Vivre sur le lieu où l’on travaille pose des problèmes de compartimentation. Il est vite question de travailler sept jours sur sept, de ne jamais réellement décrocher de ses fonctions. Surtout lorsqu’il n’y a personne pour nous ordonner de le faire, ce qui est la manière la plus aisée de nous y insister. Oui, pour qu’on arrête d’obéir dans le cadre de nos missions, il faut nous en donner l’ordre afin qu’on obéisse dans le cadre de nos habitudes ! Chose qui, en l’absence de notre patron, est complexifiée. Heureusement que ses vacances n’ont duré qu’une semaine, même s’il aurait mérité bien plus. Cependant, il est sans doute tout aussi concerné que nous par les difficultés de compartimenter la vie privée et la professionnelle. Sachant que l’on est trois, être tout aussi concerné que nous c’est donc l’être trois fois plus que chacune de nous.
J’espère qu’il ne trouvera pas ça déplacé qu’on l’attende ainsi pour l’aider à récupérer ses affaires, cogite Phoebe. Ce qui était déplacé c’était de nous faire déplacer alors que c’est toi son assistante, cogite Mindee. Mais nan, on s’est déplacée car on est gentilles donc c’est pas déplacé mais gentil, cogite Céleste. +1 Céleste. Ouais, on est surtout des fayottes. +1 Mindee.
Il faut aussi prendre en compte quelque chose de très important. Pas autant que notre flagornerie, laquelle reste un grand pilier de notre individualité collective, mais tout de même : on a appris pour Charlynda avant de partir en mission, on s’est concentrées sur la compensation de notre faiblesse démontrée pendant ladite mission au point de reléguer notre curiosité au second plan jusqu’aux vacances Charlyndesques mais maintenant que tout ça s’est terminé la curiosité revient au galop ! Avec notre subtilité, c’est un galop pachydermique ! Mademoiselle Grey nous en est témoin. On lui a parlé de beaucoup trop de choses, tant de manière générale que pour elle.
Les portes de fer du domaine sont ouvertes, de même que celles de bois du manoir. Les deux. C’est devant les secondes que l’on attend toutes les trois comme du personnel de maison, d’une même position et d’une même tenue. L’habituelle. Chemises à col croisé blanches et liserés noirs, jupes droites noires, collants noirs, ballerines noires, têtes blondes et sourires aux lèvres. Toutes nos mains sont à plat le long de nos jupes et nos regards sont de telle manière à ce qu’on se voit toutes les trois ; ainsi, celle du milieu est un pas en retrait et notre triangle est équilatéral.
Oui, parfaitement, je donne les ordres. Attends que monsieur Xavier soit de retour et on verra qui donne les ordres. Donner les ordres ou donner les ordres au nom de monsieur Xavier, y’a pas réellement de différence nan ? Non. Si, le fait d’assurer ses décisions ! Donc Phoebe arnaque les gens quand elle donne des ordres au nom de monsieur Xavier ? Tu m’as prise pour une Mindee ?! Totalement. J’avais jamais vu ça ainsi.
Celle du centre regarde celle de droite en transitionnant d’une expression de satisfaction à une confirmation tandis que cette dernière s’interroge puis s’éclaire aux amusements de celle de gauche. Le manège des réactions affichées et des échanges de regards tourne à plein régime depuis un moment, profitant de l’absence de témoins jusqu’à ce qu’il en arrive un. Lorsqu’on voit la voiture, on se redresse et nos sourires deviennent plus professionnels même s’ils restent très contents.
Impossible de savoir quoi ressentir ou penser vis-à-vis de Charles Xavier. On anticipe qu’il devienne un père de substitution, ce qui est une habitude chez lui mais un manque de professionnalisme chez nous et qui nous poserait problème vis-à-vis de l’épée de Damoclès que sont les retrouvailles avec nos sœurs et notre vrai père ; dont monsieur Xavier est la clé. On n’a pas l’intention de lui demander de les retrouver pour nous, même si mademoiselle Grey l’a suggéré, mais il est le seul à pouvoir nous apprendre à les retrouver. Cependant, on ne veut pas que notre relation soit basée sur ce qu’il peut nous apporter : c’est l’inverse normalement ! Après, les choses sont plus nuancées et on a plein de choses, nuancées ou pas, à lui demander avant qu’elles ne nous concernent nous !
Celle de gauche s’en va lui ouvrir la portière lorsque la voiture est arrêtée, nous laissant toutes trois nous demander comment on fait pour accélérer et freiner sans utiliser les pieds, tandis que celle de droite s’en va lui chercher le fauteuil roulant.
« Bonjour Professeur, dit-on à trois d’une seule voix, malgré nos positions différentes dans l’espace et les variations de volume qui y sont liées ; lesquelles restent mineures du fait de nos proximités. Comment se sont passées vos vacances ? »
On écoute la réponse avec trois fois trop d’attention, bustes et visages en avant ainsi que nez légèrement relevés et grands yeux bleus le fixant, ce qui sachant qu’on est trois en fait neuf fois trop ! Afin d’éviter de lancer l’assaut sur le Charlynda immédiatement, on tâche avec un effort certain de trouver un autre sujet de conversation pour la mi-temps.
« Tout c’est bien passé à l’Institut, poursuit celle du centre, fière d’elle. Il n’y a eu qu’un incident notable mais attendez demain pour le lire. Tout est réglé.
- Phoebe a fait de l’excellent travail, poursuit celle de gauche avec joie. D’ailleurs, elle était tous les jours à votre bureau.
- J’aurai jamais osé m’assoir à sa place, répond celle du centre en fusillant du regard celle de gauche, en plus, il était parti avec la chaise. »
Alors que celle de gauche s’apprête à renchainer, on a toutes les trois un bug. L’expression qui s’ensuit est une triple interdiction partagée puis celle du centre se décompose alors que celle de gauche fait de son mieux pour ne pas se marrer et que celle de droite s’en arrive avec le fauteuil roulant.
Je l’ai dit à haute voix ?! Ouiii ! Oui… Mais je suis vraiment une catastrophe ! Ouiii ! Oui…
« Euh, reprend celle du centre en essayant de trouver quoi dire et en faisant face avec tout son courage à sa paire de pieds. Mindee elle a glandé.
- Oui, confirme avec un large acquiescement celle de gauche, mais j’ai glandé à ma place après avoir fini tout ce que j’avais à faire, moi.
- On a trouvé et aménagé le débarra, intervient celle de droite en laissant le fauteuil à portée de main. Il faudra que vous veniez le voir. On en est fières.
- Pas tant que ça, modère celle du centre.
- Si, un peu, quand même, appuie celle de gauche, pragmatique. Mais pas ce soir…
- Vous vous reposez d’abord, continue celle du centre, douce.
- Et vous nous raconter vos vacances, conclue celle de droite, curieuse.
