La loi du plus fort

En cette fin de matinée, la place de Times Square est semblable à une véritable fourmilière qui s’agite à une vitesse frénétique, un océan de bras, de jambes et de visages qui ne s’attardent guère dans le paysage que l’on peut observer. L’asphalte est envahi par une marée humaine qui se presse dans les allées piétonnes, encadrée par des buildings si haut qu’ils pourront bientôt chatouiller le ciel, sous l’œil des écrans géants affichant un nombre incalculable de publicités à la minute. Ce centre névralgique de la ville, au croisement de Broadway avec la 7ème avenue, est donc déjà joyeusement animée lorsque les deux étudiantes, dont les cours ont été annulés pour l’après-midi, arrivent à leur tour.

« On commence par quoi ? » Demande Mary en attrapant la paille de son milkshake avec ses lippes afin d’en aspirer une bonne gorgée, regardant par-dessus ses lunettes de soleil en espérant ne pas se faire bousculer outre mesure par les passants pressés : elle a déjà tâché sa manche avec sa boisson à cause d’eux ! « Euh… » Levant le nez en même temps que les yeux, Jean balaye les enseignes commerciales en gardant ses lèvres espacées de quelques degrés, n’étant pas tout à fait sûre du choix à faire. « Forever 21 ? » Propose-t-elle d’une voix incertaine, à mi-chemin entre l’affirmation et l’interrogation, puisqu’elle ne connaît même pas la marque qu’elle désigne de l’index. Heureusement, Mary connait, elle. « Oh, génial ! J’ai repéré un petit haut sur leur site internet, en plus. » Sans attendre, la blonde intrépide fend l’attroupement de piétons sans davantage de considération pour les inconnus qu’elle bouscule et qui lui lancent des regards agacés, sans que cela ne semble vraiment l’offusquer. Mary, galvanisée par l’idée d’acquérir un nouveau vêtement, s’empresse de rejoindre le magasin tant convoité, abandonnant son amie rousse derrière elle. Celle-ci, penaude, la voit s’éloigner en fronçant ses sourcils d’un air contrit, faisant de son mieux pour la rattraper malgré le défilé incessant des passants devant elle. « Pardon…Excusez-moi… Oui, pardon… Oh, désolée ! » La douce mutante s’efforce de traverser la rue pour retrouver sa comparse, présentant des excuses aussi bien que des sourires aux corps contre lesquels elle bute, en trouvant l’endroit tout à fait abominable : qui a l’eu l’idée de venir ici ?! Puisque l’idée vient d’elle, il vaut mieux ne rien dire.

En parvenant miraculeusement de l’autre côté de la rue, Jean soupire aussi bien d’agacement que de soulagement. Remettant correctement la anse de son sac à bandoulière sur son épaule, elle jette un regard en arrière, prenant quelques secondes pour souffler avant de faire un pas en direction du magasin mais, elle n’en franchit point le seuil. « SALETÉ DE MUTANTS ! TU CROYAIS QU’ON NE T’AVAIT PAS VU ? » La peur. La colère. La tristesse. La haine. Les sentiments des uns et des autres venant effleurer sa sensibilité exacerbée, elle fronce lentement ses sourcils au-dessus de ses yeux clairs, dont l’aspect se voile d’une teinte méfiante. Depuis les attentats des Héritiers, les manifestations anti-mutantes se multiplient, aussi, la fille de Charles Xavier n’hésite pas bien longtemps avant de se rapprocher de l’attroupement bruyant, qui force les passants à les contourner pour poursuivre leur trajet. Elle n’intervient pas encore, soucieuse de comprendre réellement la dynamique avant de s’interposer… Les deux mains accrochées à la fameuse anse brune de sa besace, elle s’approche d’un pas léger, commençant à étendre sa télépathie pour repérer les assaillants… Et les possibles victimes.

Mais est-elle la seule à les avoir remarqué ?

Interpellée par le cri de détresse s’étant élevé au-dessus du brouhaha de la foule, perçant les bribes de conversations volées ici et là, Jean fronce lentement ses sourcils en jetant un regard inquiet en direction de la source de ce bruit ; au milieu du chemin, statique au milieu des piétons pressés, elle sent qu’on bouscule son épaule à de multiples reprises mais n’y prête guère attention, ne relevant même pas le « désolé » soufflé par un illustre inconnu, puisque l’injure infligée est trop minime pour la détourner de son objectif principal : retrouver la personne ciblée par l’attaque.

