Lorsque la voiture du S.H.I.E.L.D. arriva devant le portail de l'Institut, le professeur Xavier actionna à distance le mécanisme qui ouvrait les grandes grilles en fer forgé, puis il sortit sur le perron pour regarder la voiture avancer jusqu'au manoir, amenant mademoiselle Willington dans sa nouvelle demeure. En ce samedi matin, premier jour des vacances de noël, il faisait un froid sec. La neige avait cessé de tomber, et le timide soleil d'hiver se chargeait de la faire peu à peu disparaître.
Le professeur suivait l'évolution de Kitty Willington depuis qu'elle avait été retirée du centre d'entraînement et de conditionnement des Héritiers. Ce centre, c'était d'ailleurs le télépathe qui l'avait trouvé, à force de recherches intensives dans les esprits des terroristes que le S.H.I.E.L.D. avait pu appréhender. Si le calvaire était désormais terminé pour la pauvre adolescente, elle était néanmoins loin d'être sortie d'affaire. Son conditionnement avait laissé sur elle une empreinte quasiment indélébile, et Charles frémissait en songeant à toutes les horreurs qu'elle avait dû subir au cours des six dernières années.
En un sens, elle lui rappelait une autre jeune mutante qu'il avait récupérée neuf mois plus tôt. Kali Herrera avait connu un destin similaire : trahie par ses parents, arrachée à son enfance, confiée à une organisation terroriste pour devenir une arme. La différence majeure entre les deux jeunes filles était que Kali avait été conditionnée pour haïr les humains, là où Kitty se devait de détester les mutants. Son intégration à l'Institut ne serait donc pas simple. C'était d'ailleurs pour cela que le professeur avait demandé à ce qu'elle arrive durant les vacances, ainsi elle n'aurait pas à être confrontée dès le départ à une cinquantaine d'autres mutants. Pendant les périodes extrascolaires, il ne restait au manoir qu'une quinzaine de personnes, adultes et enfants.
La voiture s'arrêta devant l'entrée principale du manoir. Un homme en uniforme du S.H.I.E.L.D. en descendit, prit une valise dans le coffre, puis ouvrit la portière arrière pour permettre à la jeune mutante de sortir à son tour du véhicule. L'agent escorta Kitty, montant avec elle les quelques marches qui les séparaient des portes du manoir, et du professeur Xavier qui les attendait devant. Celui-ci salua respectueusement l'homme d'une poignée de main protocolaire, puis adressa à la jeune femme un sourire doux et bienveillant.
« Merci agent Williams. Bonjour Kitty. Bienvenue à l'Institut Xavier. Je suis Charles Xavier, directeur et fondateur de cette école. Si vous voulez bien me suivre, nous serons plus à l'aise à l'intérieur. »
Tournant son fauteuil vers l'intérieur, il les mena dans le grand hall d'entrée, indiquant au passage à l'agent qu'il pouvait pour le moment laisser la valise devant l'ascenseur à droite des escaliers. Puis il se tourna vers Kitty pour lui expliquer la suite du programme, qui dépendrait d'elle :
« Plusieurs possibilités s'offrent à toi : je peux te conduire à ta chambre pour que tu puisses ranger tes affaires, ou à la petite cuisine pour prendre une bonne tasse de thé ou de chocolat chaud. Si tu préfères un cadre plus formel, je peux également te proposer de discuter dans mon bureau. Tu dois avoir beaucoup de questions à poser. »
Il se doutait bien que l'idée de vivre dans un refuge de mutants, après avoir passé plusieurs années à entendre constamment que les porteurs du gène X étaient des erreurs de la nature qu'il fallait éradiquer, ne devait guère l'enchanter. Elle ne devait pas non plus être habituée à ce qu'on lui demande de choisir par elle-même ce qu'elle allait faire, mais il était important pour le professeur qu'elle puisse avoir cette opportunité, être considérée comme une jeune femme dotée de libre-arbitre et d'un pouvoir de décision, et non comme un petit soldat contraint de suivre aveuglément n'importe quel ordre.