- S’il vous plait, tente-t-on de finir à trois avant que l’on ait une seconde de doute. Souhaitez-vous quoi que ce soit à boire ou à manger ? »
Celle du centre marque un silence blasé tandis que celle de gauche le marque avec un pincement de lèvres coupables et que celle de droite le marque sans être convaincue. Cela dure un peu moins d’une seconde.
Oui, on y avait pensé tout à l’heure, rappelle Phoebe. Oui, on a oublié tout à l’heure, rappelle Mindee. Oui, notre gestion du timing ne s’est pas améliorée, rappelle Céleste.
« Je m’occupe des bagages, déclare celle de droite, s’en retournant avec contentement.
- Je m’occupe de la honte de Phoebe et de la voiture, déclare celle de gauche, s’en détournant avec contentement.
- Euh, déclare celle du centre, restant sur place avec hésitation. Je vous suis ? »
Mindee ! C’est moi ! C’est elle ! Céleste ! C’est elle ! C’est moi ! Vous me faites chier ! On sait ! Oui !
« Vous savez, tente de se rattraper celle du centre qui croise les bras en essayant de paraitre digne dans son malaise, si vous voulez être tranquille je peux prendre un peu plus de temps que nécessaire pour préparer la boisson. »
Charles avait passé une excellente semaine. Il y avait mis les moyens, en louant une petite île rien que pour Lynda et lui, afin de pouvoir profiter pleinement du calme de la plage et de l'océan. Sa compagne avait tenté vaguement de protester, estimant qu'il n'avait pas à faire des folies en dépensant une forte somme pour de simples vacances, mais elle avait abandonné lorsqu'il avait rétorqué que la véritable démesure aurait été d'acheter l'île, ce qu'il aurait pu se permettre de faire.
Charles et Lynda, qui se consacraient habituellement pleinement à leur travail et à leur dévouement aux autres, avaient eu du mal à lâcher prise et à se faire à l'idée qu'ils allaient tout laisser de côté durant sept jours. Cela leur fit pourtant le plus grand bien, ils purent profiter pleinement du temps passé ensemble, rien que tous les deux, loin de leurs tracas habituels. Ils eurent ensemble de longues discussions, plus ou moins sérieuses, toujours passionnantes. Lorsque le professeur Xavier rentra à son Institut le dimanche soir, il avait le cœur léger et l'esprit empli de belles pensées.
S'il avait en premier lieu songé à se rendre sur l'île à l'aide du X-Jet, il avait finalement décidé de le laisser au manoir, au cas où Hank ou d'autres en auraient besoin. Il s'était rabattu sur la location d'un jet privé avec pilote qui les avait emmenés depuis un aéroport new-yorkais. Ainsi Charles n'avait eu besoin que d'une voiture pour se rendre à l'aéroport, après être passé prendre Lynda dans son modeste appartement du Bronx. Une fois de retour sur la terre ferme, il la déposa chez elle et reprit la route du manoir, très satisfait de ses vacances mais néanmoins heureux de retrouver ses amis, ses collègues, ses élèves. La rentrée aurait lieu d'ici une grosse semaine, et l'effervescence qui allait se créer au fil des jours le réjouissait par avance. En attendant, il avait hâte de retrouver son lit, fatigué par le voyage.
Lorsque sa voiture franchit les grilles de l'Institut, qu'il fut d'ailleurs étonné de trouver ouvertes, la soirée était entamée et le dîner au réfectoire se terminait pour les personnes présentes au manoir. Il comprit la raison de l'ouverture du portail lorsqu'il aperçut les trois sœurs Cuckoos qui l'attendaient sagement, presque religieusement, devant les portes du manoir. Il arrêta donc la voiture devant le perron afin de les saluer, pensant ensuite aller jusqu'au parking... mais il fut brusquement assailli par trois tornades blondes.
Une première lui ouvrit sa portière tandis qu'une autre prenait à l'arrière le fauteuil roulant pour l'extraire du véhicule. Elles le saluèrent toutes les trois en chœur, ce qui était encore plus fascinant à observer lorsqu'elles ne se tenaient pas les unes à côté des autres, et lui demandèrent comment s'étaient passées ses vacances. A la façon dont elles le fixèrent pour écouter la réponse, Charles comprit que ce n'était pas une simple question de politesse mais qu'elles attendaient vraiment de savoir comment c'était. Étrange curiosité, qu'il ne voyait pas comment satisfaire dans l'immédiat. Il leur sourit, malgré la fatigue, tenta de croiser le regard de chacune et répondit :
« Bonsoir mesdemoiselles. Très bien, merci. »
Il n'eut guère l'occasion de développer. Elles enchaînèrent rapidement, lorsque celle qu'il supposa être Phoebe lui annonça que tout s'était bien passé en son absence. L'évocation d'un « incident notable » lui fit lever un sourcil interrogatif, mais il acquiesça lorsqu'elle lui suggéra d'attendre le lendemain pour en prendre connaissance. A priori, il aurait un rapport complet sur la situation, et cela lui convenait très bien de se reposer avant de l'étudier.
Il crut percevoir une petite attaque verbale de la part de Mindee envers Phoebe, mais il n'eut pas vraiment le temps d'y réagir. La remarque sur la chaise fut prise avec humour par Charles qui esquissa un sourire amusé. Il laissa les deux sœurs à leur joute verbale tandis que Céleste lui approchait son fauteuil, dans lequel il s'installa pendant que cette dernière parlait de l'aménagement de leur nouveau bureau et qu'un nouveau ping-pong oral reprenait entre les trois. Le professeur ne tenta même pas d'intervenir, elles allaient de toute façon trop vite pour lui, il n'avait pas vraiment l'occasion d'en placer une.
Il pensa pouvoir répondre lorsqu'elles lui proposèrent ensemble de se restaurer, mais le silence qui suivit la question ne dura qu'une seconde avant qu'elles ne reprennent. Il n'eut pas le temps d'ouvrir la bouche que déjà Céleste ouvrait le coffre pour prendre sa valise et que Mindee prenait place sur le siège conducteur. Savait-elle conduire au moins ? Sans doute pas ce genre de voiture, spécialement équipée pour les personnes qui ne pouvaient pas se servir de leurs pieds pour utiliser les pédales. Charles posa finalement son regard sur Phoebe, qui semblait avoir pris conscience qu'elles allaient un peu trop vite pour lui, c'est donc à elle qu'il répondit en premier lieu, réussissant enfin à parler.
« Je sais que votre dialogue intérieur doit être très rapide, mais lorsque vous vous adressez à des personnes extérieures à vous trois, ce serait bien de leur laisser un peu de temps pour répondre entre vos répliques. »
S'il regardait Phoebe en disant cela, sa remarque était en réalité pour les trois sœurs. C'était néanmoins dit sans reproche, plutôt comme un conseil bienveillant. Il avait même encore un sourire amusé sur les lèvres, bien qu'un peu las. Elles étaient touchantes, dans le fond. Il prit ensuite le temps de répondre à chacune, en fonction de ce que chacune s'occupait de faire.
