Beaucoup de gens trouvent Superman ennuyeux. Certains vont même jusqu’à considérer qu’il est plus intéressant de le satiriser, de le faire devenir méchant, afin de lui donner de la profondeur. Pour moi, Superman est déjà une satire. Il est la satire du fait que le pouvoir corrompt. L’individu le plus puissant de la Terre et pourtant un individu qui, qu’importe les difficultés et les échecs, reste capable d’être fidèle et intègre à ses valeurs, à sa vision du Bien. Il n’est pas parfait et se trompe, hésite, échoue… mais il le fait toujours avec cette volonté de bienfaisance et d’altruisme. De plus, contrairement à Batman, Superman n’est pas la réelle identité ; la réelle personnalité. Clark Kent l’est. Superman, c’est un rôle où Clark Kent essaie d’être le meilleur possible afin d’inspirer les autres à essayer d’être meilleurs également. Il n’est pas au-dessus des autres, comme ses pouvoirs le laissent à penser. Il est à leur niveau. Mieux encore, il est dépendant des autres pour l’être. Clark Kent, quand il doute, quand il perd, il a besoin d’encaisser et s’en retourne vers ses proches ; femme, parents, amis. L’homme le plus puissant de son univers a besoin du même soutien de gens normaux, sans pouvoirs, pour pouvoir être qui il est ; continuer d’essayer d’être qui il est. Qui ils l’aident à être. Superman n’est pas qu’une fable de puissance physique, de power fantaisy, lorsqu’il est bien écrit. C’est une fable d’humanité. L’homme de demain, celui qui peut tout mais ne peut rien sans les autres. Et le sait.

Je pense qu’il y a un écho fort entre Superman et Steve Rogers. Si Sam Wilson a prouvé quelque chose, c’est que ce n’est pas Captain America qui inspirait les gens et les amenaient à vouloir être fidèles et intègres à des valeurs de bien commun. C’était Steve Rogers. Essayer de devenir le nouveau Captain America, c’est comme essayer de surpasser Superman. Le Faucon avait des problématiques et une symbolique bien différente. Je le plains.

La différence entre Superman et Captain America, c’est que le premier peut bien plus facilement susciter la peur. Il vient d’ailleurs. Il est différent. Il est surpuissant. Tout humain que puisse être Clark Kent, Superman peut confiner au divin et en cela créer le sublime ; peur et admiration. Etant un personnage fictif, c’est l’admiration qui est la plus aisée à mettre en avant. Il ne peut pas nous faire de mal.

Je suis aux prises avec ce paradoxe, ce soir.

Lorsque je parle du manichéisme, c’est dans un sens philosophique dérivé de la religion manichéenne : l’affrontement du bien et du mal. Contrairement à ce que l’on peut penser, je ne suis pas dans la simplification voulant faire des raccourcis et user des stéréotypes afin de classer dans le bien ou dans le mal et de tout juger par leur opposition constante. Chaque personne a du bien et du mal en elle, l’un ne peut exister sans l’autre, même si l’on peut chercher à s’exercer dans l’un ou dans l’autre. Je cherche à m’exercer dans le bien tout en craignant profondément le mal des autres.

Je devrais aller me coucher. Epuisée, attristée, évidée, je suis assise avec le dos courbé et le visage las sur le siège face à la table de la LM. Ce soir, c’était le final de mon spectacle. Lundi, j’aurai une réunion avec la direction de la Brooklyn Academy of Music pour discuter des chiffres définitifs qu’il a fait. Lundi prochain, je serais là pour l’ouverture de son Next Wave Festival, dont je suis l’une des marraines. Cela ne remplacera pas le fait de savoir que cette période de ma vie est terminée. Cela ne me distraira pas non plus de l’orage qui approche.

Dans une main, le CV d’un type déséquilibré qui m’effraie. Dans l’autre, la photographie d’une carte qui laisse présager la violence. Mes yeux sont lourds. Mon cœur aussi. Les endroits rayés sur la carte, c’est ceux tagués par les Masques. Les endroits entourés, c’est ceux qui devraient l’être. J’espère que des embuscades y seront tendues pour arrêter les membres de l’organisation avant qu’il ne soit trop tard. Je crains que non. Après la joie, la peur a toujours été ma seconde émotion ; avant même la surprise, que je me plais tant à avoir. Entre mes mains, parmi un tant d’indices visuels, mon téléphone. Je suis certaine que le SHIELD l’a mis sur écoute, comme ceux de Nathan et d’Enzo. J’ai demandé à mes deux deux de me laisser tranquille pour ce soir, même si c’est dur dans l’exiguïté d’un bus. De mauvaise grâce, ils l’ont fait.

Je pose les deux papiers et prends le téléphone à deux mains. Je ferme les yeux. Je crispe le visage. Epuisée, attristée, évidée, effrayée. Effrayée par la personne que je vais appeler, effrayée par les conséquences de cet appel, effrayée par ce qui risque de se passer que je le fasse ou pas. La gorge sèche, les yeux humides. Le contact froid de la coque contre mon front me fait du bien, même si c’est stupide considérant les ondes émises par le téléphone. Dans la poche à me griller les ovaires, ça passe, contre la tête à me griller les neurones, beaucoup moins. De toute façon, si ça déclenche un cancer, le lieu sera secondaire ; important, certes, mais secondaire au fait de l’avoir. Cancer, il va en être question d’ailleurs. Dans le futur, comme cela l’a été dans le passé. Mes épaules se baissent un peu plus alors que je souffle brièvement.

Mon dos heurte le dossier du siège. Ma tête se pose plus lentement contre le cadre de verre contenant la broderie offerte par Charlotte. Souvenir physique de l’amour qu’elle me porte, même si elle a reconstruit sa vie durant ma disparition. Quand je suis vide, j’y repense ; cela contribue à mon vide. J’entrouvre les yeux, fixant mon téléphone et mes mains qui sont retournés sur la table. J’entrouvre les lèvres, prenant une grande inspiration malaisée.

