Lors de l’arrivée des plus grandes à l’Institut, on a fait de notre mieux pour rencontrer tout le monde. Madame Ranevskaia est la seule à avoir refusé de nous rencontrer mais il y a une autre personne qu’on n’a pas croisé. Aucune de nous n’est certaine de ce qui est marqué sur ses papiers d’identité mais on savait toutes de qui il s’agissait réellement : Logan. Wolverine. L’Arme X. La manière qu’a eu le Colonel Striker de le traiter était inhumaine et sa destitution de la direction de l’Arme Plus, après le massacre causé au sein d’Alkali Lake par l’équipe d’X-Men venue libérer l’autre moitié capturée et interrogée suite à l’explosion de l’Institut, était méritée. Père n’a jamais eu ces méthodes de travail. On en est la preuve vivante. Cela étant, on n’a toujours préféré éviter le professeur de sport et de survie. On aimait manger avec les membres du personnel de l’Institut sur les repas du midi, en l’absence de Jean et en la maltraitance de Kali, mais on ne le faisait pas lorsqu’il était présent ; ainsi que monsieur Summers après qu’il ait largué Jean. Ce qui fait que, au final, on a pas mal manger avec Kali le midi. Sachant qu’on le faisait avec Jean et elle le soir. Avant novembre tout du moins.
Après l’arrivée des plus petites, on a commencé à manger dans la chambre. Ça évitait de voir des gens qui ne devaient pas être dupes quant à notre état puisque celles le faisant ne pouvaient travailler que sous forme adamantine. Dans une école pour mutants, cela ne devrait pas être choquant et on s’assume tout autant sous notre forme inhumaine que dans notre interindividualité, même quand on nous reproche cette dernière. Il fallait au moins cela pour nous amener à faire de la résistance, même en conscience que madame Darkhölme faisait une projection sur nous et n’aimait pas qu’on assume notre mutation par incapacité à le faire elle-même. C’était le début de notre défiance envers elle mais c’est réellement le lien entre la Confrérie, les X-Men, l’Institut et elle qui nous a amené à consulter sa mémoire. Lui "violer" l’esprit. On comprend son vécu. La seule chose qui nous empêche d’être des monstres est qu’on emploie des mesures monstrueuses exclusivement sur des monstres ou des suspects de monstruosité. Elle était suspecte. Maintenant, on sait qu’on ne devrait pas autant recourir à nos capacités télépathiques en déploiement. Il faudra être mesuré. Les tartes en diamant sont moins pires que le contrôle mental, niveau traumatisme. Psychologique tout du moins, parce que physique…
Aparté mis à part, c’est vers milieu décembre qu’on a commencé à rester à nouveau sous forme humaine quasi-constamment. Notamment dans le cadre de nos activités. Le moral était toujours variable mais les fêtes ont fait du bien ; de même que l’idée de passer plus de temps à l’extérieur de notre lieu de travail dans lequel on anticipe être considérées comme des ennemies parce qu’on répondra à l’appel du devoir lorsqu’il se fera entendre. On ne s’en est pas cachées : on est des membres du personnel de l’Institut à 60% et des élèves à 40%, ou 20% puisqu’Esmé fait les cours à distance via Sophie, mais on est également des réservistes de l’Arme Plus à 100%. Monsieur Wagner nous déploiera si besoin et s’il tient sa promesse. Peut-être que les autres considérerons cela comme une trahison et que ça contribue à l’éloignement de Jean comme de monsieur Xavier. Peut-être pas. C’est leur décision, pas la nôtre.
Mais ça sera de votre faute, note Esmé. Ça ne m’étonnerait pas que ça soit aussi manichéen, s’attriste Sophie. Ça serait plus simple s’ils ne veulent plus de nous ici, considère Céleste. Donc ça ne se passera pas ainsi, d’indiffère Mindee. L’Institut a trop besoin de nous, rappelle Phoebe. Mais les X-Men primeront sur lui. J’en sais rien. Moi non plus. Je pense l’inverse sinon on ne serait déjà plus là. +1 Mindee.