Prudente mais déterminée, elle avance l’une de ses épaules en relevant machinalement sa main lorsqu’elle marche à contre-courant, son regard barré par les corps qui entravent le paysage ; la télépathe use néanmoins de ses facultés pour repérer les assaillants armés ainsi que leur malheureuse victime, au sol, recroquevillée en boule pour se protéger des attaques qui ne tarderont certainement pas à venir. (Je vais t’aider, ne t’inquiète pas.) Lui souffle-t-elle alors d’une voix qui se veut rassurante, sans que ses lèvres ne produisent le moindre son : les mots ont été déposés dans le fil de ses pensées, obligeant la victime à ouvrir de grands yeux reptiliens en balayant l’assemblée d’un regard interloqué. Comment les passants peuvent fermer les yeux sur ce qui se passe, se demande-t-elle en parvenant enfin à leur hauteur, les sourcils froncés sous une expression grandement contrariée. Le fait que personne ne trouve rien à redire est la preuve que l’hostilité à l’égard des mutants n’est pas seulement grandissante, mais aussi banalisée.

Mais la rousse n’a pas vraiment le temps de faire entendre sa voix car, sitôt qu’elle arrive derrière l’un des agresseurs, un homme en armure et portant un casque bleu et brillant s’impose dans son champ de vision, mais aussi devant le leader de cette escouade haineuse. « Je serai toi, j’embarquerai tes potes et je me ferai tout petit. » Si l’intervention — hautement honorable et courageuse, provoque un court moment de surprise parmi les offenseurs et même chez la mutante rousse qui se retrouve prise de court, l’homme tenant une batte dans sa main ne tarde pas à reprendre de la contenance, ne trouvant peut-être rien d’inquiétant à la carrure moindre de son nouvel adversaire. « Tiens, les apprentis héros qui défendent des monstres, on aura tout vu ! Au cas où t’as pas remarqué, t’es tout seul et c’est pas ce truc qui va t’aider ! » Ah, vraiment ? Les sourcils légèrement froncés, Jean articule quelques gestes de la main pour surélever ses pieds, prenant suffisamment de hauteur pour dépasser largement la tête des assaillants, se déplaçant dans les airs pour se mêler à leur ronde de l’horreur, afin de se retrouver derrière leur victime, dont l’apparence somme toute différente ne l’effraye guère. « Il n’est pas seul. » Sonne-t-elle d’une voix presque malicieuse en plongeant ses yeux dorés dans ceux de l’homme armé, sans afficher la moindre peur à son égard. « Classe, on dirait un dragon ! » Elle n’est pas sûre que l’homme apprécie la comparaison, et c’est pourquoi elle ne répond pas au sourire de son allié du jour. Plutôt que de se préoccuper des uns et des autres, elle s’agenouille rapidement auprès de leur victime pour s’assurer qu’il ne souffre d’aucune blessure physique grave, pendant que l’homme en bleu se charge de provoquer le groupe d’assaillants. Une chose à la fois. « Est-ce que vous allez bien ? » La demande est soufflée d’une voix aussi douce qu’attentive, et elle guide même sa main jusqu’à la tempe de l’inconnu, dont la peau écailleuse lui paraît étrangement rugueuse contre sa paume, mais rien de suffisant pour qu’elle avorte son geste bienveillant. « Je… je crois, oui… » Il est pleinement conscient et semble intact : une bonne chose, même si la blessure intérieure de la peur sera sans nul doute plus difficile à soigner. Elle lui adresse alors un sourire emplit d’une douce chaleur, suffisamment rassurant pour qu’il trouve la force de lui répondre, d’un rictus moindre car toujours apeuré. « Je t’ai entendu… Dans ma tête… » Elle hoche son menton de haut en bas, sans se préoccuper davantage du reste. Peut-être, aurait-elle dû.