Cela faisait déjà quelques mois que j'avais été extraite du centre d'entrainement et de conditionnement des Héritiers. Le S.H.I.E.L.D m'avait retiré la puce que j'avais dans la tête. J'avais appris que mon père avait été arrêté et je n'arrivais pas à définir ce que j'avais ressenti à cette annonce. Tout était confus dans mon esprit. Je ressentais de la tristesse, car j'avais aimé mon père, enfin celui qu'il avait été avant la mort de ma mère avait été mêlé à une certaine joie, une joie que j'avais trouvé malsaine.
Comment pouvait-on être content du malheur de quelqu'un d'autre ? Même si dans mon cas, cela était compréhensible, je trouvais cela étrange. Mais en même temps, j'avais mérité ce qui m'étais arrivée car j'étais une mutante, une erreur de la nature, une honte à Dieu. Mon père et les autres partisans des Héritiers n'avaient pas cessé de me le dire durant toutes ces années.
Retirée de mon ancien cadre de vie, je me retrouvai complétement perdue et désorientée. Et voilà qu'on allait m'envoyer dans une sorte de pensionnat dans le comté de Westchester. Un agent du S.H.I.E.L.D vint m'expliquer où j'allais aller. Il s'agissait de l'Institut Charles Xavier. De ce que je compris, cet institut était une école où les jeunes mutants apprenaient à contrôler leurs pouvoirs et plus tard réintégrer la société.
J'allais devoir côtoyer des mutants H24 et rien que d'y penser, cela me mettait en colère. Avais-je vraiment le choix ? Visiblement non. J'étais habituée à ne pas avoir mon mot à dire, à ne pas prendre de décision. En fait, je ne savais plus décider par moi-même.
J'avais passé le voyage à regarder le paysage défiler par la fenêtre. Puis la voiture arriva devant les grilles en fer forgées Lorsque le portail s'ouvrit, je pus apercevoir le bâtiment. Ce dernier était un véritable manoir et il me semblait gigantesque. Le jardin s'étendait à perte de vue.
C'était une école ça ? Je n'eus pas vraiment le temps de me poser la question car la voiture s'arrêta devant l'entrée principale du manoir. Même si le cadre était magnifique, cela ne changeait pas que l'idée de côtoyer des mutants ne me plaisait pas. Je n'avais pas envie d'être ici, mais je n'arrivais pas à verbaliser mes propres désirs.
L'agent du S.H.I.E.L.D descendit de la voiture et m'ouvrit la porte après avoir récupérer ma valise. Cette dernière ne contenait que très peu d'affaires. Il n'y avait que les quelques vêtements que je portais lorsque j'étais au centre d'entrainement et de conditionnement des Héritiers. La neige recouvrait tout, mais elle avait cessé de tomber et laisser la place à un soleil timide. La neige...
Cela faisait longtemps que je n'avais pas eu l'occasion de la voir. Lorsque je sortis de la voiture, emmitouflée dans un blouson assez chaud et vêtu d'un jogging, je ne pus m'empêcher de prendre une poignée de neige. Cela remontait à si loin la dernière fois que j'avais pu la toucher. Était-ce cela la liberté ? Mais est-ce que j'étais vraiment libre ? N'allais-je pas retomber dans un centre comme celui des Héritiers ?
Je suivis docilement l'agent du S.H.I.E.L.D jusqu'en haut des marches. Un homme dans un fauteuil roulant nous y attendait. Ce dernier remercia l'agent Williams puis il me souhaita la bienvenue. Après m'avoir adressé un sourire doux et bienveillant. La dernière personne a m'avoir sourit comme cela était ma nourrice, mais elle avait disparu, comme la moitié de la population terrienne, quelques semaines avant que mon père ne m'emmène dans l'enfer dont j'avais été tirée.