Je tourne mon regard d’un vert d’eau à moitié vide vers la source de ma peur pour moi et les indices écrits sur son CV afin d’y trouver le numéro de téléphone. Dans cette situation, j’ai peur pour moi. Dans l’autre, j’ai peur pour d’autres. Je déglutis et je fais face à la première dans l’espoir qu’elle aura un impact sur la seconde ; non pour faire face à ma peur mais pour que, si elle advient, je puisse limiter la casse.

J’écris le numéro.

J’hésite à lancer l’appel.

Je le fais, gorge nouée.

« Bonsoir Luke Hunt, commence-je d’une voix aussi neutre que j’y parviens, indifférente au fait de tomber sur son répondeur ou sur lui-même mais espérant qu’il ne se trahira pas au téléphone comme il a pu le faire dans un interrogatoire non-professionnel. Lucky Orchent à l’appareil. Lors de votre entretien d’embauche au poste de garde du corps, vous avez évoqué vouloir faire le bien. Aider les autres. J’ai peut-être un moyen pour vous de le faire… »

Je tremble, un frisson à l’idée de le recroiser, mais je somatise et fais face avec un visage froid. Peut-être que cela s’entend dans ma voix, d’ailleurs.

« Votre CV parle de "force, vitesse et résistance accrue". De "sens plus développés que la moyenne". Durant notre rencontre, vous avez évoqué un facteur anti-âge également. Je souhaiterais savoir si vos capacités incluent aussi une guérison améliorée. »

Je m’arrête là. Inutile de plus m’engager pour l’instant : il a l’enjeu pour lui, la possibilité de faire le bien, et celui pour moi, la recherche d’un facteur guérisseur, sans pour autant avoir le moyen. Niveau du SHIELD qui nous écoute surement, il a la raison de notre réseautage, la recherche d’un garde du corps, et les capacités qui me sont connues de Luke Hunt ; moyennant l’hybridation et le fait qu’il soit un mutant artificiel, non naturel. Néanmoins, je ne vois pas comment placer cela naturellement alors je ne prends pas le risque. Pas plus que de dévoiler à mon interlocuteur ce qui adviendra s’il me dit "oui".

Luke Hunt ne s’attendait pas à cet appel, cela ne m’étonne en rien considérant le pacte de destruction mutuelle imposé. Foutez-moi la paix et je vous fous la paix. Menacez-moi et j’utilise le système pour vous menacer. J’en serais bien restée là. Oh que oui. J’en serais vraiment restée là. Cependant, j’ai peur que ne pas agir coûte des vies. Alors j’agis dans l’espoir d’en sauver.

Luke Hunt s’attendait encore moins au sujet de cet appel. Evidemment. Je ne suis qu’une originale, une fille de riche s’inventant une carrière dans le spectacle pour recevoir de l’attention et ayant peur pour sa sécurité personnelle dans une ville qui a possiblement la plus grande concentration de gens dotés de pouvoirs au monde. Qu’est-ce qu’une personne comme cela peut bien savoir du bien et de comment le faire ?

Luke Hunt me propose de finir cette conversation en face à face. Evidemment. Pourquoi répondre à ma question sur un terrain neutre quand il peut essayer d’avoir l’avantage de sa présence physique ; cette même présence physique qui m’a tant terrifiée la dernière fois. Il l’a compris trop tard avant, il comprendra trop tard présentement aussi.

Luke Hunt considère que, si ce que je dis est vrai, on devrait pouvoir trouver un terrain d’entente. Sauf qu’il ne dit rien, lui. Une excuse, toute à plus. Ni confirmation. Ni infirmation. Est-ce que j’en termine là ?

L’envie ne m’en manque pas.

Pas de facteur guérisseur, pas de rencontre. Je ne suis pas ici pour l’individu mais pour sa caractéristique. L’individu me terrifie.

J’ai la gorge sèche. J’ai les sourcils levés. J’ai les paupières supérieures relevées. J’ai les coins des lèvres étirés et la mâchoire entrouverte.

J’essaie de la fermer. J’essaie de ne pas respirer trop fort pour me ma peur ne s’entende pas au téléphone, à défaut de se voir. J’essaie de faire face.

C’est dur.

Je dois être ferme. Je dois négocier. Je dois essayer de négocier.

Il n’a pas répondu à ma question.

Réfléchir à régler ce problème me prend quelques secondes. Un silence. Un blanc. Peut-être gênant, assurément malaisant. La peur.

Je serre la mâchoire. Je serre les dents. Je suis fatiguée. J’ai envie de tout lâcher.

Je n’en fais rien.

« 127 bis Horseshoe Road, Mill Neck, NY, finis-je pas dire, me disant que s’il prend la peine de venir jusque là-bas depuis New York pour rien, l’aller-retour lui fera les pieds ; puisque c’est 40 bornes de NYC dont une partie sur des petites routes. Demain. 02 P.M.. »

Voilà qui nous laissera la matinée pour partir de la métropole via la 495 jusqu’à la Glen Cove Road et remonter récupérer le Northern Boulvard de Greenvale. Ensuite, c’est la Wolver Hollow Road puis la Chicken Valley Road, nom approprié puisque j’ai les foies, et la Beaver Brook Road, pour continuer dans les animaux et les métaphores puisque je suis lesbienne. Finalement, Oyster Bay Road, Frost Mill Road et enfin Horseshoe Road ; sachant que toutes les routes ne sont pas grandes et forestières au minimum, forestières et côtières au mieux. Une heure et quart de trajet prévu, généralement on met une heure et demi quand on le fait. Sortir du Queens est le plus compliqué.

