Je soupire pleinement et envisage sérieusement de laisser la jeune femme à la gorge endommagée, dont je ne connais même pas le nom, aux soins de ceux que ça intéresse. J’avais une demi-heure de tranquillité entre la fin du repas, vers les 01 pm, et le début des entrainements mystiques, entre 01:30 et 03:30 pm. Il a donc fallu que Wong me signale que ladite jeune femme arrive à Kamar-Taj durant ce délai. Et juste avant que je ne commence lesdits entrainements, histoire de perturber ma tranquillité comme mon horaire habituel. Horaire désormais partagé par un Dominique qui ne devrait pas tarder à retourner à Kamar-Taj maintenant qu’il a compris ne pas être pas le seul à souffrir et pouvoir alléger la souffrance des autres, courtoisie de s’être bouger le cul lors de l’émergence mutante au Queens Center Mall.

Quelques instants plus tard, je suis à Katmandou. La jeune femme y erre depuis au moins hier, moment où les locaux l’ont signalée aux Maîtres des Arts Mystiques et que l’un de nous a entreprit de l’observer pour voir si elle était digne. Elle l’a été, d’une manière ou d’une autre, sans quoi elle continuerait d’errer. Ce qui ne me surprend pas : elle semble travailler pour le Metro General et souhaite le pouvoir d’aider les gens "avec plus que de la simple chirurgie ou un moyen d'avoir les capacités de prévenir". Je l’ai mise sur la voie. Tout comme je l’ai moi-même été il y a tant d’années. Les similarités sont là : médecin visiblement handicapé, aux yeux clairs et aux cheveux foncés. Les différences aussi : le sexe, l’âge, la raison de chercher la guérison. M’aurait-elle menti en prétextant le noble motif de l’altruisme alors qu’elle cherchait l’occasion de guérir sa gorge ? Possible. Je m’en moque. Si elle a à guérir, Kamar-Taj est un excellent lieu pour cela ; que ce soit elle-même ou les autres. Reste qu’elle ne sera probablement plus médecin avant un bon moment, si elle en suit les enseignements.

Comme l’Ancienne avant moi, je viens m’installer dans l’une des salles de classe. Le sol sous mes bottes de cuir brun lassées de tissu bleu est fait de pavés et de mosaïques. Le mobilier sur lequel se pose la Cape de Lévitation d’un rouge profond comme le haut de mon pantalon et le bas de ma robe de bleus royaux est de bois nu ; une chaise, en l’occurrence, faisant face à une table basse et sa jumelle. Les bancs qui entourent la mosaïque sont similaire, à l’exception qu’ils n’ont nul dossier, tandis que deux marches séparent cet espace du couloir qui l’environne ; marches accompagnées de piliers d’un bois sculpté soutenant la charpente. Celle-ci forme un puit de lumière au-dessus de la salle de classe et les rebords de toits vers l’extérieur, puisque le couloir donne, au-delà de grillages de bois, sur les fenêtres traditionnelles népalaises actuellement bardées de volets laminés ; la lumière entre mais la chaleur sort moins.

Avant d’arriver dans cette tour, celle que j’appelle "l’électrolarynx" à défaut d’autre chose a dû passer par le potager, dormant en cette saison, puis entrer dans l’un des bâtiments à l’architecture semblable à celle de cette pièce. Quelques escaliers plus tard et le Maître des Arts Mystiques l’accompagnant me la livrera. Deux Novices aux tenues blanches passées par-dessous des manteaux d’hiver s’en viendront récupérer les éventuelles affaires, manteau inclus, de la jeune femme avant qu’un troisième ne vienne lui apporter un verre. Je me souviens du nombre de remerciement que j’avais donné à ma propre arrivée, le dernier étant pour l’Ancienne qui, vêtue d’une robe blanche elle aussi, m’avait servi le thé. Pas de plaisanterie en faisant passer quelqu’un d’autre pour moi-même, c’est inutile et ce n’est pas mon genre, ainsi me contente-je d’attendre sur la chaise. La théière, chaude, est sur la table devant moi. A défaut de servir le thé de mes mains, je le ferais de ma maîtrise mystique : comme avec Thor, le verre de la nouvelle arrivante se remplira à ma volonté. J’en ferais de même pour un second verre, lequel disparaitra afin de s’en aller chez le Disciple ayant accompagné jusqu’ici. Celui-ci pourra boire en observant la conversation, prêt à intervenir si nécessaire ; s’il lui fait confirmer ou infirmer des dires de notre invitée. Va-t-elle finir jetée dehors à mon instar ? J’attends de voir.

