[Terminé] Surprise de Noël

Les verres s’entrechoquent autour de sourires et regards complices, mais  le véritable choc s’opère dans la gorge de l’indienne, qui a l’impression qu’une marée de brûlure descend dans son œsophage, l’obligeant à plisser les yeux en même temps qu’elle fronce les sourcils, octroyant une mimique très amusante à son visage. « Milena ! Doucement… un bon rhum comme celui-ci s’apprécie. » « Fallait…Le dire…Avant… » Rétorque-t-elle d’une voix amusée entre deux toussotements, l’une de ses mains se posant à la naissance de sa gorge tandis qu’elle repose son verre de sa main libre, afin de pouvoir effacer les petites larmes qui perlent de sa paupière, et dont elle impute injustement la faute à son hôte. « Oh tient donc… N’inverseriez-vous pas les rôles mademoiselle ? N’est-ce pas vous qui prenez des gorgées de cow-boy ? » La comparaison la fait rire avec malice, si bien qu’elle penche son menton de gauche à droite avant d’admettre, d’une voix toujours un peu malmenée mais bien plus claire. « J’ai fait honneur à tes origines, non ? » Heureusement qu’elle l’a bu d’une traite, d’ailleurs ; pas sûr qu’elle aurait eu le courage de venir à bout du breuvage si elle avait été contrainte de le boire gorgée par gorgée.  « En tout cas… Tu as une sacrée descente mine de rien. Tu ferais pâlir certains de ces messieurs avec ce verre bu d’une traite. » Joignant ses deux mains sur la table, elle fait mine de réfléchir quelques secondes avant de demander à son comparse, d’une voix toujours aussi malicieuse : « Tu crois qu’il est toujours temps de me reconvertir ? Je suis sûre qu’il y a des concours, je pourrai devenir une icône de la beuverie. »

Remontant finalement l’une de ses mains pour refermer sa main en poing, elle appuie son menton sur celui-ci en venant questionner Jericho sur les évènements qu’elle a manqué ; il prend quelques secondes de réflexion, et la brune croit que ce silence est annonciateur de grandes révélations, si bien qu’elle commence à sourire avec curiosité mais… « Ma foi rien de spécial… » Il se gratte le menton mais, à ses yeux, ce n’est pas un indice probant d’omission ; seulement que sa barbe le démange. « J'avais pas mal de travail avec le Lazarus Center. Surtout à cette période. Du coup, autant te dire que je n'ai pas vu le mois passer. Sinon rien d'extraordinaire et rien de magique. » Les derniers mots accentuent son sourire, et elle se contente de simplement répondre, avec une considération sincère : « Cela me semble être déjà beaucoup. » Marquant une petite pause elle poursuit, en libérant sa main du poids de son visage. « D’ailleurs, je vais bientôt revenir officiellement à New-York, alors si tu as besoin de mains, ou de pattes, supplémentaires, n’hésite pas. Je serai ravie d’aider. »

Cette proposition étant faite, elle appuie son dos contre le mur en déposant son coude sur la table, quand bien même ce n’est pas très poli, paraît-il. « Mais assez parlé de moi ! Toi alors, comment tu vas ? Tu m’avais caché que tu étais danseuse à un moment. Tu as pratiqué dans ton pays natal ? » Elle le regarde avec un petit sourire espiègle, disant dans un premier temps : « Je vais bien… Est-ce que j’ai une si mauvaise tête ? » Cela fait deux fois qu’il lui demande, alors elle redresse lentement son dos en posant ses mains sur son visage, comme pour palper sa peau qui n’est pas bien différente de d’habitude ; mais qu’il se garde de toute inquiétude, la jeune femme n’est nullement vexée, si bien qu’elle ne tarde pas à poursuivre. « Oui, j’ai une formation classique à l’origine mais… » mais ma carrière a été foutue en l’air par mon ex-fiancé qui me battait et m’a cassée des côtes, la cheville et le bras ne pouvant franchir la barrière de ses lèvres, elle secoue légèrement son menton avant de réhausser son visage avec une teinte joyeuse, reprenant aussi normalement que possible, en essayant de rester ancrée dans le moment présent : « En Inde, j’ai beaucoup pratiqué le Bharata Natyam, si tu connais. C’est l’une des plus anciennes danses traditionnelles indiennes. » La danse n’est jamais très loin de ses pas, et c’est d’une voix très curieuse qu’elle demande : « Et toi, tu sais danser ? » Jericho est sauvé par le gong, puisque dans son dos, la marmite qui réchauffe le poulet commence à faire un drôle de bruit…

La carrière exceptionnelle de Milena-buveuse-compulsive la faisant rire avec légèreté, elle joue quelques secondes avec son verre vide, qu’elle vient de descendre comme s’il s’agissait d’un simple verre d’eau, en payant à présent les conséquences de son élan impulsif ; ses yeux perlent de quelques larmes incontrôlables tandis qu’elle achève de lancer un regard complice en direction de Jericho, avec lequel elle se sent curieusement en confiance, en pleine sécurité. Il n’y a peut-être pas d’explications tangibles, pas de description scientifique pour expliquer cet attachement de son âme à la sienne, comme si, dès le début, elle avait pu sentir qu’il ne lui ferait jamais le moindre mal, contrairement aux autres.