S’il veut être présent pour avoir l’avantage physique, je réclame d’être présente sur mon terrain pour avoir cet avantage-là.

« Cela vous convient ? »

Si oui, bonne soirée et au revoir. Si non… j’en sais rien. Ce que je sais, c’est que la rencontre ne se fera pas ce soir. Je n’ai pas la force ni la fortitude.

« Cela vous convient ?

- Oui à demain. »

Il raccroche immédiatement. J’écoute le vide. Plusieurs secondes de vide. Je suis pâle. Je suis blême.

Je pose mon téléphone entre le CV et la carte, entre mes différentes craintes physiques pour l’avenir. Je vais avoir à affronter les deux. Je déglutis. J’ai la gorge sèche. J’ai les sourcils levés. J’ai les paupières supérieures relevées. J’ai les coins des lèvres étirés et la mâchoire entrouverte. A nouveau. Je suis fatiguée. J’ai envie de tout lâcher.

Doucement, mes cheveux amortissent le contact entre ma tête et le verre protégeant la broderie offerte par celle que j’aime pas qui m’a survécue, littéralement. Je me sens seule. Je me sens faible. Je me sens à nouveau au bout d’une vie.

J’avais dit que je ne pleurerais pas, pas encore, pas comme la dernière fois que je me suis rendue compte du vide que j’ai après la fin de chaque épisode de mon existence. Cette fois est encore pire que la dernière.

Je ferme les yeux. J’inspire. Je renifle.


La bordure entre Horseshoe Road et le domaine est faite d’une haie de plantes grimpantes sur grilles de fer forgé d’une demi-douzaine de mètres et encore surplombée, à l’extérieur, par des arbres bien plus grands. Dans leurs feuilles, sur leurs fleurs, bourdonnent des abeilles aussi discrètement que leur permet leur couleur blanche.

Vient ensuite un portail en fer forgé de près de sept mètres de haut, dont les piliers qui l’encadrent contiennent interphone et caméra. Electriques, les lourdes portes s’ouvrent d’elles-mêmes et permettent de rouler jusqu’à un parking, à flanc de manoir, lorsque Leon El, chef du personnel de maison, les enclenchent. Et il ne le fait qu’en réponse à une arrivée, sans quoi le portail est fermé.

Après celui-ci se trouve, sur la gauche, un premier jardin à la française, encadré de béton et parcouru de ces mêmes abeilles blanches, puis la silhouette claire de la Maison des Jardins. Celle-ci est massive et construite selon le style classique français du XVIIIe siècle, possédant deux étages plus les sous-toits ainsi que trois ailes et une dépendance. Dépendance ressemblant à des écuries mais s’avérant être un garage, avec cinq portes pouvant accueillir des voitures, et devant lequel se trouve un petit parking. Le seul véhicule visible est cependant l’autocar blanc, long d’une douzaine de mètres et large de trois, dont les vitres teintées ne laissent pas voir l’intérieur. Il est garé en fond de cour, dissimulant le générateur de secours présent à flanc de garage.

Etant responsable de l’ouverture du portail, un septuagénaire en costume cravate et gilet attend proche du garage, en extérieur. Il a une tablette connectée, lui permettant de gérer la maison, et est là pour accueillir même s’il se fait ignorer. Comment je le sais ? Je lui ai demandé d’être en poste. Et pour le fait qu’il soit snobé ? Il me l’indique par message.

Je suis occupée à me disputer avec Nathan et Enzo, qui ne veulent pas me laisser seule. Cela va être le cas. C’est un ordre. La discussion est terminée puisque Luke Hunt vient d’arriver. Oh, il va faire le tour entre le bus et le générateur de secours, afin de contourner le bâtiment, garage d’abord puis grand salon ensuite, cela nous laisse plus de temps que s’il avait suivi mon maitre de maison… cependant, cela ne nous laisse pas assez de temps. De plus, je note la volonté de n’en faire qu’à sa tête, chose qui me stresse. Je commence à détester ce type. Il me fait peur et il est trop con pour le voir. Quel intérêt de ne pas suivre le trajet indiqué si ce n’est montrer qu’il est imprévisible ? Chose qui, avec son instabilité, me fait le craindre plus que ses pouvoirs ? J’aurai dû demander à Rocket et à Greasy d’être là. Non, j’ai bien fait de ne pas le faire. Mon piège fonctionne mieux sans eux.

Je suis dans le jardin à la française du patio pavé, large de huit mètres et long de dix. Situé à l’arrière de la maison, celui-ci est encadré des deux salons, le grand à droite et le petit à gauche, dont toutes les grandes portes-fenêtres sont ouvertes. Je suis vêtue d’une veste de tailleur à bouton unique ouverte sur bustier à balconnets assorti, sans bretelle, au décolleté en T et aux motifs géométriques, ainsi que d’un pantalon de toile blanche glissant sur des baskets noires. Tandis que mes cheveux roux encadrent mon visage et tombent jusqu’à mon bustier, mon nez supporte des SmartGlass au design élégant similaire à des lunettes de vue mais avec les branches plus épaisses où se trouvent les boutons de contrôle. Derrière elles, mes yeux délaissent mon téléphone que mes mains vont ranger dans la poche interne de ma veste puis parcourent les fleurs du jardin et les abeilles blanches responsables du léger bourdonnement omniprésent autour de moi.

« Je suis venue sans arme ni rien même si on sait tous les deux que je n’en ai pas besoin, commence-t-il avec la même politesse que précédemment, signifiant comme si de rien était qu’il reste dangereux et terrifiant… Mais je n’ai pas l’intention de vous faire quoi que ce soit juste répondre à votre question. »

Enzo et Nathan sont toujours là, ils n’ont pas eu le temps de partir, mais je me détourne d’eux en déglutissant pour faire face à ma peur. Ma gorge est nouée et mon cœur s’accélère, deux mouvements contradictoires à l’instar de mon visage froid et fermé. J’ai les épaules et les bras crispés afin d’essayer de verrouiller le buste et d’en garder au maximum le contrôle. Chassant le bas de ma veste, mes mains s’en viennent sur mes hanches en une posture de puissance sensée me donner du courage… pendant que l’autre commence à se dessaper.