« Joyeu noël, je suppose, me contente-je de lui dire, n’étant pas doué pour cette partie et la laissant volontiers à Wong. Asseyez-vous, je vous en prie. »

Inutile d’en dire plus. Il faut observer. Ecouter.

Les remerciements faits au guide comme aux Novices ne sont pas anodins ; j’en ai fait de même en mon temps. Était-ce un test ? Est-ce un test ? Seul le guide est remercié chez l’électrolarynx, peut-être par occupation à garder celui-ci lorsqu’on l’hôte de ses affaires. Et moi. Je suis également remercié. "On s’incline devant le Sorcier Suprême" ; Wong y tient, moi pas du tout. Les gens s’inclinent donc devant lui et beaucoup plus rarement devant moi. L’électrolarynx doit le faire dans le doute, en prévention.

Le fait de soulever la chaise pour la tirer sans un bruit est également noté. Quant à la surprise, elle revient identique à celle manifestée par l’étrangère quand elle m’a vu lorsqu’elle se découvre parée d’un thé. Je vais devoir faire attention, elle a une main de moins à occuper que la plupart des gens du fait de la machine lui valant son surnom.

Nouveaux remerciements, je porte mon propre verre en terre cuite à mes lèvres pour boire une gorgée de la boisson chaude. C’est une manière de répondre que je ne vais rien dire pour l’instant. Observer. Ecouter.

« Comme je vous l'avait dit à notre dernière rencontre, reprend-t-elle ensuite sans que je ne manifeste grand chose, je désire pouvoir faire plus pour aider les personnes qui nous entourent. »

C’est pour cela qu’elle s’est tournée vers mon "art". Il ne me semble pas avoir parlé des arts mystiques en tant que tel ainsi est-ce là une manière de me brosser dans le sens du poil. Elle n’a pas fait douze mille kilomètres pour se faire refusée parce qu’elle fait face à un vieux con caractériel qu’elle a déjà croisé à New York. Elle marche sur des œufs, en somme. Cela ne doit pas appartenir à sa "cruelle ignorance".

« Je ne connais que ce que j'ai pu voir au travers du prisme de vos interventions à New-York. »

J’inspire profondément par le nez en un soupir inversé. Le prisme de mes interventions, à New York comme ailleurs, est médiatiquement déformé et en grande partie faux. Je ne suis pas l’Avenger magique et je ne suis pas capable de voir dans le temps. Je suis capable d’affronter Thanos en un contre un cependant. Cela ferait de moi l’un des humains les plus puissants s’il n’y avait pas les télépathes pour ridiculiser tout le reste. La gorge de l’électrolarynx prend sa première gorgée de thé, peut-être encouragée par mon inspiration précédente ou mon impassibilité actuelle ; du regard comme du visage.

« Me permettriez-vous de suivre votre enseignement ?

- Vous souhaitez le pouvoir d’aider les gens "avec plus que de la simple chirurgie" ou un moyen d'avoir les capacités de prévenir, rappelle-je avec sérieux. Etes-vous prête à renoncer à la "simple chirurgie" pour cela ? Réfléchissez-y. »

Je marque une pause grave. Comme énoncé, l’électrolarynx ne sait rien. Tout comme on ne sait rien d’elle ou de ses motivations réelles.

« Kamar-Taj est un lieu de guérison, énonce-je en espérant ne rien lui apprendre. Vous pourriez trouver ici le pouvoir de parler à nouveau. »

Même si la chirurgie ne le permet pas. Je suis passé par là, bien que je laisse mes mains trembler comme un avertissement pour moi-même quant à mes travers. Lorsque je le souhaite, les tremblements cessent. Je ne dois cependant pas redevenir celui que j’étais avant d’être brisé.

