L’église paroissiale de Sainte-Marie, la seconde plus ancienne de l’arrondissement de Staten Island, est un curieux édifice construit tout en longueur, en briques rouges et en tuiles noires, composé d’une tour centrale que l’on discerne sur plusieurs rues, et sur laquelle trône fièrement, contre le vent et la pluie, une haute croix qui semble porter un jugement hâtif sur tous les passants ; sans ce symbole chrétien pour prévenir de la sacralité du sol, il serait difficile de deviner que l’endroit est un lieu de culte.
Lui, en passant le seuil, le sait. Il sait même le jour qu’il a choisi pour le faire : dimanche dans la matinée, mais il a consciemment attendu la fin de l’office pour y mettre les pieds, puisqu’il ne veut guère participer à la messe hebdomadaire, n’étant que trop peu croyant pour cela, mais considérant plutôt, et peut-être grâce à son enfance, que les églises sont des havres de paix. Dans le fond du temple, le Révérend Carlos Limongi s’active à réconforter quatre personnes assises sur un banc, qui pleurent à chaudes larmes, se serrant les uns contre les autres en regardant, de temps à autre, l’immense croix accrochée au mur, juste derrière l’autel. Cela, à ses yeux, illustre presque la raison d’un tel lieu : si les hommes n’éprouvaient pas la souffrance, ils ne ressentiraient peut-être pas le besoin de croire en Dieu. Mais si Dieu existe, pourquoi laisse-t-il autant de souffrance se propager ?
Les mains gantées, portant son éternelle veste de cuir bleu marine, il s’installe sur un banc, à l’écart, en soupirant. Il ne sait pas trop pourquoi il est là, finalement, et ne sait pas non plus ce qu’il doit dire. Ses parents — plus particulièrement son père, puisqu’il n’a pas eu la chance de connaître sa mère bien longtemps, était très attaché aux valeurs chrétiennes ; il avait à coeur de réciter les bénédictions avant le repas, sommait ses enfants de faire leur prière avant de dormir, et n’admettait point qu’on blasphème sous son toit. Cela ne l’a pas empêché de mourir dans un accident, obligeant ses deux enfants à se séparer pour ne plus jamais se retrouver. Car il n’a jamais su, lui, ce que sa petite soeur était devenue. A-t-elle été heureuse, au moins ?
La nuque baissée, les poignets appuyés sur le banc devant le sien, il mordille l’intérieur de sa joue en restant ainsi, quelques secondes, avant de redresser son visage pour regarder, à son tour, l’immense croix qui lui fait face. La figure biblique qui trône sur elle, pieds et mains cloués, l’oeil hagard, le teint pâle, une couronne d’épines sur ses boucles figées, qui retombent sur ses épaules. Le Christ est mort pour nos pêchés, disait son père. Il ne peut s’empêcher de se demander qui est mort pour les siens. Fermant les yeux, il passe une main gantée sur son visage, s’apprêtant à repartir quand, non loin, il sent une présence ainsi qu’un regard insistant dans son dos. Qui peut-il rencontrer dans une église, si loin du centre-ville ?
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Dernière édition par Bucky Barnes le Mer 6 Mar 2024 - 23:43, édité 1 fois
Loki Odinson God of Mischief
Messages : 406 Crédits : Coffee time (avatars), Malice (signature)
Les mois ont passé depuis la visite du Dieu de la Malice au Raft, mais pour lui, le temps n’était qu’une illusion de plus. Les jours défilaient, tous les mêmes, sans que rien ne change dans son quotidien. Pourquoi était-il encore vivant, sur cette planète miteuse au milieu de ces êtres inférieurs ? Pourquoi ses tentatives pour donner un sens à sa propre vie se soldaient toutes en échec ? Rien n’avait fonctionné comme il le désirait. Son alliance temporaire avec Hydra avait été anéantie en même temps que l’organisation, lui qui ne plaçait de toute façon pas beaucoup d’espoir dedans. Son aller-retour au Raft lui avait donné un but qui désormais n’existait plus, la visite à celle qui ne portait désormais plus que le nom de la Sorcière Rouge ayant été au final infructueuse.