Comment fonctionne son esprit ? C’est un mystère. Mal, peut-être. Après tout, les neurones ne se régénèrent pas naturellement, très peu d’animaux en sont capables, donc après cent-vingt ans à en perdre peut-être manque-t-il scientifiquement une case à Luke Hunt. Nullement intéressée par l’extérieur de l’homme, je me tourne silencieusement vers Nathan et Enzo pour les chasser d’un regard. Ils sont plus utiles en compagnie de Queenie et de Maya, même si celles-ci sont connectées à mes lunettes par le biais de mon téléphone. Elles n’ont pas internet, juste le bluetooth, et n’acceptent aucune connexion extérieure ; il faut les paramétrer manuellement, à la ruche. Une sécurité supplémentaire.

Je regarde la transformation morphologique et anatomique de l’appendice de Luke Hunt avec cette même boule dans la gorge que précédemment, m’empêchant de déglutir cette fois, et son striptease tourne au masochiste lorsqu’il se griffe jusqu’au sang, ce qui est assez superficiel en soi, le torse. Mâchoire serrée et nez plissé, je fais face à l’action comme au regard que me lance Luke en tachant de ne pas finir en apnée. Inspirer, expirer. Fixer entre les deux yeux.

Je perds le duel de regard puisque sa réponse à ma question, plus qu’être une question rhétorique à l’oral, se dessine sur son torse en effaçant les griffures et en ne laissant aucun tissu cicatriciel. Juste le sang. Sang que Luke essuie avec un serviette. Bien, je n’ai techniquement plus besoin que de cette serviette… techniquement.

« Alors qu’est-ce que vous me voulez précisément ? »

Une seconde de silence alors que je le fixe, relevant le visage et tendant le cou comme le dos ; la totalité de la colonne vertébrale, même.

« J’ai missionné les Gardiens de la Galaxie suite à des inquiétudes, dis-je en exagérant volontairement mon propos pour faire comprendre mon influence ; mon pouvoir. Les informations récoltées ont montré que mes inquiétudes étaient… insuffisantes. »

Parler peu, parler bien. Parler froidement. Enoncer des faits.

« Je crains une guerre de gangs, pire que celle du printemps. Ces gens sont prêts à éliminer des témoins au lance-flammes et avec l’entièreté du bâtiment d’habitation. Mentalité terroriste plus que criminelle, donc. »

Cette fois, j’extrapole un peu sur la mentalité. Légalement, néanmoins, ce qu’ils ont fait est un acte de terrorisme. Juste qu’il n’est pas revendiqué, pour l’heure.

« Je travaille pour le S.H.I.E.L.D. vis-à-vis de cette affaire, reprends-je, histoire d’amener un nouveau système au sein de la partie et d’augmenter la portée des pièces que j’utilise. Je crains cependant qu’il y ait des blessés. Beaucoup. »

Ne serait-ce que Rocket et Greasy, qui ont failli y passer lors de l’altercation du 14 septembre, méritent que je m’occupe de leurs soins médicaux au-delà de ce qui est prévu dans le contrat ; la prise en charge des frais. Je ne suis pas responsable des blessures, celui qui les a infligés l’est, mais je veux pouvoir guérir. Je ne suis pas une combattante, Rocket a raison, et, à choisir, je préfère essayer d’être une guérisseuse. En plus d’être celle qui exploite les règles au point de ne pas combattre mais faire combattre. Je suis riche, au sens d’appartenance à la classe dominante. Je domine. Je domine cette discussion. Je dois me le rappeler pour avoir suffisamment confiance et faire face à la peur que Luke me cause.

« Je veux étudier votre facteur guérisseur afin d’en fabriquer un synthétique. »

J’arrive enfin à déglutir mais ce n’est pas le bon moment. Je coince donc la boule de salive dans ma gorge tout en faisant de mon mieux pour rester impassible. J’inspire du nez et termine d’avaler.

« D’après votre… démonstration… et en connaissance du fait que vous avez été hybridé avec un jaguar tel que vous l’avez dit… ce qui est un animal sans capacités régénératives particulières… »

Je plisse les yeux. Les parterres de fleurs se trouvent entre nous, afin de le ralentir s’il cherche à s’approcher trop brusquement et à libérer des essaims d’@robeez sur lui, ainsi conserve-je une maitrise du terrain. Néanmoins, je préfère continue de diriger l’attention, de faire un tour de magie. Avec la science, présentement.

« Je dirais que les expériences vous concernant ont greffé avec peu de délicatesse les bases nucléiques de l’animal sur celles de l’humain. Je pense également qu’elles ont dupliqué des séquences répétées humaines. C’est ce qui vous permet de guérir sans cicatrices… des amphibiens en sont capables. »

Une grenouille, c’est moins classe qu’un jaguar. Néanmoins, on parle de salamandre passant leur existence à l’état larvaire présentement. Ce qui n’est pas un facteur anti-âge, capacité également indépendante du facteur guérisseur et du jaguar.

« Je ne sais pas comment ils vous ont doté de contrôle épigénétique. Votre transformation. Néanmoins, je ne cherche pas à dupliquer vos pouvoirs. Uniquement comprendre comment fonctionne la guérison accélérée. »

Je marque une pause, sans cesser de fixer le nez saillant de Luke Hunt.