Les bruits de ballerines sont imperceptibles dans l’agitation de l’Institut, habituelle une fois les cours terminés. Les élèves ont besoin de se dépenser et vont donc le faire par leurs moyens habituels. Les plus jeunes courent et se chamaillent dans l’un des endroits autorisés ; ou de partout s’il n’y a personne pour surveiller. Les jeux de balles sont rois et les tirs de balle au visage de certains aussi. C’est plus timide que dans des établissements classiques puisqu’il y a toujours l’appréhension de tuer accidentellement quelqu’un mais la jeunesse s’oublie vite et sous-estime les dangers. Les plus grands n’ont d’autre hâte que rejoindre leur chambre ou un autre endroit à l’abri des petits, afin d’être tranquilles entre eux avec un degré de calme qui dépend des participants et des activités. Kali a déjà surpris de la copulation dans les douches du gymnase et ça ne nous surprendrait pas que l’absence de surveillance de chaque endroit s’accompagne d’autres transgressions. C’est une école, après tout.
Toutes les ballerines s’arrêtent alors qu’on se rejoint au niveau de la chambre. C’est le point le plus logique pour se retrouver afin de débuter notre quartier libre. Sachant qu’il est une première activité le concernant : la douche. Si l’on était gênées que monsieur Xavier fasse abattre un mur pour agrandir notre chambre, on ne se plaint clairement pas d’avoir accès à une seconde salle de bain ! On n’a jamais été longues à se doucher mais on va deux fois plus vite à présent. Ensuite, on fait appel à nos élèves intérieures, soit Sophie et Esmé, puis on reste tranquillement dans notre chambre à discuter mentalement. Il en sera ainsi jusqu’à l’heure du repas, que l’on prend avec un peu de délai afin de laisser les hordes d’adolescents affamés au point d’en revenir aux attroupements impatients passer avant nous. Il y aura à manger pour tout le monde alors pas la peine de se presser !
La première journée de cours est passée, et c'était pas franchement une partie de plaisir. J'ai pas eu la foi d'expliquer à tous les élèves que je venais d'un autre futur et que j'étais arrivé ici y'a deux jours seulement alors qu'ils côtoyaient un autre Logan jusqu'à présent. Alors j'ai fait mine de rien, en commençant par faire l'appel pour essayer de retenir quelques prénoms. C'est pas évident. Je connais aucun de ces gamins.
C'est pas plus simple avec les adultes. Eux je les connais quasiment tous, mais pas dans cette version du temps. Et eux non plus ne savent pas d'où je viens. Enfin, de quand je viens. A part le professeur, le Fauve, et maintenant Jean. Il va m'falloir un p'tit temps d'adaptation, et pas mal d'explications et de prises de tête.
Y'a quand même une exception notable dans tout ce bordel de connus-mais-inconnus : la fille blonde que j'ai aperçue plusieurs fois dans la journée, dans le bureau du Professeur, dans les labos du Fauve, dans une salle de classe. A quelques minutes d'intervalle. Donc soit y'en a plusieurs, soit elles peuvent se dédoubler, comme Madrox. Mais ça colle pas comme explication, vu qu'y'en a une qui a l'air plus jeune que les deux autres... En tout cas je crois pas les avoir jamais vues avant, et mon instinct me dit pourtant qu'elles sont importantes, en quelque sorte. C'est bizarre.
Puis ce midi, quand j'suis allé manger avec le professeur au réfectoire, je les ai revues, et cette fois elles étaient cinq. Dont deux plus jeunes. Qu'est-ce que c'est que ce bordel ? C'est qui ces filles ? J'ai posé la question au professeur, qui m'a simplement expliqué qu'elles étaient à l'Institut depuis quelques mois, et que l'une d'elles était son assistante. Il les a présentées comme les "sœurs Cuckoos" et m'a dit que je devrais aller leur parler, que ce serait intéressant pour moi. Au léger sourire qu'il m'a adressé en disant ça, j'ai bien vu qu'il avait un truc derrière la tête.
