Elle entendait ce qu'il disait, mais… Elle interrompit d'elle-même sa faible protestation pour écouter ce qu'il avait à lui dire. Elle n'y répondit pas, probablement parce que ce qu'il disait était vrai et qu'elle n'avait donc aucune autre protestation à faire. Le professeur était doué pour cerner les gens, pour déceler leurs forces et leurs faiblesses, pour comprendre leurs luttes intérieures et ainsi tenter de les aider à les résoudre.
Il lui sourit de nouveau, d'un air entendu, lorsqu'elle expliqua avoir compris qu'il l'avait recherchée. Effectivement, il était derrière la rencontre entre Earwen et Ororo. Il ne l'avait pas explicitement annoncé, même s'il était simple de le deviner, mais il ne s'en cachait pas non plus. Il était même plutôt fier de lui sur ce coup-là.
« J'ai veillé sur toi de loin, je voulais m'assurer que tu ne courais aucun danger. Mais je ne voulais pas intervenir, par crainte d'influencer tes choix et tes décisions. »
C'était là l'un de ses grands principes, même s'il lui posait parfois problème : l'importance du libre-arbitre. Il voyait, il comprenait beaucoup de choses et avait techniquement le pouvoir d'intervenir sur beaucoup d'aspects, mais il ne le faisait pas - ou peu. Il ne voulait pas décider à la place des autres. Il tenait, dans la mesure du possible, à respecter les choix de ses proches, et à ne pas les influencer. Il pouvait cependant les conseiller, les amener à se poser les bonnes questions.
Ororo s'était-elle pardonnée à elle-même ? Il était évident que non, mais qu'elle était sur la bonne voie. Si elle commença par répondre qu'elle n'en savait rien, ses paroles laissèrent ensuite entendre qu'elle avait encore du chemin à faire mais qu'elle comptait bien tout faire pour y arriver. En l'entendant dire qu'elle voulait devenir quelqu'un sur qui l'on pouvait compter, Charles se pencha vers elle, posa sa main sur la sienne avec douceur et lui répondit avec conviction :
« Je n'ai aucun doute à ce sujet. Tu es encore jeune, je t'ai proposé un poste de professeur très tôt, mais c'est parce que j'ai su voir en toi ce que tu n'arrives pas encore à percevoir. Tu as toutes les qualités requises pour devenir une grande enseignante, un excellent guide pour tous ces enfants perdus. Il n'y a qu'à observer ta relation avec Earwen et les progrès qu'elle a pu faire depuis votre rencontre pour s'en rendre compte. »
Ne voulant pas non plus la gêner par trop de compliments, il retira ensuite sa main et se recala dans le fond de son fauteuil pour savourer son thé encore fumant. Lorsqu'il reprit la parole, c'était sur un ton bien plus léger, mais pour aborder toutefois un sujet important pour la suite :
« Raven a assuré tes cours théoriques durant ton absence, puisque l'histoire et la géographie sont souvent enseignées ensemble, mais avec sa grossesse je pense qu'elle serait heureuse d'avoir un peu moins de travail… Qu'en penses-tu ? »
Il a veillé sur toi. Cela possède une forte connotation pour toi. Il ne t’a pas oublié et a cherché à te protéger même si des kilomètres vous séparaient. C’est comme si tu avais toujours eu cette bonne étoile près de toi. Ce soutien silencieux et invisible que tu ne ressentais pas, mais qui te faisait tout de même du bien inconsciemment. Il ne voulait pas intervenir, te laisser le choix et ne pas influencer le chemin de ta vie. C’était sans aucun doute son crédo le plus fort, celui qui l’animait le plus. Il était un paradoxe : capable de manipuler une grande partie des personnes sur cette terre que ce soit seulement avec les prouesses de sa mutation qu’avec l’aide du Cerebro. Seulement, cela lui est tout bonnement inimaginable et le choix de chacun est pour lui une évidence si pure, si forte au développement de l’autre qu’elle doit être protégée et préservée. Que ce soit par ses propres actions que celle des autres. Tu t’es toujours demandé ce qui c’était passé dans sa vie, pour qu’il puisse faire preuve d’autant de sagesse par rapport à sa mutation. Tu ne connais pas son passé et tu ne feras pas la maladresse de lui poser la question, mais cela ne t’empêche pas d’être tout de même curieuse.
« Vous avez bien fait… Même si j’ai l’impression d’avoir fait beaucoup de mauvais choix, au moins cela me permet d’en tirer des leçons… Enfin, je l’espère en tout cas. »
Tu avais été hésitante envers lui comme envers tout le monde depuis un long moment déjà. Tu n'es pas sûr de toi et de tes choix. Tu n'es pas sûr d'avoir enterré la hache de guerre avec toi-même. Cette lutte antérieure qui te ronge petit à petit. Tu lui avais tout de même promis d'être une personne meilleure et une personne sur laquelle on pouvait compter. Il vient te prendre la main avec douceur. C'était surprenant. D’aussi longtemps que tu te souviennes, le professeur n'a jamais été très tactile avec toi. Cependant, tu ne rejettes pas ce geste et tu te contentes de l'écouter. Il a une pleine confiance en toi. Bien plus que toi-même. Être un guide pour ces enfants, être assez talentueuse et pédagogue pour leur apprendre et les aider à arpenter le chemin difficile de mutant et d'adolescent, toi qui es tout juste une jeune adulte. Earwen était une preuve flagrante de cette capacité que tu as à apporter conseil et apprentissage aux autres. Tu lui souris timidement et tu ne pouvais t'empêcher de rougir légèrement face à ses compliments. Il retire sa main de la tienne et continue à apprécier son thé.
