Les bras noués autour de ton cou, je sanglotais en silence dans un premier temps, n’osant pas avouer ce qui m’éprouvait tant. Ce qui me pesait sur le cœur avec tant de force. Je finis néanmoins par me reprendre, me doutant de toutes les questions qui devaient t’assaillir et que tu n’osais pas me poser.
-Je … Je ne sais pas si je suis capable d’élever un enfant… Mais alors deux. Et au manoir. Cela va déranger tout le monde ! Des nouveaux nés … Tu imagines ? Et je … Je suis trop instable.
C’était foncièrement le cas. Depuis notre retour en 2018 pour quelques mois, puis notre venue suite au claquement de doigts magiques j’étais restée au manoir, mais j’avais toujours cette petite voix intérieure qui me dit « de partir, d’aller voir ailleurs ce qu’il se passe, de choisir mon destin, d’aller plus loin… ». Mais je ne pouvais absolument pas en parler. J’avais fait une promesse et je me devais de la tenir.
-J’ai … je …
Naturellement une de mes mains glissa de ton cou vers mon ventre pour venir se poser sur la tienne avec légèreté, inspirant profondément avant de dire mes paroles suivantes.
-J’ai pensé à ne pas les garder. Mais … Depuis toutes ces années je ne suis jamais tombée enceinte. Je pensais être stérile depuis toujours. Et là… Ils sont là … Et ils ont l’air de s’accrocher ….
Je grimaçais un peu, avec toute de même l’ombre d’un sourire au bout des lèvres, alors que je fermais les yeux pour reposer mon visage contre ton épaule, n’osant absolument pas affronter ton regard pour la suite de mes révélations.
-Je ne sais pas qui est le père… Y a … plusieurs choix possibles.
Cette fois ci une vraie grimace franche déforma mon visage alors que ma voix s’était faite vraiment faible. Je savais que tu avais vu des images d’Erik et moi mais … il y avait un autre homme dans l’équation.
"Have you ever looked at a tiger and thought you ought to cover it up? You are an exquisite creature, Raven. All your life the world has tried to tame you. It’s time for you to be free."
C'était toujours le même problème de fond en fin de compte. Cet éternel manque de confiance en elle, ce jugement si négatif qu'elle portait sur elle-même, cette constante peur de mal agir… Si elle estimait être une mauvaise personne, comment pourrait-elle envisager d'être une bonne mère ? Charles ne savait plus comment lui dire, comment lui faire comprendre qu'elle était une femme merveilleuse. Lorsqu'elle évoqua son instabilité, il ne sut trouver les mots, alors il déposa un baiser sur son front, et se focalisa sur les autres craintes, celles qu'il pouvait plus facilement dissiper.
« Oh oui, je l'imagine déjà… Tous nos élèves qui s'amasseront autour de ces deux petites bouilles d'anges, avec pour seule envie de les prendre dans leurs bras… Raven, cet endroit regorge déjà de vie et de bruit, deux bébés ne les bousculeront pas. Et de toute façon, ce manoir est ta maison. Nous ferons les aménagements nécessaires. »
Elle finit par réussir à trouver assez de courage pour avouer qu'elle avait songé à avorter. Mais elle en parla au passé. Charles remarqua bien le sourire qui tentait de germer sur les lèvres de Raven. Malgré toutes ses craintes, elle aimait déjà ces deux petites choses qui grandissaient inexorablement dans son ventre.
« Je vois bien que pour le moment ça t'inquiète… Mais c'est peut-être le changement dont tu as besoin pour enfin pouvoir t'épanouir ? Devenir mère… c'est une grande étape dans la vie d'une femme. »
Elle reposa sa tête sur son épaule, il reprit ses caresses dans ses cheveux. Une partie de son esprit perçut la présence de Piotr Rasputin qui s'avançait en direction de la cuisine, décidé à aller se préparer une bonne tasse de thé. Discrètement, silencieusement, Charles implanta dans la tête de son collègue l'idée qu'en fin de compte il n'avait pas besoin de thé avant d'aller dormir. Rien ne devait venir perturber ce moment si intime, si précieux avec Raven.