Mais j'm'en suis pas occupé tout d'suite, parce que j'avais un autre cours de sport à préparer pour l'après-midi. Un examen d'athlétisme à faire passer à une classe. Allons bon. Comme j'y connaissais pas grand chose, j'ai passé du temps à la bibliothèque - ouais, j'me suis plongé dans des bouquins... moi... - pour essayer de trouver des trucs crédibles. J'm'en suis pas trop mal sorti, en tout cas ils ont fait ce que j'leur demandais sans trop râler.
Une fois cette journée pénible terminée, j'suis monté dans ma chambre pour prendre une douche, puis boire une bière et fumer un bon cigare. J'ai trouvé la réserve de l'ancien Logan, simplement rangée dans son armoire. J'suis resté un moment là-haut, pas impatient de me mêler à la cohue d'élèves affamés, puis j'suis descendu pour aller manger avec le professeur. Sauf que je l'ai pas trouvé au réfectoire. Par contre, les cinq sœurs, elles sont bien là. Et elles mangent seules. Bon, ben j'crois que c'est l'occasion... Je prends mon plateau et viens me planter devant leur table.
« Salut... »
Bon, vu que je sais pas quelle relation elles avaient avec l'ancien Logan, et que j'ai pas envie de me prendre la tête avec des malentendus potentiels, j'annonce la couleur dès le départ.
« Alors j'vous la fais courte : je viens en quelque sorte d'un monde parallèle et j'suis arrivé que samedi. Du coup j'vous connais pas. J'sais pas si vous vous m'connaissez, mais le professeur a l'air de penser que ce s'rait intéressant que j'vous cause. »
Je pose mon plateau sur la table et m'assieds avec elles. Je leur demande pas leur avis. Faut déjà qu'elles digèrent ce que je viens de leur annoncer, en espérant qu'elles y croient, pour commencer. Pour le reste, on verra bien.
Si l’on se plait à la chemise de nuit lorsque l’on est dans notre chambre, celle-ci n’est pas une tenue descente pour aller manger. Ainsi porte-t-on les vêtements du lendemain lorsque l’on descend pour le repas du soir, alimentant cette impression de robots toujours vêtus de la même tenue : chemise blanche à liseré noir et col bateau, avec un sous-pull blanc à col roulé du fait de la saison et d’une résistance au froid lacunaire, ainsi que jupe droite, collants et ballerines tous trois noirs. On a d’autres tenues mais, pour beaucoup d’élèves, c’est un secret ! Par contre, le fait qu’on ait la même tenue en vingt-cinq fois désormais… tout le monde s’en doute. On a une armoire juste pour cela. Et elle est bien remplie.
La table aussi est bien remplie puisqu’on prend cinq places. Ce qui offre l’avantage d’avoir une bonne vision sur les alentours afin d’en assurer la surveillance.
C’est pas assistantes qu’il aurait fallu faire mais bien surveillantes, souligne Esmé alors qu’on mange. C’est vrai que vous auriez fait un service de vie scolaire efficace, souligne Sophie alors qu’on mange. Moi j’aime bien être cachée dans les labos de monsieur McCoy, souligne Céleste alors qu’on mange. On aurait dû roleplay Phoebe toute la journée si c’était le cas, souligne Mindee alors qu’on mange. C’est vexant mais vrai qu’on aurait été bien en simples pionnes, souligne Phoebe alors qu’on mange. Du coup on aurait été vos balances. On est déjà leurs balances. On n’est pas des balances de manière générale ? Si, totalement. On ne balance rien mais s’assure que ceux qui ne respectent pas les règles soient coincés pour le bien des règles et des autres, nuance. Balances. Balances. Euh, oui. Balances. Appelez-vous comme vous voulez !
