[Super Héros] Matthew Michael Murdock - A man without hope, is a man without fear.

Le premier coup n’était pas le plus dur à encaisser, je savais parfaitement à quoi m’attendre. Je sentis les os de ma mâchoire trembler sous le choc, mes dents vibrer et un goût métallique vint se déposer sur ma langue. Aussi loin que je me souvienne, j’avais toujours su prendre des coups. Ça n’avait jamais été un problème, il fallait simplement savoir se relever. Un fin sourire naquit sur mes lèvres, révélant une bouche ensanglantée. Ce coup était particulier, trop. Il était personnel et me rappelait une chose : la seule fois où mon père avait levé la main sur moi. Le souvenir était vague, distant mais toujours présent, ancré au plus profond de mon être. Ce geste avait été le point de départ, l’étincelle. Mon père avait agi sous le coup de la colère, incapable de maitriser ses émotions, certainement dépassé par le cours chaotique de sa vie. Il s’en était voulu, il s’était confondu en excuses –ce qui ne lui ressemblait pas- mais trop tard, le mal était fait. Impossible de me souvenir si j’avais pleuré ou si j’étais simplement resté là, abasourdi, stupéfait que mon père lève la main sur moi.

Ce jour-là, j’ai compris que notre existence devait être régie par des règles, des lois. Les gens sans défense, comme je l’étais ce-jour, devait impérativement avoir un moyen de se protéger. Le fait que mon père m’ait frappé m’avait amené à finaliser cette réflexion d’une manière qui ne me ressemblait pas : une manière honnête, louable et réglementaire. Car s’il avait levé la main sur moi, c’est parce que j’avais justice moi-même. Je m’étais battu –j’avais perdu- pour une cause que je pensais noble et il refusait que son fils emprunte le même chemin que lui. Cependant, tout comme lui, j’avais ce même problème de colère, de violence enfouie qui ne demande qu’à exploser. Alors, en parallèle de ce destin de devenir un héraut de la justice, je pris la décision de désobéir à mon père et de m’entrainer à combattre. Parce que très tôt, je compris que ce problème de colère ne se résoudrait pas en restant inactif. Il fallait que je trouve une solution pour me canaliser, pour apprendre à la maitriser et l’extérioriser de la meilleure des manières.


Alors que le second coup de poing heurtait lui aussi ma mâchoire –de l’autre côté cette fois- je faillis perdre connaissance. J’avais instinctivement fermé les yeux, un vieux réflexe de protection dont je n’arrivais pas à me débarrasser. Un mince filet de sang, mélanger à de la salive pendant à mes lèvres. Combien de fois avais-je eu l’envie d’abandonner ? Laisser tomber, ne pas encaisser le coup de trop et rester au sol. Fermer les yeux, me laisser partir. Plusieurs fois, probablement trop. Quelque part, c’était ce qu’avait fait mon père. Il avait décidé de se dresser contre ses « maîtres », de mettre un terme à tout ce qu’il subissait…mais cela avait aussi été une manière pour lui d’abandonner : son choix l’avait tué. Aussi improbable que cela puisse paraître, à cet instant, mes yeux me brûlaient. J’avais envie de pleurer toutes les larmes de mon corps chaque fois que je me remémorais mon père, l’accident qui m’avait donné mes pouvoirs. J’en venais même à me demander si j’avais bien fait de me sacrifier pour ce vieil homme traversant la route. Je ne savais pas, je ne savais plus. « Rien de plus qu’une petite merde…. »

Cette voix, je ne la connaissais que trop bien. Je tentais vainement de relever la tête, de le voir mais ce simple mouvement fit crier tout mon corps de douleur. J’essayais de renifler pour sentir sa présence, de me concentrer suffisamment pour entendre les battements de son cœur…rien. Rien de plus qu’une hallucination qui allait me sermonner, comme toujours, me forcer à me relever en me demandant d’aller chercher au plus profond de moi-même. C’était sa spécialité, la psychologie inversée. Me demander de me relever en enfonçant ma tête sous l’eau. Ainsi était Stick, même mort, il continuait à hanter mon esprit et me dire quoi faire. « Tu n’es pas là… », parvins-je à murmurer fébrilement à cette hallucination, pur produit de mon esprit. Je profitais d’avoir la bouche entre-ouverte pour cracher un peu de sang alors tout mon corps me hurlait d’arrêter de bouger, de m’évanouir. « Qu’est-ce que ça va être, Matty ? Tu vas continuer à passer ta vie à pleurer, à te bercer pour dormir la nuit ? Ou tu vas creuser profondément et découvrir ce qu’il faut pour rebattre les cartes que la vie t’as distribué ? Choisi, Matty. Choisi. ».