Lorsqu'elle lui révéla qu'elle ne savait pas qui était le père, et surtout qu'elle évoqua "plusieurs" choix possibles, Charles haussa de nouveau les sourcils et sa bouche forma un "oh" silencieux. Il songea que c'était une bonne chose qu'elle ne puisse pas voir sa tête à cet instant précis, et tâcha de se reprendre rapidement. Il avait déjà du mal à imaginer sa sœur avec un homme, mais avec plusieurs… dans le même temps… Il lui fallut quelques instants avant de pouvoir répondre.
« Eh bien c'est une donnée que nous pourrons vérifier plus tard. Enfin si tu le souhaites. »
Il s'était efforcé de dire cela avec une certaine nonchalance, mais elle ne serait probablement pas dupe. Il s'était néanmoins retenu de poser la moindre question. Il n'était pas certain d'avoir envie de connaître la liste des partenaires sexuels de sa petite sœur. Il ne put néanmoins s'empêcher de songer que les cours de prévention sexuelle dispensés à leurs élèves les plus âgés auraient pu servir à Raven, s'en voulut immédiatement d'avoir pensé ça, et se félicita qu'elle ne soit pas télépathe.
Seigneur je n’allais jamais supporter d’avoir deux enfants qui pleurent dans ma propre chambre. Il était fort probable que cela finisse par me rendre encore plus folle que je ne l’étais diraient les mauvaises langues.
Mes yeux roulèrent de haut en bas quand tu évoquas mon rôle de femme. Comme si une femme n’était bonne qu’à faire des enfants et que son rôle ne se limitait qu’à cela. J’avais parfaitement conscience que ce n’était pas ce que tu voulais dire mais de temps en temps ton esprit d’homme né pendant la première guerre mondiale avait tendance à refaire surface. C’est bien pour cette raison que je ne fis aucune réflexion. Je n’étais de toute façon pas en état de me battre avec toi pour une broutille de ce genre.
L’heure n’était pas à la dispute mais au câlin, à la tendresse et au réconfort que seuls les bras de mon frère pouvaient me procurer l’espace de quelques secondes.
-Je ne sais pas …
Finis-je par murmurer à peine, dans un souffle, mon cerveau, lui, allait à toute vitesse alors que je me lovais vraiment contre toi comme si je cherchais à trouver encore un réconfort supplémentaire pour ce que j’allais devoir t’annoncer concernant la paternité des jumeaux. Si certes … J’appréciais la proposition l’idée de savoir qui était le père des enfants me terrorisaient.
-Je … Je dois te le dire car sinon cela va me ronger Charles… Il y a des chances pour que cela soit Peter … Ou Erik … Ou quelqu’un d’autre je ne sais pas.
Grimaçant en enfouissant mon visage contre la peau de ton cou j’avais tenté de camoufler et de noyer le poisson pour Erik entre deux autres nouvelles. J’étais à peu près persuadée que … Tu aurais préféré que je sois tombée enceinte d’un parfait inconnu plutôt que d’Erik. Ta réaction m’inquiétait et sans m’en rendre compte je m’étais crispée dans tes bras alors que jusque-là tes caresses dans mes cheveux avaient eu le don de me calmer.
-Charles … Je sais que je n’ai pas le droit de te demander cela. Mais… Si je n’arrive pas … Je … Si jamais il m’arrivait … Tu les élèverais ?
Les yeux baignés de larmes, j’osais enfin relever la tête pour te poser cette ultime question. Depuis que je savais que je portais la vie, j’étais enfin, après tant d’années, terrifiée par la mort. Pas de père, pour le moment, plus de mère. Tu étais ma seule famille. Mon frère. Le seul homme sur Terre à qui je confierai mes enfants.
"Have you ever looked at a tiger and thought you ought to cover it up? You are an exquisite creature, Raven. All your life the world has tried to tame you. It’s time for you to be free."