Alors qu’on mange et qu’on essaie de se faire manger, mentalement parlant, plusieurs d’entre nous s’interrompent et interrompent toutes les autres lorsque leur surveillance de réfectoire nous averti toutes que monsieur Wolverine vient vers nous. On avait la bonne tenue de jeunes femmes de bonne famille britanniques mais cette approche nous tend aussi surement que le proverbial balais dans le fondement. Monsieur nous regarde. Les deux impliquées le regardent aussi alors que les autres cherchent à pratiquer la politique de l’autruche polie : la tête dans le sable à espérer que la personne ne s’approchera pas et donc le visage vers ladite personne lorsqu’elle finit par le faire.
« Salut, commence l’Arme X alors qu’on le regarde toutes avec une politesse légèrement crispée sur le visage comme la posture cavalière.
- Bonsoir Monsieur, salue-t-on avec des voix parfaitement identiques et des mouvements de bustes comme de visages aussi synchrones que nos différences d’angle face à notre interlocuteur nous le permettent.
- Alors j'vous la fais courte : je viens en quelque sorte d'un monde parallèle et j'suis arrivé que samedi. »
Et ben. Soit. Oh. Hum. Ah.
Une surprise sur cinq visages car même le Chœur n’aurait pu anticiper celle-là.
« Du coup j'vous connais pas. »
Ce qui ne change pas réellement d’avant, sauf peut-être pour la lecture du dossier.
« J'sais pas si vous vous m'connaissez, continue-t-il en nous faisant déglutir et faire l’effort de ne pas baisser le regard face à ce qui n’est pas sensé être un reproche, mais le professeur a l'air de penser que ce s'rait intéressant que j'vous cause. »
Est-ce qu’on peut finir la médiation avec madame Darkhölme avant d’en commencer une autre ? Mais qu’est-ce qu’on va répondre à cela ? Heureusement qu’on commençait pas à aller mieux… WOLO : We Only Live Once. Vu comment il en parle, je suis sûre qu’il met pas de majuscule à Professeur ! Phoebe, tu suceras ton supérieur plus tard parce que là il nous a mis dans la merde ! Esmé, langage même si t’as pas totalement tort ! Vous voyez, ça ne serait jamais arrivé avec monsieur McCoy. Du coup c’est moi qui parle ? Esmé, projette pas tes aspirations de passer sous le bureau sur moi ! Sous le bureau mais sur le fauteuil ! Mindee, on s’en charge. Merci, je vous regarde. Ça marche Sophie ! C’est mon Supérieur donc trouves-toi quelqu’un d’autre, Esmé !
Vu de l’extérieur, les trois adultes mangent en face des deux adolescentes. Les deux places libres se trouvent à côté de l’une des adolescentes et en tête de table. Si l’on a toute une même expression d’une politesse aussi discrètement contrite que possible alors que Monsieur pose son plateau, les choses évoluent vites. Après une seconde et donc alors que monsieur Wolverine s’installe, l’adulte au centre des deux autres tourne un regard froid vers l’adolescente en bout de table avant que celle-ci lève les sourcils et les épaules en lui rendant son regard. L’adulte de gauche inspire aussi discrètement que possible tandis que celle de droite échange un regard avec l’adolescente du centre.
« Nous comprenons, acquiesce-t-on à cinq alors que les trois moins impliquées se resynchronisent avec les deux autres. Nous avons évité votre double du fait des risques de conflits liés à nos expériences différentes de l’Arme Plus… »
On énonce la seconde partie comme si c’était une faute et on s’en excusait. C’est plus un réflexe que de la culpabilité mais cela nous distrait de notre querelle interne, quand bien même on laisse les rênes de la discussion à seulement deux d’entre nous.
« Mais, si nous pouvons le faire, nous vous aideront de notre mieux pour que vous puissiez vivre en paix avec le fait que vous soyez deux Wolverines à l’Institut. »
Les cinq "sœurs" me répondent en même temps, avec la même voix et le même hochement de tête. Ca me fait buguer une demi-seconde, mais comme je veux faire mon intro rapidement, je m'en occupe pas plus que ça pour le moment et je leur balance ce que j'ai à leur balancer, histoire d'entrer vite dans le vif du sujet. Elles ont aussi la même tronche surprise quand je leur parle de cette histoire de monde parallèle.
