Aleskandrina Nabokov était une femme dont la beauté ne pouvait être ignorée : fine à la taille de guêpe, possédant une chevelure de jais et de grands yeux mordorés, elle attisait la jalousie de ses soeurs et la convoitise des hommes de son quartier russe de New-York, Brighton Beach. Nul ne sait véritablement pourquoi elle s'enticha, malgré ses nombreux prétendants aisés, d'un homme sans le sou et ayant la violence aussi facile que gratuite, nommé Vladimir Ranevskaia, membre d'un petit gang russe de la ville. Malgré les multiples mises en garde de ses parents, Aleksandrina n'écouta que son coeur et le mariage fut célébré un jour d'été de 1995. Mais le bonheur ne dura qu'un temps. Pour sauver les apparences, Aleksandrina faisait croire à tout son entourage que sa vie de couple était sans nuage, mais la réalité était bien moins idyllique. Alcoolique, ayant un certain penchant pour les jeux d'argent et les femmes, Vladimir dilapidait l'argent du foyer à sa guise et battait son épouse sitôt que celle-ci osait le contrarier. Ce ne fut qu'après la naissance de leurs jumeaux, un petit garçon nommé Ezekiel et une petite fille prénommée Azael, qu'elle trouva le courage de se défaire de l'emprise diabolique de cet homme malfaisant. Aleksandrina quitta le domicile conjugal durant l'absence de son mari, et s'évapora dans la nature. Elle pensait être débarrassée de Vladimir et de cette vie infernale, mais piqué au vif dans sa fierté d'homme, le mari congédié ne comptait pas lui donner raison. Quelques semaines après le départ de sa femme, Vladimir avait usé de ses contacts dans la mafia russe pour retrouver la trace d'Aleksandrina et de leurs deux enfants. Il n'eut pas à attendre longtemps avant d'avoir ses réponses : son ex-femme était installée dans un confortable pavillon avec Ezekiel et Azael, à seulement quelques kilomètres de New-York. Sans doute, pensait-elle être en sécurité dans cette résidence surveillée, mais la vengeance d'un homme répudié n'a point de limites. Et Aleksandrina n'allait pas tarder à le savoir.
Comme tous les matins depuis quelques semaines, Aleksandrina prit la route de la garderie à 7h45. À l'heure où le soleil pointe le bout de son nez et où le ciel est coloré de nuances pastels, les routes sont dégagées et il ne lui faut que quelques minutes à peine pour rejoindre le centre-ville de New-York. En quittant la résidence, il suffit de prendre un petit chemin de terre qui conduit sur l'axe principal menant directement à une artère de grande avenue, et une dizaine de minutes suffisent ensuite pour retrouver le parking de la crèche. D'un geste presque mécanique, Aleksandrina s'était engagée instinctivement sur le terrain boueux tout en chantonnant une petite comptine à ses enfants, qui avaient bien du mal à se réveiller à l'arrière de la voiture. Mais la jeune maman n'arriva jamais sur l'axe principal. Le destin, nommé Vladimir Ranevskaia, en avait décidé autrement. Tandis que le paysage campagnard défilait devant la voiture, un trois tonnes couvert de poussières avait déboulé d'on-ne-sait-où, percutant de plein fouet le coté conducteur du véhicule transportant la mère et les enfants. Le coup fut fatal pour Aleksandrina, qui n'eut même pas le temps d'adresser quelques mots à ses enfants avant de mourir. Peu de temps après, les secours arrivèrent sur les lieux de l'accident, prévenus par des automobilistes empruntant le même chemin : ces derniers ne purent que constater le décès d'Aleksandrina, et fait réellement curieux, les deux bambins furent retrouvés à côté de la voiture, sans aucune égratignure. Si l'enquête avait conclu que le père devait certainement avoir déplacé ses enfants après l'accident, peut-être par culpabilité, il n'y eut jamais de véritable explication concernant ce mystérieux détail.