Dès qu'il avait évoqué des aménagements pour accueillir les bébés, Charles avait commencé à réfléchir aux démarches qu'il faudrait faire. Le manoir familial Xavier avait beaucoup changé depuis leur enfance, de très nombreux travaux avaient eu lieu au fil des années pour transformer leur maison en école, adaptée de surcroit à son handicap. Cela avait coûté une petite fortune, probablement plus cher que la valeur du manoir, alors s'il fallait encore débourser quelques milliers de dollars pour métamorphoser la chambre de Raven en suite parentale, ce ne serait certainement pas un problème.
« N'aies aucune inquiétude pour les aspects matériels, les bébés n'arriveront pas demain, nous aurons le temps de faire tous les travaux nécessaires pour que le futur espace de vie de tes enfants te convienne. »
Ce n'était évidemment pas la principale source d'inquiétude de Raven. Le père… Il fallut qu'elle en parle encore. Il l'écouta, bien sûr, puisqu'elle avait besoin d'en parler, mais il ne savait pas quoi en penser. Elle évoqua Peter, évidemment, Erik, nécessairement, mais aussi "quelqu'un d'autre". Qui cela pouvait-il bien être ? A moins qu'elle en rajoute pour faire passer la pilule vis-à-vis de sa relation avec Erik ? Il prit quelques instants de réflexion, se demandant comment formuler sa réponse, lorsqu'elle reprit la parole pour dire des mots qui le surprirent et l'émurent fortement. Il commença par lui sourire en répliquant :
« Voyons tu es ma petite sœur, tu sais que tu as tous les droits sur moi… »
Il retrouva néanmoins son sérieux très rapidement, et posa sa main sur la joue humide de Raven. Ses yeux clairs plongèrent dans les siens, et il tâcha de formuler une réponse sensée faire écho à toutes les craintes qu'elle avait pu formuler. Comme elle ne semblait pas encore sûre d'elle sur tous les points liés à cette affaire, il choisit une approche assez générale.
« Raven… Je t'ai toujours soutenue, dans tous tes choix… même quand… même quand ils ont été terriblement difficiles à accepter pour moi. »
Il faisait évidemment référence à mots couverts à la décision que Raven avait prise sur cette plage à Cuba, lorsqu'il était au plus mal et qu'elle avait choisi de le laisser pour partir avec Erik. Ils n'en avaient jamais véritablement reparlé depuis, mais il savait qu'il subsistait en elle une part de culpabilité, car bien qu'il lui ait donné sa bénédiction ce jour-là, elle avait dû apprendre par Hank, des années plus tard, dans quel état cette décision l'avait plongé. Néanmoins il l'avait incitée à partir et à suivre sa voie, il l'avait soutenue, malgré la peine que cela lui avait fait. C'était cela, être une famille. Bien plus que de simples liens du sang.
« Si tu choisis d'élever ces enfants en mère célibataire, je t'aiderai. Si tu décides d'aller voir leur père, lorsque tu sauras qui il est, je te soutiendrai. Je ne serai probablement jamais père. Tu es ma seule vraie famille Raven, et bientôt tu m'offriras deux superbes neveux ou nièces. Je les chérirai autant que je te chéris. »
Mon dieu… Parler des aménagements possibles à réaliser dans le manoir pour accueillir deux nouveaux nés, rendait les choses encore plus réelles et terrifiantes qu’elles ne l’étaient déjà. Si bien que des frissons de terreur me parcoururent à nouveau. Pourquoi avais-je tant de mal à me dire que j’allais être mère ? Peut-être parce que j’étais dévorée par cette peur de ne pas, savoir m’y prendre, et au final, de blesser mes enfants comme j’ai pu l’être lorsque je n’étais encore qu’une gamine. Innocente et pourtant marquée à vie jusqu’à ce que je me retrouve dans cette même cuisine il y a près de 70 ans… Peut-être également parce que l’image d’une femme heureuse avec des enfants était, toujours ou presque, dans les représentations que je connaissais du moins, accompagnée d’un homme. D’un homme qui l’aimerait éternellement, sans jamais l’abandonner.
Pourquoi fallait-il toujours que je souffre lorsque je laissais mon cœur s’ouvrir et que je me permettais de ressentir de l’amour ?
