[Terminé] Se dévoiler au milieu du chaos

« Mais tu saignes ! » s’était-il écrié lorsqu’elle avait essayé de lui expliquer qu’elle allait bien ; ce n’était pas tant la modification physique due à ses pouvoirs qui effrayait son mentor, mais plutôt le fait que son corps en subisse des conséquences inquiétantes. Elle n’était pas censée saigner du nez en utilisant ses pouvoirs et, mutant comme elle, il était bien placé pour le savoir.

Alors, tenant à peine debout sur ses jambes, celles-ci tremblants sous l’épuisement et le stress, Ezekiel continuait d’essuyer le sang qui s’écoulait de son petit nez, en priant intérieurement pour qu’il n’arrive rien de grave à sa petite protégée. Peu de choses auraient pu calmer sa frénésie, résultat d’un traumatisme trop longtemps enfoui, mais la jeune fille avait su trouver les mots pour l’interrompre : elle avait vu le visage de son agresseur.

Soudainement, plus rien. Un bourdonnement, le silence. Elle avait été là, dans son esprit, en témoin impuissant, revivant le plus terrible de ses souvenirs à ses côtés. Le mouchoir, et la main qui le tenait, restèrent suspendus quelques secondes, le temps qu’il puisse glisser des yeux sans quitter son visage, les lèvres entrouvertes d’un effarement scandaleux. Qu’est-ce qu’elle venait de dire ? Se laissant retomber assis sur le canapé, le jeune joueur avait pris quelques secondes pour tenter de remettre de l’ordre dans son esprit, ne pas se laisser submerger par la colère mais… Impossible de résister à la tentation. Il voulait savoir. Il devait savoir. « Tu le connais ? » Putain. Elle l’avait vu. Pourquoi ne l’avait-il pas vu aussi ?! « Décris-le moi. » Lui demande-t-il en baissant les yeux vers le sol, ses doigts nerveusement repliés autour du mouchoir froissé et tâché de sang. Pas celui de son agresseur, mais ça ne saurait tarder. Il était si proche du but…

Il avait brièvement espéré entendre une réponse positive, qu’elle puisse lui délivrer un nom, un détail qui lui aurait permis d’identifier une bonne fois pour toutes son assaillant mais, rien. Alice l’avait vu mais ne le connaissait pas, alors elle était dans l’incapacité de lui dire quoique ce soit pour l’aider à retrouver l’homme responsable de sa diminution. « C’est pas grave. » avait-il dit sans broncher, gardant les yeux rivés vers le bas et les mains serrées, les coudes appuyés sur ses genoux pliés. Il n’était pas en colère après Alice — elle n’y était pour rien, mais plutôt contre le sort qui s’acharnait sur lui, du moins, c’est l’impression qu’il avait. L’enquête policière piétinait et, il se doutait fort bien que d’autres affaires étaient venues éclipser la sienne… Après tout, il avait survécu. Il n’y avait pas un tueur fou en liberté. Qui se souciait de ce qui lui était arrivé ?

Mais puisqu’elle l’avait vu, elle pouvait le décrire. Et c’est ce qu’il lui demanda sans attendre et sans bouger, encore, d’une voix véritablement morne ; Alice fit alors une description sommaire de l’homme qu’elle avait vu, sans grande distinction. Grand, brun aux yeux marrons. Monsieur tout le monde, en somme. Mais il ne peut s’empêcher de tiquer en entendant qu’il avait des yeux rouges et des ailes… Les yeux rouges, les ailes… Il pensait que c’était une déformation de la réalité mais non. Il avait eu raison. Ce n’était pas un cauchemar mais un fragment de souvenir.

Assailli par une image à cette pensée, celle provenant du soir de son agression, soulevée dans son esprit par cette révélation, il avait fermé les yeux en apportant une main à son front soudainement douloureux. « J’te crois, Alice… Merci… » Une migraine sûrement, encore.

Cet épisode l’avait épuisé, si bien qu’il se sentait vide intérieurement. Son corps était vide quand sa tête ne cessait de s’agiter. Qui était cet homme mystérieux ? Pourquoi l’avait-il agressé ? Pourquoi ne parvenait-il pas à entrevoir son visage comme Alice, si l’image était toujours dans sa tête ? Il avait besoin de dormir… Se levant péniblement du canapé en grimaçant de douleur, Ezekiel avait fait l’effort de poser ses yeux sur sa protégée en encadrant doucement ses épaules de ses mains tremblantes, lui disant alors avec un demi-sourire qui se voulait rassurant : « J’vais m’allonger un peu si cela ne te dérange pas, j’suis fatigué… » Il ne la chassait pas : elle était ici chez elle.
Mais lui, avait bien besoin de récupérer après tout ceci. Se traînant alors jusqu’à sa chambre, il s’était laissé tomber sur son lit dans un soupir de fatigue et, étrangement, s’était aussitôt endormi. Sans rêver du visage de son agresseur, cette fois.