Je m'installe en bout de table, sans trop savoir si je dois regarder les trois adultes ou les deux adolescentes, mais vu qu'elles causent en même temps j'me dis qu'ça doit pas être important, que j'dois de toute façon m'adresser aux cinq à la fois. Elles me disent qu'elles comprennent. Bah tant mieux, parce que moi pas tellement. Mais bon, on va faire avec.
Mes sourcils se froncent - enfin, ils sont souvent froncés, mais là plus que d'habitude - quand elles parlent de leurs "expériences de l'Arme Plus". Ah. C'est donc pour ça que le professeur voulait que je leur cause.
« Vous aussi vous avez subi les expériences de Stryker. »
C'est pas une question, mais une invitation à ce qu'elles m'en disent plus. Dans ma précédente réalité, le complexe de cet enfoiré avait fini sous l'eau et Stryker était mort, mais dans cette nouvelle temporalité j'en savais rien. Ptet que cette ordure était toujours en vie. Dans c'cas, j'irai m'en occuper de nouveau. Et cette fois c'est moi qui l'buterai. A un moment, ça suffit les conneries.
Puis elles me proposent leur aide. C'est un thème récurrent dans cet Institut. Les gens proposent beaucoup leur aide aux autres, même quand ils ont rien demandé. C'est sympa d'leur part, mais y'a méprise sur le sujet. Alors je rectifie le tir comme je peux.
« Euh ouais non, en fait on n'est pas deux, j'ai en quelque sorte remplacé l'autre Wolverine. Me d'mandez pas comment ni c'que ça implique, j'en sais rien. Et pour c'qui est de "vivre en paix", j'ai laissé tomber l'idée depuis longtemps. »
Je dis pas ça pour me lamenter sur mon sort. Mais avec tout c'que j'ai vécu en deux cents ans, j'me dis que je suis pas taillé pour avoir une vie peinarde. C'est comme ça, je fais avec.
Après un instant de surprise qu’il partage rapidement avec nous, monsieur Wolverine s’installe en bout de table et préside. Difficile de savoir s’il s’est complexifié la vie ou non avec cette position mais on respecte cette place de chef comme celui qui l’occupe ; même si on aurait aimé éviter de le rencontrer comme avant. Chose déclarée directement, avec l’explication des raisons.
« Vous aussi vous avez subi les expériences de Stryker, conclut-il à tort après que l’on ait parlé de l’Arme Plus et avant que l’on tente un superbe changement de sujet en mettant en avant notre disposition à faire de notre mieux pour la cohabitation entre les Wolverines. Euh ouais non, en fait on n'est pas deux, j'ai en quelque sorte remplacé l'autre Wolverine. »
La surprise de cette déclaration est proche du choc dès que l’on commence à réfléchir à ce que cela implique justement, à défaut du comment. Sans porter autre chose que de l’appréhension au Wolverine originaire de notre univers, on ne souhaite à personne la mort ou le remplacement. De plus, il faut envisager la menace posée par d’autres univers s’il est possible d’ainsi "remplacer" les alter-égos. Le Wolverine face à nous déclare ne rien en savoir et on ne peut être certain de sa sincérité mais on vient de découvrir une infinité de menace tellement grandes et impossibles à prévoir que c’est un coup au moral.
Remplacement transuniversel c’est de la merde, s’insurge Esmé. Bordel oui, jure Sophie. Mais comment est-ce qu’on peut protéger contre ça, interroge Céleste. Pas la moindre idée, avoue Mindee. Putain de bordel de merde, s’effraie Phoebe.