Charles Xavier...J'enregistrai son nom dans ma tête. Était-il un mutant ? Était-il aussi une engeance du démon comme moi et tous les autres ? Est-ce que je pouvais répondre ? Je n'eus pas à le faire finalement. Le directeur nous emmena à l'intérieur et je pus voir un hall magnifique. Tout était si lumineux et différent de l'ambiance dans laquelle j'avais vécue durant six ans. L'agent Williams alla poser la valise à côté de l'ascenseur alors que Charles Xavier s'adressa de nouveau à moi.
Il m'expliqua alors que plusieurs possibilités s'offraient à moi. Il me laissait le choix ? Je ne savais plus ce que c'était que d'avoir à choisir par moi-même, de prendre mes propres décisions. Je fus complétement perdue devant le nombre de possibilités que me laissait le directeur de l'Institut. Un cadre plus formel, poser ma valise dans la chambre ou boire un chocolat. Un chocolat... je ne me souvenais même plus quel goût ça a, mais je savais que j'adorais ça. Que devais-je choisir ? Est-ce que la décision que j'allais prendre serait la bonne ? Je ne savais pas de quoi j'avais envie. Enfin si...Je ne voulais pas être ici au milieu des mutants, des êtres que je pensais inférieurs, comme moi en fait.
Enfin c'est ce que je pensais, mais mes désirs étaient-ils réels ou seulement le résultat de mon conditionnement par les Héritiers ? Et puis d'un chocolat, mais était-ce une bonne idée ? Ne sachant pas répondre à cette question, je préférais ne pas en faire part. Après avoir gardé le silence durant quelques minutes, mon regard montrant mon indécision et mon hésitation je pris la parole d'une voix hésitante.
"Je...Je ne sais pas monsieur. On va où vous voulez."
En fait c'était faux. J'avais une envie parmi les trois propositions que me fit Charles Xavier, mais avais-je vraiment le droit de la formuler ? C'était vraiment perturbant pour moi. N'en pouvant plus de rester immobile, je me mis à danser d'un pied sur l'autre. Quoi que l'on fasse, j'avais envie de bouger.
Habituellement, Charles n'aimait pas user de ses pouvoirs sur des personnes non consentantes ou non informées, à moins d'un danger imminent pour elles ou pour les autres. Pour la jeune Kitty, cela lui semblait être une précaution nécessaire. Il ne comptait pas la manipuler mentalement, la pauvre l'avait déjà suffisamment été. En revanche, il était à l'écoute de ses pensées, au cas où il lui prenne une pulsion de violence soudaine et incontrôlée.
Comme il s'y attendait un peu, la jeune mutante fut décontenancée par le choix qui lui était offert. Elle aurait besoin de temps pour se défaire de son conditionnement, pour réapprendre à user de son libre-arbitre. Pour se faire confiance et écouter ses envies, également. Sa préférence allait au chocolat chaud, évoquant de lointains et bien trop vagues souvenirs d'enfance, mais elle n'osait pas formuler ce choix à voix haute, ou plutôt n'en était pas capable.
Le professeur attendit patiemment, ne souhaitant pas la brusquer. Elle finit par prendre timidement la parole, sans parvenir à énoncer son choix. La pauvre petite était très perturbée. Mais Charles ne se défit pas de son sourire bienveillant et répondit avec simplicité et douceur :
« Allons à la cuisine dans ce cas. »
Il l'invita d'un geste à le suivre et orienta son fauteuil vers l'aile ouest du manoir. Mais avant de s'être réellement mis en route, il fut interpellé par un poli raclement de gorge de l'agent du S.H.I.E.L.D. qui ne semblait pas savoir quoi faire, ou en tout cas qui attendait des instructions. Charles se tourna alors brièvement vers lui, le salua aimablement et le libéra de ses obligations.