« Merci pour les bagages Céleste. Si tu peux les déposer devant la porte de ma chambre, ce sera parfait. Mindee, la voiture est configurée avec un système de commandes au volant, si tu veux pouvoir conduire avec les pédales il faut enclencher le bouton rond sur ta droite, à côté de celui des warning. Si tu veux bien m'accompagner dans la petite cuisine Phoebe, je ne dirais pas non à un grand thé glacé. Et il doit rester des pizzas surgelées au congélateur, ce sera très bien pour ce soir. »
S'il aspirait au repos, il venait d'accepter l'idée qu'il n'aurait pas droit à un peu de calme tout de suite. Ce n'était pas bien grave. Il était heureux de revoir les trois sœurs et de constater qu'elles étaient de plus en plus à l'aise dans leurs rapports avec lui, même si elles étaient encore quelque peu maladroites. Après tout elles étaient emplies de bonnes intentions et ne péchaient que par excès de zèle, ce qui finirait bien par s'estomper au fil du temps.
Le fait de revoir monsieur Xavier nous rend contentes, peut-être un peu trop d’ailleurs. On ne s’en plaint pas mais on le plaint lui. C’est, d’une certaine manière, une nouvelle preuve de notre naturel mais celui-ci est toujours déplacé. On a appris à se comporter autrement mais on s’est excitées toutes seules. Encore.
Monsieur Xavier est déjà fatigué et on ne va pas l’aider à se reposer, même si l’intention de base était de l’aider justement. Il sourit à nos présences et essaie d’être équitable entre nous. C’est plus facile dans l’astral que dans le physique, il lui manque un œil actuellement !
En plus, c’est pratique d’être chauve lorsqu’on a un troisième œil. C’est vrai que ça évite d’avoir les cheveux dans les yeux. On lui dit pas ? Non. Non. On est d’accord.
On enchaine déjà beaucoup et il y réagit comme il le peut. Même l’impardonnable gaffe d’énoncer oralement ce que l’on pense, enfin ce que PHOEBE pense car la solidarité se termine là où la bêtise commence, ne suffit pas à nous freiner très longtemps. Et en parlant de frein…
Démerde-toi, encourage Phoebe. Maieuh, se décourage Mindee. Je suis contente d’avoir prise la valise, s’encourage Céleste. Ouais, au moins faire fonctionner les roues là c’est facile. Nan mais au pire je passe en forme de diamant et je pousse la voiture jusqu’au garage ! Tant que tu n’abimes pas le pare-chocs, ça ira.
« Je sais que votre dialogue intérieur doit être très rapide, finit par nous dire monsieur Xavier en regardant Phoebe, qui s’en retourne à ses chaussures pour la seconde fois, mais lorsque vous vous adressez à des personnes extérieures à vous trois, ce serait bien de leur laisser un peu de temps pour répondre entre vos répliques.
- Désolées… »
On répond à trois même si les deux autres sont moins désolées que celle qui fait face ; tant à la personne envers qui on est fautives qu’envers son supérieur. Le fait d’être cachées derrière Phoebe, même si ce n’est pas réellement le cas. Chose rendue encore plus évidente par l’effort de monsieur Xavier de s’adresser à chacune d’entre nous et de savoir laquelle est laquelle ; ce qu’il réussit.
On le laisse parler, même si Phoebe relève les yeux et le visage. S’il n’y a eu aucun reproche, s’il n’y a eu que de la bienveillance, on est très à même de se les faire entre nous et à nous-même. Ça vient vite et ça repart un peu plus lentement que le reste. S’autoriser à faire des erreurs pour avancer. C’est difficile.
Celle de droite, avec la valise, acquiesce et s’en va donc vers la destination de sa livraison.
Celle de gauche, dans la voiture, part à la recherche du bouton salvateur pour sa crédibilité et le pare-chocs.
Celle du centre, face à monsieur Xavier, acquiesce à sa demande en joignant les mains au niveau de son ventre ; le geste signature de Mindee, qu’on emprunte toutes lorsqu’il s’agit de mettre en avant les qualités de celle-ci.
« Bien sûr, répondent en simultanée celles de droite et du centre, juste avant que celle de gauche n’ajoute :
- Merci !
- Si vous voulez aller avec Céleste, précise celle du centre, n’hésitez pas. Je peux tout vous apporter à votre chambre. »
Mindee, je sais. Si tu sais, pourquoi tu proposes la seule d’entre nous qu’osera pas demander les informations ? Par gentillesse ? Le gossip n’est pas le plus important. Certes mais c’est quand même vachement haut placé. On pourra gossiper demain ? Pour une fois que c’est pas Céleste et ses garçons qui va nous empêcher de dormir. Vous êtes des lâches ! Oui. Non. Les avis sont partagés. Euh…
Alors que deux vont dans un sens en se calant naturellement sur le rythme d’avance de leur interlocuteur et que la troisième va dans l’autre sens en penchant la tête car le volant n’est pas du bon côté, un silence un peu gêné ce fait. Physiquement. Néanmoins, les changements d’expression des visages trahissent le dialogue interne toujours aussi rapide.
Non, je ne suis pas lâche. Demander à monsieur Xavier de suivre Céleste parce que tu as mis les pieds dans le plat, t’appelles cela comment ? Un repli stratégique pour aller mourir de honte dans son coin ! Céleste… On sent qu’elle sait de quoi elle parle. Oui ! Et elle en est fière… Oui… Ben quoi ?
En deux secondes, celle à la valise a le temps de passer de la fierté à la perplexité tandis que celle aux mains jointes passe d’une expression renfermée à une autre dépitée.
Nan mais vaut mieux être fière de sa connerie que de se facepalm… Surtout quand ça fait ce facepalm les autres : tout bénef ! On est d’accord.
Contentement à la valise, dépit à l’autre.
Et cela continue ainsi jusqu’à l’entrée, fort heureusement toute proche, où une petite haie d’honneur est faite à monsieur Xavier. La valise et la porteuse à droite, l’autre à gauche. Autre qui entre en seconde avant d’être suivie par la première. Première qui s’en va vers les ascenseurs tandis que la seconde se dirige vers l’aile ouest.
« Quelle pizza préférez-vous ? »
Mains toujours jointes et sourire aux lèvres, elle demande avec une pointe de curiosité visible sur l’avancement de son buste et de son visage ; curiosité bien évidemment partagée. C’est d’ailleurs visible chez celle à la valise, qui se tient aussi digne que son regard de biais le lui permet.
Oui, je ne connais pas sa pizza préférée. Assistante indigne ! Celle de monsieur McCoy c’est, euh… Professionnellement, on a autre chose à faire que parler pizza NOUS. Ah mais je comprends totalement Phoebe, en plus tu n’es pas une assistante personnelle : c’est pas à toi d’appeler le livreur en cas de commande de pizza. Mais j’ai jamais eu à le faire moi… Mindee, tu ne me retourneras pas contre Céleste. Laisse-moi le temps ! Euh, merci ?