Stick avait certainement raison, Stick avait trop souvent raison…même s’il n’était plus là, même s’il avait l’apparence d’une manifestation de mon inconscient, il avait une fois de plus raison. Je l’avais appris à mes dépends lors de mes nombreuses années d’entrainement à ses côtés. Stick avait été un formidable maitre, sur tous les plans. Il avait fait de moi le combattant implacable que j’étais aujourd’hui, il m’avait aidé à surpasser ma cécité, à en faire une véritable force. Daredevil n’existerait pas sans lui. Et s'il n'existait, je n'aurais pas sauvé ces gens pendant la bataille de New-York. Je n'aurais pas combattu des extraterrestres dans mon quartier...Pourtant, malgré tous ses enseignements, j’étais parfaitement incapable de trouver l’énergie, la volonté nécessaire pour faire face à ce que j’affrontais. Aussi vite qu’elle était apparue dans mon esprit, l’hallucination de Stick s’évapora en laissant échapper un soupir lourd de sens. L’idée m’effleura une nouvelle fois, abandonner.


Le troisième coup fut d’une violence inouïe. Cette fois ce n’était pas le visage qui était touché, mais l’estomac. Mon souffle fut instantanément coupé par la brutalité du geste, ma bouche s’entrouvrit pour laisser échapper un cri silencieux. Paradoxalement à ce que je ressentais, j’éprouvais l’irrépressible envie d’appeler à l’aide, de hurler mon désespoir et qu’un ami apparaissent dans ce hangar miteux pour m’en sortir. Luke ? Plus de nouvelles depuis bien trop longtemps. Nos quelques aventures parmi les Defenders nous avaient certes rapprochés, mais nous n’avions jamais réellement approfondie cette amitié naissante. Danny ? Impossible, il était reparti pour K’un-Lun depuis plusieurs semaines pour participer à tournoi céleste. Cette pensée m’arracha un faible sourire, tout cet aspect mystique qui l’entourait me rappelait sans cesse les histoires à dormir debout que je lisais étant gamin. Aujourd’hui, je faisais partie de ces histoires, j’en étais l’un des nombreux héros et ils étaient mes amis. Danny avait une place importante parmi toutes ces connaissances et, j’ai toujours aimé à croire qu’un jour, si je devais laisser tomber le costume de Daredevil, Danny serait un parfait remplaçant. J’essayais de reprendre mon souffle, j’avais l’impression d’être coincé sous un bus, j’étouffais et je sentais mon cœur commencer à s’emballer.

« Ainsi fini Daredevil, l’homme sans peur, le diable de Hell’s Kitchen…Pathétique. », cracha Wilson Fisk en massant son énorme poing.

Le Caïd, un adversaire redoutable, aussi bien dans les rues de New-York que dans les tribunaux. J’exécrais cet homme et…et je compris pourquoi Stick était apparu. Je me demandais comment est-ce que j’avais pu être aussi bête, comment est-ce que j’avais pu passer à côté d’une telle évidence. C’était d’une logique imparable. J’aurais voulu secouer la tête, me mettre une bonne claque pour me punir d’avoir été aussi suffisant, mais les chaînes qui me retenaient attaché contre la poutre bétonnée me rappelèrent rapidement que ce n’était pas possible. Je pensais vouloir abandonner et me laisser partir, sauf qu’il n’avait jamais vraiment s’agit de moi : il s’agissait de Daredevil. C’était lui le problème, c’était lui qui me vidait de mon énergie et qui me tuait à petit feu, c’était lui mon cancer.

Cette pensée me fit l’effet d’un pincement au cœur, car elle me ramena automatiquement à Foggy. Depuis que j’avais quitté le cabinet d’avocats, nous ne nous étions plus parlé. Nous avions eu un différend sur une affaire, comme souvent, mais des mots avaient été dits, des mots que l’on regrette et que l’on peut effacer. Alors il sorti de ma vie, d’une manière aussi fracassante qu’il y était entré et cela m’avait mal. C’était quelques mois après le Snap. Cette dispute ? Karen était le noyau dur de notre trio et malgré la profonde amitié qui nous unissait Foggy et moi, nous n’avons jamais réussi à surpasser la disparition de Karen. Puis, dans une vaine tentative de recoller les morceaux, Foggy m’avait annoncé qu’il était atteint d’un cancer et je l’avais traité de la même manière que Stick me traitait. Cette foutue manière de procéder –dans un moment de ma vie où j’étais au plus mal- avait tué notre relation, de la même manière que Thanos avait tué notre amie. Le plus difficile à encaisser fut qu’à son retour, Karen, qui avait disparue sous les yeux Foggy, reprit naturellement sa place juste devant lui et que, à raison, elle se rangea à ses côtés et ne m’adressa plus la parole.

