Le lundi 22 juillet en fin d'après-midi, après avoir reçu un e-mail d'une femme souhaitant le rencontrer pour un entretien et des soucis de mutation, Charles dégaina son téléphone portable et composa le numéro des sœurs Cuckoos. Lorsqu'une voix féminine répondit à son appel, Charles sourit et s'annonça :
« Bonjour, ici le professeur Xavier. Humm, à quelle sœur suis-je en train de parler ? »
Cela n'était certes qu'un détail puisque les trois sœurs étaient connectées, mais il voulait au moins pouvoir nommer son interlocutrice principale, ne les connaissant pas encore suffisamment pour les reconnaître uniquement à leur voix.
Le déménagement est prêt. Le salon est rempli de cartons, dont un seul est encore ouvert. Il attend les derniers draps et le linge sale de la journée. Ça nous fait vibrer de savoir que c’est notre dernière nuit dans cet appartement qui nous a vu vivre un an et nous a accueillies à notre arrivée aux USA. D’ailleurs, en parlant de vibrer, le téléphone s’y met aussi.
« Bonjour, vous êtes bien sur le téléphone des Stepford Cuckoos, répond celle qui décroche alors que les deux autres continuent nos occupations. Ceci n’est pas le répondeur. Que pouvons-nous faire pour vous ?
- Bonjour, ici le professeur Xavier. Humm, à quelle sœur suis-je en train de parler ?
- Bonjour Professeur, dit-on à trois avec contentement, les deux autres haussant le ton pour être entendues.
- Céleste à l’appareil, même si nous sommes toutes à l’écoute. »
Puisque l’on est toutes en chausson, nos déplacements sont plus discrets qu’à l’ordinaire mais il y a actuellement trois suricates en attente de savoir ce qu’on peut faire pour lui.
Charles entendit les trois voix le saluer à l'unisson, elles étaient donc très proches les unes des autres à ce moment-là. Il se préparait donc à les entendre reprendre leur ballet de discours à plusieurs, qui serait sans doute plus difficile à suivre par téléphone qu'en visu. Mais qui parlait n'était pas l'important après tout.
« Parfait. J'ai reçu un e-mail d'une certaine Malicia. Elle souhaite me rencontrer pour me parler de ses pouvoirs et prendre un poste à l'Institut, semblerait-il sur vos conseils. Que pouvez-vous m'en dire ? »
Le ton était amical et poli, comme à son habitude.
"Parfait". Que ce soit Céleste à l’appareil ? Qu’on soit toutes à l’écoute ? Qu’on ne soit pas le répondeur ?
Le ton est amical et poli, chose qu’on apprécie et sur lequel on se recale – enfin, Céleste surtout – après s’être rendue compte qu’il était peut-être déplacé d’être contente d’un appel de la part de notre futur employeur. Futur employeur qui nous appel à propos des conséquences de notre rencontre avec mademoiselle Malicia, à laquelle on a conseillé de contacter l’Institut et qui l’a fait. Rien de nouveau puisqu’elle nous a dit aller le faire dès ce matin, le temps qu’on finisse, et on aurait dû s’attendre à un appel de monsieur Xavier.
« Nous l’avons effectivement rencontrée à Central Park ce matin, confirme Céleste en tenant le téléphone à deux mains. Elle y exerce en tant que peintre de rue et s’isole des autres comme du monde à travers sa peinture. La cause est une capacité de mimétisme vampirique, d’après notre discussion. »
Une pause, alors qu’on discute en silence sur la nécessité ou non de détailler les informations. Dans le doute, mieux vaut trop que pas assez.
« Lorsqu’elle touche quelqu’un, elle duplique ses données mentales et son Gène X dans un processus qui affaibli la personne. Cela peut entrainer la perte de conscience, auquel cas mademoiselle Malicia doit lutter avec la copie de la conscience "absorbée" pour rester elle-même, voire la mort. Cette occurrence est arrivée une fois en réaction à une agression, où mademoiselle a maintenu le contact pendant environ cinq minutes. »
Tire-t-on des balles dans les pieds ? C’est possible mais ce n’est alors pas que les nôtres, il y a aussi celui de mademoiselle Malicia également. La pause est plus longue alors que Céleste soupire.
« Nous ne savons pas quoi penser de cet événement. D’après ce que nous avons perçu de mademoiselle Malicia, c’est une personne gentille. Passive, également. Cela fait des années qu’elle vit dans sa bulle et subit sa mutation sans chercher de solution. Nous ne sommes pas les premières personnes à lui avoir parlé d’une institution pour mutant dans le nord de l’Etat, mais nous l’avons effectivement encouragée à prendre contact pour voir s’il est possible de l’aider.