Le but du professeur n'avait absolument pas été de les mettre mal à l'aise, malheureusement au vu de leur relation, il était évident que le moindre reproche, même dans un enrobage de conseil bienveillant, aurait beaucoup d'effet sur elles. Phoebe baissa immédiatement le nez pour regarder le sol, honteuse d'avoir fauté, et les trois marmonnèrent un mot d'excuse. Apprendre à ne pas être parfaites n'était pas simple pour elles. Il n'avait aucun mal à comprendre cela. Sans vouloir remuer le couteau dans la plaie, Charles répondit simplement, toujours en souriant :
« Ce n'est pas grave. »
Elles se reprirent néanmoins rapidement, à priori ravies que Charles les aiguille sur les tâches à accomplir. C'était encore un peu étrange pour lui, qui s'était longtemps débrouillé tout seul ou uniquement avec l'aide de Hank, son ami le plus proche, d'avoir ainsi trois petits moineaux autour de lui pour l'assister et faire à sa place ce qu'il avait l'habitude de faire par lui-même. Il avait pourtant eu des serviteurs lorsqu'il était enfant, mais il s'en était très vite détaché lorsqu'il avait acquis son indépendance. Cette sensation bizarre finirait bien par passer, il finirait même probablement par trouver cela agréable. Elles n'étaient pas les seules à avoir besoin de prendre leurs marques, après tout.
« Oh non, je ne pourrais pas manger dans ma chambre. Ce sont là les restes d'une éducation qui ne laissait guère de place à la fantaisie : les repas se prennent à la cuisine ou dans la salle à manger. »
Il se mit donc en route vers l'entrée du manoir, soulagé que Phoebe n'ait pas eu l'idée de pousser son fauteuil. Il resta silencieux, appréciant le calme qui résultait, selon lui, de sa remarque sur leurs répliques trop abondantes. Arrivé devant la porte, il eut un court moment d'attente, souhaitant par habitude et politesse laisser d'abord passer les demoiselles, mais il finit par entrer le premier en constatant qu'elles avaient eu la même idée avant lui.
Alors que Céleste partait vers les étages pour déposer ses valises devant sa chambre, il se fit la réflexion, amusé, qu'il avait bien fait d'en fermer la porte à clé, sinon elle aurait été capable de déballer ses affaires et de les lui ranger dans son armoire. Quoique… elle n'aurait peut-être pas osé, craignant en quelque sorte de s'immiscer dans sa vie privée. Gardant ces pensées pour lui, il tourna le regard vers Phoebe lorsqu'elle lui demanda sa pizza préférée et répondit nonchalamment :
« Oh, je prendrai ce qu'il y aura. C'est généralement Raven qui gère le stock de la petite cuisine, elle a toujours eu des fringales en dehors des heures de repas, et c'est encore pire depuis qu'elle est… en vacances. »
Il avait eu un bref instant d'hésitation, s'interrompant dans sa phrase en réalisant que les trois sœurs n'étaient probablement pas informées de la grossesse de Raven, et parvint à se rattraper in extremis, bien qu'un peu maladroitement. Une légère gaffe, qu'il n'aurait probablement pas faite avec un esprit parfaitement reposé, et qu'il espérait que Phoebe ne remarque pas… même s'il se faisait peu d'illusion. Il pariait plutôt sur le fait qu'elle ne comprendrait pas ce qu'il aurait pu vouloir dire, et qu'elle n'oserait pas demander.
« La connaissant, ce sera probablement une pizza au fromage… enfin, si cette pâte caoutchouteuse et chimique peut être appelée fromage. »
Lorsque monsieur Xavier nous dit que ce n’est pas grave, il nous fait acquiescer légèrement toutes les trois même si seule son assistante lui fait face. Ce n’est pas grave, non, mais l’on doit se reprendre tout de même. Avoir des tâches à faire nous aide, pour ça, même si cela ne l’aide pas lui ! Cependant, le mieux reste la possibilité contreproductive pour notre curiosité de lui proposer d’accompagner Céleste. En parallèle de notre agitation mentale, sa réponse orale nous offre un instant de pause…
« Oh non, je ne pourrais pas manger dans ma chambre, nous déclare-t-il, amenant celle qui lui fait face à se concentrer pour retenir cette information importante alors qu’il l’explique. Ce sont là les restes d'une éducation qui ne laissait guère de place à la fantaisie : les repas se prennent à la cuisine ou dans la salle à manger. »
Ça c’est quelqu’un de bien éduqué, s’enchante Phoebe alors qu’elle marche. Ça c’est un bon supérieur : pas de petit déjeuner au lit, s’enchante Mindee alors qu’elle roule. Moi je me demande s’il faudrait pas que j’amène le petit déjeuner à monsieur McCoy, on ne le voit pas souvent au réfectoire le matin, s’inquiète Céleste alors qu’elle marche. Mon supérieur serait-il mieux que le tien ? Nan, c’est mon mieux à moi qu’est le meilleur. Mindee, t’en as pas. Justement, elle sert à rien. Justement, il est pas regardant ni contraignant. +1 Phoebe.
Si la moitié d’entre nous marche en silence et l’autre roule en silence, mentalement rien ne s’arrête. Puis, exception faite de celle dans la voiture, tout le monde le fait physiquement.
Ah… Ahah ! Oh… Nan c’est mort, on passe pas devant monsieur Xavier. T’as raison, on double pas par la droite ! Mais elle est à gauche… Mindee, la ferme. Non, la voiture. Mindee, c’est pas comme ça que tu la retourneras contre moi.
Le silence devient un peu gênant alors que les deux accompagnatrices de monsieur Xavier font de leur mieux pour ne pas se regarder par-dessus lui. Finalement, il entre et on le suit avec satisfaction. Puis vient l’histoire de la pizza…
« Quelle pizza préférez-vous ?
- Oh, je prendrai ce qu'il y aura. »
Il a pas répondu à ma question. Oui. Non. Il détourne le sujet. Oui. Oui. Vous allez pas m’aider ? Non. Non.
Le visage de Phoebe, après un instant de surprise, se blase et elle passe de la position de Mindee à la sienne : ses mains quittent son ventre pour permettre à ses bras de se croiser. Pas que l’histoire de Raven et sa gestion douteuse des stocks de la cuisine comme des balades nocturnes, petit détail qui casse le renfrognement de Phoebe pour un petit air coupable, ne nous intéresse pas mais disons que ses vacances ne sont pas la chose qui nous rendait curieuses et qu’on a déjà mis le bazar dans son retour… mais on en parlera demain, comme promis.
Après, c’est pas ses vacances qui font qu’elle bouffe tout le temps. Ce sont ses enfants. Vous pensez qu’elle nous supportera encore moins quand elle les aura ?
« La connaissant, ce sera probablement une pizza au fromage… enfin, si cette pâte caoutchouteuse et chimique peut être appelée fromage.