« Nous ne savons pas quoi vous dire, reprend-t-on à cinq, encore plus tendues que précédemment. Que ce soit pour l’abandon de l’idée de vivre en paix ou le fait que n’importe qui n’importe quand n’importe où puisse être remplacé par quelqu’un venant d’un autre univers. »
Il semble particulièrement calme à cette idée que, au final, on puisse disparaitre instantanément et sans la moindre explication ou causalité à une échelle observable, calculable ou concevable. Ni aux implications que cela a sur la sécurité de tout individu à l’échelle d’un multivers. La sécurité n’existe pas. Ce n’est pas seulement la possibilité de mourir à chaque instant d’un défaut biologique ou d’un extraterrestre ayant rassemblé le pouvoir des Pierres d’Infinité, qui n’existent plus dans cet univers d’ailleurs. C’est vraiment le fait qu’on ne puisse rien faire pour empêcher qu’on soit remplacé à chaque instant.
« Avez-vous déjà pris contact avec monsieur McCoy pour essayer de savoir comment c’était possible ? »
Pendant un peu plus de trois secondes, nos regards ne s’échangent qu’entre nous : l’adolescente à côté de Monsieur se tourne vers les autres tandis que celle au milieu de table la regarde pour lui répondre silencieusement. L’adulte la plus éloignée de Monsieur se tasse un petit peu tandis que celle au centre des deux autres regardent le vide en bout de table et que l’adulte la plus proche regarde l’adulte la plus éloignée malgré l’obstacle absent. Puis l’adolescente à côté regarde l’adulte du milieu et les choses dégénèrent.
Il nous a dit de ne pas lui demander "comment". Techniquement, on ne lui demande pas "comment" mais s’il a cherché à savoir "comment". En tout cas, on avait raison de l’éviter. Techniquement c’est pas lui qu’on évitait mais c’est pas faux. Pauvre monsieur Xavier, il avait bien besoin d’avoir ça à gérer en plus du reste. Oh, ça ne lui fera pas de cheveux blancs ! Esmé, sérieusement ? C’est pas faux. C’est pas le moment. A toi non plus Esmé puisque ça te conforte dans ton nihilisme et ta croyance que la vie c’est de la merde à ton niveau. Vas-y Phoebe, protège-moi en m’utilisant comme punching-ball parce que tu sais que t’es trop mauvaise pour le faire ! Au final, on peut se dire qu’on peut mourir à tout moment comme tout le monde et que ça ne change pas réellement quelque chose que la manière diffère. Oui mais là c’est du remplacement, on saura même pas que les autres ont été remplacés ! Sauf entre nous. Esmé, tu sers à rien d’autre !
« Sinon non, reprennent en simultanée l’adolescente la plus éloignée de Monsieur et l’adulte la plus proche de lui pour désamorcer la situation silencieuse en ramenant l’attention sur notre interlocuteur. nous n’avons pas subi les expériences du Colonel Stryker.
- Celui-ci a été démis de ses fonctions, continue l’adolescente impliquée.
- Et condamné par la justice militaire pour son enlèvement de l’officier fédéral Moira MacTaggert, enchaine l’adulte impliquée.
- Ainsi que l’usage de punitions non-réglementaires sur des mineurs, reprend l’adulte la plus éloignée afin de les soutenir.
- Nous sommes le produit du projet Arme XIV, reprend-t-on à cinq alors que l’adolescente la plus proche et l’adulte du milieu se joignent à nous en se synchronisant, conduit par la branche britannique et avec l’implication directe du Directeur John Sublime. Ils nous ont fait naitre, éduquées et entrainées. »
Cinq hésitations raisonnent comme une seule et aucune de nous n’échange de regard avec les autres alors qu’on baisse toutes les yeux un instant, le temps de l’hésitation.
« Comme nous l’avons dit… nous avons évité votre double du fait des risques de conflits liés à nos expériences différentes de l’Arme Plus. »
Nos épaules se baissent légèrement avant qu’on ne trouve le courage de faire face, synchronisées à la perfection.