Des larmes silencieuses coulaient le long de mes joues, j’étais loin d’être le portrait typique de la femme heureuse d’avoir des jumeaux. A vrai dire j’étais tout l’inverse. On aurait pu croire, que là, dans tes bras, entre le plan de travail et le frigo, l’on venait juste de m’annoncer le décès d’un proche.
Essuyant mes larmes comme je le pouvais avec mes deux mains, je me serrais encore plus contre toi comme si j’avais besoin de ce contact physique pour arrêter mes larmes et stopper ma peine.
- Je sais que tu as toujours était là pour moi, c’est moi qui ne l’ai pas été et qui te demande encore beaucoup. Heureusement que c’est toi le grand frère et pas moi …
Un petit sourire gené apparu sur mon visage l’espace d’un instant. Pourquoi arrivais-je sans soucis à diriger et mener une équipe de X-Men, mais étais-je si pitoyable la majeure partie du temps lorsque j’agissais avec des personnes que j’aimais ?
Hochant lentement la tête à tes paroles concernant la famille, celle que nous formions, et celle que nous allions former, peut importe le père, je fus à nouveau secouée par les émotions. Quelle chance j’avais eu dans les années 40 de venir dans cette maison là précisément.
- Je n’aurai pu rêver d’un meilleur grand frère Charles…
Mes lèvres vinrent se déposer dans ton cou pour venir y déposer un tendre baiser fraternel en guise de remerciement pour toutes ces années, et surtout ce moment-là, où tu ne me jugeais pas ou du moins tu ne montrais pas que tu le faisais.
- Merci d’être toujours là pour moi … Peut importe la situation… Je t’aime.
Deux je t’aime en une même soirée. Nous étions sur un record mondial. Mon nez vint se frotter contre ton cou, juste là où je venais de déposer un baiser, et je restais silencieuse, profitant juste de cet instant d’amour pur que tu me donnais, les yeux clos, inspirant ton odeur.
"Have you ever looked at a tiger and thought you ought to cover it up? You are an exquisite creature, Raven. All your life the world has tried to tame you. It’s time for you to be free."
Oui, c'était lui le grand frère. C'était lui qui, dans cette même cuisine bien des années plus tôt, avait accueilli une petite fille perdue, abandonnée, rejetée par sa famille. Il s'était alors fait la promesse de toujours veiller sur elle. Ce n'avait pas toujours été facile. Ils s'étaient perdus plusieurs fois, mais s'étaient toujours retrouvés. Il avait commis des erreurs, lui aussi, et elle était la seule à pouvoir le lui faire remarquer et que ça lui soit bénéfique. S'il était toujours là pour elle, il ne savait pas comment il pourrait de nouveau vivre sans elle.
Lorsqu'elle lui confia qu'elle n'aurait pu rêver d'un meilleur grand frère, il sentit monter en lui une bouffée d'émotion, et cette fois une larme coula sur sa joue. Au moins, avec elle, il avait réussi. Ils se disputaient souvent, certes, mais leur amour était plus fort et plus pur que tout ce qu'il avait connu jusqu'ici. Il resserra son étreinte, profitant comme elle de ce moment si rare et si précieux.
« Je t'aime aussi, petite sœur. »
Ce moment, comme tant d'autres avec elle, resterait à jamais gravé dans sa mémoire. Et même s'il savait que les mois, les années à venir, ne seraient pas faciles pour elle, ce moment de tendresse partagée était comme une bouffée d'oxygène pour lui, en ces temps si durs à vivre. Ils restèrent ainsi enlacés un long moment. Lorsqu'il sentit qu'elle s'était apaisée, il l'aida à se redresser et lui dit avec douceur :
« Et si nous prenions ce chocolat avant d'aller nous coucher ? »
Cette nuit-là, il se coucha sans avoir peur de sombrer dans le sommeil. Cette nuit-là, il ne songea pas à Jean toujours en détresse, ni à Lynda toujours dans le coma. Cette nuit-là, il s'endormit le sourire aux lèvres, ses songes furent peuplés de rires d'enfants, et il dormit comme un bébé.
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