- N’essaie-t-elle pas de manger plus sainement depuis qu’elle est enceinte ? »
On ne va pas se mentir, le fait de pouvoir manger n’importe quoi sans jamais grossir c’est quand même un pouvoir sacrément utile. Néanmoins, maintenant qu’il y a les bébés à prendre en compte… ben ce serait bien de les prendre en compte, justement. Certes, jamais on oserait aller lui dire cela en face pour éviter de nous faire pourrir et parce que, ce en quoi elle aurait raison, ça ne nous regarde pas. On est télépathes, on se mêle de tout et on en sait toujours trop ; rien que l’histoire de madame Darkhölme enceinte, on l’a appris trois fois juste durant la mission pour sauver mademoiselle Maximoff.
« Si la question est déplacée, excusez-nous, se reprend rapidement Phoebe. Et si "ce n’est pas grave", faites attention : nous avons beaucoup de curiosité déplacée… »
Je sais que je suis pas douée pour amener doucement les sujets ! Nan mais je m’inquiète pas, ça pourra pas être pire qu’avec mademoiselle Alvarez. D’un autre côté, s’en a été au point qu’on n’ait plus de nouvelles… Je lui dis ? Oui ! Non ! Vous m’aidez pas… Non. Oui.
« Vous pourrez demander à mademoiselle Grey. Elle est dans notre club de télépotins. Et elle a été victime de notre… manque de professionnalisme. »
Phoebe trouve ses mots avec un petit sourire. On est néanmoins unanimes : c’est mieux de parler de manque de professionnalisme que d’excitation autoalimentée, même si c’est plus le second que le premier puisqu’on cherchait à être amicales avec mademoiselle Grey. Chose qui est un manque de professionnalisme puisque monsieur Xavier n’a pas vocation à être notre ami. Même si on ne sait pas ce qu’il sera, en définitive, puisqu’il avance sur plusieurs rôles et que la majorité manque de professionnalisme.
« Mais elle n’a pas l’air de le vivre trop mal. Elle nous fait marcher quand on parle trop. »
Mindee, tais-toi. Elle est rousse ! Elle est timide, aussi.
« On a fait plusieurs fois le tour du parc… »
Arrivée à la cuisine, Phoebe ouvre la porte et la tient pour que monsieur Xavier puisse entrer. Elle presse ensuite le mouvement pour lui repasser devant et s’en aller chercher dans le réfrigérateur d’éventuels restes de pizza comme cela lui a été demandé.
« Demi-pizza au plastique, signale-t-elle, monsieur Xavier ayant évidemment eu raison. Vous préférez réchauffée au four, au micro-ondes ou pas du tout ? »
Cette fois, il ne peut pas détourner le sujet ! Ouais enfin tu sais toujours pas quelle est sa préférée. On tourne en rond !
« D’ailleurs, reprends Phoebe alors qu’elle suit l’indication donnée, il est possible qu’on ait surnommé votre couple "Charlynda" et qu’on soit très curieuses concernant vos vacances… Enfin surtout Mindee. »
Prends-ça toi, tu l’as pas volé ! Nan mais genreuh, je suis la plus curieuse quoi ! Un peu quand même. +1 Céleste. Nan mais là, toutes les deux contre moi ça va pas du tout. Bientôt trois, si monsieur Xavier te juge aussi !
Sa tentative de rattraper sa presque-bourde ne se montra guère utile, puisqu'il s'avéra que les trois sœurs étaient déjà informées de l'état de santé de Raven. Voilà qui étonna le professeur, qui avait malheureusement constaté que les premiers rapports entre les triplées et sa sœur n'avaient pas été des plus chaleureux. Comme souvent lorsque des femmes entraient dans la vie de Charles... quelle qu'en soit la raison. Cela dit, le télépathe avait noté les efforts de Raven, lorsqu'elle avait pris soin des sœurs blessées après l'affrontement mental contre la Sorcière Sombre. Peut-être avait-elle fini par mettre de l'eau dans son vin, peut-être que cette semaine sans lui leur avait permis d'améliorer leurs relations ? C'était tout ce qu'il espérait.
« J'ai depuis longtemps abandonné l'idée de lui faire suivre un programme alimentaire sain. Et je pense qu'il vaut mieux éviter de lui poser la question ! »
Ce n'était pas un conseil sérieux, plutôt une remarque amusée. Il connaissait bien sa sœur, il était difficile de trouver plus têtu qu'elle. Il ne trouva pas la question déplacée. La curiosité était l'un de ses principaux défauts, qu'il tâchait au mieux de transformer en qualité, il n'allait donc pas leur reprocher de poser des questions, surtout si cela leur permettait de mieux connaître les personnes de l'Institut afin de mieux les comprendre.
« Du tout, je suis simplement surpris qu'elle vous aie fait part de sa grossesse. A moins que vous ne l'ayez remarquée par vous-mêmes ? »
Il haussa un sourcil intrigué lorsque Phoebe parla de club de télépotin. Il ne connaissait pas ce terme. Sans doute une référence de jeunes, qu'il ne pouvait pas comprendre. Ne tenant pas à passer pour un vieux croûton, il s'abstint de tout commentaire. Il éclata néanmoins d'un rire franc lorsque Phoebe expliqua qu'elles avaient fait plusieurs fois le tour du parc, se figurant une Jean habillée de cuir, munie d'une cravache, et les trois sœurs vêtues en habits de bagnardes, marchant au pas et la mine basse.
« Je doute que cela dérange Jean, elle sait bien faire la part des choses. Au contraire, elle a besoin d'être bien entourée, elle traverse une période difficile. »
Il ne s'étendit pas sur le sujet, se contentant de planter cette petite graine et d'attendre de voir si la curiosité des triplées allait la faire germer. Après tout, c'était le travail de Mindee de prendre soin des élèves, et elle n'était guère plus âgée que Jean. Elle pourrait bien lui apporter le soutien, l'écoute, l'épaule amicale dont la jeune mutante avait besoin.
Lorsqu'ils pénétrèrent dans la petite cuisine, Charles se dirigea naturellement vers le buffet, placé judicieusement à sa hauteur, où se trouvait tout le nécessaire pour le thé, qu'il prendrait glacé afin de se rafraîchir. Comme Phoebe était occupée avec la pizza, cela lui laissait le champ libre pour la préparation du thé, l'une des seules choses qu'il savait faire dans une cuisine, et qu'il maîtrisait même à la perfection. Il sortit les feuilles, la théière, la boule à thé et s'arrêta au moment de prendre les tasses, relevant le regard vers son assistante pour répondre à sa question et lui en poser une autre.