Aujourd’hui encore, Loki se demandait pourquoi l’univers lui avait donné une nouvelle chance, alors que son lui originel était mort en héros pour tenter de sauver ce qu’il restait d’Asgard. Son frère, son peuple…non, ce n’était pas possible. Ce n’était en rien ce qu’il ressentait. Du regret ? Peut-être un peu, mais personne ne lui ferait cracher le morceau. De la colère ? Comme d’habitude, dirait-on si on le côtoyait plus de cinq minutes. Une boule de rage froide et noire qui pesait sur son coeur depuis des années maintenant. Alors quoi ? Que ressentait-il, bon sang ?
Du doute. Voilà ce qui s’ajoutait au cocktail qui tournait en boucle dans l’esprit du Dieu de la Malice. Un doute insidieux, quant à son but ultime : au final, il ne voulait pas régner sur ce monde. Oh, son idée était altruiste au départ, bien entendu : se voyant comme la solution à tous les malheurs de cette terre, il se plaçait en sauveur de l’humanité. Cependant l’humanité, aujourd’hui, l’ennuyait profondément. Elle ne le méritait pas, ne l’avait jamais mérité, et pouvait tout aussi bien courir à son extinction qu’il n’en aurait rien à faire. Non, c’était faux de penser ainsi : il les aimait, ces créatures faibles et fragiles dont l’espérance de vie ne dépassait pas celle d’un pauvre insecte sur sa planète. Elles le fascinaient. C’était son ego qui le poussait à les haïr en apparence, et à les abandonner à leur sort.
Assis à même le sol dans son appartement luxueux de Manhattan, Loki soupira en fixant le bazar qui s’étalait devant lui. Comment pouvait-il vivre dans un tel taudis ? C’était le reflet direct de son état mental, il n’y avait aucun doute. Que dirait Frigga, si elle le voyait ? “Voyons Loki, comment peux-tu te mettre dans cet état simplement parce que tu n’arrives pas à obtenir ce que tu désires ? Tu devrais apprendre à accepter l’échec.” Non, Frigga ne serait pas capable de le dénigrer ainsi, elle qui avait toujours été là pour l’épauler. A quoi ressemblait sa voix déjà ? Les sourcils froncés, le Dieu de la Malice tenta vainement de s’en souvenir. Rien n’y fit ; elle était partie depuis trop longtemps désormais. Il était seul, et le serait toujours.
Il n’avait pas envie d’être seul, ce cher prince déchu. Cependant à qui faire confiance dans cet univers ? Il avait fait trop de mal à trop de monde, trahi de trop nombreuses fois les rares personnes lui ayant accordé leur confiance…et en retour, lui-même refusait de l’accorder à qui que ce soit. Depuis Frigga, aucun n’avait trouvé suffisamment grâce à ses yeux pour cette ultime marque d’honneur. A part peut-être…
Non, ce n’était pas la même chose. Les interactions qu’il avait eues avec le Soldat de l’Hiver avaient été trop éparses, elle ne signifiaient rien pour l’un comme pour l’autre. Alors pourquoi songeait-il à celui-ci dans un tel moment de faiblesse ? Cette unique main tendue, peut-être. L’une des rares personnes lui ayant porté un intérêt dépourvu d’arrières pensées, avec le docteur Morbius qu’il ne pouvait malheureusement plus rencontrer désormais. Deux hommes différents à bien des abords, apparus dans sa vie à un moment où il ne songeait qu’à sa visite au Raft, lui offrant une bouffée d’air frais pour l’un et le frisson de l’inconnu pour l’autre.
C’était peut-être sur ces pensées que Loki s’était décidé à bouger de son appartement. Qu’espérait-il en réalité ? Lui-même n’en avait aucune idée. Retrouver un visage connu qui ne souhaitait pas le détruire dans la seconde, peut-être. Oh, il aurait pu chercher son aîné pour le faire tourner en bourrique ; malheureusement Thor semblait occupé ces derniers temps, et leur dernière conversation n’avait pas été des plus agréables pour le cadet des Odinson. Soupirant d’exaspération rien qu’à imaginer le visage du Golden Retriever qui se revendiquait “frère”, ce fut avec une once de frustration qu’il changea ses vêtements pour adopter une apparence plus passe-partout. Tout du moins elle le serait, si un costume entièrement noir ne rappelait pas les croque-morts et autre travailleur du trépas dans cette société.
