissèrent un long moment sur ses hanches dénudées, sur son ventre, le creux de ses reins.
Je pouvais sentir la chaleur de son corps se transmettre au mien, je pouvais sentir son souffle se mélanger au mien alors que j’attrapais à nouveau ses lèvres, ressentant à mon tour cette pointe de désir brûlante pour cette femme qui m’avait sauvé.

« Le riz attendra. », murmurais-je après avoir passé une main dans ses cheveux afin de l’attirer à nouveau à moi et de rejoindre ses lèvres avec les miennes.