Ayant leur mère au cimetière et leur père en prison, ce fut tout naturellement les parents d'Aleksandrina qui reçurent la charge d'élever Ezekiel et Azael. Inséparables, les deux enfants furent amplement choyés et aimés par Marpha et Aleksei, qui se pliaient à tous leurs caprices en essayant de combler la douleur liée à leur condition d'orphelins ; bien que les parents ayant perdu leur fille l'avaient longtemps pleurée, le bonheur de vivre au quotidien avec ces deux petits bouts d'elle avait réussi à apaiser leurs coeurs de parents meurtris. Très complices, ils formaient une véritable famille unie et aimante. Mais très tôt, Ezekiel fut inscrit dans divers sports de combat pour tenter de canaliser ce que le psychologue avait nommé comme étant de l'hyperactivité : taekwondo, judo, krav-maga, activités extra-scolaires, boxe... Ses journées étaient bien complètes pour ne lui laisser aucun temps de répit, le but étant qu'il soit fatigué en fin de journée et qu'il puisse dormir, mais rien n'y faisait. Il était ingérable, insupportable même, et largement désobéissant malgré les menaces et les punitions faits à son encontre. Marpha et Aleksei devenaient bien trop vieux pour pouvoir s'occuper ainsi d'un enfant aussi turbulent, mais ils aimaient tendrement leurs petits-enfants, c'est pourquoi ils ne désespéraient pas de trouver un moyen de l'aider à trouver un équilibre. Et c'est ce qu'ils firent, un peu par hasard, lorsqu'Ezekiel avait une dizaine d'années.
Aleksei était passionné par les Échecs depuis bien longtemps, l'ayant appris lui-même de son propre grand-père, mais il avait toujours songé qu'il s'agissait d'un domaine bien minutieux et calme pour plaire à son petit-fils trop brusque et énergique, et il craignait de le voir balancer l'échiquier dans un élan d'énervement. Étrangement, Ezekiel s'était montré très réceptif à ce qu'il considérait au début comme un simple jeu, mais qui était rapidement devenu une véritable passion : dévorant les livres à ce sujet —lui qui ne lisait jamais, il avait très vite démontré les signes d'un talent indéniable, si bien qu'Aleksei l'avait convaincu de participer à certains tournois de la ville, qu'il avait remporté haut la main. Trouvant son repos dans la discipline mentalement éprouvante que sont les Échecs, Ezekiel semblait s'être considérablement assagi, bien que ses notes scolaires étaient toujours aussi catastrophiques.
Mais si de véritables améliorations s'étaient opérées chez Ezekiel, si bien qu'il eût arrêté les visites chez le psychologue depuis quelques mois pour les remplacer par des séances de sports ou d'entraînement aux Échecs, en juin 2011, il plongea dans une sévère dépression. Alors qu'il était âgé de seulement quatorze ans, sa jumelle tant aimée fut portée disparue. Des recherches importantes furent organisées dans toute la ville durant les semaines mais qui suivirent, mais la jeune adolescente s'était comme volatilisée : il n'y avait aucune trace d'elle nulle part, bien que les policiers avaient écumé toutes les pistes possibles et inimaginables. Cette année, comme les suivantes d'ailleurs, Ezekiel avait refusé de fêter son anniversaire : si Azael n'était pas là pour célébrer leur naissance, il ne le ferait pas non plus. Peu à peu, sans pouvoir intervenir, Marpha et Aleksei avaient assisté, impuissants, à la détérioration de leur petit-fils, qui ne sortait même plus de chez eux. Un jour, alors qu'il était dans la chambre de sa soeur, assis aux pieds de son lit comme s'il l'attendait qu'elle y revienne, il n'avait pu s'empêcher de repenser à tous les instants qu'ils avaient passé, côte à côte dans le garage de leur grands-parents, à peindre ou à dessiner. Fermant les yeux en se plongeant dans ses souvenirs, il s'était retrouvé dans le garage silencieux et lugubre, à l'endroit même où il s'était tenu dans ses souvenirs, comme s'il avait pu se projeter dans les images d'antan pour les reformer... Mais Azael n'était pas à ses côtés, et il n'y avait pas leurs dessins non plus. Il n'y avait que lui. Il s'était seulement projeté lui-même dans l'endroit dont il s'était souvenu, et qu'il avait voulu rejoindre... Ce fut la première manifestation de ses pouvoirs, et quand bien même Ezekiel avait rapidement formulé le fait qu'il était un mutant, il avait gardé le secret pour lui : il ne voulait pas accabler davantage ses grands-parents, déjà cruellement torturés par l'absence de sa jumelle.
Délaissant l'échiquier sur lequel il se sentait pourtant maître, Ezekiel se tourna davantage vers les sports de combat, qui lui permettaient de se défouler et d'évacuer toute la rage et la tristesse qu'il éprouvait, tout en s'exerçant à son pouvoir de façon secrète, agrandissant au fur et à mesure son champ de mouvement. Mais, intérieurement, il avait l'impression d'être vide. Il avait la sensation d'être dans une spirale infernale, et l'incertitude était bien la pire de toutes les souffrances : où était-elle ? Est-ce qu'elle avait fait le choix de partir sans lui ? Est-ce qu'elle avait été enlevée ? Est-ce qu'elle souffrait ? Il imaginait le pire tout en espérant le meilleur, et le chagrin le rongeait de l'intérieur. Malheureusement, quelques mois après la disparition d'Azael, Marpha s'éteignit à son tour d'une crise cardiaque, et tout le monde fut persuadé que l'absence d'Azael avait précipité sa mort. Une nouvelle fois, le malheur venait de le frapper. Une disparition de plus. Une absence supplémentaire à supporter. Et le sort n'avait pas fini de s'acharner. Un an plus tard, lors du snap de Thanos, c'est Aleksei qui disparut devant ses yeux impuissants, le laissant seul. Seul au monde.
