[Terminé] Pharmakos

Même si elle est probablement plus ancienne encore, l’existence de pharmakos est attestée dès le IIe millénaire avant Jésus-Christ en Anatolie et en Asie Mineure. Comme beaucoup d’autres choses, le mot est d’origine grecque. Dans cette société antique, il s’agissait de mettre à mort ou d’abandonner une personne ou un animal préalablement choisi et trainé hors de la cité. Dans la société hébraïque de la même époque, soit le Ier millénaire avant J-C, il s’agit du bouc pour Azazel. On le connait bien mieux, désormais, comme le bouc émissaire. Le concept et les pratiques qui y sont associées ont engendré des travaux d’anthropologie, de psychologie sociale et de sociologie des organisations que je ne puis considérer brièvement. Les rites d’expiation sont possiblement aussi anciens que les communautés humaines. Il faut dire qu’ils sont pratiques : plutôt que de chercher la solution à un problème, il s’agit d’en rejeter la faute sur un coupable.

Je ne peux pas dire que j’ai été déçue, ni même surprise, lorsque j’ai constaté la recherche d’un bouc émissaire entre la SHIELD et les X-Men suite aux attentats des Héritiers. Considéré que l’autre a merdé permet d’être soi-même irréprochable et de ne pas se remettre en question ; ou de donner cette impression.
Les X-Men ont merdé à partir du moment où une église connue pour abriter des mutants a été attaquée et qu’ils n’ont même pas fait l’effort de mener l’enquête ; ou de proposer leurs services aux agents du SHIELD qui étaient sur l’affaire.
La SHIELD a merdé à partir du moment où elle a refusé d’employer la super-milice qu’elle a elle-même contribué à reformer dans un problème qui relevait de sa spécialisation.
Les X-Men peuvent se satisfaire du fait qu’on n’a pas fait appel à eux et se cacher derrière les ordres reçus pour garder leur crédibilité.
La SHIELD peut se satisfaire de la réussite de ses agents sur le terrain à éliminer les méchants et sauver une vie symbolique pour garder leur crédibilité.
Si les X-Men m’ont pas levé le petit doigt alors que des mutants étaient massacrés, c’est car la SHIELD le leur a demandé. Ils sont donc blancs comme neige.
Si la SHIELD n’a pas eu besoin de l’aide du groupe qu’elle a formé pour ça, c’est pour quoi ? La stupidité de Maria Hill et de Nick Fury ? Si oui, qu’ils assument leurs responsabilités et démissionnent. D’autres attendent leurs places. Si non, quelle est leur excuse ? Qui est leur bouc émissaire ? Les X-Men, surement, car ils ne sont pas dignes de confiance pour des opérations comme celles-ci ; malgré les résultats du Supgen.

La prochaine fois que les X-Men voudront intervenir, ce qui ne saurait tarder, accepteront-ils réellement que la SHIELD leur dise non ?
La prochaine fois que la SHIELD a besoin des X-Men, ce qui ne saurait tarder, préfèrera-t-elle s’en remettre à sa fierté ?

Hypocrites.

La première étape pour apprendre d’une erreur est de reconnaitre qu’on l’a faite.

Reconstituer les X-Men était une erreur. La plupart des membres du groupe sont des enfants qui ont été embarqués dans une intervention sans formation, par la force des événements, et s’en sont sortis. Le reste sont des vétérans de quelques opérations qui auraient bien plus à apporter aux Avengers qu’à des enfants-soldats. Mes considérations sur les causes de la reformation des X-Men sont dans mon évaluation psychologique et sont encore renforcées par le manque de confiance précédent : manipulation mentale de la direction de la SHIELD pour ne pas avoir les mêmes contraintes que les Avengers. Cela explique, en partie, la défiance de Hill face à son propre projet. Pour une personne sensée être d’une efficacité sans faille, la Directrice Adjointe fait beaucoup d’erreurs. Quant à l’Homme le plus Paranoïaque du Monde, il se fait vieux. Romanoff était mieux.

Ne pas utiliser les X-Men était une erreur également. Une erreur qui a commencé à être rectifiée lorsqu’il a fallu employer l’arme de destruction massive qu’est Charles Xavier pour arracher les secrets de Joshua Jenkins. Une erreur qui laissera des amertumes des deux côtés, X-Men comme SHIELD, et qui mérite qu’on s’y penche. Je ne compte sur aucun des chefs d’organisation pour le faire, puisqu’ils ont trouvé leurs boucs émissaires.

Tant pis si cela amène à de nouveaux morts, surement. L’image de marque est plus importante que l’efficacité.

Les baies vitrées de mon appartement me permettent de voir Manhattan depuis l’East River, au sud, jusqu’à Harlem, au nord, avec Central Park, l’ouest de la ville et l’Etat du New Jersey entre les deux. Tout comme les organisations et les puissants de ce monde, la vue devant moi n’a rien perdu, ou gagné, face aux pertes subies lors des attentats. Son apparence est sauve, tout comme les leurs le seront rapidement ; pour peu qu’elles ne le soient pas déjà. Quid de la prochaine fois ?

Je soupire en délaissant du regard la ville qui ne dort jamais pour mon reflet dans l’écran noir de mon téléphone. Il s’illumine et je disparais.

Là où la science forensique sert au travail d’investigation au sens large, l’ingénierie forensique a pour but d’anticiper les défaillances et d’améliorer les performances. J’ai été amenée à la travailler du fait de mes investissements en ingénierie des systèmes et des matériaux, afin de faire des autoévaluations et des améliorations sur mes créations. Dans une moindre mesure, elle m’est également utile dans le cadre de l’Index. Trouver des contremesures pour les surhumains. Beaucoup plus rarement trouver comment améliorer leurs capacités ; cela rendrait les contremesures plus difficiles à mettre en place. Et pour nos propres agents ? Même raisonnement, sauf exception. Logique.

Je compose un numéro.

Je prends mon appareil à deux mains, pour que mes pouces aillent sur le clavier tactile.

Je tape le message.

Je regarde mon reflet dans la baie vitrée en face de moi.

Je regarde New York, derrière lui.

A cette distance, je ne peux même pas voir ses habitants.