« Du fait de notre loyauté envers l’Arme Plus. »
On ne s’en est jamais cachées. On en a parlé à des X-Men. On a même la promesse d’aide de l’un d’eux si jamais on doit intervenir. On craint que cela ne crée du conflit mais on croit que le Directeur Xavier n’aurait pas envoyé monsieur Wolverine s’il avait les mêmes craintes que nous. Peut-être que ce Wolverine-ci est moins dangereux que le précédent. Si ça se trouve, son univers n’a pas eu besoin que John Sublime n’arrive à la tête de l’organisation pour que celle-ci se concentre sur sa mission sans impliquer les dérives personnelles de certains de ses membres. On n’y croit guère mais c’est le principe d’un univers alternatif : il est forcément différent.
Bon, j'ai sorti cette histoire de pseudo monde parallèle pour simplifier les choses, mais en fait j'ai l'impression que ça fait que les rendre plus compliquées. D'ailleurs, quand j'y pense, c'est étonnant qu'elles m'aient cru. Mais bon, on est dans une école de mutants, tout peut arriver ici. Mais j'comprends qu'elles sachent pas quoi m'dire. Jean avait réagi pareil, au début. Puis elle avait quand même dit des trucs. C'est pareil pour les cinq sœurs. La question qu'elles me posent me fait hausser un sourcil un brin amusé et je réponds :
« « Monsieur McCoy » ? Le Fauve ? Nan, pas besoin, il est au courant. En fait c'est pas un truc qui peut arriver n'importe quand à n'importe qui, y'a eu tout un processus pour en arriver là, mais ça prendrait des plombes à expliquer et franchement j'ai pas envie d'en parler. »
La grosse flemme. C'est surtout que j'vais devoir raconter mon histoire à tout un tas d'gens, et que si j'peux éviter de le faire avec certains, j'préfère m'en passer. J'suis pas venu les voir pour ça. Elles restent silencieuses quelques instants et s'observent mutuellement, pour après reprendre la parole, toujours simultanément, mais que deux à la fois cette fois. Puis elles font un ping-pong de parole et mon regard va de l'une à l'autre alors que j'essaie de m'concentrer sur ce qu'elles disent plutôt que sur la manière dont elles le disent.
Alors, en résumé. Pas des cobayes de Stryker. Il a été démis de ses fonctions et condamné. A mort ? A un enfermement ? Il faut qu'je sache. Après. Elles sont l'arme XIV. Donc y'en a eu plusieurs après moi. Sauf qu'elles viennent d'un complexe de l'Arme Plus en Angleterre, pas en Amérique du Nord, et qu'elles sont nées là-bas. On les a « fait naître ». C'est ptet des sortes de clones. Des clones loyales à l'Arme Plus. Woh. Ça fait beaucoup d'infos d'un coup là. Je reste silencieux quelques instants, la mine pensive, puis je finis par dire :
« Alors j'ai plein d'questions... »
Par quoi j'vais commencer ? Par la question la plus personnelle, histoire d'être fixé et de plus y penser ensuite.
« Est-ce que Stryker est mort ? »
Une fois la réponse obtenue, j'enchaîne sur des questions qui devraient me permettre de mieux comprendre le phénomène de ces cinq sœurs et ce que ça implique. D'instinct, j'aurais tendance à penser que leur loyauté au projet Arme Plus fait d'elles mes ennemies, mais j'leur laisse le bénéfice du doute. Si c'était aussi simple que ça, elles seraient pas ici, à l'Institut de Charles. Il les aurait pas laissées vivre ici.
« Vous êtes quoi exactement, des sortes de clones ? Vous causez en même temps, c'est qu'vous partagez le même esprit ? C'est quoi exactement, le projet Arme XIV ? »
Sur mon plateau, la purée de courgettes refroidit et le sundae au caramel menace de se faire la malle. J'm'en occupe pas du tout. Toute mon attention est focalisée sur ces cinq nanas, afin de déterminer si elles représentent ou non une menace. Mais le professeur ne m'aurait pas sereinement envoyé vers elles si c'était le cas... Si ?
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