Bucky avait ses habitudes, comme tout vieillard d’une centaine d’années. Et comme ses semblables, il se rendait à l’église plus souvent qu’il n’osait sûrement l’admettre. C’était un comportement normal pour un homme qui avait perdu tous ses repères - tout du moins, voilà ce que pensait Loki. Lui-même ne portait pas la foi dans son coeur, comprenant que rien ne pouvait le sauver dans cet univers, mais voyait cette tradition d’un regard attendri de la part d’une civilisation qui l’avait longtemps élevé au rang de divinité toute puissante. Il oubliait simplement par commodité que c’était Odin, son père adoptif, qui était admiré plus que lui. Que Thor l’était également bien plus, qu’il était relégué au rang de “méchant” classique. Non, il ne fallait pas songer ainsi. Ne pas titiller cette rage qui n’attendait qu’un moment de faiblesse de son esprit pour exploser à nouveau.
Loki l’avait longuement observé, cet homme d’un autre temps qui tentait tant bien que mal de s’adapter à ce monde trop évolué à son goût. L’avait vu entrer dans cette église de nombreuses fois, église dont il passa lui-même les portes alors que les rayons d’un soleil timide traversaient les vitraux multicolores qui apportaient un peu de couleur à cet être monochrome. Les lieux étaient presque entièrement vides, à cette heure-ci ; l’office avait eu lieu le matin même, et aucune cérémonie n’avait été programmée. Au fond, le Dieu de la Malice s’en réjouissait ; il s’était découvert un petit côté asocial ces dernières semaines, si bien que le moins de monde il croisait, le mieux il s’en portait.
L’homme qu’il cherchait se trouvait là, assis sur un banc, à prier un dieu qui n’existait pas pour obtenir une bénédiction qui ne viendrait pas. Il en avait lu des bouquins sur la religion majoritaire de ce pays, Loki. S’était même demandé si ce “Jésus” que certains vénéraient tant n’était pas lui aussi un simple mortel d’une autre planète, à l’image des Asgardiens ayant visité Midgard à une époque si lointaine qu’elle n’était plus que légendes et mythes. Un homme capable de faire des miracles, sacrifié sur la croix, ressuscité pour quitter ce plan d’existence. Oui, nul doute qu’il était comme eux, un simple extraterrestre cherchant la gloire sur un autre monde que le sien. Les Midgardiens de l’époque ne brillaient pas par leur intelligence et leur avancement technologique, et à l’image de ce qu’ils avaient décrétés au sujet des Aesirs, auraient aisément élevé un tel être incompris au rang de divinité.
Installé derrière l’homme qui l’intéressait, Loki restait tranquillement les bras croisés en balayant l’endroit du regard. Pour sûr, les Midgardiens avaient un certain goût pour leurs lieux de culte. Les temples Européens étaient plus intéressants au niveau architectural que ce qu’on pouvait trouver sur ce continent, néanmoins l’effort était tout de même à noter. C’était sûrement ce qui aidait les fidèles à se rassembler, au-delà de leur foi. On entrait plus facilement dans un endroit bien entretenu que dans une vieille cabane au bois pourri dans une forêt sombre au chemin tortueux.
“Je ne vous pensais pas si pieux, Barnes.”
Le Dieu de la Malice se manifesta enfin auprès de celui qu’il était venu visiter, un sourire au bord des lèvres. Ils n’étaient plus que quatre dans cette église : eux, une vieille dame murmurant ses prières en fixant la statue de ce qui devait être un saint, et le prêtre se dirigeant vers l’arrière du bâtiment prêt à le quitter à tout instant.
“Sont-ce les années perdues dans la glace qui vous ont donné cette foi ? A moins que vous ne cherchiez la rédemption de ce fameux Dieu avant d’atteindre la fin de votre vie…malheureusement, je doute qu’elle soit bien utile.”