Car elle entend alors un curieux bruit de craquement, non pas celui d’un os frappé avec tant de vigueur qu’il rompt sous l’assaut, c’est différent, si bien qu’elle relève son menton dans un geste vif, identifiant rapidement la cause. Comment… Serait-ce un mutant, lui aussi ? Elle ne reconnait pas le costume qu’il porte et n’a que trop peu de temps pour y réfléchir sur l’instant. « Mon tour ! » Entreprenant d’aider l’homme à l’apparence reptilienne à se redresser, elle plisse légèrement ses paupières lorsqu’elle voit, avec effroi, son allié qui brise le bras de l’idiot lui faisant face.  Avec tous ces téléphones braqués sur eux… Pas de quoi servir leur cause ni améliorer leur image. « Non ! » La situation lui échappe, et c’est en sonnant un mot de réprobation qu’elle se hisse sur ses jambes, abandonnant la victime principale pour se rapprocher de l’homme en bleu, et de celui-ci qui gémit en tenant à peine sur ses genoux. « On ne combat pas la violence par la violence ! » Dire qu’elle éprouve une peine terrible envers le bras cassé serait mentir, mais ce n’est pas ainsi qu’elle se charge de régler les conflits, encore moins quand des dizaines de téléphones sont braqués sur eux. Donner l’exemple. Être plus intelligent, plus tolérant, plus compréhensif. Ne pas se laisser envahir par la colère. Ne pas devenir comme eux.

« Bouge plus, sinon je le zigouille ! » Voilà autre chose… Un soupir passe la barrière de ses lèvres tandis qu’elle réalise, avec lassitude, que l’homme à l’apparence reptilienne est désormais maintenu en otage par un couteau saisit contre sa gorge. « Ça suffit. Toi, tu ne fais rien. » Dit-elle d’une voix tendue à l’attention de l’homme en bleu, s’éloignant ensuite de lui pour faire quelques pas afin d’avoir tout le monde dans son champ de vision. « Fini de jouer. » Ses doigts remuant légèrement vers le bas de son corps, la lame glissée sous le cou de l’otage échappe des mains de son possesseur, tous comme les autres armes tenues par les assaillants : toutes volent en direction de la mutante, sans possibilité pour leurs porteurs de les récupérer car, sitôt qu’ils arrivent en sa direction, leurs matières sont purement et simplement réduites en cendres. « Je crois qu’on va tous mieux s’entendre, d’un coup. » Puisque sa priorité est toujours le jeune homme dont elle ne connait pas le prénom, elle use de nouveau de sa télékinésie pour repousser en arrière l’homme qui le retenait contre sa volonté ; le malotru est forcé de faire quelques pas en arrière tandis que l’autre, ainsi libéré, court en direction de Jean, qui l’accueille sans aucune hésitation. Mais si toute son attention est concentrée sur ce dernier, elle ne voit pas qu’un homme se dirige en sa direction, prêt à l’attaquer dans son dos afin de la neutraliser…

Bien que le héros casqué soit porteur dès plus pures intentions, l’émotivité de l’instant le fait quelque peu basculer dans l’extrême violence qu’il est venu combattre, et qui se reflète dans ses propres gestes à l’égard des assaillants, dont l’un d’eux finit gravement heurté. Si la rousse s’oppose fermement à cet élan coléreux, car elle sait qu’il ne peut rien fleurir sur un sol labouré de mauvaises graines, elle ne condamne pas pour autant le plus jeune, sachant combien le prisme de la jeunesse permet à la fougue de s’installer et de perdurer ; il doit croire, en son esprit neuf, qu’il est à même de réparer toutes les injustices commises, et que la punition est la meilleure façon de rétablir l’ordre des choses. Si elle n’est pas beaucoup plus âgée que lui dans les faits, elle a suffisamment mené des batailles pour savoir que la pédagogie est bien plus puissante que la vengeance. Il aura peut-être, à son tour, tout le temps d’apprendre cette leçon.

