Lucky Luke

Le Time Warner Center, grand centre commercial du rond-point de Columbus Circle à la jonction entre Broadway et les routes autour du coin sud-ouest de Central Park, est un haut lieu newyorkais dans lequel je commence à faire mes marques. Quarante-cinq magasins, un hôtel cinq étoiles, dix centres de loisirs, dix-neuf centres beauté et santé ainsi que tout autant de bars et restaurants, c’est l’endroit parfait pour une bonne journée. Après, comme les miennes sont très occupées, je me fais surtout les restaurants. Enfin, deux d’entre eux. Le Per Se, considéré comme l’un des meilleurs restaurants au monde et le meilleur de New York, et le Masa, considéré comme le meilleur restaurant japonais des Etats-Unis. Les deux étant trois étoiles au guide Michelin, la note maximum il va de soi, c’est surtout leur cuisine qui les différentie. Le premier pratique la française au sein de deux menus gastronomiques de neuf courses chacun tandis que le second pratique la cuisine japonaise dans un unique menu de dix-huit courses plus l’entrée et le dessert. Le premier est à $425 le menu, indifféremment duquel, tandis que le second obtient sa réputation de restaurant le plus cher de New York avec $750 par personne, hors taxes, plus $200 la bouteille et encore $200 si l’on veut manger sur un comptoir en face de l’un des cuisiniers. Autant dire qu’un repas au Masa coute plus qu’un bas salaire mensuel. Autant dire que c’est peut-être ici que j’aurais dû faire le repas de recrutement de Kurt, fait aux frais de la Marvel League, et inviter Luke au Per Se. Cependant, la vue de l’autre restaurant était importante pour la symbolique que je voulais tandis que j’ai fait faux-bon à Luke pour son suivi scientifique auprès du SHIELD donc il est possible de considérer que je lui dois quelque chose. C’est régulier que je n’arrive pas à tenir d’engagements mais c’est toujours pour de bonnes raisons. Cette fois-là, c’était suite à la blessure, la paralysie, l’opération et la rééducation de Rocket. J’ai toujours une bonne excuse pour expliquer mes manques de fiabilités mais je comprends qu’on puisse me le reprocher. Ça ne change pas grand-chose à qui je suis cependant.

Un qui je suis qui s’accompagne d’un humour bien personnel. Est-ce que j’ai passé un chapeau et une veste longue typée cache poussière pour me donner un genre "Far West as far as San Francisco" ? Non, du tout ! J’ai souvenir, à tort ou à raison, que Luke avait la référence francophone de Lucky Luke donc je tâche de m’amuser à l’idée d’avoir un petit style cowgirl. Après, il faut reconnaitre que je garde le col roulé noir et le jeans sombre au-dessous donc j’ai pas toute la panoplie non plus mais ça reste l’hiver ! J’ai des bottes hautes et brunes pour faire quand même cavalière ; enfin, en plus de la posture. Je respecte le dress code, car le restaurant en a un, "casual et confortable". A ce titre, également, j’ai respecté la consigne de faire attention à la quantité de parfum que j’ai mise afin de ne pas que mon odeur florale agréable et douce n’aille se sentir chez mes voisins de table. Contrairement au Per Se, le Masa se veut réellement élitiste : pouvoir payer n’est pas la seule condition pour entrer.

Entrée qui se fait au quatrième étage du Time Warner Center, après avoir suivi les panneaux jusqu’au restaurant puis une serveuse asiatique depuis l’accueil jusqu’à une salle ayant pour porte deux rideaux bleus marqué du sigle de l’établissement. De part et d’autre d’un long couloir central sur plancher de bois, des rideaux courts me séparent d’une rangée de tables encadrées d’une chaise, côté couloir, et d’un banc de cuir, côté mur ; lequel ne colle pas du tout avec le reste de la décoration à mes yeux. J’aurais bien aimé m’y installer comme la dernière fois mais Nathan m’a bien fait comprendre que ça serait la place de Luke. Nous trois, on sera sur les chaises en face.

J’ai réservé pour le dernier service, de 19h30 à 21h30 ou 07:30pm à 09:30pm chez les américains, puisque le repas est prévu pour durer deux heures. Soit une course, une apportée de plat, toutes les six minutes. Je me souviens avoir calculé cela lors de ma rencontre en ces lieux avec l’agent Emy Carthew à propos des Slimes. Même Emy que j’ai impliquée dans l’affaire Luke. Et dans celle des Masques de Guy Fawkes. Pas dans celle de Morticia, cependant. Encore qu’elle sera peut-être celle qui me donnera des nouvelles de l’adolescente lorsque j’en aurais. Je verrais : cela fait moins de 24h après tout. Aurais-je dû demander à rester auprès d’elle ? Je ne peux malheureusement pas me le permettre. Trop de travail. Pas plus que je n’aurais réussi à convaincre le SHIELD de la laisser auprès de moi. Trop dangereuse. Nathan n’aurait pas voulu. Il était déjà assez circonspect avec ce repas mais Luke est en suivi depuis octobre, novembre, décembre, janvier ; quatre mois. Psychologiquement, cela a dû l’aider. J’espère. Il ne serait pas en liberté s’il était incontrôlable, même si j’ignore les détails d’une liberté que je suppose conditionnelle.

J’entends Nathan et Enzo, tous deux vêtus de costumes même si le premier est gris avec veste ouverte et chemise bleue là où le second est noir avec cravate et gilet, se lever de leurs chaises ainsi les rattrape-je un instant après. Je remets mon chapeau même si cela ne se fait pas en intérieur afin de pouvoir essayer de faire une blague que je suis la seule à comprendre et je me tiens droite en chassant de ma main droite mon par-dessus comme si j’avais un holster de cuisse.

« Bonjour Luke, lui dis-je entre mes dents, comme si j’imitais Clint Eastwood et que je n’entendais pas le cri interne d’agacement de Nathan ou le soupire d’Enzo. Bonne année. »

Je pense que si mon garde du corps pouvait me prendre et me lancer comme il l’a fait à la mer lorsque j’essayais d’attirer Rocket à l’eau, il le ferait actuellement. Mais il ne peut pas. Alors il se contente de saluer Luke avec politesse et soupçon, points partagés par un Enzo qui se souvient avoir failli laisser sa main en proposant une bouteille d’eau et salut donc de la tête. Il n’y a pas d’hostilité cependant, juste de la méfiance et des précautions.

« Si vous voulez bien vous assoir sur le banc, propose-je en désignant la place "coincée", nous vous en serons grés. »

Beaucoup de choses ont changé depuis notre dernière rencontre. Pour lui comme pour moi, je suppose. Tout comme je suppose qu’il aura moins le droit d’en parler alors que pour moi cela se retrouve pas mal dans la presse. Pour ce que j’ai envie de montrer, néanmoins.

« Comment allez-vous, demande-je cordialement lorsque l’on s’installe, depuis le temps ? »