« Reste à savoir si vous aiderez plus de gens en tant que chirurgienne ou en tant que magicienne. »

Il est, je le conçois, un peu tard pour se poser cette question. Pour abandonner. Néanmoins, il faut également considérer que le voyage à Kamar-Taj est initiatique. Un manque de confiance en elle ou une avidité de pouvoir peuvent être guéri ici. Pas forcément de façon très agréable, non, mais tout de même. Aller à l’autre bout du monde pour découvrir la valeur de ce que l’on fait chez soi n’est pas un cas courant mais la plupart des gens qui viennent ici le font pour des raisons égoïstes ; pas pour aider les autres. Cela n’arrive qu’après. Cela motive le fait de rester au-delà du noviciat. Vers l’apprentissage.

« Que pensez-vous que l’on fasse ? En tant que magicien, je veux dire. »

L’énoncé du choix à faire entraine une difficulté à l’entendre, sans parler de l’accepter, chez l’électrolarynx. Il est peut-être plus aisé de changer quelqu’un d’égoïste ici afin de le pousser à l’altruisme par empathie face à la souffrance qu’il venait compenser que de le faire d’une personne altruiste qui agit donc par les autres et peut avoir encore plus de difficulté à changer elle-même. Je suis venu à Kamar-Taj pour retrouver ma vie d’avant. Ma vie de chirurgien. J’ai appris à l’abandonner afin de servir au mieux l’intérêt général. Mon interlocutrice n’a pas tout perdu avant de venir. Elle risque donc de tout perdre ici. Elle doit en avoir conscience. Que ça lui plaise ou non.

L’évocation de la guérison que tant cherchent ici est une surprise pour l’électrolarynx. J’en plisse mes propres paupières. N’y avait-il donc pas la moindre once d’intérêt personnel à venir ici, avec les problèmes que cela peut poser ? Était-ce réellement un dépôt de CV afin de participer à la guérison d’autrui par pur complexe d’infériorité et volonté de faire mieux ?

« Bien que la possibilité reste à considérer, elle ne fait pas partie de mes priorités, énonce l’inconnue en me faisant plisser les yeux un peu plus, au point que cela s’étende sur mes lèvres. Je suis venue pour aider les autres avant tout. »

Il est donc question de savoir comment, puisque les aides peuvent être mutuellement exclusives. L’étrangère est "prête à considérer le changement d’orientation s’il n’est pas immédiat". J’acquiesce. Une période d’essaie donc, afin de voir. Je ne crains pas ce qu’elle pourrait faire avec les seuls savoirs du Noviciat ; il y a beaucoup de pratiquants des arts mystiques qui retournent à leurs vies une fois que celui-ci leur a permis de résoudre leurs problèmes. De trouver équilibre et guérison, que ce soit mental ou physique. Il n’est ainsi aucun souci pour moi, ou quelconque autre Maître des Arts Mystiques à l’exception de Karl, dans cette procédure. Ainsi poursuit-on ladite "procédure" ; même si le terme est mal approprié.

La première idée qui vient à l’esprit de l’électrolarynx lorsque je lui demande ce que les magiciens font, selon elle, est appropriée. Protection. C’est l’exemple que je donne à New York City comme celui que j’ai donné au côté des Avengers contre Thanos ; les deux fois. Je reste immobile à la fixer.

La seconde idée provient du principe de corruption et d’égoïsme : "la magie utilisée à des fins sinistres" et la nécessité de lutter contre nos antithèses. Protection, là encore, mais pas seulement. Sauf que ce n’est pas réellement explicité.

« J'imagine aussi que tout comme les Avengers ont leurs propres menaces, vous avez les vôtres, même si je ne sais pas ce qu'elles peuvent être. »