Je considère le fait que mes mots sont codés en binaire et qu’ils vont être transformés en onde. Des ondes qui vont partir de mon appareil jusqu’à une tour relai qui les renverra à un satellite qui en fera de même vers une autre tour relai et un autre appareil, quasiment n’importe où sur le monde et à une vitesse qui me semblera instantanée. Combien de personnes sont capables de se rendre compte à quel point cette simple action est proprement magique au regard de l’Histoire ?

J’appuie sur "envoyer".

●●●●● 4G

08:56PM

92%

Mystique

Bonjour mademoiselle Darkhölme, ici l’agent Orchent de la SHIELD.

Je vous contacte pour savoir si vous êtes satisfaite du bouc émissaire quant au dysfonctionnement de nos organisations. Sachez que, si tel n’est pas le cas, je suis disposée à vos rencontrer pour chercher une solution.

Choisissez un lieu neutre, s’il vous plait.

Respectueusement,

Message

●●●●● 4G

09:01PM

92%

Mystique

Bonjour mademoiselle Darkhölme, ici l’agent Orchent de la SHIELD.

Je vous contacte pour savoir si vous êtes satisfaite du bouc émissaire quant au dysfonctionnement de nos organisations. Sachez que, si tel n’est pas le cas, je suis disposée à vos rencontrer pour chercher une solution.

Choisissez un lieu neutre, s’il vous plait.

Respectueusement,

22h15. MacLaren's. N-Y.

Reçu.

Message

Si la concision de la réponse prête à sourire, je suis perplexe quand au point de rendez-vous. Chez MacLaren… J’ai des connaissances superficielles du groupe britannique et de ses entreprises spécialisées dans les techniques de pointe ; principalement liées à McLaren Electronic Systems et McLaren Applied Technologies. Chose qui me fait réaliser qu’il y a une différence d’orthographe. Une saisie sur moteur de recherche suffit à le confirmer et une autre sur un GPS me permet de trouver un bar nommé le MacLaren’s sur la W 55th St. Considérant la position du One Beacon Court sur l’E 58th St, c’est relativement proche d’ici. Quinze à vingt minutes de voiture, vingt à vingt-cinq à pied et une dizaine en vélo. Plus important encore, est-ce qu’il faut que je comprenne là une connaissance de mon lieu de vie ?

Même si j’estime mon appartement plus dur d’accès que l’Institut, cela ne me surprendrait pas que Mystique ait suffisamment espionné et hacké pour en découvrir l’existence. D’une certaine façon, cela me rassure : la rencontrer sera un moins grand sacrifice de mon intimité que je l’anticipais. Par contre, il faudra être d’autant plus clair sur les possibilités de destruction mutuelle. Tout comme elle peut me détruire, je peux la détruire. De plus, mon trouble m’avantage face à elle : mon isolement induit que mes proches seront moins éclaboussés. Les siens, en revanche… tant de mensonges et de secrets. Tant à perdre. Cela fait presqu’envie… mais gardons les contremesures pour si elles sont nécessaires. Se déféquer dessus avec cordialité ne comptant bien évidemment pas.

Je minimise la fenêtre de messagerie textuelle pour ouvrir celle des contacts. Du doigt, je fais glisser jusqu’au numéro de mon appartement puis le sélectionne pour un appel vocal.

« Oui madame, m’interroge Louis, responsable du jour du téléphone et l’un des deux membres du personnel de maison affecté à mon appartement aujourd’hui.

- Trouvez-moi un vélo pour lorsque j’aurai fini de me préparer, lui dis-je sans cérémonie. Je sors ce soir.

- Bien madame. »

Il n’y a pas tellement d’autre réponse à me donner. Quant à l’horaire, il n’a pas à en savoir plus. "Au plus vite" est un résumé suffisant. Est-ce que je me suis maquillée avant même d’envoyer mon sms ? Cela aurait pu. Cela n’est pas le cas, cependant. Je ne suis pas plus exigeante qu’il ne faut envers le personnel du OBC. Louis doit déjà être en train de passer des coups de fils pour voir si le condominium possède des vélos de location au sein des services au pied de la tour, ce qui est probable, ou s’il faut faire intervenir un extérieur. Les démarches ne me regardent pas, le délai oui. Mon rendez-vous est pour 10:15P.M. et j’y serais au plus tard pour 09:45P.M., ce qui me laisse 40 minutes dont 10 de transport. 30 minutes. Largement plus que le nécessaire mais je vais tout de même en prendre une dizaine également.

Le maquillage est simple : gloss pour mettre en valeur les lèvres étroites, mascara et eyeliner pour mettre en valeur les yeux d’un vert d’eau cristallin. Je laisse de côté le fond de teint pour que les taches de rousseur clairsement mes joues, soulignant encore mon regard. Pour les cheveux, le classique chignon bas réunit la majorité de ma rousseur fantomatique mais s’en échappe les mèches de frange, que je lisse et coince plusieurs fois derrière mes oreilles pour qu’elles gardent cette forme. Avec elles pour encadrer mon visage, il semblera moins sévère. Pour les boucles d’oreilles, je reste à la simplicité de discrets diamants de synthèse. Mon t-shirt rouge à manches longues et mon jeans bleu accompagnent déjà les couleurs de mes cheveux et de mes yeux. Il n’y a plus qu’à récupérer et équiper un sac à main se portant en bandoulière et un manteau du même noir que son cuir pour être fin prête.

Quelques minutes à attendre devant la sortie afin que Louis ait l’impression d’avoir réussi sa mission puis je quitte mon appartement. Je ferme ma porte à clef malgré les accès secondaires puis adresse un regard à la caméra de sécurité du hall avant de me diriger vers l’un des ascenseurs. L’attente est courte et le groom me salut, chose à laquelle je lui réponds de la tête avant d’énoncer le rez-de-chaussée et un "s’il-vous-plait" aussi poli qu’ironique. Il ne lui plait pas, il s’en fout, et il n’est pas à la bonne place pour avoir les meilleurs pourboires. Ce doit être un nouveau. C’est toujours les nouveaux qu’ils collent aux ascenseurs. Il faut dire qu’il s’agit de la position la plus ennuyante. En plus d’être celle où l’on a le moins d’extra.