- Rajoute que Phoebe est prête à servir de crash-test pour l’apprentissage des pouvoirs de mademoiselle, intervient une voix un peu plus éloignée, parlant à l’oral pour être sure que monsieur Xavier entende par conscience que la précision n’aurait pas été rajoutée.
- Mindee !
- Nous avons peut-être été un peu trop promptes sur cette affaire. Si c’est le cas, excusez-nous. En même temps, même si elle n’a pas l’âge d’être une élève, sa maturité émotionnelle vis-à-vis de ses capacités n’a connu que renforcement négatif depuis l’apparition. »
Charles écouta les premières informations sans interrompre Céleste, se doutant qu'elles devaient également en parler entre elles. Une peintre de rue, avec un pouvoir de mimétisme vampirique. Qu'entendaient-elles par là ? Il eut rapidement la réponse. Ce don était extrêmement puissant et dangereux. Il comprenait que cette Malicia ait besoin d'aide.
Il sourit lorsque Céleste tâcha de se justifier en plaidant la cause de Malicia. Les sœurs avaient le bon état d'esprit pour travailler au sein de l'Institut. Elles tenaient à venir en aide aux mutants, même les plus dangereux, même les plus désespérés. La remarque de Mindee l'amusa, mais il ne fit aucun commentaire.
« Nous n'accueillons pas que des enfants, vous le savez bien. Vous avez bien fait. Si elle souhaite être aidée, nous lui trouverons bien une place dans l'école. Quel âge a-t-elle, selon vous ? »
C’est peut-être stupide de notre part, puisqu’il aurait pu dire "nous" en parlant de l’Institut et lui, mais on s’est senties incluses dans ce "nous". Ce matin même, on parlait encore de "l’Institut". On risque d’en parler encore longtemps ainsi. "Nous", comme "On", désigne le plus souvent notre trio. Rarement, cela a désigné des gens incluant notre trio. On n’a jamais travaillé dans "notre structure", on travaillait dans "la structure". A dire vrai, là où l’on emploie le plus le "notre", c’est vis-à-vis du World. Peut-être parlera-t-on un jour de "notre Institut", non dans le sens qu’il nous appartient mais qu’on lui appartient à lui, mais cela ne nous serait pas venu à l’esprit que Charles Xavier nous inclus dedans. Ce qu’il n’a peut-être pas fait et on est possiblement totalement à côté de la plaque mais cela fait parti du problème de ne plus savoir comment se positionner avec lui et, malgré nos tentatives de pessimismes, on n’arrive pas à se gâcher notre contentement.
Voilà qu’on sourit au téléphone, chose qui n’est guère perceptible. Tout autant que le "oui" puisqu’on le sait très bien. D’un autre côté, à trois à fixer l’engin alors qu’on a l’approbation de la figure d’autorité pour nous faire sourire toujours plus, on se dit que ça va finir par s’entendre !
Non Mindee, c’était pas un encouragement ! Rooooh, c’est vraimentrop’injuste… Arrête de me piquer ma réplique, maieuh !
« Quel âge a-t-elle, selon vous ?
- L’âge adulte ? »
La réponse de Céleste est une question sans filtre et on arrondit toutes trois les yeux lorsqu’on se rend compte que la bouche de Céleste ne s’est pas contenté de sourire mais a répondu.
Croisant un bras tandis que la main de l’autre vient pincer l’arête du nez, Phoebe prend une inspiration buccale très sonore. Croisant les deux bras tandis que la tête se penche en avant, Mindee tente de retenir un rire étouffé tout aussi bruyant. Regardant son téléphone en face et le tenant à deux mains, Céleste rentre la tête dans les épaules et se tasse sur elle-même.
A en faire regretter que ce ne soit pas une visiocommunication.
« C’est-à-dire que… en fait notre public… ben ils avaient rarement cet âge-là. Quoi. »
Une pause de quelques secondes.
« Phoebe veut vous parler… »
Non en fait je veux que tu te taises. Céleste, t’aurais pas dû reformuler. Mais c’est monsieur Xavier quand même.