Je soupire par le nez puis acquiesce à nouveau. L’imaginaire est là, dans ses axes comme dans ses bases, mais il y a une dissonance que je m’en vais évoquer. Aucun compliment ne pourra changer cela, même s’il faut reconnaitre que les thés cultivés à Kamar-Taj sont excellents : n’ayant rien à envier aux thés les plus réputés, il s’agit d’un thé noir d’altitude et d’un arôme musqué proche du thé darjeeling. La technique pour le préparer est enseignée durant le noviciat d’ailleurs, afin de travailler la patience et l’harmonie au sein de l’interaction des éléments avec leur environnement. Récupérer la bouilloire dès que l’eau devient frémissante, pas lorsqu’elle boue, puis verser le liquide dans la théière de grès et y tremper l’infuseur vertical avec les feuilles séchées en le ressortant régulièrement de manière à étaler les trois minutes d’infusion sur quatre minutes de temps jusqu’à ce que la couleur du thé noir soit d’une nuance précise. Ce n’est pas un hasard, c’est la collecte d’énergies environnantes afin de modeler la réalité. Comme les arts mystiques. Quiconque ne sait préparer le thé n’est pas prêt à canaliser la lumière ; l’art le plus aisé enseigné en ces lieux.

« Vous venez donc vers des gens de protection et d’investigation, synthétise-je donc calmement, afin de trouver comment aider les autres "avec plus que de la simple chirurgie" ou pour prévenir leurs blessures. »

Voilà qui devrait amener à réfléchir sur la dichotomie entre l’aspiration à devenir une magicienne par cliché possédé sur ce que cela signifie être et la réalité déjà familière d’une chirurgienne qui aide ainsi et vit de cela.

Après un silence, je m’accoude et amène ma main droite contre ma tempe en me penchant légèrement sur le côté.

« Je m’attendais à ce que vous parliez de soins magiques, avoue-je, ayant placé cet élément précédemment en sous-estimant l’abnégation amenant à le mettre de côté immédiatement. Si vous êtes prête à lier votre âme à un Loa ou un Démon, cela peut se faire facilement. Vous pourrez alors reprendre votre vie… de façon "améliorée". »

Voilà les voix à explorer pour changer le moins possible. Pour ne pas faire le choix maintenant mais essayer de tout concilier. Evidemment, le démon aura moins d’impact que le Loa sur la vie quotidienne. C’est après la mort que les choses deviendront… complexes. Et encore, certains Démons préfèrent des actions concrètes de la part de leurs contractés vivants que la récupération de leur âme à la mort ; comme les Loas, en somme.

« Vous pourrez également envisager de vous verser dans les anciens arts mystiques païens. C’est là une société à mystères tâchant de manipuler les énergies de Dame Nature afin d’accélérer et d’amplifier ses propriétés. Quelque chose me dit cependant que l’aspect cultuel et religion n’est pas ce que vous cherchez. »

Sans parler de l’aspect sexuel ou sacrificiel de certains rituels. J’ai mes problèmes avec l’art tellurique même si j’en ai une certaine pratique malgré tout. Juste que je ne suis jamais bon lorsqu’il s’agit de m’attirer les faveurs de quelqu’un d’autre ; chose encore pire avec le Vaudou, lequel dispose d’un lien de parenté avec certaines formes de Wicca.

« Je vous déconseille franchement de tenter d’employer votre propre énergie à soigner les autres, selon les méthodes orientales communément nommées Chi. Vous vous détruiriez la santé. »

Et puis Kamar-Taj et K’un-Lun ne s’apprécient guère donc c’est une quête sur laquelle je ne préfère envoyer personne. Le monastère de l’Ordre de la Mère Grue est également bien plus difficile d’accès que la Maison de la Sagesse, étant d’un isolationnisme qu’on ne contourne que tous les 15 ans lorsqu’on ne peut s’y téléporter directement. Je soupire par la bouche rien que d’y penser.

« Vous voyez la magie comme quelque chose d’unifié voire de surnaturel, suppose-je simplement, levant mon propre thé à nouveau. Ce n’est pas le cas. La mutation est bien plus dure à expliquer scientifiquement que les différents arts mystiques, croyez-moi. »

Je m’en vais boire une gorgée, pensif. J’ai énoncé tout ce que j’ai compris, déduis et anticipé.

