Briser le silence

Je m’étais endormi sur le canapé, avec un film qui passait encore en fond, quand mon portable vibra soudainement dans ma poche une unique fois. Je l’attrapai mollement pour en consulter le message, sortant lentement des brumes du sommeil. C’était Charles qui m’écrivait. C’était suffisamment notable pour que je me demande s’il y avait une urgence à l’Institut, émergeant plus rapidement que prévu. Mais non, le message était peut-être lapidaire, mais il ne revêtait aucun caractère urgent. C’était seulement une position, un lieu… un navire. Je percutai subitement. Pas n’importe quel navire. Mon père était de retour à New York aujourd’hui.

« Merde. » Soufflai-je simplement. Ce n’était peut-être pas la réaction la plus attendue en retour aux encouragements formulés par Charles. Je lui écrivais rapidement des remerciements, avant de ranger mon portable ensuite. Qu’est-ce que je devais faire au juste ? C’était bien le moment de me poser la question. Je n’avais probablement pas beaucoup de temps pour l’attraper avant qu’il ne disparaisse en ville, pour quelques transactions, et qu’il soit subitement plus difficile de le retracer. Il y aurait sûrement d’autres fois si j’avertissais Charles que je ne m’étais pas senti d’y aller mais… c’était ridicule. Je n’avais pas déjà attendu assez longtemps ? A un moment, il fallait bien se jeter à l’eau. Non pas que j’ai prévu de suivre son bateau à la nage, bien entendu. Je m’égarais.

Je devais rester méthodique. A toute vitesse, j’attrapai mes lunettes et enfilai mes solides chaussures prévues habituellement pour l’entraînement des X-men. C’était les deux seuls accessoires de ma tenue que je consentais à prendre. Parce que je ne voulais pas me pointer devant lui en tant que X-men, mais j’en aurais besoin si ses amis mutants – ou lui-même – me réservaient un mauvais accueil. Il valait mieux être paré à toute éventualité, quand on ne savait pas vraiment à quoi s’attendre. Pourtant, je ne pris pas la peine de faire l’inventaire de tous les objets métalliques qui étaient sur moi avant de partir… à quoi bon ? Ça le rassurerait peut-être de savoir qu’il pourrait me stopper net, si ça le chantait. Faire attention à ce type de détails serait un aveu de ma part. Je n’avais rien à craindre de mon propre père, n’est-ce pas ? Sauf qu’il ne le savait pas encore.

Il était temps d’y aller. Si je restais encore pour réfléchir un peu, je ne partirais jamais de chez moi. Je réajustai ma veste en cuir, avant de m’éclipser en un éclair… et rebrousser chemin aussi vite pour verrouiller la porte et récupérer les clefs oubliées sur la serrure. « Ça commence bien. » Pour aller au Port, il me suffisait de prendre le pont de Brooklyn vers Staten Island, puis de remonter un peu plus au Nord et… en quelques dizaines de secondes, malgré la circulation, je me retrouvais à l’endroit dit. Je fouillai le quai à toute vitesse pour trouver le nom du bateau qu’il m’avait indiqué, avant d’enfin l’apercevoir, un peu plus en retrait de l’agitation. Le navire venait à peine d’accoster. Je ne savais pas si Charles s’était montré rudement précis et efficace, ou si j’avais fait preuve d’une grande réactivité mais… on allait parier un peu sur les deux.

Je relevai mes lunettes dans mes cheveux argentés et me plantai sur le quai. Je me demandais vaguement qui je risquais de voir arriver en premier débarquer… lui ou un de ses mutants ? Est-ce que seulement Erik allait-il se souvenir de moi en vérité ?

Qu’est-ce que j’aimerais être capable de lire dans les pensées, là maintenant. Ça m’aiderait vraiment à savoir comment m’y prendre pour balancer une bombe pareille en évitant de faire pire que mieux. Non vraiment, si je restais parfaitement moi-même, je risquais de lui dire de but en blanc, entre deux conneries balancées pour noyer le poisson. Ce serait la pire façon de faire, non ? Peut-être. Peut-être pas.

Mais dans l’immédiat, rien que croiser son regard avant même qu’il accoste me donnait envie de m’enfuir en quelques secondes jusqu’au Mexique. C’était si tentant de se dire en fait non et de s’en aller sans demander mon reste quand on avait mes pouvoirs.

J’étais nul pour mentir, nul pour faire semblant. Alors je me balançai d’une jambe à l’autre, les mains enfoncées dans mes poches, en attendant que le petit navire de pêche arrive à quai. J’avais l’impression qu’il s’était écoulé une éternité, et que j’avais eu le temps de me faire toute une rétrospective depuis la dernière fois que je l’avais vu, quand Erik posa enfin pied à terre. Je savais que ce n’était pas lui qui avait pris son temps pour arriver, c’était simplement moi qui trouvais que le temps ne passait pas assez vite dans des circonstances pareilles.

Je retirai mes lunettes pour les plaquer dans mes cheveux d’argent, lui offrant mon plus beau sourire. « Salut. » L’entendre prononcer mon nom était déjà une victoire en soi. Il n’avait pas oublié, malgré le temps passé, qui l’avait sorti du pétrin au Pentagone. Il avait pourtant réussi le tour de force d’être plus irritable qu’un Charles sans pouvoirs ce jour-là. Avec Wolverine pour parfaire le tableau, j’avais gardé un souvenir impérissable de leur bonne humeur à tous les trois. Il n’y en avait eu qu’un pour me remercier, et il me semblait bien que ce n’était pas lui. « Ouais, euh… quarante ans, je crois. » Aïe. Ça faisait très longtemps quand on comptait comme ça. Mais il avait l’air d’avoir changé. Je fus surpris qu’il me demande des nouvelles, comme si nous étions de vieux amis. Mais après tout, nous n’étions pas nombreux à avoir été arraché à notre époque. Pire encore, Erik avait dû faire sans la plupart d’entre nous, car quelques semaines à peine après, le snap nous avait rayé proprement de la surface de la Terre. Ça ne faisait que mettre en évidence tous mes actes manqués, et la chance que j’avais de me tenir encore devant lui aujourd’hui, pour rectifier le tir. « J’habite à New York maintenant, mais je file toujours des coups de main à l’Institut… et toi ? » Je n’allais pas lui mentir sur mes allégeances, même si je conservais toujours une grande part de liberté. « Au fait, je voulais te voir pour te… parler. » Quelle superbe entrée en matière ! Je me surpassais. « En privé. » Rajoutai-je, dans un regard entendu. Est-ce qu’il me ferait assez confiance pour s’éloigner un peu de ses nouveaux amis ? Remarque, on parlait de Magneto… ce n’était pas comme s’il craignait qui que ce soit. Enfin je me souvenais très bien l’avoir pris de vitesse au Pentagone quand il était prêt à faire un carnage… mais je n’étais pas là pour me mesurer à lui.