Redevenant sérieuse, elle se propose volontairement pour participer à la vie du Lazarus Center, puisqu’elle se doute que son ami a toujours besoin de bras supplémentaires pour accueillir et aider ceux qui en ont besoin. « C'est vrai ? Et bien… Ce serait avec grand plaisir ! Tu pourras me dire si tu auras des disponibilités particulières et je pourrais te présenter l'équipe si tu veux. » Un doux sourire vient illuminer ses lèvres tandis qu’elle croise sagement ses bras sur la petite table collée contre le mur, en hochant son menton de haut en bas. Comme c’est agréable de se sentir accueillie… « Ce serait avec plaisir ! » Clame-t-elle quant à l’idée de rencontrer les autres membres de l’équipe, qu’elle devine aussi adorables que son ami. « J’aurais beaucoup de disponibilités, je pense… Je ne sais pas encore ce que je vais faire en revenant à New-York. » Est-ce honteux, à son âge, de ne pas savoir ce qu’on veut faire de sa vie ? Elle a dû enterrer ses rêves de danseuses, il va falloir qu’elle s’en trouve d’autres, désormais.

D’ailleurs, le sujet de la danse passe dans leur conversation telle une étoile filante ; l’explosion dans la marmite posée sur le feu réclamant leur attention. « Oh ce n'est pas vrai ! Comment j'ai pu l'oublier ! » Il saute presque de sa chaise pour se rapprocher de la casserole sur le feu, et elle le suit du regard en grimaçant avec un léger amusement ; faisant glisser sa main le long de la table, elle se penche sur le côté pour tenter de constater les dégâts mais, le grand dadais est devant. « C’est cramé ? » demande-t-elle d’une voix un peu taquine, en affichant un sourire qui l’est tout autant. « Pouvons-nous dire que c'est de ta faute ou je dois m'abstenir ? » Ses lèvres s’espacent sous la surprise, d’une si honteuse accusation ! Le toisant durant quelques secondes, elle pousse ses lèvres en avant dans une petite moue boudeuse tout en reprenant, amusée : « Tu dois t’abstenir, déjà que je l’ai porté durant touuuuut le trajet… » D’un élan dramatique, elle arque l’un de ses sourcils en faisant comme si la tâche avait été accompli dans la souffrance, et sur des kilomètres. « C’est cramé, du coup ? »

La seconde fois, c’est la bonne : elle peut enfin constater, en se redressant légèrement sur son tabouret, que le plat a survécu. « Heureusement que je t’ai prévenu, du coup. » Taquine, elle lui tire la langue avant de sourire avec impatience lorsque son assiette est déposée devant elle, et que les bonnes odeurs gourmandes viennent emplir ses narines. « Bon appétit ! » « Bon appétit ! » Elle lui adresse un sourire suave avant de se saisir de sa fourchette pour piocher dans son plat, qu’elle goute en haussant ses sourcils au bout de quelques secondes seulement, visiblement satisfaite. « Ché chuper bon ! » Parler la bouche pleine n’est pas poli, elle le sait et c’est pourquoi elle le fait !

« Mais, j'y pense… Vu que tu vas vivre à New-York tu as trouvé un logement, non ? Je pourrais t'aider pour le déménagement si tu veux. Même si les arts mystiques et la téléportation pourraient arranger beaucoup de choses.  » Le sujet qui fâche. Elle lève un regard un peu gêné vers lui, en finissant de déglutir avec une expression de malaise, car elle ne sait pas trop comment formuler la chose sans passer pour une pauvresse. Il y a un moyen élégant de dire qu’on est sans domicile fixe ? « Le déménagement… » Ne pas rire. Ne pas rire. Elle rigole toujours quand elle est gênée et là, elle est la gêne incarnée. « Oui, euh… » Elle tourne tellement autour du pot qu’elle va bien finir par mettre les pieds dans le plat, de toute façon. « En fait… » Elle passe la pointe de sa langue sur ses lèvres tout en redressant ses épaules, sans quitter sa fourchette — elle n’a pas fini de manger. « Pour être franche, je n’ai pas encore trouvé d’appartement. » C’est une si jolie façon de dire les choses ! « Je trouverai bien le moment venu, ça ne doit pas être si difficile… Si ? » Dédramatiser la chose, c’est important : elle ne voudrait pas qu’il se dise qu’elle est une assistée, même si c’est un peu le cas. « En tous cas, c’est très bon. » À défaut de noyer le poisson, elle tente de noyer le sujet : mais pas le sorcier vaudou avec, parce qu’elle y tient beaucoup trop !