« Répondez sincèrement, dis-je en vous fixant à nouveau, doigts couturés de cicatrices autour du verre en terre que je tiens à présent contre mon ventre au-dessous de l’Œil d’Agamotto. Est-ce que votre blessure vous a amenée à avoir bien plus de difficultés à réussir que les autres ? Regrettez-vous toujours que personne n’ait pu vous aider avec celle-ci ? Pensez-vous réellement que développer des pouvoirs "magiques" vous permettra de compenser ce sentiment que ce que vous faites est insuffisant ? »

La réaction à l’évocation de se lier à une entité malaise l’électrolarynx. Culture judéo-chrétienne, tout comme moi ; même si j’ai moins de souci à me lier à une entité qu’à réussir à être suffisamment agréable pour qu’elle ait envie de faire cela au-delà du simple marché, ce qui est toujours appréciable lorsqu’on cherche à collaborer. "En savoir plus" avant de se décider est l’option choisie par la jeune femme et ne s’applique pas qu’aux arts infernaux ou vaudous. Ils s’appliquent à tout ; y compris prévenir les blessures et les soigner seulement si elle échoue à la première étape. Ce qu’elle fera. On le fait tous. Et on ne peut éviter tous les blessés. Je prends une profonde inspiration nasale.

La réaction à l’évocation de l’art tellurique obtient une connivence. Il n’y a aucun souci pour moi pour ne pas venir ici pour une culture ou une religion et seulement l’acquisition de connaissances pratiques. Encore une fois, je suis passé par là. Je tâche de ne pas juger mais de comprendre. De la comprendre.

La réaction à l’évocation du Chi est aussi expédiée que l’a été ma présentation, suite à mon conseil. Je trouve l’art Eldritch bien plus pertinent afin d’obtenir similaires effets à ceux du Chi sans risquer sa propre santé, même si ce dernier a des avantages sur le premier ; tout comme le premier des avantages sur le dernier. Si je devais élire le meilleur, cela resterait l’art de la lumière. Et de loin.

La réaction à la demande de sincérité est une attention pleine et entière. Sérieuse. Digne. J’apprécie.

La blessure comme un obstacle pas insurmontable. Elle n’a pas détruit sa vie. "Il y a bien pire que perdre la voix". C’est une perte tout de même. Un handicap. Néanmoins, si j’avais dû choisir entre perdre la voix et perdre les mains, j’aurais choisi la première. Les gens m’auraient peut-être même trouvé moins désagréable. Un électrolarynx est-il réellement "largement suffisant pour ne pas avoir de regrets" ? Je n’en souhaite pas à la jeune femme mais j’ignore si elle cherche à me convaincre ou à se convaincre elle-même. Je ne la connais pas assez pour savoir.

En tout cas, je la crois lorsqu’elle m’affirme réellement penser que les arts mystiques lui permettront de compenser ce sentiment que ce qu’elle fait est insuffisant. Ce complexe d’infériorité. Je me penche un peu plus en avant, visage vers mon interlocutrice, lorsqu’elle n’explique pourquoi.

Etudiante à l’université durant l’invasion Shitauri.

« Un des tirs a touché le bâtiment et une partie s'est effondrée sur un étudiant devant moi, m’explique-t-elle en me faisant comprendre la suite et le pourquoi du comment : sans pouvoir. Tout ce que j'ai pu faire ce jour-là, c'est de l'empêcher de souffrir avec ma mutation, sans pouvoir le sauver. »

Sans pouvoir puissant. Comme quoi il y a des mutants pour ne pas être élevé au rang de dieux parmi les humains par le hasard de la présence d’un unique gène qui ne les a pas rendus trisomique. Rassurant. Même si cela a été dramatique pour l’électrolarynx.

« Il n'a pas été ma seule motivation pour vouloir en faire plus, mais une des plus évidentes.

- Vous regrettez d’être une humaine dans un monde de surhumains, en somme, conclus-je simplement en me redressant. Vous êtes chanceuse que les arts mystiques ne dépendent pas d’une étincelle "magique" à l’instar du Gène X, ainsi qu’ils puissent s’apprendre et soient constants dans leur fonctionnement. Néanmoins… »

Je m’adosse en laissant mes mots en suspens, yeux toujours plissés à observer la jeune femme en face de moi.