« Pour soigner. »

Selon ses dires, enregistrés lors de notre précédente rencontre, "il est arrivé plusieurs fois" à Luke Hunt "de sauver et protéger des gens", de "travailler avec des héros connus comme le célèbre Rocket des Gardiens de la Galaxie", de "venir en aide pendant le jour des héros et bien d’autres choses".

« Vous ne voulez pas protéger les gens qui sont déjà protégés, vous essayez de protéger tout le monde, lui rappelle-je en tachant d’avoir plus de douceur dans la voix, sans pouvoir la rendre douce à cause de la tension. C’est votre chance de contribuer à soigner. »

Dire que je ne sais pas ce que je fais est assez bien résumer la situation. Ce n’est pas réellement une négociation, c’est du bluff. J’ai placé mes pions, vis-à-vis des Gardiens de la Galaxie et du SHIELD, afin de lui faire comprendre le rapport de force mais je veux utiliser celui-ci défensivement, non offensivement. Luke Hunt pourrait me faire du mal mais a l’infinie bonté de ne pas le faire ? Non, il ne peut pas. Il a trop à perdre. Après, je ne souhaite pas utiliser ce fait pour le faire chanter, pour le forcer à donner son sang.

Je mise sur le fait que son altruisme soit réel pour ne pas avoir à pactiser avec un tueur multirécidiviste avec fantasme de justice.
Je mise sur le fait que son altruisme soit réel pour ne pas avoir à payer la possibilité de faire du bien à d’autres.

Ça va marcher. Ça doit marcher.

I’m the Lucky One.

L’instant de réflexion de Luke Hunt à la fin de mon monologue me laisse tout le temps de prier ma Chance. Lui regarde cette main qu’il a transformée à l’instant, cette main qu’il a utilisée pour se blesser et pour prendre beaucoup d’autres vies. Cette main qui contient le moyen de soigner également. Peut-être pas autant de gens qu’elle en a blessé en un siècle mais tout de même. Et puis, peut-être que mon FGS restera pour plusieurs siècles, comme les vaccins. Je n’en suis pas à le produire à l’échelle industrielle, j’en suis à le terminer et j’espère le faire suffisamment vite pour qu’il puisse sauver des vies si ce qui se trame dans les coulisses arrive. Je souhaite de tout mon cœur que cela n’arrive pas, espérant que le SHIELD parvienne à l’empêcher, mais je préfère me préparer dans le cas contraire. La préparation, c’est ce qui permet à l’Humanité de relever tous les défis.

Luke Hunt ne me conseille pas de reproduire ses pouvoirs, les faisant se manifester sur son membre. Ce n’est pas mon intention, je l’ai énoncé. Qu’il ne me croit pas est probable, pour ne pas dire logique. Malgré les garanties que j’ai données, à savoir les Gardiens de la Galaxie et le SHIELD, cela n’est pas une assurance ; pas plus que Rocket ne l’a été pour Luke Hunt.

« Ce ne serais pas une bonne chose pour ces gens, reprend-t-il, chose sur laquelle je suis d’accord ; je n’aime pas l’idée d’expérimenter sur des personnes pour leur donner des pouvoirs. Ce pouvoir est bien trop dur pour que quelqu’un d’autre ai ce fardeau et ce ne serait bon pour personne. »

Sans doute n’ai-je pas l’image complète mais, autant je comprends pourquoi le facteur anti-âge est une malédiction, autant l’hybridation de Luke Hunt ne semble pas posséder de contrecoups marquants. Pas d’altération physique incontrôlable, pas de vulnérabilité particulière, pas de cancers du fait des modifications… beaucoup de mutants sont moins chanceux que lui, ayant plus de défauts à leurs pouvoirs. Est-il une question d’instinct ? Les jaguars sont solitaires, sauf pour la reproduction, et territoriaux ; ceux qui peut être un problème si l’on n’a pas les moyens d’accéder à la propriété. Luke Hunt étant plus riche que moi malgré sa non-gestion de son argent, la propriété privée lui est aisément connue. Je me demande s’il urine et excrémente dans ses possessions pour marquer son territoire ; cela pourrait être un problème, oui. Mis à part ça, comme les rencontres amicales existent, il ne doit pas y avoir trop de souci avec le jaguar intérieur ; sauf peut-être l’image du prédateur sanguinaire typiquement humaine et zoologiquement prouvée comme fausse.

Cela étant, la crainte que je reproduise ses pouvoirs est réelle chez Luke Hunt. Il l’avoue sans peine, à défaut de conseiller cette fois. Je ne peux m’empêcher de me tendre alors qu’il fait durer le suspense. J’ai "un but admirable"… j’ai surtout la capacité de le mener à bien. Le pouvoir. La discussion avec Joseph Rowles me revient en tête sur ce point : le pouvoir, c’est la capacité de faire quelque chose que tout le monde ne sait pas faire. Il peut être utilisé inconséquemment ou avec de graves conséquences ; et il peut faire peur dans le second cas. Luke Hunt a peur.

J’ai peur, moi aussi.

Il n’est pas con… "loin de là". On parlera de manque d’observation et d’empathie, en ce cas. Si j’osais, j’argumenterai que le fait d’avoir des actions menaçantes et imprévisibles alors que j’ai déjà peur de lui est stupide ; sauf s’il cherche à faire peur. Cependant, il ne me semble prendre aucun plaisir à cela.

Inutile d’essayer de l’amadouer avec des belles phrases… elles sont vraies, pourtant. Oui, je tente de l’amadouer. Je tente de le faire pour ne pas avoir de prix à payer. Ça me fait peur, de devoir en arriver là, car ça prouverait que les belles phrases jadis utilisées par Luke Hunt lui-même étaient creuses.