Mais après son intervention dès plus rigoriste, Jean a la naïveté de croire que les agresseurs ont retenu le précepte, et qu’ils ne nourrissent point l’audace de croire à une quelconque rébellion possible… À son tour de commettre une erreur de jugement.
      Son attention pleinement allouée au mutant à l’apparence reptilienne, qu’elle s’efforce de consoler, la rousse ne voit pas que l’un des assaillants décide de porter haut son courage en l’attaquant par derrière : nul doute qu’elle aurait été assommée de la manière la plus sévère si le plus jeune, ayant remarqué le sombre manège, n’était pas intervenu pour l’en épargner. « Je crois que t’as pas entendu ce qu’elle a dit, votre petit jeu est terminé. » Ayant passé un bras protecteur autour des épaules du mutant, qui lui rappelle curieusement Kurt par la douceur qu’il dégage, elle fronce ses sourcils en portant son menton en direction de son allié, qui interrompt le funeste parcours de l’homme au visage barré par une vigoureuse expression de haine. Heureusement qu’il a été à l’affût ! « Les mutants ne veulent pas se battre et ne peuvent pas se défendre. » Ils le peuvent théoriquement, mais cela revient à donner raison à ceux qui les attaquent : se défendre équivaut à se rendre coupable. « Moi, par contre, j’en suis pas un, t’es sûr de vouloir tenter un truc ? Allez, cassez-vous. » Il n’est pas un mutant ? Voilà qui l’invite à froncer davantage ses sourcils tandis qu’elle balaye les alentours d’un regard méfiant, remarquant néanmoins avec soulagement que la foule de curieux s’est un peu allégée. Il n’y a pas d’effusion de sang, donc aucun intérêt pour eux de s’attarder, sans doute.

La voix de l’inconnu est ferme, menaçante sans être vindicative : il expose simplement les conséquences d’actions inconsidérées, puisque s’il n’est pas question de provoquer la moindre blessure, il n’est pas non plus question d’en recevoir. Comprenant peut-être qu’ils ne gagneraient rien dans cette rixe, les agresseurs se contentent de lancer quelques regards mauvais aux trois alliés, avant de se disperser à travers la foule, disparaissant bien rapidement au milieu de celle-ci. Un soupir passe la barrière de ses lèvres, à la fois de lassitude et de soulagement, tandis qu’elle vient frotter le dos du mutant à côté d’elle, lui soufflant alors : « C’est terminé. » Pour cette fois, oui, mais peut-elle lui promettre qu’il n’aura plus jamais à souffrir d’une apparence qu’il n’a pas choisi ? Malheureusement pas. « Désolé pour tout à l’heure. Je veux dire, le coup du dragon tout ça… C’était bête. » Le principal concerné, se remettant tout juste de ses émotions, adresse un sourire chaleureux à l’homme casqué tout en remontant l’une de ses mains écailleuses pour témoigner de la non-importance de l’incident reporté. « Ce n’est pas grave… Merci d’être intervenu, tu n’étais pas obligé… » Reconnaissant, il maintient le contact visuel avec son premier sauveur pendant quelques minutes, avant d’apporter ses mains à son visage. « Pareil pour le bras cassé… Bon je ne regrette pas de l’avoir fait mais c’était pas malin. » Un sourire amusé venant prendre place sur les lèvres de Jean, elle se contente de libérer le mutant de son étreinte pour hausser ses sourcils, non pas avec une totale indifférence mais plutôt avec détachement. « Je comprends pourquoi tu l’as fait… C’est normal d’être tenté de se venger, de leur faire ce qu’ils font, mais je ne crois pas que ce soit la meilleure solution pour éviter que la situation se reproduise. » Pressant ses lippes l’une contre l’autre, elle croise ses bras contre son buste en enlaçant ses coudes de ses paumes, gardant ses opales bleutées en sa direction. « Par contre, super coup, la désintégration des armes, vachement plus rapide et indolore que de tous les mettre dans le plâtre. » Sous l’amusement que lui produit cette remarque, elle fronce son petit nez, songeant qu’il faut surtout remercier sa télékinésie. « Et merci pour le coup de main, au fait. » « Merci à toi, c’est très courageux ce que tu as fait. » Elle redevient un peu plus sérieuse car, elle ne mérite aucun remerciement : de son point de vue, c’est lui qu’il faut remercier puisqu’il a été le premier à s’interposer pour protéger quelqu’un qu’il ne connaissait pas. « Je m’appelle Jean. Jean Grey. » Lui souriant de nouveau, elle s’adresse aussi bien à l’un et à l’autre, mais c’est vers celui qui porte un casque qu’elle tend d’abord sa main. « J’ai entendu que tu n’étais pas mutant… C’est vrai ? » Curieuse, elle pourrait obtenir une réponse en usant de sa télépathie mais elle préfère largement l’entendre de sa voix.