« Où pensez-vous que les Maîtres des Arts Mystiques étaient durant la Bataille de New York, sachant qu’un de nos Sanctuaires s’y trouve ? »

J’ai toujours été impressionné par la discrétion avec laquelle l’Ordre s’est impliqué dans les Batailles de New York, contre les Shitauri, et de Londres, contre les Svartalfs. Après tout, les deux menaces viennent d’autres mondes et sont donc dans nos attributions mais aucun de nos membres n’a été vu les combattre. Je sais pourtant de source sure que Daniel Drumm et l’Ancienne protégeaient le Sanctuaire de New York durant l’invasion Shitauri. Tout comme je sais que, à l’époque, l’Ancienne était la seule à faire les déplacements pour régler les problèmes ; là où je veux que les Disciples voire leurs Apprentis s’en mêlent à présent, afin que la perte d’un Sorcier Suprême n’enraye pas complètement les actions proactives du reste de l’Ordre. Pas un super-héros. Des super-héros. J’inspire puis soupire.

« Nous ne sommes pas vraiment des super-héros, explique-je sombrement, me faisant l’avocat d’un diable que j’ai entrepris d’exorciser moi-même. Nos investigations visent à prévenir les intrusions d’autres mondes. Prévenir plutôt que guérir. »

La raison pour laquelle je ne suis pas Avenger alors même que je pense de plus en plus qu’ils auraient pu apprécier que je leur apporte du leadership, étant le seul à pouvoir me prétendre au même niveau que Stark dans le domaine ; peut-être même que Roger. Sachant que les prises de tête au sein des Avengers n’auraient pas été nouvelles considérant leur Guerre Civile.

« Quand l’on échoue à prévenir, on protège. Deux de nos membres ont été impliqués durant la Bataille de New York, même si l’Ordre est devenu plus interventionniste depuis que je suis à sa tête. »

Chose que Wong a suivi, déployant nombre de Disciples voire d’Apprentis durant la bataille finale contre le Thanos Alternatif. Les Arts Mystiques sont potentiellement la source la plus importante de pouvoirs pour l’Humanité, puisque chaque humain, mutant ou non, peut les pratiquer. Cela n’est pas souhaitable puisque plus les arts mystiques sont pratiqués et plus les pratiquants peuvent créer de nouvelles menaces mais c’est aussi une source potentiel de héros. De bienfaiteurs. Au-delà de notre mission sacrée. Même si aucun de ces bienfaiteurs n’est proactif. Nous restons réactifs.

« Nous ne patrouillons pas les rues comme des policiers. Cela vous permettrait de continuer votre vie de médecin, aidant ainsi les autres, mais signifierait que vous continueriez à ne pas empêcher les gens d’être blessés. Enfin, une fois les apprentissages de base réussis ; car ceux-ci vous réclameront beaucoup de temps. D’efforts. »

Je ne dis pas que les mutants ont des facilités avec leurs pouvoirs. Ce n’est pas le cas : ils peuvent en être les premières victimes et ils ont souvent le besoin de les exercer pour les maitriser. Ou au moins pour les contenir. Être performant dans les arts mystiques est comme être performant dans les arts martiaux, cependant. Dans n’importe quel sport ou discipline.

« Nous parlons d’heures, dis-je en me penchant pour poser ma tasse de thé sur la table, chaque jour. »

Penché en avant, je fixe l’électrolarynx au visage pour voir si elle est consciente du prix qu’il y a à payer. Je pose mes mains couturées de cicatrices sur mes cuisses ensuite afin d’avoir deux appuis supplémentaires pour me relever.

« Je comprends votre désir, explique-je solennellement, les bras le long du corps et surplombant la jeune femme. Je pense comprendre votre besoin, également. »

Pour ne pas dire que je le partage face à ces putains de télépathe.

« Une fois que je connaitrais votre nom, je pourrais vous souhaiter la bienvenue à Kamar-Taj. »

Ne pas penser à la présence ou à l’absence des Maîtres des Arts Mystiques lors des invasions de New York City, pleinement impliquée dans l’existence de l’électrolarynx, ou de Londres, bien plus lointaine, est la norme. L’énoncé de la jeune femme ne me fait donc pas plus la déconsidérer que n’importe qui d’autre. Son hypothèse me fait néanmoins sourire, en coin et avec amertume. Formulé autrement, mon interlocutrice croit que l’Ordre avait plus de recule que les Avengers et les forces de l’ordre newyorkaises : contenir la menace en laissant les autres la repousser. Si seulement. La vérité est bien moindre. Et est énoncée comme telle.