« Vous pouvez disposer, agent Williams. Je prends en charge miss Willington. Merci de me l'avoir amenée. Bonne journée. »
Puis il prit le chemin de la petite cuisine, s'assurant que Kitty avançait bien à ses côtés, tout en lui expliquant :
« C'est une école ici, pas un centre de redressement. Personne ne cherchera à te faire du mal. Avec moi, tu es libre d'exprimer tes pensées et tes émotions sans craindre de représailles. »
Le directeur de l'Institut me répondit sans se départir de son sourire bienveillant. Cela me perturbait énormément et je ne savais pas comment réagir. Il me proposa d'aller dans la cuisine. Comment avait-il su que c'était le chocolat qui me tentait le plus ? Avant que l'on se dirige vers notre destination, Charles Xavier congédia l'agent Williams. Je vis l'agent du S.H.I.E.L.D quitter le manoir et compris qu'il n'y avait pas d'autres options que de rester ici. Mais je n'en avais pas envie.
Je ne voulais pas habiter avec des mutants, ces êtres abjects, ces erreurs de la nature...comme moi en fait. En plus, je ne pouvais pas m'enfuir en me téléportant car je ne connaissais aucun lieu aux Etats Unis. Le seul endroit que je connaissais était les bureaux du S.H.I.E.L.D dans lesquels j'avais passé quelques heures avant d'arriver ici. Je suivis l'adulte en fauteuil roulant. Le professeur Xavier vérifia que j'étais bien à ses côtés avant de reprendre la parole. J'écoutai avec le plus d'attention possible ce qu'il m'expliquait. Une école... mais les mutants avaient-ils le droit d'être instruit ?
Je pouvais lui faire part de mes pensées et laisser parler mes émotions sans risque de représailles. Comment être sûre que personne ne me fera de mal. Et moi, est-ce que je ne risquait pas de faire de mal aux autres ? Je ne savais plus quoi penser. On mit quelques minutes à arriver à la cuisine. Je n'avais pas prononcer un mot, ne sachant pas vraiment comment réagir. J'avais le droit de dire ce que je pensais, ce que je ressentais, mais tout était confus en moi. La seule certitude que j'avais était que je ne voulais pas vivre parmi les mutants.
Lorsque l'on arriva dans la cuisine, je ne pus m'empêcher d'en faire le tour du regard. Elle n'était pas immense, mais elle était accueillante et chaleureuse. On était loin des infrastructures dans lesquelles j'avais vécu durant six ans. Ne sachant pas quoi faire, je restai debout à côté du professeur. Après avoir gardé le silence, je pris la parole. Ce fut tout d'abord presque un murmure :
"Je...Je ne veux pas rester ici."
Je fus moi-même surprise par ce que je venais de dire. Je sentis quelque chose montait en moi, quelque chose que je n'avais pas ressentis depuis longtemps. C'était comme une colère sourde qui bouillait en moi. Plongeant mon regard dans celui du professeur Xavier, je repris d'une voix plus forte : "Je ne veux pas rester ici ! Je ne veux pas vivre avec des mutants ! Ce sont des erreurs de la nature ! Pourquoi avoir créé une école pour mutant ? Les mutants ne sont rien. Ils n'ont aucun droit ! Ce sont des abominations...tout comme moi !"
J'avais presque crié ces mots. Charles pouvait lire sur mon visage et dans mes yeux toute la haine que je ressentais pour les porteurs du gêne X. Une haine que l'on m'avait inculqué durant toutes ces années et qui restait solidement ancrée en moi. Oui, j'haïssais les mutants tout comme je me détestai moi-même ainsi que mes pouvoirs.
Est-ce que j'avais toujours été comme ça ? J'en était persuadée. C'était comme si tous les souvenirs que j'avais avant mon enfermement et mon conditionnement par les Héritiers étaient enfouis quelque part au fond de moi. Tout comme la fillette que j'avais été avant ce jour fatidique. J'étais perdue et la seule chose à laquelle je pouvais me raccrocher était le conditionnement que j'avais subit durant six ans. Je marchai nerveusement de long en large dans la cuisine. Je n'arrivai plus à rester en place et je sentais mon sang bouillir de rage. Une rage que je ne comprenais pas vraiment, ne sachant pas réellement d'où elle pouvait venir. @Charles Xavier
La bienveillance du professeur perturbait la jeune Kitty, qui n’avait pas dû être traitée avec respect et gentillesse depuis bien longtemps. Il était un adepte de la pédagogie douce et positive. Elle apprendrait, au fil des jours, combien il était agréable d’être valorisée, écoutée, considérée comme un être humain et non comme une arme ou un monstre. Pour l’heure, cela la déstabilisait… et c’était une bonne chose. Pour briser son conditionnement, il allait falloir la bousculer un peu, mais toujours en douceur.
