La rançon de la gloire — (Reed)

Elle a failli mourir, Ali. Elle a failli mourir parce que des blaireaux sans courage ont mis un contrat sur son nom et que des blaireaux sans cervelle l’ont pourchassée après une représentation pour l’éliminer : ils ont assassiné son chauffeur, ruiné sa paire d’escarpins qui coute une blinde mais, malheureusement pour eux, elle est toujours vivante. Grâce à son instinct de survie, certes, mais surtout parce qu’un blaireau a décidé de ne plus être un blaireau et l’a finalement aidée à s’en sortir. Après cet événement ô combien traumatisant, la blonde s’est barricadée dans sa maison luxueuse pour prendre un nombre incalculable de bains, faire des soins du visage, pleurer en buvant du champagne rose — la couleur est importante, faire ses ongles devant une série de haute voltige (Gossip Girl) puis, réalisant au bout de 48h que le monde ne pouvait se passer d’elle, Alison s’est levée en décrétant qu’elle n’aurait plus peur des blaireaux : on les chasse, les blaireaux, on ne fuit pas devant eux.

Ainsi donc, la blonde a repris le chemin des studios de tournage pour ce film médiocre avec le partenaire qui l’est tout autant, et dont elle ne retient même pas le nom — elle l’appelle d’ailleurs Jerry au lieu de Johnny, quand ce n’est pas Tommy qui sort. Bref, elle le trouve aussi insipide que le scénario qu’elle doit jouer, et en ce lundi matin, elle a au moins le plaisir d’échapper à a gueule insupportable du blond grand comme une asperge qui se prend pour un golden boy alors qu’il est en toc. « Arrêtez-vous ! » crie-t-elle depuis l’arrière de la voiture, son chauffeur lui jetant d’abord une oeillade étonnée dans le rétroviseur avant d’obtempérer, garant la voiture de luxe sur le bas-côté. « Je reviens. » Mettant ses lunettes de soleil sur son nez malgré l’heure matinale, elle sort de l’habitacle et fait quelques pas sur le trottoir, désireuse de rentrer dans un Starbucks afin de commander son thé matcha du moment, faisant claquer les talons de ses bottes blanches sur le bitume quand, dans son dos, elle entend une voix enfantine qui l’interpelle. Elle n’a pas l’instinct maternel, Ali, principalement parce que les mioches l’emmerdent autant que les adultes, mais elle ne dit jamais non à un.e fan, même lorsque ledit fan est haut comme trois pommes. Pivotant sur ses jambes fuselées, dévoilées par la jupe grise plissée, posant les yeux sur la fillette qui la montre du doigt. « Coucou, trésor. » dit-elle d’une voix charmeuse en revenant sur ses pas pour se rapprocher de la petite fille qui est littéralement en train de fondre, sa bouche étant crispée dans un demi-sourire à la fois euphorique et surpris, tandis que ses yeux s’agrandissent d’étoiles lorsqu’elle comprend que la star vient en sa direction. Mais va-t-elle avoir le temps de lui parler de plus près ?