« Merci professeur. Merci de voir toutes ses choses en moi. J’espère pouvoir les déceler aussi, un jour… »
La suite sera comme une libération pour toi. Il t'annonce que durant ton absence Raven a été obligé d'assurer les cours d'histoire et de géographie. Une tâche qui ne lui as sans doute pas posé de problèmes plus qu'outre mesure. Il est vrai que l'histoire et la géographie sont très souvent enseignées ensemble dans un cursus scolaire dit classique. Il arrive cependant, que par des pédagogies alternatives les deux matières soient dissociées pour permettre d'approfondir les bases de chacune. La change-forme est actuellement enceinte et cela la soulagerait beaucoup de se concentrer simplement sur sa matière de prédilection. C'est pour cela que le directeur de l'institut te propose de prendre la géographie. Ton cœur se serre… Tu as vu le bout du chemin. Tu vas pouvoir reprendre ta place parmi les tiens. Ne fait pas une crise de larme encore une fois Tornade. L'heure n'est plus au chagrin qu'il soit de tristesse ou de joie. L'heure est à l'avancer de ta carrière d'enseignante. Tu prends sur toi l'espace d'un instant, histoire de contenir l'émotion qui émane de toi. Une fois cela fait tu lui accordes ton plus beau sourire de satisfaction.
« Ce serait avec un grand plaisir que je pourrais enseigner dans ce manoir et un honneur. Je suis disposé à reprendre ce poste. Non. Plus que cela. Je le veux du plus profond de mon être ! »
Voilà donc le bout du tunnel. Tu dois tant de choses à cet homme. Il t'a toujours tendu la main lorsque cela était possible et il le fait à nouveau. Tu as réussi à ne pas craquer devant lui et tu estimes que c'est une bonne chose. Désormais, il va falloir se tourner vers des jours meilleurs. Des jours où ta combativité et ton abnégation seront mises à rude épreuve, il faut bien reprendre le rythme, mais des jours que tu acceptes avec joie.
Charles Xavier ne croyait pas vraiment au destin, et certainement pas en Dieu. Son esprit cartésien ne lui permettait pas d'envisager qu'une force invisible puisse guider sa vie et orienter ses choix. Et pourtant, il semblait que certaines choses devaient arriver. Ororo Munroe était avec lui dans ce futur alternatif dont lui avait parlé Logan. Elle était de nouveau avec lui, dans ce présent si différent, pour un nouveau départ.
Le professeur était un idéaliste. Il voulait croire en l'harmonie entre mutants et humains, il voulait croire en un avenir meilleur, il voulait croire, plus que tout, en la bonté naturelle de l'Homme. Il suffisait de le leur rappeler, de temps en temps, de leur faire voir toutes les qualités qu'il s'efforçait de voir en chacun, de les faire croire un peu en eux. Ororo avait beaucoup de qualités, mais aussi beaucoup de doutes. Elle avait besoin que l'on croie en elle, pour pouvoir à son tour se faire confiance. Charles lui offrait bien volontiers un peu de cette confiance dont elle avait cruellement besoin.
Lorsqu'il lui proposa ce qui pour lui était une évidence, la suite logique de son retour à l'Institut, à savoir reprendre son poste d'enseignante, il ne s'attendait pas à ce qu'elle en soit autant émue. Certes, elle tâcha de ne pas trop le montrer, mais l'empathie de Charles était presque aussi aiguisée que sa télépathie. Il ressentit la joie qu'elle éprouvait, l'espoir qu'elle plaçait dans cette reprise de sa vie après sa période à vide, la reconnaissance qu'elle lui témoignait. Il lui sourit à son tour et répondit simplement :
« Et bien c'est entendu ! Merci à toi, Ororo. »
Charles était un homme altruiste. Il consacrait sa vie aux autres, il employait sa fortune et ses dons, qu'ils soient naturels ou surnaturels, à faire le bien autour de lui. Il aimait que les autres voient en lui un homme sage et bon, un guide et un sauveur, une personne sur qui l'on pouvait compter. La confiance qu'Ororo plaçait en lui, la haute estime qu'elle avait de lui, le touchaient plus qu'il ne le montrait.
« Je suis certain que beaucoup ici seront ravis de ton retour. Mais si tu peux m'accorder encore quelques minutes, accepterais-tu de me parler un peu du Kenya ? Je n'ai eu de l'Afrique qu'un bref et douloureux aperçu du Caire, c'est pourtant un continent fascinant, regorgeant de cultures plus riches et passionnantes les unes que les autres. J'aimerais beaucoup que tu me fasses le récit de ton voyage. »
Ils partagèrent donc encore un moment tous les deux, non plus comme le directeur de l'Institut et la professeur de géographie, non plus comme le guide et la jeune femme perdue, mais comme un philanthrope toujours passionné par les récits d'expériences humaines et une aventurière qui avait beaucoup à lui raconter.
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