Arrivée au premier étage, je quitte la cage d’ascenseur avec un nouveau signe de la tête. Je m’en vais droit vers les doubles portes vitrées et automatiques de la sortie, où doit m’attendre un autre membre du personnel avec mon dû. C’est le cas et je salue l’inconnu sans faire attention à son pins nominatif. Lui connait mon visage, c’est suffisant. Connaitre les visages de tous les résidents du One Beacon Court est un critère pour passer des ascenseurs aux services secondaires. Seuls les meilleurs auront le droit d’accéder aux appartements et de servir directement leurs propriétaires. Un honneur à double tranchant mais qui paie bien. Beaucoup des employés sont jeunes, cherchant à rembourser le prêt de leurs études et à se faire suffisamment d’argent pour profiter de leur jeunesse. Lorsque le pourboire est un billet de $100, travailler une ou deux journées dans la semaine est fort rentable. Après, les pourboires dépendent des personnes croisées et tout le monde n’est pas aussi généreux que moi ; ou me croise autant que mon personnel de maison. L’adolescent qui me délaisse mon vélo est émerveillé par l’argent et je le laisse ainsi.

Un dernier coup d’œil à mon téléphone me permet de mémoriser que je dois simplement descendre jusqu’à la E 55th St avant de la suivre jusqu’à sa partie ouest. Un bon gros L et un peu plus d’un mile dans la circulation newyorkaise. La 55th est un sens unique dans celui qui m’arrange, une deux voies où il me faudra respecter les feux de circulation pour des raisons évidentes qui semblent pourtant échapper à beaucoup de concitoyens. Des restes de sélection naturelle, dira-t-on.

J’arrive au MacLaren’s à 09:36P.M. et attache mon vélo à l’aide de l’anti-vol accroché à son cadre comme de la méthode newyorkaise ; c’est-à-dire n’importe où. Lorsque je regarde avec plus d’insistance le lieu choisi, je pousse un lourd soupir nasal. Au moins, cela ne sera pas cher. Avant de pousser la porte, cependant, je m’arrête pour envisager la possibilité d’allumer une cigarette. Outre la dépendance, je prends en considération les pics plasmatiques de nicotines ; environ neuf minutes pour la cigarette et dix-neuf pour l’inhalateur, du fait de mon métabolisme. J’ajoute à cela le fait que Raven Darkhölme est enceinte et que la seule odeur qui m’est habituelle pourrait l’inquiéter pour le développement de sa progéniture. Je soupire et tends ma main vers la porte.

Porte latérale, avec en flanc de salle le comptoir et le reste occupé de tables aux canapés dos à dos par mobilier décoratif interposé. J’ai l’impression de me retrouver dans une sitcom des années 2010. Le genre que Marial Hill doit regarder en secret pour essayer d’oublier qu’elle a 37 ans et aucune autre famille que son boulot. Ceci n’était pas un reproche : si je comprends la référence, c’est que je l’ai vue également. Mon personnel de maison profite régulièrement de ma salle multimédia. Quand je n’ai rien à leur demander, ce qui compose 90% du temps, je les laisse relativement tranquille. Chacun combat la solitude comme il peut… en espérant que certains réussissent mieux que moi. Présentement, je contemple une clientèle de jeunes adultes et de trentenaires. Certains en sont à leurs études ou leurs premiers emplois, d’autres en sont à se rappeler lorsque c’était le cas avant que les responsabilités n’arrivent ; carrières, mariage, enfants, parfois tout à la fois. J’ai fait mon choix.

Je l’assumerais ce soir comme les autres, ayant une rencontre à mener.

Histoire de m’y préparer, je me dirige vers le comptoir afin de m’échauffer socialement avec le barman ; lequel est par profession aussi sociable qu’échauffé. Rapporter la conversation n’aurait pas le moindre intérêt, la problématique étant la fidélisation de la clientèle avec pour différentes parties la découverte de la nouveauté, la sympathie à l’égard des activités, le commentaire forcément positifs sur les goûts et les couleurs ainsi que les mérites de l’établissement. Je me prête au jeu que j’ai déclenché. Je fais même du mystère lorsque, dix minutes avant l’horaire prévu, je sors un inhalateur pharmaceutique de nicotine tout en lui demandant si je dois aller en extérieur ; après tout, je ne fume pas vraiment, si ? Ça ne prend que quelques secondes, je suis du genre à inhaler profondément et non à prendre de petites bouffées. C’est bien d’essayer d’arrêter de fumer, me dit-il. Il me fait rire. Je n’essaie pas. Cela ajoute au mystère. Le professionnel n’est pas le seul à s’y aventurer : assise de biais à son bar, j’ai le loisir d’observer la salle. D’échanger des regards. D’envoyer quelques verres et d’en recevoir. Certaines places sont stratégiques, tout comme mon intérêt. Pour ceux qui s’approchent, j’attends une amie mais peut-être après. Deux petits mensonges ne font pas de mal dans le grand jeu. Plus j’attire de regards, plus les possibilités d’usage de pouvoirs mutants sont diminuées.

Serais-je capable de reconnaitre Raven Darkhölme ? Pas si elle ne le veut pas. Les probabilités vont à ce qu’elle le veuille, néanmoins. Je connais ses deux visages principaux via l’Index. Dans l’autre cas, je suppose aussi qu’il y a quelque chose qu’elle ne peut pas changer : sa grossesse. Des femmes enceintes seules dans un bar comme celui-ci, il ne doit pas y en avoir beaucoup. J’aimerai éviter de prendre le risque de me tromper, cependant.