Qu’il est confortable, ce silence qui s’ébruite et résonne contre les vieilles pierres de l’Église ayant recueilli, au fil des ans, nombre de prières, de confessions et de lamentations. Combien de prières ont été exaucées ? Combien de confessions ont été pardonnées ? Combien de lamentations ont été apaisées ? Lui, ne prie pas, ne se confesse pas et ne se lamente pas. Il se tient, droit ou presque, le bas de son dos musclé appuyé contre l’appui de son banc, les épaules légèrement rentrées vers l’intérieur, la nuque tantôt basse ou tantôt relevée, en se laissant volontiers gagner par le calme ambiant. Il ne dit rien, mais observe : la Croix joliment ornée qui possède le grand mur du fond, les chandelles allumées dont les flammes vacillent sous les mouvements du prêtre affairé à ranger ses livres et calices de messe, les derniers occupants qui siègent sur les rangées de devant, tandis que le lieu se dépeuple sans vacarme.
Ils sont heureux, les visages qu’il croise. En tournant son menton sur le côté, sans véritablement voir la silhouette qui prend place derrière lui, le Soldat ne peut s’empêcher de les observer : leur teint radieux, leurs yeux pétillants, leur sourire béat. Il y lit la patience, la générosité, l’humilité, la tolérance, la sincérité et la bonté. Ils ont recueilli ces éléments lors du sermon du prêtre, qui attire désormais son regard, si bien qu’il hésite un instant à se lever de son banc pour le rejoindre et lui parler mais… Ce qu’il fait, actuellement, ce n’est pas du vide. Non, se tenir immobile dans le silence et prendre le temps d’écouter le fil de ses pensées, c’est se donner une chance de renouer avec soi-même, de palper ce qui palpite, là, doucement, dans l’ombre de notre propre peau. C’est, peut-être, se rendre compte qu’on est vivant. Et pas seulement parce que notre coeur continue à battre, malgré les années, défiant les lois naturelles qui devraient le condamner.
Est-ce qu’il s’en rend compte ? Il n’a pas vraiment le temps de réaliser. « Je ne vous pensais pas si pieux, Barnes. » La voix glace son échine, partant de sa nuque et dégringolant jusqu’à ses bras, qui se tendent d’une manière tout à fait imperceptible. Prenant une fine inspiration nasale qui oblige sa gorge à se redresser, il lance un dernier regard à l’homme de foi qui disparaît derrière une porte, effleurant à peine la vieille silhouette courbée qui prie avec un rosaire entre les mains. Pivotant sur son assise, Bucky appuie la longueur de son avant-bras sur la bordure du banc en posant un regard aussi surpris que lassé sur l’Aesir, ne s’attendant pas à le trouver ici et regrettant de voir son moment de paix être troublé. « Je suis venu chercher le calme. » Et il a failli le trouver. Il n’est pas moins question d’apaisement que de piété, puisqu’il ne possède ni l’un ni l’autre. Mais il est toujours bon de l’espérer, le calme. « Sont-ce les années perdues dans la glace qui vous ont donné cette foi ? » S’il n’apprécie guère qu’on mette un coup de pied virulent dans le feuillage de ses tortueux souvenirs, c’est encore moins agréable quand le dit pied appartient à Loki. Soupirant de nouveau, il reprend sa position initiale en essayant de ne pas attacher trop d’importance à cette manifestation ; la dernière fois qu’ils se sont croisés, l’Avenger a perdu tout ce qui faisait son quotidien. Vient-il avec l’intention de réitérer son exploit ? « A moins que vous ne cherchiez la rédemption de ce fameux Dieu avant d’atteindre la fin de votre vie…malheureusement, je doute qu’elle soit bien utile. » La phrase devrait le faire bondir, mais c’est un sourire désabusé qui vient fendre ses lèvres, si bien qu’il remue lentement son menton de gauche à droite, en baissant ses yeux sur ses mains gantées. « Je ne cherche pas la rédemption. » Parce qu’il sait qu’il ne pourra pas l’obtenir, du moins, pas dans sa prochaine vie : celle-ci est déjà suffisamment longue. Se retournant finalement vers son interlocuteur, il le considère quelques secondes du regard, semblant jauger de son allure et de son expression avant de reprendre la parole, en gardant les vestiges de son rictus. « Qu’est-ce que tu veux, Loki ? Vu notre aventure commune la dernière fois, je me permets de te tutoyer. » Un ‘’chut’’ se fait entendre depuis l’autre côté de l’église — probablement de la part de la dame âgée déconcentrée, mais il ne s’en occupe pas. Pleinement concentré sur la Divinité, il bascule davantage en sa direction tout en poursuivant, d’une voix toujours basse mais limpide. « Si tu veux des nouvelles de Wanda, je vais te faire gagner du temps sans perdre le mien : je n’en sais rien. »
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Loki Odinson God of Mischief
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Tout homme cherchait la rédemption, mais Loki laissa tout de même le Soldat de l’Hiver se baigner dans ses propres illusions. Lorsqu’on avait vécu mille ans, on en avait vu suffisamment pour savoir comment la psychée d’un mortel fonctionne. Quand bien même ledit mortel aurait eu une vie aussi atypique que celui qui se tenait proche de lui, au final, il n’était pas bien différent des autres.