Je ne prends pas de pincette et l’électrolarynx ne semble pas en avoir besoin. Elle est habituée à la dureté, qu’il s’agisse de ses études et son métier ou de ses traumas. Faire vite. Faire bien. Faire.

« Je suis prête à le faire. »

Prête à essayer, tout du moins. Après les présentations qui me font tiquer, j’acquiesce à la nouvelle révérence. Il y en a clairement trop à mon goût mais van Saar veut se faire bien voir. Se faire accepter. De préférence sans se faire mettre à la rue pour lui apprendre de force l’humilité. Lorsque je compare son arrivée et la mienne… ce n’est pas du tout la même chose.

« Bienvenue à Kamar-Taj, Docteure van Saar, conclus-je donc comme promis. Votre guide va reprendre ses fonctions et vous faire visiter comme accompagner votre installation. Les horaires vous seront donnés. Pour les prochains mois, il faudra vous habituer à la vie monacale. »

Je laisserais les autres lui faire les explications quand au fait que nous soyons des moines modernes : Kamar-Taj a le wifi. J’en ai fini ici pour l’heure et je laisse le relais se faire pour préparer mon retour à New York, où l’on doit s’approcher des quatre heures du matin. J’ai une nuit à terminer, donc, même si elle sera courte. J’inspire et soupire alors que je récupère mon Anneau de Téléportation.

Alors que les souvenirs de mes premiers entrainements à ce qui est sans doute la canalisation la plus pratique de l’art Eldritch me reviennent à l’esprit, je ne peux m’empêcher de me dire qu’il y a une forme de symétrie entre la nouvelle arrivante et moi.

Dans le parcours, même si elle arrive ici bien meilleure que je ne l’étais.
Dans la volonté, même si elle arrive ici bien plus positive que je ne l’étais.
Dans le nom, même. Sophia van Saar. Stephen Vincent Strange. S.V.S..


Les horaires de Kamar-Taj sont similaires à ceux du Sanctuaire de New York, puisqu’ils les ont inspirés. Ils ne sont cependant pas exactement les mêmes.

A Kamar-Taj, on se lève avec le soleil ; soit aux alentours de 06:50am en la période de fin décembre. Laquelle doit être celle où les Maîtres des Arts Mystiques sonnent la cloche le plus tard. Ceux qui sont de cette corvée, toujours des Disciples et des Apprentis, se chargent de préparer le déjeuner pour tout le monde. Il s’agit de paratha, une galette à base de farine consommée avec du sucre ou de la confiture, ainsi que des nouilles ou des pains d’orge ou de sarrasin. Avec du thé, évidemment. Le service commence toujours une heure après le réveil, afin de laisser le temps de préparer le petit déjeuner. Pour les autres, des Disciples inspectent les cellules des Novices afin d’en vérifier la tenue. La discipline commence en faisant son lit et en rangeant ses affaires. Cela fait, c’est au sein des toits qu’ils s’en vont pratiquer les katas de l’art Eldritch. Novices, Apprentis et Disciples se tiennent tous ensembles, les uns face aux autres et en garde afin de pratiquer identiques mouvements en une fractale humaine qui encourage à l’harmonie. L’harmonie avec soi, l’harmonie avec les autres et l’harmonie avec la lumière qui nous environne et nous traverse tous. Aucune canalisation n’est pourtant faite cette heure. Lorsque l’annonce est faite, tout le monde se rend au réfectoire afin de petit déjeuner.

Entre le petit déjeuner et le commencement des classes, à 09am, se tiennent les tâches domestiques. Ceux qui ont les corvées de ménages s’en charge et, cette fois, il s’agit des Apprentis et des Novices. Pareillement pour l’entretien du jardin, lorsque la période s’y prête. Chaque semaine, les groupes de corvée changent mais chacun a toujours quelque chose à faire.