Une demi-douzaine de minutes avant l’heure fatidique, une motarde fait son entrée et se grave dans ma mémoire. Son tour de taille disproportionné par rapport au reste de sa répartition graisseuse lui vaut ma pleine attention. Ses vêtements sont couvrants, indiscutablement, mais gardent sa morphologie globale. La confirmation n’arrive que lorsqu’elle retire son casque, néanmoins, dévoilant un visage connu. Le casque va sur la table, la veste de cuir s’ouvre sur un pull à col bateau qui dévoile rapidement ses épaules. Elle avait les gants, elle. Son maquillage a pour but d’être naturel mais je n’ai pas besoin de m’approcher pour savoir qu’elle mise sur trois points. Ses cheveux d’abord, dont les couleurs me semblent comprendre du blond, du roux et du brun ; tant dans les reflets que dans les mèches et les racines. Ses lèvres ensuite, rosées à souhait. Ses yeux enfin, d’un bleu incomparable qui me donne encore plus envie de m’approcher pour voir jusqu’où peut aller l’hypnotisme. Sans avoir à me plaindre, je ne peux gagner face à une métamorphe sur le plan physique. On ne joue pas selon les mêmes règles niveau morphologie. Apparence.

Vous me faites penser à une pieuvre, mademoiselle Darkhölme. Ce qui est un compliment : l’animal est aussi intelligent qu’habile et peut, à votre instar, s’altérer pour imiter ce qu’il désire. Tout comme vous, il aura tôt fait de fuir en me jetant du liquide à la figure également. C’est un scénario possible. Tout comme celui que vous jouiez de mes traumatismes lorsque vous les aurez compris.

Je détourne mon regard de vous lorsque le serveur vous rejoint et regarde les miroirs de la salle. Ils sont l’ombre d’un tesseract, d’un vrai tesseract et non du Cube Cosmique ayant contenu la Pierre d’Infinité du Temps. Ils sont des représentations de cette pièce à un moment donné qui nous parait être le présent mais qui ne l’est pas, puisque la lumière n’est pas instantanée et qu’elle doit faire l’aller-retour entre eux et l’objet qu’ils réfléchissent ainsi qu’entre eux et notre œil. Les miroirs sont la plus belle représentation du temps ; pour moi. Et j’imagine à travers leurs regards ce qui va s’écouler entre nous. Combien de futurs possibles seront constructifs ? Combien se termineront mal ? Quel est le ratio entre ces deux extrêmes volontairement simplifiés.

Regarder un miroir, c’est regarder le passé en espérant connaitre le futur ; ce que les autres verront.

Qu’allez-vous voir ? Que serez-vous capable de voir ? Passé et avenir.

Il est temps de passer à autre chose que du jus d’orange.

Je commande un café, à faire livrer à la table de la jolie nouvelle arrivante. Ensuite, je vais faire un tour aux toilettes. Lorsque vient le temps de me laver les mains, je regarde mon passé immédiat dans le miroir. Un instant, je m’imagine lui donnant un grand coup de boule au point de rompre sa surface comme la mienne et de regarder mes reflets sanglants dans sa toile de fragments. Celui d’après, j’inspire. Puis m’en vais me sécher les mains. La réaction d’alarme face au stress est passée.

A chaque pas dans la salle principale, les taux de cortisol et de nicotine montent dans mon cerveau. La phase de résistance est synchrone avec l’augmentation de la pression artérielle et les deux augmentations de fréquence cardiaque sont synchrones. On est un peu en avance sur ce que j’avais prévu mais ce n’est pas bien grave.

Une main sur la hanche et un sourire aux lèvres, je m’en viens jusqu’à la table de Raven Darkhölme. Je sais qu’on peut me trouver magnétique et que je suis altière. Je tâche de jouer au mieux de cela, tout comme d’abaisser le visage pour diminuer la marque de mon menton. Un geste rendu logique par le fait que, bien que légèrement plus grande que moi, mon interlocutrice est assise.

« Mademoiselle Darkhölme, bonsoir, salue-je et vérifie-je tout à la fois sans chercher à cacher mon appréhension ; un sentiment qui ne fait que croitre à la confirmation. Je me permets ? »

Répondre à la négative et aller directement au conflit serait contreproductif de sa part ainsi la question est parfaitement rhétorique, même si elle n’est pas énoncée comme telle. Je m’assois et me déleste de mon sac à main comme de ma veste, laquelle me sert de dossier. Finalement, je me penche en avant et croise les doigts de mes deux mains en un petit rempart malaisé sur la table devant moi.

« Est-ce que vous auriez préféré que ce soit Clint en face de vous, demande-je en misant sur le plus héroïque des agents du SHIELD comme diplomate malgré son caractère ainsi qu’afin d’amener une considération personnelle. Moi, oui. Clairement. Je ne suis pas à l’aise avec le fait que vous puissiez prendre mon apparence, très franchement. »

Je n’ai pas honte de cela et ne vais pas essayer de le cacher. C’est plus utile ainsi. Se faire passer pour un officier des forces de l’ordre correspond à 3 ans d’enfermement… sauf qu’aucun humain ne peut le faire comme Mystique en est capable. L’a-t-elle déjà fait ? Très probablement. Serait-elle condamnée ? Peu probablement. Puis-je utiliser malgré tout cela pour assurer la destruction mutuelle ? Probablement. Reste que je ne vais pas le dévoiler de but en blanc.

« Après, je suppose que je ne peux rien faire pour vous en empêcher. Tout comme j’espère que vous ne le ferez jamais. »

Je suis lucide sur ces deux points. Cordiale, également : ils viennent du cœur. Tout comme la fascination que me provoquent ses yeux hypnotiques de pureté. J’ose à peine imaginer ce que cela aurait été si j’avais encore l’entièreté de ma capacité à ressentir.

« La confiance, pensez-vous que cela soit l’un des problèmes entre nos organisations ? »

Est-ce que j’ai envie de lui crever les yeux alors qu’elle me détaille ? Oui. Question de prudence. Heureusement, mes envies sont secondaires. J’ai déjà anticipé dans ma présentation de faire part de la crainte causée par sa capacité à, plutôt que me lire comme n’importe qui, m’imiter. Nous en sommes à la politesse et celle-ci va même jusqu’à m’accorder un peu plus de place par décalage de ses affaires sur le plan de travail se devant d’être neutre entre nous. Était-ce prévu ? Est-ce sincère ? L’un n’empêche pas l’autre même si la variable est importante. Je ne pense pas gagner aux illusions avec une métamorphe. Je vais tâcher de jouer à la synergologie néanmoins. Première arrivée, première servie ; ou installée, dans le cas présent. Les chaises ne me gênent nullement, pour ne pas dire que je les préfère. Plus mobiles et donc moins restrictives que la banquette coincée derrière la table.