Si elle réprimande la violence nouée pour combattre son reflet, la rousse pose un regard compréhensif sur celui qui réalise promptement ses erreurs, si bien qu’elle s’attache surtout à faire l’éloge du courage dont il a été l’auteur. Elle n’oublie pas qu’il a été le premier à réagir, n’écoutant que sa bonne âme pour voler — littéralement — au secours de la victime qui reprend peu à peu ses esprits, encore sous le choc de ce qui vient de se passer. Jean, elle, n’est pas franchement étonnée même si elle déplore de s’y être habituée : les temps ne sont pas favorables à ceux qui ont le malheur d’être différents, et ces derniers doivent visiblement se cacher pour éviter d’être pris pour cible… « Ha, t’inquiètes pas ! Puis je crois qu’il y a déjà assez de gens qui se disent qu’ils sont pas obligés d’intervenir, alors que s’ils le faisaient, ça ferait longtemps que tout ça serait réglé… » Elle sent l’amertume dans sa voix, et si elle ne perd pas véritablement son sourire, elle ne peut s’empêcher de presser ses lèvres l’une contre l’autre en songeant qu’il dit vrai. Malheureusement. ’’Parfois, ce n’est pas qu’ils ne veulent pas mais qu’ils ont peur d’être attaqués à leur tour…’’ Elle ne cherche pas à excuser mais à justifier : tout le monde ne peut pas se comporter comme un héros né pour faire régner la justice, et s’il lui faut l’admettre dans un soupir, elle détourne un instant le regard pour balayer la foule des yeux, rassurée de ne croiser aucune caméra braquée en leur direction. Il n’y a plus de sang qui coule donc plus d’intérêt à filmer : l’adage des journalistes si ça saigne ça fait vendre fonctionne aussi bien dans les journaux que sur les réseaux. Est-ce que quelqu’un a capturé l’instant où le héros casqué à casser le bras de l’agresseur ? Elle espère que non, mais se rassure en se disant qu’il est masqué, et qu’il n’est donc pas possible de retracer son identité. « Oui, j’ai pas franchement réfléchi sur le coup, mais je suppose qu’en agissant comme ça on remplace juste un harceleur violent par un autre… » Haussant mollement ses épaules, Jean inspire en reportant son regard sur lui, le considérant davantage avec indulgence que contrariété. « Je ferai mieux la prochaine fois, je casserai que leurs jouets. » - ’’C’est aussi le choix que j’ai fait, donc je ne peux qu’approuver.’’ Un sourire complice se dessine sur ses lèvres tandis qu’elle se retourne vers le dernier de leur trio, qui fixe un point invisible en reprenant sa respiration, ayant visiblement du mal à se remettre de son agression. ’’Est-ce que tout va bien ?’’ Doucereuse, elle tend l’une de ses mains pour la déposer contre le bras du mutique qui, à son contact, relève le menton pour le secouer légèrement, les yeux hagards. Il trouve néanmoins la force de formuler une phrase de gratitude envers le héros casqué, qui les balaye avec modestie. ’’Ton casque ne t’empêche pas d’être une cible… Tu as pris le risque de te faire attaquer pour le défendre, ce n’est pas rien.’’