« Non. Nous avons des projets pour lui. », lança une nouvelle voix froide, sèche et pourtant si chaleureuse.

Cette fois –et même si c’était parfaitement inutile étant aveugle- je parvins à me redresser, à lever la tête et à diriger mes yeux masqués en direction de la voix. Si Daredevil était mon cancer, Elektra était une tumeur. Cette femme avait été un pilier de ma vie, une plume que j’avais sans cesse essayé d’attraper au cœur d’une tempête. Je l’avais aimé, de tout mon être et j’aurais donné tout ce qui était en mon pouvoir pour la garder près de moi, pour la sauver d’elle-même et de ses démons. J’aurais remué ciel et terre pour l’aider, pour la rassurer et lui faire comprendre qu’il n’avait jamais été trop tard pour revenir, pour la rédemption. À une époque, comme aujourd’hui, j’avais aussi envisagé d’abandonner Daredevil pour n’être que Matthew Murdock, pour ne former qu’un, pour n’être que Matt et Elektra. Malheureusement, la vie n’a jamais été tendre avec moi et comme me l’avait dit Stick, j’ai toujours dû me débrouiller avec les cartes qu’elle m’avait données. Alors, la vie, le destin, fit qu’un tragique évènement brisa Elektra et fit d’elle la femme dure et impitoyable qui se dressait devant le Caïd. J’étais beaucoup trop sonné pour entendre les mots qu’ils échangeaient et je fus encore plus stupéfait de voir le Caïd tourner les talons et s’en aller.

Daredevil. Voilà où tout cela me menait. Daredevil était un cancer nécessaire que je devais garder avec moi, que je devais chérir et couver car lui seul était capable de tenir tête aux hommes comme Wilson Fisk. Daredevil apparaissait là où la Justice connaissait ses limites et Fisk jouait excessivement bien avec. Tout semblait s’aligner dans mon esprit, le puzzle se résolvait de lui-même alors qu’Elektra s’approchait de moi. Matt Murdock n’était qu’une couverture, rien de plus. Je n’avais besoin de lui que pour masquer qui j’étais réellement et certainement aussi pour essayer de rendre justice, par voie légale, à toutes ces familles de mutants dont certains membres ont été lâchement assassinés. Matthew Murdock, l’avocat serait là pour eux, pour les aider à trouver la paix dans la justice et pour les aider à trouver une place convenable dans cette société déchirée.
Mais Daredevil, lui, se devait d’être présent pour rappeler aux assassins qu’il ne connaissait pas de limites. Les événements récents me montraient et notamment le fameux Jour des Héros, où j’avais été totalement impuissant, bloqué parmi la foule, me montraient qu’il y avait de la place pour Matthew et Daredevil, que chacun avait un rôle important à jouer. J’avais joué mon rôle lors de certains des attentats perpétués sur New-York, j’avais combattu ces hérétiques qui haïssaient les mutants et avais fait de mon mieux pour limiter le nombre de victimes. En voir des membres arrêtés, ou encore traduits en justice renforçait mon sentiment de me remettre sérieusement à mon métier d’avocat. C’était genre d’évènement qui me confortait dans ma position, dans l’utilité de ma double identité

« Ne te fais pas d’illusions, Matt. », dit-elle sèchement en approchant son corps du mien afin de me libérer des chaines qui me retenaient. « 674, douzième avenue, dans 3 jours. », ajoute-t-elle alors que je tombais lourdement au sol, complètement vidé.

Elle resta un instant immobile à me jauger et je pouvais clairement sentir son regard peser sur moi alors que j’essayais difficilement de me relever. À son tour et sans un mot de plus, elle se détourna et s’en alla.
« Elektra…non », parvins-je douloureusement à articuler, la sentant s’éloigner à mesure que son odeur, son parfum qui me rappelaient tant de souvenir quittaient mes narines. « Non…Reste…, murmurais-je en tendant mon bras dans sa direction dans une vaine tentative de la retenir, mais elle était déjà bien trop loin.