« Prendre l’apparence de quelqu’un n’est pas un jeu pour moi contrairement à ce que peuvent penser le commun des mortels. »

Je vous fixe. Je m’abstiens de répondre à l’insinuation insultante que j’appartienne au commun des mortels. Je m’abstiens également de souligner qu’il n’est pas question de jouer avec mon apparence, même si je suppose à présent que cela puisse l’être pour vous, mais bien d’espionnage, d’usurpation d’identité, de se faire passer pour un agent des forces de l’ordre et, avec un bon procureur ou un bon avocat, de la haute trahison. Sachant que Darkhölme est mutante et sans rajouter son passif, n’importe quel jury de citoyens responsables non contrôlés télépathiquement irait pour la culpabilité assez rapidement.

« Enfin. Cela dépend. »

Je maintiens mon expression malaisée. Elle est réelle, d’une part, mais pas aussi importante que ce que je montre. Intellectuellement, je dois avouer trouver fascinant cet instinct d’appuyer sur la peur des pouvoirs. C’est toujours une brillante idée pour essayer de convaincre quelqu’un que les mutants ne sont pas un danger. Non seulement le sont-ils mais même leurs icones sont satisfaites de ce fait. Les plus grands adversaires à l’acceptation des mutants sont les mutants eux-mêmes. Dans ce paradigme, je pense sincèrement que les Héritiers ont fait plus de bien à la communauté mutante que l’Institut : suite aux attentats, les mutants sont des victimes qu’il faut aider. Pas des dangers qu’il faut éduquer dans des instituts spécialisés pour éviter qu’ils soient des bombes à retardement.

Comme pour la crainte de ses pouvoirs, Raven Darkhölme s’engouffre dans la perche tendue vis-à-vis de Clint Barton. Evidemment, elle ne le fait pas pour chercher à rassurer mais pour assoir sa domination. Heureusement que je n’ai besoin de personne pour savoir ce que je vaux. Cela étant, lui souhaiter bonne chance pour discuter des affaires entre le SHIELD et les X-Men avec un Avenger me semble contre-productif ; même si je rêverais que l’agent Barton offre au SHIELD le même accès à l’Institut qu’il l’a fait à l’Avengers Facility. Pouvoir entrainer nos agents dotés de pouvoirs mutants dans une institution flambant neuve destinée à cela serait idéal. Cela étant, j’anticipe que l’aspect "communauté mutante" passe après la profession, preuve du fragile sentiment d’appartenance et d’un possible mécanisme d’exclusion plutôt que d’inclusion.

Je sais très bien toute la confiance que mademoiselle Darkhölme porte pour le SHIELD.

« Et si Charles n’était pas aux commandes, de mon point de vue, jamais je n’aurai signé un accord avec vous. »

Ainsi donc est-ce Charles Xavier qu’il aurait fallu inviter pour discuter de l’avenir des X-Men, de préférence face à Clint Barton qui est un homme de terrain, sage et réfléchi. Dommage, on doit se contenter des seconds couteaux que Raven et moi sommes. Est-ce là la source du besoin de domination de madame Darkhölme ? La conscience que, comme son apparence actuelle, il s’agit d’une illusion ?

Soutenir n’importe quel regard est aisé. C’est comme un uppercut, il faut viser le nez. Les yeux de Darkhölme sont d’un magnifique exagéré, factice, et toute la pression qu’elle met sur moi, je la vis ainsi. Exagérée et factice. Elle a besoin d’être intimidante car elle n’a que cela, là où je lui montre des faiblesses en sachant qu’elle ne pourra pas les exploiter au-delà de ce que je lui permets. Qu’elle ne les utilise pas pour créer une relation saine entre nous est une perte pour elle, pas pour moi.

« Je considère également que la reformation des X-Men était une erreur, réponds-je après une hésitation, plus par intimidation que réel souci d’avoir le même diagnostique que la partie adverse pour des raisons différentes. Tout le monde aurait gagné à ce que vos membres volontaires intègrent les Avengers. Ceux-ci auraient eu du sang neuf mais expérimenté pour regarnir leurs rangs. La communauté mutante aurait eu des héros médiatiques pour montrer que les mutants ne sont pas des gens à craindre mais qu’ils peuvent utiliser leurs pouvoirs pour le Bien. L’Institut serait resté secret et protégé des ennemis que ne manqueront pas de se faire les X-Men. Le SHIELD n’aurait eu qu’un seul interlocuteur capable de gérer tous les problèmes. »

Je soulève mes pouces de mon petit rempart toujours aussi significatif de mon malaise envers vous, lequel ne s’est pourtant pas rapproché malgré vos paroles. Vous êtes habituée à lire les gens, Darkhölme, maintenant reste à l’utiliser. Faire peur, c’est bien, mais à quelle fin ? La peur et l’amour sont des moyens, non des fins. Sinon, c’est sous-efficace. Stupide.

« N’ayant pas connaissance des négociations entre les dirigeants des X-Men et ceux du SHIELD, continus-je posément, rabaissant mes pouces pour les appuyer l’un contre l’autre, je respecte votre décision. Ce qui me pose problème, c’est notre incapacité à travailler ensemble en temps de crise. »

On ne refonde pas une unité spécialisée dans les mutants et les anti-mutants pour ne pas les déployer lorsque leur domaine de compétence est requis. Certes, les raisons de refondation sont plus que suspectes et la majeure partie des éléments de l’unité sont des enfants toujours à l’école. Cependant, ces considérations étaient à prendre en compte avant qu’il y ait des morts. Civils comme du SHIELD. Est-ce que les X-Men auraient eu des morts lors de l’assaut du bunker ? Possible. Tout comme les morts parmi les agents du SHIELD ne les concernent pas, les morts parmi les X-Men ne nous auraient pas concerné. A chacun d’entrainer ses membres pour accomplir ses missions et d’assumer lorsque ce n’est pas suffisamment fait. Comme on dit dans toutes les armées du monde "entrainement difficile, guerre facile". Préférer être humain qu’exigeant en essayant de préparer à faire face à des situations exigeantes et inhumaines, c’est préparer à la catastrophe. Pour les personnes envers qui on voulait être humain.