Ayant le temps de se présenter à l’homme casqué, elle guette néanmoins les réactions de leur ami commun, qui passe une main dans ses cheveux avant de s’éloigner pour aller s’asseoir contre le mur, comme sonné. ’’Il n’a pas l’air d’aller bien…’’ marmonne-t-elle avec inquiétude en croisant ses bras contre son buste, les paupières légèrement plissées et les sourcils froncés. « Euh… T’aurais pas un moyen pour que je te dise mon nom sans qu’on l’entende? Disons que je préfèrerai que ça s’ébruite pas, c’est pas contre toi…» Si elle ne peut voir son visage, le ton de sa voix et l’inclinaison de son corps sont suffisants pour lui traduire la gêne qu’il éprouve à cette demande, mais la rousse ne s’en formalise pas vraiment, se contentant de faire résonner sa voix dans son esprit en établissant un lien temporaire, suffisant pour entendre les mots qu’il souhaite lui confier — avec sans nul doute quelques pensées parasites s’il n’est pas coutumier de la télépathie comme langage. (Je peux t’entendre, ici.) Sa voix résonne d’un ton limpide dans l’esprit du jeune homme, sans que les lèvres de la rousse ne bougent, bien qu’elle espère qu’il ne va pas s’énerver pour cette intrusion… Peut-être aurait-elle dû le prévenir ? Mais il n’y a aucune violation d’une quelconque intimité : le canal est destiné à lui répondre et l’idée même de fouiller dans ses souvenirs ou ses pensées ne lui vient à l’esprit.
      Mais si elle est trop respectueuse pour décortiquer l’esprit de son interlocuteur, elle est trop curieuse pour garder ses questions pour elle : Jean l’a entendu dire qu’il n’était pas un mutant, et elle ne peut s’empêcher de vouloir obtenir une réponse plus précise concernant sa nature. « Je ne pense pas en être un, mais va savoir, ça se trouve les pouvoirs vont se déclarer plus tard ? Enfin… Pour tout te dire… » Parce qu’il n’a pas déjà des pouvoirs ? La formule lui arrache un froncement de sourcils perplexes, une expression de réelle incompréhension passant sur son visage tandis qu’elle garde les bras croisés sous sa poitrine. « Je viens à moitié d’une galaxie lointaine, très lointaine… Et non, ça veut pas dire que je suis juste un fan de Star Wars. » La comparaison défait ses traits froissés pour afficher un air amusé, si bien que le coin de ses lèvres s’étire de chaque côté pour former un sourire mutin, et elle baisse le menton quelques secondes en haussant ses sourcils. ’’Tu es un bon Jedi, dans ce cas. Apprenti Jedi ! On dit Padawan, non ?’’ Pas très sûre de sa proposition, elle fronce brièvement les sourcils en se retournant vers l’homme-reptile pour s’assurer qu’il est toujours conscient ; s’il l’est, il ne paraît pas franchement en meilleure forme. ’’Je vais peut-être l’emmener boire quelque chose…’’ pivotant sur ses pieds, elle rajoute ’’Tu veux te joindre à nous ? Je comprends si tu ne veux pas qu’on puisse reconnaître ton visage, mais tu n’as rien à craindre avec moi.’’ Essayant de lui démontrer qu’elle dit vrai, Jean lui offre un sourire chaleureux, sans insister davantage ; s’il souhaite poursuivre sa route en solitaire, il en a tout à fait le droit.

Le regard porté vers la première victime de cette agression, Jean plisse légèrement ses paupières en pressant ses lèvres l’une contre l’autre d’un air sincèrement désolé, ne sachant que faire pour apaiser le tourment de celui qui se tient replié sur lui-même, le visage grave et les yeux fuyants. En un sens, l’inconnu lui rappelle Kurt Wagner, qui peine grandement à se défaire du fardeau de son apparence pour le moins différente, et qui se plait à se fondre dans la peau de la normalité sitôt qu’il en a l’occasion ; elle a souvent évoqué la différence de son ami comme une force, essayant d’intimer l’idée qu’il est parfait tel qu’il est venu au monde, et c’est peut-être une formule similaire qui pointe à l’aube de sa langue, avortée par les paroles de son autre interlocuteur. « Non, vraiment, pour me blesser, il leur aurait fallu un bien meilleur Arsenal… Ou un Hulk. » Intriguée par cet aveu, puisqu’elle l’a entendu très nettement affirmer qu’il n’était pas un mutant, la rousse fronce ses sourcils en arrondissant très légèrement ses lèvres, sans prononcer la moindre syllabe durant quelques secondes. ’’Un Hulk ?’’ Elle le répète comme si elle voulait être sûre d’avoir bien entendu, mais c’est davantage son incompréhension qu’elle exprime plutôt qu’une quelconque incertitude. Elle sait ce qu’elle a entendu, mais peine à discerner le fil d’une quelconque réalité qui lui fait pourtant face, puisqu’elle n’est pas véritablement au fait des nombreuses natures qui peuplent sa planète ; elle devrait, pourtant, puisque parmi les Avengers, il y a une multitude d’espèces.
      Mais si elle est assurément désireuse d’en apprendre davantage au sujet de son acolyte, le troisième de leur groupe l’inquiète inexorablement, et ce sentiment s’accroit davantage lorsque celui-ci s’éloigne pour aller s’asseoir à même le sol, contre la façade d’un magasin bondé. « Je ne sais pas quels coups il a pu recevoir avant que j’arrive, j’espère juste que c’est pas trop grave. » - ’’Moi aussi… Mais je crois que la blessure qui lui fait le plus mal n’est pas physique.’’ Gardant son regard doucereux sur ledit blessé durant quelques secondes, Jean hausse ensuite ses sourcils en se retournant vers l’homme casqué, afin de faire résonner sa voix dans son esprit ; si elle craint une vive réaction hostile, elle se rassure en entendant le ton jovial de sa voix. (De la télépathie ? Cool ! Dis-moi que t’as déjà essayé de faire semblant d’être la bonne et la mauvaise conscience de quelqu’un juste pour t’amuser !) Un petit rire secouant silencieusement son buste féminin, ses lippes se décrochent pour former un sourire amusé tandis qu’elle secoue légèrement son menton. (Jamais ! Pour être honnête, je n’utilise pas ce pouvoir sans autorisation, par respect.) Ou sauf si la situation l’exige mais elle se garde bien de le dire. (Ah oui, sinon moi c’est Samuel Alexander… mais mes amis m’appellent Sam.) Machinalement, la rousse défait l’étreinte de ses bras pour tendre l’une de ses mains vers son complice, en attendant qu’il la saisisse — s’il le fait, sans perdre son sourire chaleureux. (Enchantée Sam !)