« A vrai dire vous m’aviez convaincu dès que vous avez parlé de guerres, de blessures et des Gardiens de la Galaxie. Si Rocket vous fait assez confiance pour travailler avec vous alors je n’ai pas trop à m'inquiéter. »

Je ne mérite pas la confiance de Rocket, puisque nous nous sommes rencontrés avec un bluff suffisamment efficace pour m’offrir le voyage jusqu’à la Galaxie d’Andromède, mais je pense l’avoir. Mon intelligence et vingt mille dollars ont aidé.

"Mais".

Mon apnée commence à ce mot, même s’il ne me surprend pas. Je soutiens le regard en fixant le nez, toujours. Entre les deux yeux. Cependant, je ne respire plus à l’écoute.

Avant de donner son accord, Luke Hunt a une demande. Il espère que je comprends qu’il y a négociation dans cette situation. Oh, je comprends bien. Convaincu d’aider oui mais pas gratuitement. La vie des autres a un prix et c’est à lui qu’on le paie. Cela me fend les lèvres d’un sourire triste.

"Surtout quand on demande à quelqu'un possédant des pouvoirs dangereux de donner son ADN"… je suis trop tendu pour pouffer à cela. Les pouvoirs de Luke Hunt sont dangereux face à des humains qui en sont dénués, c’est indiscutable. Néanmoins, il est dans la tranche basse de puissance niveau pouvoir. Ses compétences acquises sur des décennies le rendent sans doute plus dangereux que ses pouvoirs ; griffes et crocs ne sont pas plus forts que la balle voire l’épée. Et…

Cette fois, je suis surprise. Surprise de sa demande. Surprise de son intérêt. Mieux comprendre son ADN… mieux contrôler son pouvoir… "s’il est possible de mieux contrôler" son pouvoir…

Qu’est-ce que j’en dis ?

Mains sur les hanches, yeux fixant son nez, je fronce les sourcils en tâchant de réfléchir.

Après un siècle, il ne maitrise pas ses pouvoirs ? Non, il maitrise ses pouvoirs ; il le montre régulièrement. Il les maitrise même mieux que lui-même, considérant ses réactions à notre précédente rencontre. Est-ce qu’il veut repousser les limites ? Devenir plus puissant ?

Je déglutie face aux implications.

« J’en dis que c’est trop polysémique pour que je comprenne réellement votre intention, réponds-je donc avec autant d’impassibilité que j’y arrive, c’est-à-dire pas des masses même si je fais face ; ce qui vaut quelque chose. Vous avez les moyens pour payer un laboratoire afin de séquencer votre ADN. Ainsi que pour embaucher les conseillés scientifiques nécessaires à théoriser à partir des résultats. »

Je commence à transpirer abondamment, ce qui me gène malgré la tension de la situation. Un stress con mais toujours présent et qui s’en vient en rajouter au stress présentement comme une tique s’accrochant au pelage de mon âme.

« Vous avez prouvé plusieurs fois être en maitrise de votre transformation, reprends-je avant d’hésiter un instant à poursuivre ; ou plus exactement sur la manière de poursuivre. Votre CV sous-entendait une maitrise exceptionnelle de vos capacités, que vous soyez sous forme humaine ou hybride, voire complètement transformé. »

Jusqu’où puis-je aller avant de m’heurter à son instabilité mentale ? A mon sens, c’est elle qu’il faudrait traiter et non ses pouvoirs mais je n’ai pas moyen de le dire ainsi. A la place, je vais fonctionner comme il est de coutume dans une négociation. Mine de rien, je sais faire.

« Voilà mes conditions : l’étude de votre optimisation se passe sous l’égide du SHIELD. J’ai les moyens d’analyser votre ADN et de théoriser sur votre pouvoir. Cependant, je n’ai pas l’expérience d’aider à sa maitrise. Eux l’ont. »

J’hésite un instant, à nouveau, et prends mon courage pour poursuivre.

« Tout comme ils ont les ressources psychologiques afin de vous évaluer et de vous aider à faire face aux traumas énoncés la dernière fois. »

Sachant qu’il est extrêmement probable que le SHIELD espionne mon téléphone, je sais que je prends de gros risques ici ; à savoir dévoiler l’omerta. C’est une omerta, pas une complicité, sauf si Luke Hunt a commis de nouveaux crimes depuis que je suis au courant de son passé. Je mise sur ma Chance pour que ce ne soit pas le cas.

« Je ne vous prends pas pour une moule, cela impliquera que vous les confrontiez à propos de votre passé. »

Je prends le risque avec la gorge serrée et un nouvel instant de silence à fixer la réaction de Luke Hunt. Tant qu’il ne bouge pas, une partie du jardin à la française est entre nous et les @robeez en son sein. Tant qu’il y a des @robeez, et toutes celles actuellement actives au monde se trouvent dans mon domaine, je suis plus dangereuse que lui. Mon pouvoir est plus puissant. C’est sensé me rassurer…

« Ils ont néanmoins déjà engagé, et réhabilité, des gens avec un passif… terrifiant. »