En voyant l’agent du S.H.I.E.L.D. s’en aller, elle songea qu’elle était forcée de rester ici et qu’elle n’en avait pas envie. Pour l’heure, cet Institut n’était probablement à ses yeux qu’une nouvelle prison. Elle ne savait pas encore si elle pouvait croire les paroles du professeur, et s’inquiétait également de la probabilité qu’elle puisse faire du mal aux autres. Cette pensée était intéressante et prometteuse pour la suite.
Lorsqu’ils arrivèrent dans la cuisine, Charles se dirigea en premier lieu vers le frigidaire qu’il ouvrit pour y prendre une bouteille de lait. Il s’interrompit dans son geste lorsque Kitty annonça à voix basse qu’elle ne voulait pas être ici. Il leva lentement la tête vers elle et soutint son regard lorsqu’il constata qu’elle le fixait. Il était à l'écoute. Le murmure se fit grondement de colère alors qu’elle osait exprimer ce qu’elle ressentait. Il ne pensait pas qu’elle s’ouvrirait si vite et estima que c’était très encourageant.
« Bien sûr que tu ne veux pas rester ici. Je comprends. Au cours des six dernières années on t’a conditionnée pour penser que les mutants étaient des monstres, il est donc normal que tu ne veuilles pas vivre avec eux. »
Il la laissa marcher de long en large dans la cuisine à en user le sol. Elle avait besoin d’exprimer sa colère et sa haine, qui n’étaient que des dérivés de la peur, peur des autres, peur d'elle-même, peur de l'inconnu. Il reprit donc ce qu’il faisait, posa la bouteille de lait sur la table centrale. Puis il se dirigea vers un vaisselier et en sortit deux bols et une casserole. Il entreprit ensuite de verser le lait dans la casserole puis de poser celle-ci sur la plaque chauffante, tout en reprenant la parole, toujours aussi calmement :
« Ici nous ne pensons pas que les mutants soient des abominations. Ici nous pensons que les mutants ont les mêmes droits que les humains. Qu’ils font d’ailleurs partie de l’humanité et qu’ils devraient pouvoir vivre en paix et en harmonie avec eux. Tu n’es pas un monstre, Kitty Willington. Tu es une jeune fille de seize ans qu’une secte terroriste a voulu briser. Mais nous t’aiderons à te reconstruire. »
Il se tourna vers Kitty et désigna de la main un placard en hauteur, qu’il ne pouvait à l’évidence pas atteindre à cause de son handicap.
« Tu veux bien m'attraper le chocolat en poudre s’il-te-plaît ? »
Malgré mes cris et ma colère, l'homme que j'avais en face de moi restait calme. Il avait stoppé son geste et m'avait écouté avec attention. Puis il me répondit tout en continuant à rester calme. S'il comprenait que je ne veuille pas rester ici, pourquoi est-ce qu'il ne me laissait pas partir ? Je pouvais me débrouiller toute seule.
Alors que je marchais de long en large, le professeur Xavier reprit ce qu'il avait commençait à faire. Je le vis mettre du lait à chauffer, tout en continuant à parler. Ce calme dont il faisait preuve était vraiment très perturbant. Il m'expliqua alors, qu'ici, ils ne considéraient pas les mutants comme des abominations, qu'ils avaient les mêmes droits que les humains.