« Il me semble que c'est moins mauvais au four. Tes sœurs nous rejoindront-elles pour le thé ? »
Il resta immobile l'espace d'un instant, analysant les remarques de Phoebe sur son couple et la prétendue curiosité de sa sœur. « Charlynda », c'était... mignon ? Le « On » désignait-t-il les triplées seules, ou également Jean ? Et était-ce réellement Mindee la plus curieuse ? Il était facile de faire porter le chapeau à une personne absente, d'autant plus que Charles avait déjà remarqué qu'elles aimaient bien se taquiner et se renvoyer la balle entre elles. Il adressa donc un sourire malicieux à Phoebe et lui rétorqua :
« Eh bien si Mindee a des questions à me poser, elle pourra toujours tenter de le faire. »
Sans avoir besoin de lire dans l'esprit de Phoebe, il imaginait parfaitement les protestations de Mindee au sein de leur discussion silencieuse. Il devait bien reconnaître qu'il s'en amusait, étant fin connaisseur des querelles entre frère et sœur. Tant que ce n'étaient que de petites chamailleries, cela n'avait guère d'importance. Au contraire, c'était une preuve de leur complicité hors du commun, qu'elles avaient la chance de pouvoir partager sans que les gens autour n'en sachent rien. Charles aurait toutefois bien aimé, par moments, être le témoin de leurs discussions silencieuses et sans doute très animées.
Phoebe acquiesce une fois lorsque monsieur Xavier déclare avoir abandonner "l’idée de lui faire suivre un programme alimentaire sain", en parlant de madame Darkhölme, puis deux fois lorsqu’il s’agit d’éviter de lui poser la question ! Oh que oui, il vaut mieux éviter ça. Certes, c’était dit avec humour mais on est unanimes sur notre premier degré de réponse ! Quand au fait que monsieur Xavier soit surpris que sa sœur nous ait parlé de sa grossesse… Phoebe se tasse un peu.
« Nous l’avons remarqué par nous-mêmes, confirme-t-elle après une hésitation. Madame y pensait beaucoup durant l’arrestation de mademoiselle Maximoff. »
On ne s’attarde pas sur cette information, puisqu’elle implique que l’on ait également appris beaucoup d’autres choses allant des relations intimes aux ambitions de société secrète en passant par nombre de beaux souvenirs et un rappel que nous ne sommes que des insectes en télépathie, comparativement à des êtres comme la Sorcière Rouge. On a repris l’entrainement avec plus d’exigence qu’auparavant même si les cibles nous manquent ; plus d’occasion d’interroger et de briser des monstres ici. On souhaite s’entrainer avec mademoiselle Grey, qui a plus de puissance mais nous semble avoir moins de maitrise, après on sait que cela sera plus limité que ce que l’on pouvait faire au World auparavant.
Monsieur Xavier doute que notre manque de professionnalisme dérange mademoiselle Grey… on doute de ce doute.
Déranger, peut-être pas, mais gêner, certainement, considère Phoebe. Ça égalise les scores : elle m’a pris par le bras, considère Mindee. Ça aussi c’est gênant, considère Céleste. Irma n’aime pas qu’une jolie rousse la prenne par le bras… Ahah, tu trouves qu’elle est jolie je le savais ! Et c’est reparti…
« Au contraire, elle a besoin d'être bien entourée, elle traverse une période difficile.
- Nous avons préféré lui demander directement, répond Phoebe en se tournant vers monsieur Xavier. Nous savions qu’elle a fugué mais elle n’a pas voulu en parler. Nous supposons néanmoins que c’est lié au Phénix… quoi que cela soit réellement. Peut-être une discussion à venir pour le Chœur ? »
Si dire que les bizarreries télépathiques et mentales sont notre truc serait faux, on peut être considérées comme des bizarreries télépathiques et mentales donc on est plus familières et ouvertes sur le sujet que la moyenne. Après, cela reste à mademoiselle Grey de faire le premier pas, pas à nous. C’est son choix.
Tout comme celui de monsieur Xavier de ne pas nous révéler sa pizza préférée ! Il ne va pas vers ce qui est le mieux, il va vers ce qui est le moins mauvais… Phoebe obéit avec une certaine amertume par association d’idées.
J’ai toujours su que j’étais la moins mauvaise d’entre nous. Tu m’ôtes les pensées de la cervelle ! Mais nan, faut pas le voir comme ça… Faut le voir comment ? Comme le fait qu’on soit toutes mauvaises ? Euh, nan, pas comme ça non plus.
« Tes sœurs nous rejoindront-elles pour le thé ? »
Non. Si ! Si !
Phoebe s’interrompt dans son approche du four pour tourner un visage blasé vers son supérieur. Ayant perdu ce débat, elle se contente d’hocher la tête et d’en retourner à sa tâche. Tout est dit. Enfin, sur ce sujet-là. Reste Charlynda et une vengeance sur Mindee ! D’ailleurs, il est à noter que l’abord de ce sujet et le rejet de faute se font avec une concentration sur la pizza et sur le four de première catégorie. Aucune idée de ce qui se passe sur le visage de monsieur Xavier, Phoebe n’ose pas le regarder.
« Eh bien si Mindee a des questions à me poser, elle pourra toujours tenter de le faire. »
C’est mon supérieur. Oui mais c’est notre patron. Oui mais il nous invite. Je vous déteste. Nous aussi on t’aime. +1 toutes les deux.
Se retournant une fois le four lancé, Phoebe se surprend à constater le sourire malicieux de monsieur Xavier. Croisant les bras, elle le fixe incrédule.
Mais il vous encourage en fait ! Il est génial ! Ouiii !
« Je sais pas comment dire ça mais… »
Mais je sais vraiment pas comment dire ça poliment. Tu commences par "sauf votre respect"… Comme ça il est sûr que ça va pas être respectueux… Mindee, la ferme. Oui, je ferme la voiture et j’arrive ! Je vais arriver en dernière… Oui Céleste, comme d’hab’. Est-ce que ça fait d’elle la plus mauvaise d’entre-nous ? C’est-vraimentrop’injuste...
La pause de Phoebe dure presque deux secondes avant que ses bras croisés ne se décrochent partiellement, le gauche continuant de tenir le droit alors que la main de celui-ci tombe en un geste de gêne typique de Céleste.
« Mais je sais vraiment pas comment dire cela. Et elles m’aident pas… »
Et la Reine sait qu’elles m’aident vraiment pas… Mais si, on t’aide à être toi-même : grognonne et ronchonne comme on t’aime ! Elle est pas grognonne et ronchonne là, elle m’imite ! Céleste, la ferme. Céleste, la ferme. Mais-mais-mais…
Un peu plus d’une seconde, cette fois, alors que les émotions se partagent entre la gêne et l’agacement.
« Est-ce que vous pourriez ne pas les aider à ne pas m’aider ? S’il vous plait ? »
C’est mort, ça va pas lui plaire. C’est lui le patron, il fait ce qu’il veut. +1 Mindee. Céleste, te cacher derrière elle ne changera rien. Céleste, c’est devant moi que tu me sers de bouclier. Je sais, je sais…
« Ou alors, il faudrait m’aider moi à taper sur elles... Enfin, je le fais pas physiquement hein ? Enfin, quand on n’est pas en forme de diamant. »
Par contre quand on est transformées… Ah bah là… C’est dommage qu’on n’y ait pas d’émotion, du coup ça te défoule pas. Merci de casser ma satisfaction, Céleste. Merci de casser sa satisfaction, Céleste ! Euh, de rien ?