J’ai livré ma vie à la surveillance du SHIELD en voulant aider la Slime et d’autres êtres comme elle. Cela n’était pas dans mon intérêt de le faire mais c’était ce que je jugeais être la juste utilisation de mon pouvoir. Je me rappelle parfaitement des mots de Joseph : "Prenons vous par exemple. Vous êtes une jeune femme fortunée, aimée de nombreuses personnes à en croire votre communauté, et visiblement intelligente. Trois qualités. Trois pouvoirs. Vous avez, bien entendu, des limites morales qui vous empêchent d'user de ces pouvoirs à ce que vous identifiez comme "le mal". Mais ceux qui vous perçoivent, eux, ne connaissent pas ces limites, ou les connaissent mais ne savent pas quand vous les briserez." Dans mon manichéisme, dans mon identification du bien et du mal, j’ai fait le bien. Dans le manichéisme de Luke Hunt, tuer des assassins et des criminels est faire le bien également. Dans le mien, et celui de beaucoup de monde je pense, c’est le mal. Comme l’a dit Joseph, le bien et le mal sont "des notions changeantes et débattues depuis des lustres, et qui le seront encore bien après nous." ; je suis en accord. Jamais le manichéisme de Luke Hunt et le mien ne pourront s’accorder. Alors je m’en réfère à la loi : tuer quelqu’un, sauf en légitime défense, fait de nous un assassin et généralement un criminel. Le SHIELD a réussi à réintégrer des individus similaires et même à en faire des héros ; Black Widow et Hawkeye sont les exemples les plus connus au monde. Il est donc question d’outrepasser nos manichéismes, nos points de vue, et de faire appel à un arbitre qui dictera les règles pour nous deux. Evidemment, il est aussi possible qu’ils arrêtent Luke Hunt et lui prélèvent son sang sans rien lui demander… mais je ne pense pas qu’ils me laisseront y toucher dans ce cas de figure. Sinon, je les aurais déjà avertis.

Joseph Rowles avait raison sur beaucoup de points. Là où il peut avoir tort, c’est que certaines personnes connaissent mes limites morales et m’avertissent lorsque je les brise. C’est pour cela que je me disputais avec Nathan et Enzo, partisans de passer une annonce pour un mutant doté de facteur guérisseur plutôt que de contacter Luke Hunt. Cela n’éclipsera cependant pas le fait que mes limites morales m’empêcheront de travailler pour un tueur en série. Tout comme le fait qu’elles n’ont aucune valeur face à la légalité car, qu’importe ce qui est bien ou mal, c’est la loi et les institutions qui l’incarnent qui ont le dernier mot.

« A-t-on un accord, monsieur Hunt ? L’étude de votre optimisation sous surveillance du SHIELD afin que je comprenne comment fonctionne votre Facteur Guérisseur et que vous compreniez mieux comment mieux maitriser tout ça ? »

"Ce n’est pas exactement des pouvoirs" mais ce qu’ils ont apporté à Luke Hunt, me dit-il. Je fronce les sourcils car je ne comprends pas. Cependant, ils ne restent froncés qu’un instant : le suivant, les paroles me les font remonter ainsi que les paupières et descendre la mâchoire en une surprise choquée. Il a parlé ouvertement de ses meurtres ; le SHIELD sait, à présent, pour peu qu’il l’ignorait auparavant. Néanmoins, on en arrive à quelque chose qui me surprend beaucoup moins et n’a rien à voir avec la génétique : le fait qu’arrêter de tuer soit difficile. "En plus de la forme de jaguar", Luke Hunt a "hérité d’une sorte d’esprit recherchant la violence et le combat". Excepté pour le territoire et la reproduction, il ne me semble pas qu’aucun animal cherche la violence et le combat. Même la chasse est destinée à être aussi rapide que possible et à viser la proie la plus faible pour éviter la confrontation et les dangers liés. Les animaux n’ont pas accès à la médecine et l’infection d’une blessure peut vite être fatale ainsi évitent-ils autant que possible de se blesser. La perte de contrôle de l’autre fois n’est pas un instinct de chasse ou de reproduction, c’est l’instinct d’un homme habitué à tuer et qui, face à la contrariété, avait de la difficulté à ne pas le faire.

Luke Hunt s’excuse lui-même, personnellement je ne le fais pas.

Je l’écoute et l’analyse. J’imagine le danger que Luke représente pour des gens ignorants et non protégés. Je me rappelle ce que l’Agent Carthew a dit sur la nécessité d’évaluer la dangerosité des surhumains. S’il n’est pas puissant par ses pouvoirs, Luke Hunt est incontestablement dangereux ; par ses compétences ainsi que l’usage qu’elles permettent de ses pouvoirs.

« Ce que je vous demande c’est d’essayer de comprendre comment fonctionne mon pouvoir au-delà de la forme physique et de m’aider. »

Il n’est donc pas question d’étudier l’ADN ? Il est question d’étudier les influences inconscientes entre l’instinct hérité du jaguar, les traumas hérités de l’expérience et les besoins hérités d’une vie à tuer les autres ? Il faut reconnaitre une retenue, face au désir de meurtre, de viser des éléments nuisibles de la société. Cela ne fait pas, à mes yeux comme à ceux de la loi, de celui qui le fait quelqu’un de bien s’il comment les mêmes atrocités que ceux qu’il condamne. Parallèlement, une autre question me vient à l’esprit : si ce qui s’est passé lors du recrutement, le mois dernier, est le résultat du manque de meurtre de Luke Hunt… cela signifie qu’il a arrêté de tuer très récemment !

Se concentrer sur son apparence. Sur son discourt. Sur l’échiquier d’influence qui se joue autour de nous. Rester aussi impassible que j’y arrive. Evoquer la psychologie, comme prévu. Encaisser la réplique.

« Vous avez raison sur tous ces points et c’est sans aucun doute que j’aurais besoin d’aide de leur part mais pouvez-vous m'assurer qu’ils vont m’aider et pas tout simplement me jeter dans une prison sans que je n’y sorte jamais. »

Je retiens un sourire en coin. Il énonce mes sous-entendus et d’autres évidences. Oui, cette entrevue est plus dangereuse pour lui que pour moi : il est dangereux en face à face car il a l’expérience et des améliorations physiques. Je suis dangereuse car je cherche à comprendre comment les systèmes fonctionnent afin de les utiliser selon mes desseins. Lors de notre première rencontre, j’étais sur un système obsolète : les gardes du corps. J’ai appris, j’ai évolué. Qu’importe mon affection pour Nathan, il est obsolète dans le domaine d’assurer ma survie. Les @robeez, mêlant systèmes électroniques et chimiques à des considérations quand aux avantages des insectes face aux humains, sont un remplacement plus efficace mais limité ; volontairement comme intrinsèquement. Le SHIELD est un autre système et j’apprends à utiliser son fonctionnement, le fait que je le serve et qu’il me surveille, à mon avantage. Connaitre les règles du jeu pour gagner, tout simplement.