C'était la première fois en six ans que j'entendais ces mots. Je les avaient déjà entendu auparavant. Mais je n'arrivais pas à me rappeler exactement où et quand. C'était comme si mes souvenirs étaient enfouis quelque part au fond de moi, attendant le moment oppertun pour ressortir. Le professeur répondit à la question que je me posai : la raison de ma présence ici. Il voulait m'aider à me reconstruire. Il m'expliqua qu'une secte terroriste avait voulu me briser et qu'ils allaient m'aider à me reconstruire.
Mais pourquoi cela ? A quoi ça me servirait de me reconstruire ? Je n'avais plus rien dehors. Personne ne m'attendait. De plus, j'avais tué des gens, des mutants quand j'étais au service des Héritiers. Méritais-je vraiment toute cette attention ? Avais-je le droit de reprendre une vie la plus normale possible ?
Ce fut la tête pleine de questions et de doute sur la légitimité à me trouver ici et à changer de vie que j'arrêtai de marcher de long en large. Le professeur Xavier me demanda alors de lui attrapper la boite de chocolat en poudre. Je me dirigeai vers le placard et en sortit la boite. Puis je la tendis au directeur.
"Pourquoi voulez-vous faire cela pour moi ? Pourquoi faite vous cela pour les gens comme nous ? Qu'est-ce qui vous fais dire que nous avons les même droits que les humains ?" Le discours du professeur Xavier était vraiment étrange pour moi et j'avais du mal à y croire. Surtout après avoir été traité comme un animal, un être sans aucun droit durant tellement d'années.
Le discours du professeur surprit la jeune Kitty, qui devait être habituée à entendre tout l'inverse. Cependant, ces mots produisirent un léger déclic : elle se rappelait avoir déjà entendu cela auparavant... avant que les Héritiers ne lui lavent le cerveau avec leurs idées horribles. Elle peinait à se souvenir de sa vie d'avant, pourtant elle était toujours là, quelque part, enfouie au fond d'elle. Le télépathe n'irait pas farfouiller dans sa tête pour faire remonter ces souvenirs de force. La mémoire lui reviendrait au fur et à mesure, lorsqu'elle serait prête à changer.
Les questions qu'elle se posait, sans oser les formuler à haute voix, étaient logiques. Pourquoi elle ? Alors qu'elle avait tout perdu ? Alors qu'elle avait commis des crimes ? Elle lui rappelait vraiment Kali. Les deux jeunes mutantes auraient mutuellement à gagner à se rencontrer et échanger sur leurs anciennes vies. Kitty pourrait ainsi comprendre qu'elle n'était pas seule dans son cas, et qu'il était bel et bien possible de changer de vie, même si on ne pensait pas le mériter... Charles n'avait jamais aimé cette notion de mérite. Tout le monde méritait d'avoir une vie normale et heureuse.
Kitty finit par arrêter d'user le sol de la cuisine et attrapa le chocolat pour le tendre au professeur, comme il le lui avait gentiment demandé. Il prit la boîte, sourit à l'adolescente et lui fit une réponse qu'encore une fois elle ne devait pas avoir l'habitude d'entendre :
« Merci. »
Alors qu'il s'affairait à verser la poudre dans les deux bols, il écouta les questions de Kitty. Elle laissait de côté sa légitimé à avoir une vie normale, mais il devinait le sens profond de ces questions – plus que le deviner, il l'avait lu dans son esprit. Alors il lui répondit par son éternel mantra, celui qui lui avait redonné espoir quand lui-même était au fond du trou et ne croyait plus en la bonté de l'être humain :
« Toute personne peut trébucher, se fourvoyer, sans pour autant être perdue à jamais. »
Le bruit caractéristique du lait qui déborde de la casserole et commence à griller sur la plaque chaude le poussa à se tourner vers la cuisinière pour rapidement retirer la casserole du feu, avant de la verser dans les deux bols. Une fois cela fait, il tendit à Kitty une cuillère pour qu'elle puisse mélanger le chocolat, et s'attela à faire de même avec son propre bol.