« Monsieur Xavier, ce que Céleste voulait dire c’est que, si nous lui donnerions entre vingt et vingt-cinq ans, nous sommes mal placées pour estimer son âge. Nous n’avons jamais vraiment côtoyé des jeunes adultes. »
Un âge adulte, certes… Cela il s'en doutait, puisque Malicia dans son e-mail ne s'incluait pas dans les "jeunes" accueillis à l'Institut, et que Céleste elle-même avait précisé qu'elle n'avait plus l'âge d'être une élève. Il crut entendre des bruissements en arrière plan, sans doute des réactions des deux autres sœurs, qu'il avait du mal à déchiffrer via de simples sons distants. Il aurait aimé pouvoir les voir en cet instant. Ces réactions mettaient Céleste mal à l'aise en tout cas, au vu de la façon dont elle bredouilla.
« Ce n'est pas une question piège Céleste. »
Il se voulait rassurant. Il avait bien perçu ce désir de perfection chez les trois sœurs, et il n'avait absolument pas voulu les gêner ou les rabaisser, bien au contraire. Finalement Phoebe prit le relais, en donnant une fourchette d'âge plus précise, et en s'excusant de leur inexpérience en matière de fréquentations qui étaient pourtant dans leurs âges. Elles avaient dû mener une existence si solitaire… L'Institut ne pourrait que leur faire du bien sur le plan social.
« Très bien, merci pour ces informations. Pensez-vous qu'il y aurait autre chose que je devrais savoir avant de la rencontrer ? Encore une fois, ce n'est pas une question piège, je souhaite simplement avoir vos avis. »
Ni le téléphone ni l’homme de l’autre côté n’ont mordu Céleste. Ce n’était pas vraiment l’inquiétude, d’ailleurs. Bon, elle a tout de même essayé de regarder la réaction de monsieur Xavier, idiotement, mais celle-ci est arrivée bien vite.
« Ce n'est pas une question piège Céleste. »
Bravo Céleste, tu as réussi à te piéger sur une question pas piège… Ça c’est le Talent, avec un T’es Trop forTe majuscule ! Vous m’aidez pas là. On ne s’aide jamais, rappelle Phoebe. Nan, ça arrive des fois, quand même, réfléchit Mindee. Ça peut arriver maintenant, demande Céleste.
Phoebe intervient et prend le relai, physiquement et oralement, tandis que Mindee continue de pouffer. Céleste lui fait un instant les gros yeux et le pouffement n’en est que de plus bruyant.
Vos gueules. J’essai. D’accord.
Que dire d’autre sur mademoiselle Malicia que l’on n’ait pas déjà dit ?
« Réflexions en cours… »
On pense vite mais on pense vite à autre chose et au téléphone nos moments de "lags" ne sont pas perceptibles alors Phoebe le signifie. Cela n’aidera surement pas à ne pas passer pour des petits robots mais de toute façon on n’aime pas le téléphone. On ne peut pas parler normalement. Enfin, normalement pour nous.
« Mademoiselle Malicia a développé sa mutation tardivement, à 17 ans, et cela a causé un traumatisme. Depuis, elle semble vivre seule et s’isoler des autres, s’enfermant dans un monde où elle peint et dessine la réalité comme si sa toile était un gant de protection ; ne touchez pas sa peau directement, d’ailleurs. Elle vit actuellement de la vente de ses toiles, sachant qu’elle tend également à les donner, et a surement des difficultés financières. Elle peut être assez dure à motiver et à mettre en action, sans doute parce qu’elle a plus peur d’infliger que de subir, mais ne nous a pas paru comme particulièrement craintive. Elle a évoqué un ami qui lui avait déjà parlé d’un Institut pour mutants dans le nord de l’Etat, sans réussir à la convaincre de vous joindre. Nous ne nous souvenons plus pour quoi, probablement à cause de notre capacité à nous immuniser à la fatigue, mais elle s’est avérée surprise et a déclaré qu’aucun mutant ne pouvait faire cela, avant de préciser "à sa connaissance". Cela plus le point précédent implique qu’elle vive peut-être au sein d’une communauté de mutants, nous ne l’avons pas interrogée à ce sujet. Lors de nos scans télépathiques de New York, nous avons déjà localisé certaines communautés de ce type. Nous ne nous y sommes jamais intéressées mais cela vaut peut-être la peine d’être relevé ; notamment si vous y avez des contacts. »
On est plutôt bien là. Oui, surtout qu’on n’a pas donné nos avis alors que c’était demandé. Phoebe aussi arrive à se piéger sur des questions pas piège, juste qu’elle c’est long ! Vous aviez qu’à pas me rappeler autant d’éléments ! C’est toujours un plaisir d’aider. On réfléchit à trois mais tu es la seule à faire le hors sujet, techniquement.