Luke Hunt se rend compte qu’il peut perdre.

Luke Hunt suppose que je sais ce qu’un père est capable de faire pour retrouver ses enfants et, si le SHIELD l’emprisonne, il n’hésitera pas à s’échapper… Je ne peux m’empêcher d’être surprise et d’avoir un rire de dépit. Wanda Maximoff, ancienne Avenger ayant échappé à tout le monde durant des mois, a purement et simplement disparue de la circulation depuis que le SHIELD l’a arrêtée. Je pense que si elle est capable de garder enfermer une sorcière, la prison de l’organisation arrivera à le faire d’un être qui m’explique "les enjeux et les risquent en répondant à ma demande". Comme si les morts qu’il pourrait faire si la Justice décide qu’il mérite la prison seraient de ma faute et non de la sienne. Il est pourri jusqu’à la moelle.

Je ne réponds donc rien, n’ayant pas l’intention de faire un hors sujet sur notre négociation. C’est une négociation : Luke Hunt, pour son activité de héros, n’aidera que si on accepte de l’aider. Heureusement que je ne suis pas une héroïne, sinon comment pourrais-je essayer d’aider des gens que je ne connais pas sans rien leur demander en échange ?

« J’accepte vos conditions et espère vraiment pouvoir vous faire confiance même si visiblement vous ne me faites pas confiance.

"J’espère que vous comprendrez qu’il y ait négociations dans cette situation", cite-je simplement, froidement. Depuis quand y a-t-il de la confiance dans une négociation ? »

Si je dois avoir confiance en quelque chose lorsque je négocie, c’est ma capacité à retirer un maximum de la situation en concédant le minimum. Une négociation est un rapport de force et d’intelligence afin d’arriver à un accord mutuellement bénéfique. Néanmoins, à aucun moment ne maximise-t-on le bénéfice de la partie adversaire. Il faut trouver le point d’équilibre où les deux parties gagnent suffisamment dans leur tentative d’exploiter l’autre pour accepter que l’autre partie les exploitent. Luke Hunt gagne l’étude génétique et l’accompagnement psychologique de sa personne, je gagne l’étude génétique et la neutralisation du danger de sa personne.

« Vous parlez de votre "activité de héros" et d’aider les autres en échange de quelque chose, reprends-je en me détournant de lui pour marcher en arc de cercle dans mon jardin, conservant la distance et le bosquet taillé entre nous. Vous parlez de votre difficulté à ne pas tuer par addiction et de ne pas hésiter à attaquer ceux qui s’opposeraient à vos objectifs, résume-je avec amertume en relevant le regard vers Luke Hunt, cherchant à voir s’il comprend. Comment pourrait-on faire confiance à quelqu’un comme vous ? »

Je ne fais pas théoriser sur pourquoi quelqu’un s’étend défini comme un chasseur exceptionnel est incapable de retrouver ses enfants et des raisons pour lesquels ceux-ci ne souhaiteraient pas qu’il les retrouve : je n’ai pas assez d’éléments sur l’histoire et, même si j’ai raison, je n’ai pas envie de faire souffrir quelqu’un. Même s’il l’a mérité.

« Le SHIELD fera ce qu’il juge nécessaire afin d’assurer la sécurité des gens. S’il vous évalue comme une menace qu’il faut enfermer, cela sera l’occasion de vous remettre en question, continue-je avant de baisser mes mains de mes hanches à mes poches. Que vous soyez surveillé ou en prison, cela ne change rien à notre accord : nous pourrons étudier votre cas, vous pourrez avoir du soutien pour outrepasser votre addiction au meurtre et je pourrais perfectionner mon instrument de guérison. »

Je marque une pause. J’hésite à préciser que, s’il s’échappe, il n’aura pas d’aide alors que j’aurai son sang. Aller contre ce que demandera le SHIELD, c’est tout perdre pour Luke et cela ne change pas grand-chose pour moi. La menace qu’il représente ? Entre les @robeez, le SHIELD et les Gardiens de la Galaxie, je pense avoir l’avantage. Sans compter que je serais l’appât idéal pour le piéger. Je n’aime pas cette idée mais il y a une raison pour laquelle deux personnes m’ont avertie que, à essayer d’aider les autres comme je le faisais, j’allais m’attirer des ennemis. Bon, je pense qu’au moins l’une d’entre elle me traiterait d’idiote si elle savait le palier que je passe avec Luke Hunt et que l’autre n’en penserait pas moins… mais c’est fait.

Gorge serrée, transpiration présente et cœur trop rapide, je continue de fixer Luke Hunt en cherchant le courage de lui tourner le dos pour en finir ici. La négociation est terminée, Leon El n’a pas eu l’occasion de faire les politesses et Luke Hunt peut repartir comme il est venu. Je suis prête à beaucoup pour aider la Slime car elle est innocente et pourrait souffrir comme faire souffrir dans cette innocence. Je suis prête à beaucoup moins pour aider Luke Hunt car il est coupable et, qu’importe qu’il tente d’en décharger la responsabilité sur autrui pour se voir comme une victime forcée à agir, il est seul décisionnaire de ses actions. Oui, il souffre d’un manque et j’aurais tendance à vouloir aider à outrepasser cela mais il est prêt à faire du mal à ceux qui s’opposeraient à lui et il n’a pas l’excuse de l’addiction ou des traumas pour cela. Uniquement sa volonté, sa décision. C’est cela qui le condamne, à mes yeux. Reste à voir ce qu’en pensera le SHIELD… même Luke Hunt ne se fait pas d’illusion.