« Tu as été confrontée au pire fléau de l'humanité : la peur de l'autre. Humains et mutants ne sont pourtant pas si différents, dans le fond. Nous sommes tous sortis du ventre de notre mère, nous avons grandi et appris à marcher sur deux pattes, nous avons appris à parler, à rire et à pleurer, à aimer et à haïr, à ressentir et à réfléchir. C'est le même sang qui coule dans nos veines. Ce sont les mêmes émotions qui nous animent, les mêmes désirs qui nous font vivre. Pourquoi serions-nous traités différemment ? »
La question n'était pas rhétorique, il désirait vraiment entendre le point de vue de Kitty sur le sujet. Entendre le tissu de bêtises racistes que les Héritiers lui avaient mis dans le crâne. Et pouvoir démonter chaque mauvais argument, un par un.
Le professeur Xavier me remercia lorsque je lui passai le chocolat en poudre. Je n'étais pas habituée à ce type de comportement . C'était étrange de se sentir considérer comme un être humain. Je le regardai alors qu'il me sorti une phrase que je ne pensai jamais entendre. Est-ce que cela voulait dire que tout le monde avait droit à une seconde chance. Je n'étais pas aussi sûre que lui. Pour moi, ceux qui m'avait fais subir toutes ces années d'horreurs ne m'éritaient pas une seconde chance. Mais avais-je le droit de lui dire ce que je pensais de cette phrase ?
Dans le doute je préférais garder le silence. Tout en me parlant, il versa de la poudre cacaotée dans deux bols et pris la casserole de lait, qui avait commencé à déborder. Il versa le liquide et me passa un bol avec une cuillère. Puis le professeur commença à tourner son chocolat tout en répondant à mes questions. Ces dernières ne semblaient pas l'avoir perturbé et son discours était bien différent de celui que j'avais entendu durant toutes ces années.
Alors que je m'asseyais sur une chaise et mélangeais mon propre chocolat, je fus surprise par la question que le professeur Xavier me posa. Pourquoi serions-nous traité différemment. En fait je connaissais la réponse, celle que l'on m'avait inculqué durant tant d'années, celle qui pour moi était la seule vérité...du moins pour l'instant. J'arrêtai de tourner mon chocolat, laissant la cuillère dans le bol et répondis au directeur de l'Institut.
"Parce que nous ne sommes pas comme les humains. Nous sommes des erreurs de la nature, une engeance démoniaque. Nous n'avons pas le droit d'exister. Nous sommes des monstres. Nous sommes un danger pour les humains." Voilà ce que l'on m'avait inculqué durant toutes ces années, comment je me voyais. J'avais été traitée comme un monstre, comme un déchet qui était facilement sacrifiable. Seul l'utilité de mon pouvoir pour les Héritiers m'avait permis de rester en vie. En fait, le terme exact serait plus survivre. N'ayant plus rien à ajouter, je replongeai mon regard dans mon bol de chocolat, mes jambes ne cessant pas de se balancer d'avant en arrière.
Qu'allait penser le professeur Xavier après ce que je venais de répondre ? Cette question était-elle un test pour voir si je pouvais rester ici ? Et si je ne pouvais pas, où irais-je ? Je n'avais plus personne pour se soucier de moi. Dans un silence qui n'était pas habituel de ma part, j'attendis avec une certaine impatience visible, dans mes mouvements, la réaction de Charles Xavier.
Charles n'en montra rien, mais ce qu'il perçut dans l'esprit de Kitty le fit sourire intérieurement. Contrairement à d'autres soldats des Héritiers dont il avait sondé les pensées, elle ne plaçait pas ses bourreaux sur un piédestal. Elle ne pensait pas qu'ils avaient eu raison de lui faire subir tous ces sévices. Ils l'avaient brisée, mais ils ne l'avaient pas entièrement retournée pour qu'elle soit corps et âme acquise à leur cause. Elle avait en partie conscience que ce qu'ils avaient fait était mal. Il avait donc bon espoir de pouvoir l'aider à se défaire rapidement de son conditionnement.