En une seconde, Phoebe passe d’un imaginaire agréable à une réalité blasée. Sachant qu’on réalise aussi que c’est peut-être déplacé à dire et qu’on retombe peut-être dans ce qui posait problème précédemment. Sauf que cette fois, Phoebe est seule à assumer et que du coup elle fait une belle Céleste !
Comme il l'avait supposé, il n'y avait eu aucune confession intime de la part de Raven, simplement un esprit obnubilé par son état durant l'affrontement contre l'alter-ego de Wanda. Charles acquiesça simplement, connaissant bien ce sentiment de culpabilité d'avoir découvert des choses que l'on n'était pas censés connaître. C'était l'une des raisons pour lesquelles il utilisait finalement assez peu la télépathie, du moins dans le cadre d'une lecture superficielle des pensées.
Concernant Jean, Phoebe évoqua leur conversation, notamment le fait que Jean n'ait pas tenu à parler de ce que Phoebe appelait sa "fugue". C'était plus complexe que cela, mais Charles ne la démentit pas. Il fut étonné d'entendre le terme Phénix… mais les sœurs ne semblaient pas savoir de quoi il s'agissait. Il ne confirma ni n'infirma rien, haussant les épaules et répondant simplement, continuant sur son idée de ne pas intervenir dans leurs échanges entre jeunes filles :
« Si elle n'a pas souhaité en parler, ce n'est pas à moi de le faire. Ce sera peut-être l'occasion d'une prochaine conversation ? Ou d'une autre marche dans le parc. »
Lorsque Phoebe acquiesça pour la demande sur le thé, Charles acquiesça à son tour, avec un grand sourire, comme s'il n'avait pas remarqué l'attitude blasée de son assistante. Peut-être avait-elle espéré profiter de ce moment seule avec lui ? Mais elle n'était jamais seule. C'était là sa force et son problème. Charles sortit en tout cas quatre tasses et s'affaira à la préparation du thé, tout en écoutant avec attention une Phoebe gênée qui ne savait pas comment lui dire les choses.
Il attendit, patiemment. Lorsqu'enfin elle y parvint, par une formulation alambiquée, il tourna le regard vers elle et l'observa un moment, pensif. La boutade de Phoebe sur le besoin d'aide pour taper mentalement sur ses sœurs ne le fit pas réagir. Il finit par se détacher de sa préparation pour tourner son fauteuil vers elle et lui dire, avec douceur et sérieux :
« J'aurais bien une suggestion, bien que je craigne qu'elle ne vous plaise pas au premier abord. L'idéal serait que nous puissions séparer les conversations, que chacune ne parle que selon son identité propre. Que lorsque je m'adresse à toi, Phoebe, je ne parle qu'à Phoebe, et que tu ne t'exprimes qu'en ton nom à toi. Verbalement du moins, mentalement je me doute que ce n'est pas possible, et je ne vous le demanderai pas. »
Ce serait sans doute un exercice compliqué pour elles qui étaient habituées à tout faire ensemble. Mais d'un autre côté, cela permettrait d'éviter qu'elles se rejettent mutuellement la responsabilité de leurs paroles et de leurs actes. Le professeur lui laissa quelques instants pour considérer la proposition, puis lui demanda, avant de tourner la tête vers Mindee qui venait d'entrer dans la cuisine :
« Qu'en penses-tu Phoebe ? Et toi Mindee ? »
Il comptait bien poser la question à Céleste également, mais elle n'était pas encore redescendue.
Monsieur Xavier a raison : si mademoiselle Grey n’a pas souhaité parler de sa fugue, au-delà de ce qu’on a évoqué, et du Phénix, au-delà de ce nom, ce n’est à personne d’autre de le faire. C’est tellement dommage, ça simplifierait beaucoup de choses, mais on est sur un sujet grave et on préfère contenir notre curiosité. A défaut de parler d’elle tant qu’elle n’est pas prête à le faire, on parle de beaucoup d’autres personnes !
Bon, la joie de tout le monde est tempérée par la gênée blasée de Phoebe. Définitivement, elle observe son supérieur jouer contre son camp. Après, elle partage la non-joie puisqu’il faut du temps à Monsieur pour réfléchir et lui répondre. Un temps très occupé…
Je l’ai fait bugger, se demande Phoebe. Tu l’as fait bugger, s’enjoue Mindee. Réflexion en cours, se dit Céleste. Si ça se trouve, il cherche comment décliner poliment ma proposition. Si ça se trouve, il cherche comment charrier efficacement sur ta proposition. Si ça se trouve, il trouve pas quoi dire.
« J'aurais bien une suggestion, finit par déclarer Monsieur Xavier, attirant nos trois attentions et un peu de tension au niveau de Phoebe, bien que je craigne qu'elle ne vous plaise pas au premier abord. »
On pince toutes les trois les lèvres, même si c’est sans raison apparente pour les deux qui ne sont pas présentes physiquement.
Que nous puissions séparer les conversations fait sens mais on devient rapidement perplexes lorsqu’il est question de ne parler que selon son identité propre. Après un instant de surprise, on se concentre pour comprendre.
Lorsque monsieur Xavier s’adresse à moi, il ne parle qu’à moi ! Ça fait un gros NAMOE quand même. Oui ben ça va, sois pas jalouse…
« Verbalement du moins, mentalement je me doute que ce n'est pas possible, et je ne vous le demanderai pas. »
Toujours avec la main gauche tenant le bras droit en une posture appartenant à Céleste, Phoebe perd sa concentration alors que la réponse se fait.
« Nous le ferons, acquiesce-t-elle pour nous trois avant d’hésiter à poursuivre. Quand nous étions plus jeunes, c’est ce que nous faisions : si on était d’accord, on parlait ensemble. Si on n’était pas d’accord, on parlait séparément. »
Un petit sourire nostalgique, peut-être même mélancolique, nait sur les lèvres de Phoebe.
« Après, on nous a demandé d’essayer de ne pas faire 200mots-phrases donc on s’est réparties les trucs. Ça a été… compliqué. »
Parler, c’est exprimer sa voix intérieure. On partage les nôtres. Néanmoins, comme à l’époque, la consigne est donnée et on s’adaptera.
« Ce que j’en pense, c’est que notre identité est d’abord collective avant d’être individuelle. Les Stepford Cuckoos. Les Trois-en-une… »
Un silence alors que sa voix et son regard meurent un instant. Ses bras se recroisent et ses épaules se relèvent légèrement.
« Et moi, je pense que c’est dur de ne pas courir dans les couloirs, déclare Mindee en entrant, espérant redonner un peu de sourire. Promis, je l’ai pas fait. »
Phoebe lève légèrement les yeux au ciel mais a un petit sourire qui agrandit celui de Mindee, dont la main est levée pour un serment de scout.