Sa mère était morte sans qu'il ne puisse véritablement la connaître, son père allait rester en prison jusqu'à la fin de ses jours, sa soeur jumelle était disparue depuis des années, sa grand-mère s'était envolée dans la foulée et, à présent, même son grand-père, son pilier, celui qui lui avait transmis l'amour des Échecs, celui qui l'avait toujours soutenu et aimé, n'était plus là non plus. Premièrement terrorisé et véritablement accablé par la disparition d'Aleksei, mais aussi par le sort appliqué à l'univers tout entier, Ezekiel n'avait pas osé sortir de chez lui durant quelques jours, se barricadant à l'intérieur de sa maison comme dans une forteresse. Maintenant qu'il était véritablement seul, l'extérieur l'effrayait, il ne savait pas survivre sans les siens, sans personne pour l'épauler. Mais lorsque les placards de sa demeure furent vides, il n'eut pas d'autres choix que de quitter ses murs pour trouver quelque chose à manger. Épuisant rapidement les réserves d'argent liquide que son grand-père avait planqué chez eux, Ezekiel avait bien été obligé de trouver une solution pour pouvoir se nourrir : il avait alors choisi la solution la plus facile, les combats de rues clandestins, avant de s'orienter vers le vol. Tout d'abord dans l'unique but de manger à sa faim, Ezekiel avait pris goût à cette pratique ô combien douteuse, qui avait fini par l'amuser. Au fil du temps, il avait même commencé à voler des choses dont il n'avait pas vraiment l'utilité mais qu'il revendait par la suite pour se faire un peu d'argent afin d'acheter des antidépresseurs au marché noir et de l'alcool en grande quantité. C'est d'ailleurs lors d'un vol dans un grand magasin huppé de la ville qu'il fit la rencontre de Remy LeBeau, qui l'avait surpris en plein larcin ; ayant assisté malgré lui à la téléportation d'Ezekiel, qui opérait de cette façon pour ne pas être repéré lors de ses vols, les deux hommes firent connaissance et se lièrent d'amitié, si bien qu'Ezekiel ne tarda point à rejoindre la Cour des Joueurs de son nouvel acolyte. Grandement reconnaissant et loyal envers Rémy, Ezekiel lui a démontré plusieurs fois qu'il était digne de confiance, quand bien même son caractère taquin et têtu n'épargne personne, pas même le Prince des Voleurs.
Les années sombres eurent fini de forger le caractère indiscipliné d'Ezekiel, qui s'est gravement enorgueilli des vols prodigieux et des combats clandestins remportés. Fier de sa personne, fier de sa mutation et fier de ses actions, il ne cherche nullement à se refaire une conduite ; néanmoins, il n'a pas révélé la vérité à son grand-père, revenu après cinq ans d'absence. Ainsi, Aleksei ne sait rien des déboires de son petit-fils, ni de ses dépendances à l'alcool et aux médicaments, et encore moins son appartenance à la Cour des Joueurs. Préférant éviter les sujets qui fâchent, tous deux rénovèrent leur ancienne maison pour l'aménager au grand âge d'Aleksei, et pour ce dernier, son petit-fils gagne sa vie en remportant des tournois d'Échecs, ce qui n'est pas tout à fait faux mais qui n'est pas totalement vrai non plus. Songeant qu'il n'a pas besoin d'être déçu en apprenant la vérité à son sujet, Ezekiel lui rend visite quotidiennement pour débattre quelques parties ou pour simplement discuter durant des heures, selon l'état de fatigue de son grand-père. Malade, affaibli et ayant tendance à perdre la mémoire de temps en temps, Ezekiel sait qu'il droit profiter de chaque instant qu'il passe à ses côtés avant qu'il ne soit trop tard. Quant à sa soeur jumelle, qu'il n'oublie jamais, il semble avoir réussi à la laisser partir... S'il n'espère plus la revoir un jour, il est parvenu à se convaincre qu'elle est en paix, même si lui ne l'est pas.