Le Padawan n’a pas de maître mais cela ne l’empêche pas d’être digne de son titre de héros, et tout humble qu’il est, Jean maintient sa position : il a eu le courage de voler au secours d’un parfait inconnu, pour la seule et simple cause que c’était la seule chose juste à faire. Mais la pensée qui fait écho dans les siennes (En même temps en étant le dernier, tu risques pas d’en avoir.) l’emplit d’une tristesse qui ne devrait pas lui appartenir, et elle lance alors un sourire à la fois incertain et tendre en direction de son interlocuteur, sans oser aborder davantage le sujet pour l’instant. Elle ne se questionne pas vraiment sur ce qu’il a voulu dire puisque le message est plutôt limpide, mais l’endroit n’est pas propice à cette discussion, et la priorité est de rassurer le malheureux prostré dans son coin. « Ho, pour boire un coup, oui, j’arrive, juste je reviens dans quelques secondes ! » Rompant le lien télépathique établit avec l’esprit du jeune homme, Jean hoche son menton de haut en bas en signe d’acquiescement, avant de remonter la bandoulière de son sac sur son épaule. ’’Je vais le chercher.’’ Lance-t-elle sans savoir si Sam a le temps de l’entendre avant de disparaître, se détournant rapidement de ce dernier pour se rapprocher du troisième, s’agenouillant à ses côtés pour être à sa hauteur et ainsi pouvoir l’interpeller plus calmement. ’’Eh… On va aller boire quelque chose, tous ensemble. Viens, je vais t’aider à te relever…’’ S’il ne réagit pas vraiment, l’homme-reptile n’oppose aucune résistance lorsqu’elle glisse son bras autour de ses épaules afin d’impulser le mouvement, et tous deux se retrouvent hissés sur leurs jambes pour faire à Sam, qu’elle reconnaît principalement par sa voix. « Me revoilà ! Du coup, tu as une idée d’où l’emmener pour boire un coup ? » Gardant son bras autour des épaules de leur ami commun, elle désigne une petite brasserie du menton, qui se situe à l’angle de la rue qui leur fait face. ’’Allons là-bas, on sera tranquille. Ils ont des petits salons pour discuter.’’ Avant de faire le premier pas, Jean tourne son menton en direction du magasin où son amie s’est engouffrée sans elle, et duquel elle n’est pas ressortie depuis… Songeant que sa comparse d’université n’est pas prête d’achever sa session shopping, elle offre un sourire joyeux à Sam avant de prendre la direction de l’établissement, dans lequel ils pénètrent tous les trois. L’hôtesse les accueille avec un sourire courtois et, notant les mots de la jeune femme, les dirige vers une table isolée entre deux alcôves, qui permet de pouvoir discuter loin des oreilles indiscrètes. ’’Qu’est-ce que vous voulez boire ?’’ demande-t-elle en s’installant à côté du malheureux et en face de Sam, prenant la carte sans la lire puisqu’elle lance des regards soucieux aux deux hommes, bien qu’un seul soit concerné par son inquiétude. ’’Je vous invite ! C’est ma tournée.’’