Céleste, bouge-toi que tu dises ce que t’en pense. Céleste, bouge-toi que tu dises ce que t’en pense. Mais je pense pas moi…
« Céleste dit qu’elle ne pense pas, reprend-t-on à deux, d’une seule voix, mais elle parlera moins si elle doit s’exprimer seule. »
De rien. C’est un plaisir. C’est-vraimentrop’injuste.
« Attendez, hésite-t-on à deux. Est-ce qu’on est hors sujet quand on dit à deux l’avis de la troisième ? »
On marque toutes deux une pause, afin de laisser le temps à monsieur Xavier de nous répondre et d’éviter de refaire l’enchainement alors même que nos pensées sont déjà à la suite.
« Et en parlant de hors sujet, sourit Mindee en venant s’approcher de Monsieur et en joignant ses mains au niveau de son ventre, vous acceptez de nous parler de vos vacances en amoureux ?
- Mon avis est que cette demande n’est pas professionnelle, bougonne Phoebe, bras croisés mais nez légèrement en avant.
- Ton avis a été pris en compte, répond Mindee sans changer d’expression ni la regarder, maintenant écoute ta curiosité. »
Phoebe se redresse par pure mauvaise foi avant de s’en aller mettre la pizza au four, espérant qu’il ait préchauffé correctement, tandis que Mindee reste à regarder monsieur Xavier avec nos trois curiosités dans les yeux comme la posture.
Le professeur se doutait bien que sa demande n'était pas simple. Il s'attendait à devoir aboutir à un compromis. Les amener à ne parler chacune strictement qu'en son identité propre n'était pas faisable, elles étaient trop habituées à parler ensemble, à ce que l'une complète les paroles de l'autre, à donner une opinion commune, qu'elle soit pleinement partagée ou non. Il vit bien une certaine perplexité dans le regard de Phoebe. Elle accepta néanmoins, mais en apportant une nuance : parler séparément lors de désaccords, mais continuer de parler ensemble lorsqu'elles étaient sur la même longueur d'ondes.
Les explications de Phoebe permirent à Charles de bien prendre conscience que leur manière si singulière de parler venait surtout de leur éducation. Il se souvenait de ce problème de « 200 mots-phrase » qu'elles contournaient en se répartissant les mots. Il avait perçu leur fierté d'enfants lorsqu'elles avaient mis en place ce stratagème et que leur père les en avait félicitées. Il remarqua la nostalgie dans le sourire de Phoebe. Tout devait leur paraître bien plus simple à l'époque. Quoique.
« C'est une bonne solution. Ne parler au nom des autres que si les autres sont en accord avec ce qui va être dit. »
Cette précision lui tenait à cœur. Il était facile de parler pour les autres. Il était plus difficile de savoir, d'un point de vue extérieur, si les opinions rapportées étaient fidèles à l'intention de base. C'était à Charles, désormais, d'apprendre à leur faire confiance, en s'efforçant de ne pas trop lire entre les lignes. Si elles s'en tenaient à ce qui venait d'être décidé, il n'y aurait pas de problème.
Phoebe mit néanmoins le doigt sur un point délicat : selon elle, elles étaient un esprit collectif avant d'être des individus. Ce qui n'était pas simple à appréhender, encore une fois, d'un point de vue extérieur. De son côté, Charles tenait à découvrir les personnalités de chacune, il avait d'ailleurs déjà discerné quelques traits de caractères qui lui permettaient de bien les différencier. De plus, le terme « Stepford » ne lui plaisait pas : il impliquait trop une notion de dévotion sans faille, de soumission, d'abandon total de soi au profit des autres. Il garda néanmoins ces réflexions pour lui, notant dans un coin de son esprit qu'il devrait être vigilant sur ce point.
Mindee arriva dans la cuisine sur une pointe d'humour qui semblait faite pour atténuer la gêne de sa sœur. Charles lui rendit bien volontiers son sourire et rebondit même sur sa remarque concernant la difficulté de ne pas courir dans les couloirs, tentant à son tour de dédramatiser :
« Tu t'y feras, ne t'inquiète pas. J'y arrive très bien, pour ma part. »
Cela ne permettait pas de connaître l'opinion de Mindee. Quant à celle de Céleste, elle fut rapportée par les deux autres, avec une telle spontanéité qu'elle paraissait parfaitement sincère. Cela dit, une pensée spontanée se différenciait d'une pensée réfléchie... si sur le coup elle n'en avait rien pensé, ses sœurs ne lui donnaient pas l'occasion d'y réfléchir ni la possibilité d'exprimer son opinion lorsqu'elle les aurait rejoint. Il y avait encore un long chemin à faire... Elles semblèrent s'en rendre compte puisqu'elles demandèrent des précisions quant à leur réaction.
« Je vous laisserai y réfléchir et vous coordonner. Cela vous demandera du temps, de toute façon. Il y a néanmoins un élément à prendre en compte dans votre réflexion : s'il est relativement simple de vous considérer comme une entité collective lorsque l'on vous voit toutes les trois ensemble, c'est bien plus difficile lorsqu'on ne s'adresse qu'à une seule d'entre vous. Mais nous n'irons pas plus loin ce soir, je ne vais pas vous accabler avec ça. »
D'autant plus que Mindee était impatiente de poser ses questions indiscrètes. L'avis de Phoebe était intéressant car il en disait beaucoup sur sa personnalité. Mais Charles était certain que dans le fond, la réponse l'intriguait beaucoup elle aussi. Il ne comprenait pas vraiment pourquoi, en soi, le récit de ses vacances n'ayant rien de palpitant, mais il accepta de leur livrer une réponse, sans entrer dans les détails, alors qu'il terminait de préparer le thé.
« Eh bien, il n'y a pas grand chose à dire... du moins rien que la pudeur ne m'autorise à dire à trois jeunes femmes. »
Il leur adressa un léger sourire puis enchaîna rapidement afin qu'elles n'aient pas trop le temps d'être visiblement gênées par ce sous-entendu évident.
« Disons que nous avons passé une semaine très agréable. J'avais privatisé une superbe petite île dans les Caraïbes... Le soleil, le sable fin, l'océan... Le calme... Quelques jours hors du temps, loin du monde, juste pour nous deux. »
Un sourire tendre flottait sur ses lèvres. Il était plus qu'heureux d'avoir rencontré Lynda, malgré les épreuves déjà traversées. Il se hâta de préciser néanmoins, d'une part pour éviter le flot de questions, d'autre part pour que les sœurs n'aient pas l'occasion de se faire de mauvaises idées sur ses mots en lisant entre les lignes :
« C'est néanmoins plaisant d'être de retour ici. »
Codage par Never Utopia
Dernière édition par Charles Xavier le Sam 8 Oct 2022 - 17:57, édité 1 fois
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