« En résumé, on pense que c’est une bonne personne qui peut devenir dangereuse si acculée. Elle a un pouvoir dangereux et elle aucun contrôle ni sur lui ni sur elle-même, en situation de stress intense. Elle semble plus traumatisée par ses capacités que par ses actes mais prend des précautions pour éviter les accidents. C’est une personne gentille mais passive qui erre dans une vie qu’elle ne vit pas vraiment. L’Institut pourrait l’aider tant sur le plan de sa mutation que de sa construction personnelle, puisque la première a interrompu la seconde, et lui permettre de canaliser son envie d’apporter en quelque chose de constructif. Elle dessine bien, enfin. »
Le professeur sourit lorsque Phoebe le prévint qu'elles étaient en pleine réflexion. Il voulait des informations sur Malicia, ainsi que l'avis des Cuckoos, il fut amplement servi. Forcément, lorsque trois cerveaux réfléchissent au même sujet, la réponse est plus longue et plus fournie. Il ne s'en plaignait pas.
Il acquiesça à chaque phrase rapportée par Phoebe, enregistrant les informations au fur et à mesure, avant de se souvenir que des hochements de tête ne se percevaient pas à travers le téléphone. Il commença alors à ponctuer le discours de la sœur déléguée par des « Hun hun » approbateurs et des « Humm » songeurs. Lorsqu'elle termina ce qu'elles avaient à dire, il reprit la parole pour un temps bien plus court.
« Bien. Merci beaucoup pour toutes ces informations et vos avis précieux. »
La conversation téléphonique touchait à son terme, mais Charles supposa qu'elles n'oseraient pas raccrocher avant d'être certaines qu'il n'avait plus rien à leur demander. Il prit donc quelques instants pour leur préciser qu'il en avait fini.
« Je présume que vous êtes en plein dans les cartons, je ne vais donc pas vous déranger plus longtemps. Bonne soirée à vous trois, et à demain. »
Notre monologue fait faire des petits bruits à monsieur Xavier et on ne s’y arrête réellement qu’une fois qu’on l’a terminé. Les onomatopées, c’est pour ne pas nous interrompre donc c’est poli même si ça n’y ressemble pas forcément. Après, au téléphone, c’est l’une des meilleures réactions pouvant être exprimées.
Le téléphone, c’est nul, considère Phoebe. Le téléphone, c’est limité, considère Minde. Alors rendez-le moi, considère Céleste.
« Bien. Merci beaucoup pour toutes ces informations et vos avis précieux. »
On ne fait aucune onomatopée mais on pense que nos sourires de contentement fier s’entendent jusqu’à l’Institut. On n’a pas encore commencé à travailler qu’on nous demande déjà et considère déjà que ce qu’on dit à de la valeur ! Laissant là ce qu’elles faisaient, Céleste et Mindee s’approchent du téléphone alors que Phoebe le penche en avant, le mettant à plat devant son visage.
« Je présume que vous êtes en plein dans les cartons, je ne vais donc pas vous déranger plus longtemps. Bonne soirée à vous trois, et à demain.
- Vous ne nous dérangez pas, assure Phoebe alors qu’on se positionne à trois autour du micro.
- Mais vous avez raison, on est en plein dans les cartons, confirme Mindee d’une voix légèrement plus forte.
- Mais ils sont finis, explique Céleste d’une voix légèrement plus douce.
- Nous sommes ravies d’avoir pu vous aider, dit-on en chœur. Bonne soirée à vous aussi et à demain. »
Qui raccroche ? On raccroche ? Il raccroche ? Nan je demande parce que quand je prends l’initiative, ça fonctionne bien mais y’a généralement des pots cassés. Nan mais c’est monsieur Xavier qui appel alors c’est lui qui raccroche, c’est logique. Nan mais faut pas lui raccrocher au nez non plus quoi, ça ne se fait pas de base et encore moins envers monsieur Xavier. Je vais pas lui raccrocher au nez, on s’est dit aurevoir. Alors, techniquement, "bonne soirée et à demain". Oh, il a raccroché ! Problème réglé. C’était pas une question piège ! C’était pas une question tout court. Ça aide. En effet. On n’aide pas. En effet. On s’aide pas, les autres ont les aide. En effet.
Il nous fait presque une minute pour décrocher du téléphone raccroché et se rappeler ce qu’on faisait avant l’appel. Puis on repart.
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