« Dazzler ! Dazzler ! » la voix euphorique de la petite fille résonne à ses oreilles comme la plus suave des mélodies, encore plus douce que lorsqu’on lui annonce qu’elle a reçu ses nouvelles chaussures à paillettes et qu’elle peut les essayer sans attendre : autant dire, donc, que la barre est haute. Mais comment résister à l’acclamation d’une admiratrice fendant la foule et l’autorité parentale pour la rejoindre ? Alors, c’est sans l’ombre d’une hésitation que la chanteuse pivote sur ses talons en pressant ses lèvres dans une moue satisfaite et plutôt attendrie, accentuée par l’humeur jovial de son égo flatté par l’enfant qui court prestement en sa direction, et qu’elle s’apprête à rejoindre pour ce qu’elle pense être une rencontre aussi brève que réjouissante ; sans nul doute que la fillette veut lui faire signer un autographe ou la pochette de son album, et c’est donc en commençant à sortir un stylo de son petit sac-à-main que la diva s’avance sur le bitume, en essayant d’ignorer les regards qui se tournent vers elle : bien sûr qu’on la reconnait, il faut vivre dans une grotte pour ne pas la connaître ! Mais ne voyant que les yeux pétillants de la demoiselle en fuite paternelle, Alison occulte totalement l’ours rustre qui rattrape rapidement la fan de taille réduite, en lui hurlant dessus d’une manière peu conventionnelle, si bien que les sourcils de la chanteuse ne tarde pas à se froncer au-dessus de ses yeux maquillés. « Tu arrêtes tes bêtises maintenant et tu vas M'ÉCOUTER ! » mais pour qui il se prend, celui-là ? Dire que Alison est scandalisée du traitement appliquée à la petite fille serait peu dire, elle qui n’a jamais subi le courroux de ses parents, parents qui se sont toujours pliés en quatre pour parfaire la moindre de ses exigences et accomplir tous ses caprices, ayant élevé leur fille sur un monticule d’or célébrant son talent et sa beauté : autant dire, donc, qu’elle ne comprend absolument pas qu’on crie ainsi sur les enfants. Encore moi si les dits enfants sont fans d’elle : de toute évidence, elle a du goût, cette gamine ! « Nous allons être en retard crétine ! » Les passants ralentissent le pas pour tourner un regard offusqué vers celui qui vient de déprécier et d’insulter sa propre fille devant témoins — non pas que la présence d’oreilles étrangères aggrave foncièrement son cas, mais au moins ils sont plusieurs à le toiser avec dureté. « Mais… Mais ! C'est Dazzler ! »

Et la dénommée arrive enfin à leur hauteur, visage fermé, sourcils froncés et lèvres pincées. Autant dire qu’elle a envie de lui coller sa main portant plusieurs bagues tout droit dans la figure, et qu’elle le ferait certianement si elle ne craignait pas de faire la Une des journaux pour cette raison ; elle entend déjà Rhett râler et lui faire la morale sur le comportement d’une chanteuse de sa notoriété, mais elle est tentée de sacrifier sa bonne image pour entacher celle du père qui n’en mérite guère le nom. « Mais… Mais ! C'est Dazzler ! » - « Ça pourrait être le président des États-Unis que je n'en aurais rien à secouer ! » Oh mais c’est elle qui va le secouer ! « Aïe ! Papa, tu m'fais mal ! » dit la petite douceur en se mettant à pleurer, obligeant une vieille dame à se positionner aux côtés d’Alison pour sans nul doute sermonner le père défaillant, mais la voix de la diva se fait entendre juste avant ’’Lâchez-là tout de suite.’’ intime sèchement la blonde qui baisse le menton pour accorder un sourire tendre à la petite fille, rapidement appuyée par la vieille dame qui ne quitte pas l’homme des yeux. ‘’Vous n’avez pas honte de malmener votre fille comme ça ?’’ - ‘’Il faudrait un permis pour avoir des enfants !’’ Crie un homme qui ne prend pas la peine de s’arrêter mais qui fusille des yeux le mis en cause, rapidement accablé par des yeux qui le condamnent sans jugement. ’’Elle a dit que vous lui faisiez mal, vous êtes bouché ou quoi ?’’ - ‘’Lâchez cet enfant ou j’appelle la police !’’ Menace la vieille dame en commençant à sortir son téléphone de sa poche tandis que la blonde se penche vers la petite fille, guidant l’une de ses mains manucurées contre sa joue afin d’effacer les larmes. ’’Ça va aller trésor, promis.’’ Elle taperait volontiers un scandale pour mettre la honte à la crapule barbue, mais puisque la petite fille pleure déjà à chaudes larmes, elle va éviter d’en rajouter : elle n’est pas conne à ce point, Ali. ’’Vous la lâchez ou j’me charge de vous convaincre de le faire ? Croyez-moi, ça va pas arranger votre sale gueule.’’ Elle est beaucoup trop petite et trop menue pour tenir ce genre de menace mais, elle n’a pas peur, Ali : elle peut se défendre même contre la pire des ordures. Ou du moins, c’est ce qu’elle aime croire.