« Vous savez qui je suis, vous savez ce que je fais, bluffe-je pour vérifier les connaissances de Darkhölme quand à ma vie professionnelle, donc son espionnage des hauts échelons du SHIELD, en plus de la personnelle. J’espère que nous trouverons en l’autre une interlocutrice adéquate afin d’améliorer les choses. »

Nous pensons chacune que l’organisation de l’autre ne devrait pas exister. Cela peut sembler contre-productif pour essayer d’améliorer leurs relations. Cependant, c’est justement l’inverse. Si des partis aussi opposés parviennent à se mettre d’accord, de réels progrès peuvent être faits. J’admets sans peine que c’est un très gros "si".

« Avant de traiter du manque de confiance, j’aimerai connaitre vos griefs contre le SHIELD, dis-je en cassant le rempart manuel pour apposer mes mains à plat sur la table. Ils offriront des pistes d’amélioration, j’en suis certaine. »

Votre intérêt s’accroit. Vous le marquez en vous penchant en avant tandis que les appuis des coudes témoignent de votre considération, consciente ou inconsciente, du fait que l’intérêt va durer dans le temps. Reste à voir à quelle proximité de votre bouche se trouveront vos mains et quelles seront les positions de vos doigts. Je suis familière des travaux de Joseph Messinger sur la communication non-verbale et l’interprétation des gestes ; que je nomme, par abus de langage puisque le psychologue n’utilise pas lui-même ce terme, synergologie. C’est plus simple que de parler d’interdisciplinarité psycho-éthologique bénéficiant d’apports anthropologiques, sociologiques et neuroscientifiques. Illusoire de croire qu’un étalage de connaissances sera rassurant, cependant. Qu’on se passe réciproquement au fil du scalpel n’est pas gênant. Contrairement à ce que vous pourriez faire de ce que vous retenez de moi. Mon apparence, en premier lieu.

La distraction que représente l’arrivée du serveur et la livraison de nos boissons, ainsi que de vos biscuits, n’obtient qu’un silence et un bref regard de ma part. Un témoin de plus. Un pion de plus. Tenant son rôle. J’ignore si vos remerciements sont hypocrites. Les miens sont à double sens. Cependant, je tâche de ne pas feindre autre chose que le malaise réel ; voilà qui créera de l’intérêt, en plus de dissimuler mes capacités d’imitation. J’ai construit un personnage jusqu’ici, je le déconstruis à présent pour être plus sincère envers vous et cela crée de l’attention envers la discontinuité. Peut-être même de l’inquiétude. Un outil. Une sécurité.

Je suis docteure en ingénierie. Je construis des choses. Cette situation n’est pas différente.

Le brusque de votre geste est-il fait exprès ? Fait-il parti de votre rôle d’exploitation de la peur ? Une vérification d’à quel point je suis tendue ? Si tel est le cas, vous pouvez vous rassurer : je ne sursaute pas. Je ne me tends pas plus que je ne le suis déjà. Mes yeux s’immobilisent un instant sur votre main puis votre paquet de biscuits lorsque vous le poussez vers moi. Offrande. Considération en cours. Considération terminée.

Je tends un main, la droite, pour pincer de l’index et du pouce une boule chocolatée. Après l’avoir ressortie du paquet, je tourne ma main pour considérer la boule. Je relève ensuite mes yeux vers les vôtres. Un acquiescement doux, faible d’amplitude, puis je mange le présent. Le pas en avant est accepté. Est-ce une manière de vous excusez d’ainsi vous satisfaire de la peur ? Ou est-ce une habitude à souffler le chaud et le froid pour essayer de contrôler les émotions de votre interlocuteur ? La réalité est entre ces deux hypothèses et plusieurs autres, à n’en pas douter. Malheureusement pour vous, les émotions ne sont plus mon fort. D’où le besoin d’en rajouter avec le malaise, réel mais pas de cette amplitude, et la facilité à le diminuer légèrement conséquemment à votre cadeau.

Vous n’avez jamais dit que reformer les X-Men était une erreur. Parallèlement, intégrer les Avengers est une simple question de limitation cognitive. "Mais cela voudrait dire une médiatisation", en effet. Cela voudrait dire répondre aux besoins de représentation de la communauté mutante. Je conviens que ce n’est pas ce que souhaite "la plupart" et c’est bien pour cela que j’ai parlé de "volontaires". Reste à savoir ce que vous souhaitez vous : comme vous dites, vous pouvez changer de visage. Avoir votre forme bleue en tant que la célèbre Mystique, héroïne mutante du siècle dernier venue représenter le bien et la bonne volonté des Mutants au siècle actuel ne pénaliserait en rien votre forme illusoire actuelle. Si jamais quiconque d’indésirable venait à faire le rapprochement, il suffirait de changer.

« D’où l’importance du volontariat, précise-je simplement. Il n’est pas question de forcer mais d’inviter et d’accepter. »

Nous ne sommes pas télépathes. Manipuler les consciences et forcer les choix n’est pas notre mode opératoire ; ni même l’une de nos tentatives, sans quoi la SHIELD aurait meilleure réputation qu’il n’a. Nonobstant cette considération, la suite de vos paroles m’amène à croiser les doigts. Mes mains ne sont cependant pas contre le plan de travail cette fois, elles sont légèrement relevées par effet levier de mes avant-bras. Non-plus de rempart mais une version polie, puisque les coudes ne sont pas sur la table, de votre propre geste.

Que vous n’étiez pas au cœur des négociations amènent à nouveau une déconsidération de votre position. J’en serais presque à revenir sur le fait que nous ne sommes que des seconds couteaux, peut-être en y ajoutant une pointe d’un patriarcat qui était normé dans les années 80. Parallèlement, les considérations quand au secret organisationnel ne m’amènent à aucune réaction. Elles effacent même la concentration que j’ai eu quant à votre mise à l’écart.