Loin de se douter du débat intérieur qui anime l’esprit de son ami, Milena est bienheureuse de constater que ce dernier accepte volontiers son aide et sa présence au sein du Lazarus, également impatiente de se sentir utile pour ceux qui en ont le plus besoin. « J’ai hâte de commencer. » Dit-elle avec un charmant enthousiasme, en accolant ses mains l’une contre l’autre avec un franc sourire, aussi sincère que l’est sa motivation.

Après ces réjouissances et une raillerie somme toute enfantine, la brune fait remarquer que la marmite, abandonnée sur le feu, commence à produire un drôle de bruit… La nourriture est sauvée in extremis et elle s’en attribue tout le mérite, se permettant même l’insolence de lui tirer la langue pour le taquiner davantage. « Range-moi ça avant que je ne te la coupe ! » Menace-t-il en joignant le geste à la parole, avortant son action avant de l’amputer ; feignant une indigne surprise, elle abaisse le menton en ouvrant ses lèvres de quelques degrés, murmurant avec une fausse peur : « Oserais-tu ? »  Posant une main offusquée près de sa gorge, elle relève légèrement son menton. « Tu ne pourras pas goûter le poulet après, ce serait dommage ! » Il a un drôle de sens des priorités ! « Je ne pourrai plus parler, surtout. » Voilà, c’est ça l’argument de pointe : pour preuve, elle forme une coupe avec ses paumes, venant ainsi soutenir son visage quand elle affirme, d’une voix malicieuse : « Et ça, ce serait une vraie tragédie. »

Avec un sourire amusé aux lèvres, les deux s’installent enfin pour manger ; il n’avait pas menti puisque le plat est délicieux, si bien que la brunette ne se prive pas pour donner des coups de fourchette dans son assiette. Si elle est pleinement ravie de ce qu’elle mange, elle devient tout à coup bien moins gourmande et bavarde lorsqu’il évoque son futur déménagement, qui est prévu mais non préparé. Un peu mal-à-l’aise quant à sa situation peu enviable, car pour l’heure elle n’a aucun endroit où s’installer, elle tente de dédramatiser la chose en affichant un large sourire confiant, ne voulant surtout pas l’inquiéter ou qu’il la prenne en pitié. « Merci, mais… ça va aller, tu penses ? » Elle a détourné la conversation mais il refait le chemin en sens inverse pour revenir sur l’épineux sujet. « Tu sais, si tu n’as pas d’endroit pour dormir, tu peux toujours poser tes valises ici le temps de trouver ce que tu cherches. » Elle interrompt son geste avec sa fourchette en pressant ses lèvres l’une contre l’autre, véritablement touchée de sa proposition mais ne voulant pas s’imposer dans son appartement, puisqu’elle se doute qu’il a une vie suffisamment remplie pour ne pas s’encombrer avec une sorcière dans les pattes. « Oh, c’est… » « En tout bien tout honneur, hein ! Je ne voudrais pas que tu te perdes dans un hôtel qui pourrait se révéler être une arnaque. » C’est quoi, un hôtel qui est une arnaque ? Elle se le demande mais n’ose pas vraiment poser la question, puisque ce n’est pas le sujet ; ses sourcils se décrispent et elle pose un regard doucereux sur son ami, en même temps que sa main vient délicatement rencontrer son poignet, afin de le remercier d’abord d’une façon muette. « Tu es adorable Jericho, vraiment… Mais je ne voudrai pas te déranger. J’imagine que tu as déjà beaucoup de choses à faire et je ne voudrai pas être au milieu et te gêner… »

Mais le Sorcier n’en démord pas : « Tu pourras prendre mon lit si tu le souhaites même. J'ai l'habitude de dormir dans le canapé souvent alors cela ne change rien pour moi. » La gentillesse dont il fait preuve à son égard ne peut que la faire sourire, et faire vibrer son coeur de quelques bons sentiments suaves. Retirant sa délicate main de son bras musclé, elle la dépose sur sa jumelle, en demandant une dernière confirmation avant d’accepter : « Tu es vraiment sûr ? » Balayant la salle du regard, elle met finalement ses mains sur ses cuisses, sous la table, en s’empressant de dire : « Je m’occuperai de la cuisine, si tu veux. Tu aimes les plats épicés visiblement et, chez moi, en Inde, on est les spécialistes. » Désolée, Daniel. Elle a dit oui.