Une grimace passa sur le visage du Dieu de la Malice lorsque Barnes se montra familier, mais il ne releva pas. En effet, avec les péripéties qu’ils avaient vécu tous les deux, il pouvait bien l’autoriser à se détendre un peu plus en sa présence. Si un sourire remplaça bientôt la grimace, celui-ci se fana presque instantanément au profit d’une expression ennuyée. Se tournant vers la vieille dame, les sourcils froncés, il lui adressa un regard noir qui ressemblait davantage au visage d’un petit garçon boudeur qu’à celui d’un adulte.
Barnes, pour sa part, semblait se foutre royalement d’être ainsi repris et continua de parler sur le même ton. A la mention de Wanda, une fois de plus, l’Aesir sembla mal à l’aise. En réalité, il avait momentanément oublié la Sorcière Rouge en voyant l’homme qui l’intéressait en ces lieux, mais les souvenirs des derniers mois remontaient désormais à son esprit. Sa mâchoire se crispa, mais il tenta de masquer ce soudain changement d’émotion par un sourire commercial, penchant la tête sur le côté.
“Voyons, Bucky, je suis là pour toi. Si j’avais voulu discuter de la Sorcière Rouge, je me serais tourné vers quelqu’un d’autre.”
Qui donc ? Personne, c’était d’ailleurs ça le problème dans sa vie. Personne sur qui compter, personne à qui partager ses doutes, ses espoirs, ses rêves. Personne avec qui débriefer de son petit passage au Raft, qui était heureusement passé inaperçu aux yeux du commun des mortels. Il s’installa plus confortablement sur le banc en bois, et croisa bras et jambes en fixant l’autel d’un air pensif.
“Je me pose toujours autant de questions sur ton compte, Barnes. Et j’ai l’intuition que si je parviens à y répondre, je pourrais peut-être régler quelques…soucis que j’ai rencontré depuis mon retour dans ce monde.”
Ses paroles étaient toujours énigmatiques, la faute à un manque de confiance certain envers qui que ce soit. Il ne pouvait pas encore placer une assurance sur le Soldat de l’Hiver ; avait trop perdu pour oser recommencer, fait trop de dommages dans cette vie malgré la rédemption de la précédente. Ah, la rédemption…on en revenait toujours là. Loki faisait mine de rien, mais son coeur s’emballait en songeant à un passé qu’il préférait oublier.
“Dors-tu correctement la nuit, ou songes-tu à ceux que tu as éliminé ?”
C’était peut-être un peu direct comme question, mais Loki ne s’en rendait pas compte. Il attendait sa réponse, son regard désormais posé sur le visage du plus jeune. Comprendre les sentiments des autres permettrait peut-être de calquer son attitude par rapport à ceux-ci, non ? On l’avait souvent qualifié de narcissique, et s’il prenait cela comme un compliment à l’origine - son assurance forçant évidemment à l’admiration - il constatait aujourd’hui que cela pouvait être un frein à ce qu’il espérait obtenir des autres. En l’occurrence, une chance de pouvoir sortir en plein jour sans devoir se planquer de toute une organisation.