« La réponse à votre question concernant notre incapacité à travailler ensemble… Quant à elle… »

Macher vos mots et votre biscuit, Mystique. Pour ma part, je remonte mes mains plus proches de mon visage. Je descends légèrement celui-ci également, penchant mon buste en avant. Je vous fixe dans le nez ; donc dans les yeux, sans faire un choix entre le gauche ou le droit.

Cause principale : la SHIELD "doit estimer" que les X-Men ne sont pas des soldats comme certains de ses agents, voire des Avengers, et dont qu’ont pas à intervenir sur "certaines affaires". Problème hiérarchique. De subordination ou d’insubordination, selon le point de vue.

« Et qu’être mise à l’écart dans des situations comme celle de récemment n’aide en rien à une collaboration. »

J’acquiesce brièvement à cette déclaration.

Cause secondaire : l’absence de confiance. "Ou du moins", Mystique ne fait absolument pas confiance à la SHIELD. "Ou du moins", pas en ses dirigeants. "Toujours absents ou qui se débrouillent pour donner des ordres". "Être contrôlée" en tient à la cause principale et non à la secondaire. "Ne pas savoir" est dans cette partie de l’explication.

« La connaissance, la confiance sont deux clés. »

Vous voir écraser le biscuit chocolaté à la fin de cette déclaration me laisse comprendre nos analyses opposées de la situation.

« Vous les voyez comme détruites, c’est cela, demande-je, n’ayant aucun avis sur ce point de vue et attendant la réponse pour donner le mien. Ne seraient-elles pas à construire, justement ? »

Une pause, le temps que vous puissiez y réfléchir. Ensuite, je traite de la problématique de cette sous partie secondaire.

« La SHIELD a formé les Avengers et recruté les individus qu’elle évaluait adéquat. Suite à la bataille de New York, les deux tiers de l’équipe ont travaillé directement pour elle. Clint Barton et Natasha Romanoff étaient agents avant la crise. Steven Rogers est devenu agent après. Anthony Stark était consultant. »

Une nouvelle pause, pour laisser les considérations historiques appuyer mon argument et laisser comprendre la réponse à la sous-problématique avant de l’expliciter.

« De la confiance s’est créée. De la connaissance s’est partagée. »

Troisième pause, simplement pour marquer l’importance du propos. C’est la réponse à la question.

« Thor et Robert Banner n’étaient pas dans ce cas de figure. Le premier était reparti à Asgard avec Loki, criminel de guerre terrien mais que la SHIELD a jugé préférable de rendre aux seins. Geste de bonne volonté. De même que le Tesseract, pourtant primordial à nos recherches. »

Cette partie est sans doute plus obscure, puisque le Projet PEGASUS n’est pas l’élément le plus connu de l’Invasion Shitauri. Si Mystique a fait les recherches nécessaires, elle saura néanmoins de quoi il en retourne.

« Robert Banner est resté à travailler avec Anthony Stark. La SHIELD s’est contentée de le protéger de l’US Army, comme c’était le cas depuis la Bataille de Harlem, et de le surveiller. »

Bataille de Harlem. Emil Blondski, spécialement recruté par le Général Thaddeus Ross pour capturer Hulk, se transforme en l’Abomination. L’US Army et Hulk travaillent en commun pour l’arrêter. Face à la volonté du Conseil de Sécurité Mondiale de recruter l’Abomination dans l’Initiative Avengers, Nicholas Fury demande à Anthony Stark d’aller en discuter avec Ross. La discussion se passe comme prévu et Ross refuse l’offre. La SHIELD écarte l’US Army de la poursuite d’Hulk et continue de le surveiller à distance jusqu’à ce qu’il ait besoin de lui pour les Avengers.

« De la confiance a été accordée, même si la confiance n’empêchait pas le contrôle. »

Ma dissertation ressemble à un cours d’histoire, d’où le besoin de marquer les éléments importants qu’il faut retirer. Connaitre l’histoire c’est savoir apprendre des erreurs comme des réussites de ceux qui sont passés avant nous. Celles des Avengers offrent un bien meilleur portrait d’eux que celles des X-Men.

« Lorsque la SHIELD a été compromise par l’Hydra, reprends-je dans mon immobilisme, les agents loyaux se sont divisés en deux catégories. Ceux avec le Dicteur Fury qui ont travaillé en secret à rebâtir l’organisation, désormais basée autour de l’Héliporteur 64, et ceux avec la Directrice Adjointe Hill, qui ont travaillé pour les Avengers. Face à la nécessité, la SHIELD a privatisé la paix mondiale et s’est subordonnée aux Avengers. »

Voilà jusqu’où la confiance et le partage des connaissances peut aller. Parce que la SHIELD, comme les Avengers, servaient avant tout les intérêts de l’Humanité et non les leurs ou ceux d’une communauté.

« Les Accords de Sokovie ont remis cela en question parce que l’ONU voulait le même contrôle sur les Avengers qu’elle pouvait avoir sur la SHIELD. Avec les dégâts que cela a fait. »

Détruire les Avengers en les scindant en deux groupes et paver la voie pour Thanos. Inutile de le préciser.

« Au regard de l’Histoire et des acteurs majeurs qui constituent notre milieu professionnel, comprenez-vous pourquoi la connaissance et la confiance sont à construire ? Avez-vous des idées de pistes d’amélioration pour que les X-Men et la SHIELD évoluent vers similaire symbiose que les Avengers et la SHIELD ? »

Je m’attends à des accusations et des reproches. A la recherche d’un coupable, aisément désigné, plutôt que de solutions. La connaissance et la confiance sont deux clés qui ne sont présentes d’aucun des deux côtés. Les X-Men dissimulent également des choses à la SHIELD et ne veulent pas la même présence d’agent au sein de l’Institut que celle qui peut se trouver dans l’Avengers Facility. Cependant, énoncer cela ne résoudrait rien. Tout le monde est coupable. Maintenant, comment trouve-t-on des solutions ?

« Il est volontaire que je n’aborde pas encore le point de la légitimité légale. Concentrons-nous sur la partie connaissance et confiance auparavant, elle est nécessaire à aborder plus efficacement le problème principal. »

J’énonce un fait, croisant mes bras dans une position d’attente mais penchant de nouveau buste et visage en avant pour écouter.