Les salles de classes se trouvent dans les tours. La lumière naturelle provient d’un puit de lumière au sein du plafond comme des fenêtres grillagées de symbole fractals. Des bancs se trouvent contre ceux-ci afin de déposer les affaires puis de franchir les colonnes et les marches jusqu’au-dessous du puit et à la salle de classe au sol de mosaïque. De nouveaux bancs et des sièges bas sont présents un peu partout, agencés selon ce que le Disciple professeur du jour enseigne aux Novices voire aux Apprentis souhaitant participer. Prendre des notes se fait à la main ou à l’ordinateur mais il est interdit de filmer ou de prendre des photographies ; et tous savent que la contravention les amènerait à être renvoyés de Kamar-Taj. Tous les cours ne semblent pas directement concerner l’art Eldritch. En effet, l’un des plus intrigants est la préparation du thé népalais, proche du thé darjeeling. Il est néanmoins important de comprendre que l’harmonie se trouve aussi dans les interactions les plus banales et que quiconque ne sait préparer le thé de la Maison de la Sagesse n’ira guère loin dans ses enseignements.

Chaque classe change chaque jour de la semaine, étant hebdomadaire, et dure jusqu’à 11am. Deux heures. Après cela, les participants doivent méditer au sein de la classe afin de mieux fixer ce qu’ils ont appris précédemment dans leur esprit. Cela dure jusqu’à ce que la cloche signale la fin des cours et le début du déjeuner ; préparé par un autre groupe de corvée composé de Disciples et d’Apprentis. Les classes étudient nombre de choses liées à l’art Eldritch et aux énergies personnelles comme universelles. Il s’agit d’intellectualiser, pour comprendre, ce que les katas amènent à ressentir.

Le repas dure de midi à 01pm. S’ensuit 30 minutes de pause pour discuter et digérer ainsi que se rassembler à nouveau, généralement sur les toits mais parfois aux cuisines ou au jardin. A partir du 02pm, les Novices sont alors amenés à s’entrainer avec l’aide d’Apprentis, testant ainsi leur capacité à transmettre ce qu’ils ont appris, et sous la supervision de Disciples, qui dirigent les travaux pratiques. Réussir à canaliser et obtenir des effets est le premier objectif de ces deux heures. Les premiers usages de l’art Eldritch sont la création de formes lumineuses puis de cercle de téléportation, les Anneaux de Téléportation étant prêtés pour la durée du cours, afin de réussir à manifester son lien avec la lumière environnante puis à l’étendre avec la lumière au-delà de ce que les sens perçoivent ; la destination ordinaire étant la cellule du Novice s’exerçant. Tous les Apprentis et les Disciples ne sont cependant pas là, comme pour les cours du matin. Les Disciples apprennent comme ils le souhaitent et enseignent à leurs Apprentis comme ils le souhaitent aussi.

Après ces travaux pratiques, les Novices sont invités à regarder les Disciples et leurs Apprentis pratiquer l’entrainement au combat. C’est à partir de 04pm qu’il commence et la durée varie selon les volontés des Disciples et les saisons. Le fait que le soleil se couche entre 05:15pm et 05:20pm en cette saison n’empêche pas ceux qui le souhaitent de continuer à s’entrainer jusqu’à 06pm comme c’est généralement le cas pour les autres saisons. Durant ces heures, les véritables membres des Maîtres des Arts Mystiques montrent leur progression et la préparation à leurs devoirs.

Tout le monde est de repos une fois les 06pm sonnés. Les douches communes, et modernes elles aussi, sont le premier lieu vers lequel nombre de gens se tournent. Les devoirs et les recherches personnelles sont également populaires.

Le diner sonne à 07pm, sous la garde d’une troisième équipe de corvée. Lorsqu’il est fini, vers 08pm généralement, tous sont invités à rejoindre leurs cellules. Il est possible de discuter jusqu’aux 10pm mais après cela seuls ceux de garde peuvent encore patrouiller ; et tout autre devrait éviter d’être pris hors de sa cellule sous peine de sanction. Les journées pouvant être éprouvantes, il est rare que quiconque s’y essaie. Sauf lorsqu’il s’agit d’un exercice, avec des Disciples et des Apprentis essayant de déjouer la vigilance de leurs homologues de garde afin de tester les défenses de Kamar-Taj. Seuls les Sorciers Suprêmes sont à l’initiative de tels exercices et seuls ceux recrutés en secrets sur l’offense savent qu’ils auront lieu. Aucun Novice n’y est jamais invité. Ni toléré. Il s’agit des affaires des Maîtres des Arts Mystiques or c’est un engagement qu’ils n’ont pas encore pris voire ne prendront jamais.