« Voyons, Bucky, je suis là pour toi. Si j’avais voulu discuter de la Sorcière Rouge, je me serais tourné vers quelqu’un d’autre. » Quand bien même son interlocuteur met un point d’honneur à dissimuler le trouble provoqué par la mention de Wanda, le Cyborg note que sa mâchoire se carre un bref instant, comme si le fait d’évoquer leur (ancien) amour commun lui était toujours difficile. Bien que ne partageant plus réellement ce frisson — principalement parce que toute son attention est allouée au fait qu’il va devenir père d’ici quelques semaines, Bucky ne tourne nullement en dérision les déboires amoureux du Dieu de la Malice, ayant lui-même été longuement tenu par les sentiments portés à la rousse. « J’aimerais bien savoir qui. » Le coin de ses lèvres dessinant l’ébauche d’un sourire malicieux, Bucky penche légèrement son menton sur le côté sans rompre le contact visuel avec Loki puisque, il sait, lui, que les possibles interlocuteurs doivent se compter sur la main d’un manchot. « Je me pose toujours autant de questions sur ton compte, Barnes. » L’intérêt que lui porte l’Ase lui fait arquer un sourcil et lever le menton puisque, sans jouer les fausses modesties, le Soldat ne le comprend pas réellement ce qu’il peut avoir d’intéressant pour une personne comme lui. Il n’a aucun pouvoir à manipuler, ni une quelconque importance politique, et n’est assurément passée plus puissant des Avengers. Alors, quoi ? « Et j’ai l’intuition que si je parviens à y répondre, je pourrais peut-être régler quelques…soucis que j’ai rencontré depuis mon retour dans ce monde. » Cette fois, les sourcils du brun se froncent tandis qu’il redresse légèrement les épaules pour détailler le visage de son interlocuteur, passant d’un coin à l’autre de sa figure gracieuse comme pour y déceler la trace d’une farce qui, visiblement, est absente de ses traits.
Cette annonce le laisse perplexe, et s’il ne peut que douter de la sincérité de Loki — puisque ce dernier s’est davantage illustré dans la fourberie et le mensonge que dans la vérité, Bucky décide néanmoins de lui laisser le bénéfice du doute, sans trop savoir d’où vient cet élan de confiance soudain. « Et qu’est-ce que je peux faire pour t’aider, dis-moi ? » Il s’attend à tout, sauf à la question qui lui tombe sur le coin de la figure, plus douloureuse encore qu’un coup de poing. « Dors-tu correctement la nuit, ou songes-tu à ceux que tu as éliminé ? » Comme entrée en matière, difficile de faire pire. Est-ce qu’ils se sont donnés le mot avec Carol, pour aborder ce sujet aussi douloureux que sensible, dès le début de leur conversation ? Pas étonnant qu’il ait du mal à les oublier puisque tout le monde lui rappelle ce qu’il a fait, bien que la question de sa responsabilité est un vaste sujet. Ses dents se serrent en même temps que ses sourcils se froncent, et il lui faut fournir un effort surhumain pour ne pas lui décrocher une gifle tant il a l’impression que le Dieu met tout en oeuvre pour le narguer. « Pourquoi tu me parles de ça ? » La question est aussi légitime que nerveuse, et elle tend ses traits lorsqu’il se détourne de son interlocuteur pour lancer un regard indifférent en direction de la vieille dame, qui continue de les houspiller d’une oeillade appuyée, ses deux mains autour de son chapelet. Les siennes, gantées, remontent auprès de son visage pour le cacher derrière le cuir froid alors qu’il souffle un air nerveux, n’aimant pas guère aborder ce sujet ô combien honteux et épineux. « Bien sûr que j’y pense. Ça m’empêche de dormir si tu veux tout savoir. » Rien de glorieux et rien d’avilissant non plus, puisque les méfaits du Soldat de l’Hiver sont connus de tous, mais le Cyborg ne peut s’empêcher d’en éprouver une forme de dégradation, comme si le fait d’exposer aussi ouvertement ses faiblesses le rendaient encore plus coupable des horreurs commises. Il les avoue. Il les évoque. Il doit encaisser, il le fait du mieux qu’il peut. Éloignant ses mains de son visage, il se retourne pour de nouveau faire face à Loki, son bras allongé le long du banc et les yeux braqués en direction du Dieu de la Malice, avec une réelle curiosité dans le regard. « Pourquoi cette question, Loki ? »
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