Il est intéressant de vous voir lutter pour garder votre patience. Peut-être est-ce pour cela que vous n’avez pas participé aux négociations : l’absence de patience. L’absence de capacité à prendre le temps d’écouter et de trouver des compromis. L’absence de capacité à prendre le temps de considérer les différents éléments en jeu et de trouver des solutions. Cependant, il y a également la lutte contre cette impatience. La politesse. L’effort. Les boules chocolatées. Les acquiescements dignes d’une personne ayant mise son interlocuteur sur haut-parleur et laissé le téléphone à portée d’oreille pour pouvoir faire autre chose en même temps.

Je pourrais faire des synthèses de mon discourt. Je pourrais me limiter aux conclusions. Sans le développement, cependant, comprendriez-vous vraiment ? Je suis ingénieure. Cela implique de réussir à faire comprendre ses idées. A défaut d’un PowerPoint, je vous fais une présentation orale. Puis vient l’ouverture. La question. Votre apport.

« Absolument aucune idée. »

Comme beaucoup, vous êtes capables de trouver les problèmes. Comme beaucoup, vous êtes capables de faire des reproches. Comme beaucoup, il vous est plus facile de trouver des coupables que des solutions. Voilà pourquoi vous n’étiez pas là lors des négociations. En suis-je surprise ? Non. En suis-je déçue ? Non plus. J’avais envisagé que vous soyez dans cette moyenne à laquelle nos supérieurs respectifs appartiennent aussi. D’où que j’outrepasse mes droits professionnels et vienne vous rencontrer. Vienne essayer de trouver des solutions. D’où que je tâche de voir votre retenue, là où il vous semble facile de rejeter voire d’haïr. Vous êtes humaine, Mystique. N’auriez-vous été mutante que vous auriez été anti-mutante, considérant vos réactions. Ce n’est pas un reproche. Être anti-surhumain est simplement faire preuve de bon sens. Comme être anti-armes. Il ne faut pas atteindre l’extrême des Accords de Sokovie et traiter tous les individus à pouvoirs comme des criminels s’ils ne se registrent pas. Néanmoins, registrer les armes naturelles tout comme les armes à feu est pertinent. Former les gens à leur utilisation aussi. Je ne hais pas les mutants. J’en ai peur. Cette même peur dont vous vous délectiez précédemment. Cette même peur qui s’appliquerait si, ici et maintenant, un inconnu avec un fusil d’assaut entrait sans plus ample explication. Le système scolaire américain prouve que le pays a la population suffisante à ne pas essayer d’enrayer ce genre d’agissement. Condamner pour se donner bonne conscience, oui. Trouver un coupable autre que soi, aussi. Trouver des solutions en revanche…

Bras croisés et buste penché en avant, je reste silencieuse. Yeux dans les vôtres, je reste silencieuse. Respiration lente, je reste silencieuse. Puis je fais un instant d’apnée. Puis je fais un clignement d’yeux. Puis je me redresse.

« Voilà qui ne laisse que la mienne, conclus-je sobrement. Elle ne va doublement pas vous plaire : en elle-même et du fait de l’explication qui la précède. »

Vous voilà prévenue. Essayez de vous en amuser à présent.

« Rassurez-vous, elle ne plaira pas non plus à mes supérieurs. Peut-être me sanctionneront-ils. Qu’importe. Ma loyauté ne va pas à des individus. Elle va à l’Humanité. »

Je pourrais disserter longtemps sur l’opposition entre intégrité et idéologie. Cependant, cela sera contreproductif à mon suspens. Nous sommes arrivées à votre limite, Mystique. Pas à la mienne. Maintenant, il me faut m’assurer que l’intérêt ainsi créé soit au maximum. Il me faut aussi vous faire comprendre que je suis ici dans une position bien plus délicate que la vôtre. J’en fais le choix car c’est ce que je juge le plus productif. Le plus constructif. Le mieux. Pas pour moi, puisque je pourrais continuer ma petite vie sans considérer les conséquences que l’inaction aurait sur celles des autres. C’est de cela dont il est question. Agir pour les autres, même si c’est dangereux ou désagréable pour soi. L’altruisme. L’abnégation.

« Lorsqu’elle était construit par la SHIELD, reprends-je en décroisant mes bras pour croiser mes doigts et appuyer mes poignets sur la table, l’Initiative Avenger était gérée par un agent de niveau 8. Phillip Coulson. »

L’homme dont le meurtre par Loki a réussi à unir les Avengers contre celui-ci.
Le héros dont le sacrifice a sauvé le monde.
Moyennant manipulation du Directeur Fury, certes.
Qu’est-ce qu’un mensonge face à la liberté de l’Humanité ?

« Après la bataille de New York, la SHIELD a laissé de la distance avec les Avengers. Puis elle s’est effondrée à cause de l’Hydra. »

Nous sommes ici sur une histoire plus connue, même si la SHIELD n’était pas réellement publique avant l’insurrection de son plus grand ennemi. Beaucoup de gens avaient des doutes sur l’existence de la SHIELD suite à l’apparition des Avengers mais il ne me semble pas qu’elle ait été dévoilée avant le fiasco du projet Insight.

« Lorsqu’elle a été officiellement refondée, la SHIELD était dirigée par Natasha Romanoff. Désormais, les Avengers et l’organisation bénéficient d’un agent de liaison. Clint Barton. Niveau d’accréditation 8, sur 10. »

Une pause pour vous laisser faire les connexions sur le fonctionnement interne comme inter-organisationnel.

« Cela permet la connaissance. Hawkeye a accès aux informations des Avengers comme de la SHIELD. Il coordonne le travail en commun et les échanges. »

Je vous regarde.

« Cela témoigne de la confiance. Hawkeye peut décider de faire intervenir les Avengers au nom de la SHIELD. Il peut octroyer les accès de la SHIELD aux Avengers. »

Je vous observe.

« Empiriquement, que vous deveniez agent de la SHIELD et que l’organisation vous accorde le niveau d’accréditation 8 est le meilleur moyen de régler les deux problèmes actuels. »

Je vous fixe.