Il y avait évidemment beaucoup de chemin à parcourir. Mais il pouvait l'aider à ouvrir les yeux, à acquérir une autre vision du monde, plus pacifiste, plus tolérante. Le fait qu'elle soit ouverte au dialogue, qu'elle parvienne à formuler son opinion sans trop de crainte de représailles, était déjà une excellente chose. Même si cette opinion n'était pas vraiment la sienne, mais celle que l'on avait inculquée de force dans un esprit fragile, en pleine construction identitaire.
Elle commença par affirmer que les mutants n'étaient pas comme les humains. Certes. Sur ce point il ne pouvait lui donner tort : humains et mutants partageaient beaucoup de similitudes, mais ils étaient différents. Il aurait pu argumenter que chaque individu était unique, mais ce n'était pas le propos. Les mutants étaient des erreurs de la nature. Une "engeance démoniaque". Ah, il s'y mêlait un aspect religieux extrémiste. Les mutants étaient des monstres qui n'avaient pas le droit d'exister. Un danger pour les humains. Elle lui offrait là beaucoup de matière à répondre.
« Je ne pense pas que la nature fasse des erreurs. La mutation est la clé de notre évolution. Toutes les espèces vivantes sont en constante évolution et subissent au fil du temps des transformations génétiques. Je ne vais pas te faire un cours détaillé de biologie dès ton premier jour, je ne suis pas si cruel, cependant tu dois savoir que l'homme n'est pas apparu magiquement sur la Terre ? Il est le fruit de nombreuses évolutions, des cyanobactéries aux insectes aux animaux puis, bien des millénaires plus tard, à l'homme. Ceux que nous appelons les "mutants" ne sont que le nouveau maillon de la chaîne naturelle de l'évolution. »
Il avait nettement résumé et vulgarisé le propos pour qu'elle soit en mesure de le comprendre, ne souhaitant pas non plus l'assommer de théories scientifiques, mais l'idée était là : l'émergence des mutants était un phénomène parfaitement naturel, résultant d'une mécanique en place depuis des milliards d'années. Pour marquer une pause dans son argumentaire, il goûta le chocolat chaud, du bout des lèvres, avant de préciser avec douceur et prévenance :
« Attention c'est brûlant. »
L'autre point important du discours de Kitty sur lequel il tenait absolument à répondre était la notion de dangerosité des mutants sur les humains. C'était une critique à laquelle il était régulièrement confronté. Mais pour lui, la prétendue dangerosité ne venait pas des pouvoirs en eux-mêmes, mais de ce que l'on en faisait. Il songea à faire l'analogie avec les chiens, qui n'étaient vraiment dangereux que si leurs maîtres les poussaient à l'être, mais s'il voulait que Kitty puisse se considérer comme un être humain normal, la comparaison avec des animaux n'était sans doute pas la plus pertinente. Il choisit donc une autre approche :
« Ma compagne est une mutante. Son pouvoir est de soigner les gens. Elle peut en quelques instants refermer des plaies ouvertes, faire disparaître des brûlures au troisième degré, guérir des blessures par balle. Sa mutation lui permet de sauver de nombreuses vies. Lors de leurs attentats sur New York, les Héritiers ont fait plus de quatre cents morts. Des mutants, des humains, des hommes et des femmes de tous âges et tous horizons, des vieillards et des enfants. Le danger ne vient pas de nos pouvoirs ou de nos capacités, mais de ce que l'on choisit d'en faire. »
L'objectif de cette comparaison était double : montrer que tous les mutants n'étaient pas nécessairement un danger, qu'au contraire leurs pouvoirs leur permettaient d'accomplir des choses extraordinaires ; et d'un autre côté, démontrer que des humains armés de mitraillettes et de mauvaises intentions pouvaient être bien plus dévastateurs et dangereux qu'un mutant en perte involontaire de contrôle. Tout en pointant du doigt, au passage, l'horreur des actions des Héritiers. Mais comme il était également important de distinguer Kitty de l'organisation terroriste qui l'avait manipulée, le professeur ajouta, en la fixant dans les yeux :
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