Premier décembre 2024. C'est la première fois depuis mon arrestation que je connais la date du jour. Elle est affichée sur la tablette que l'on vient de m'apporter. Caelestis a tenu parole, sur ce coup-là. Je la tiens entre mes mains légèrement tremblantes. Je touche l'écran et découvre ce que je peux en faire.
Il y a bien une connexion internet, mais elle est évidemment limitée. De nombreux sites sont inaccessibles, notamment tous ceux permettant de communiquer : réseaux sociaux, boîtes mails, forums. Plusieurs sites sont enregistrés dans les favoris : Disney+ (une plateforme de streaming pour les films de Disney, elle en avait parlé) et divers sites d'informations, comme le Marvel World Times en ligne. C'est à ça que je m'intéresse en premier lieu.
Je trouve divers articles nous concernant, surtout quand on sait lire entre les lignes. Des détails sur l'incendie d'un immeuble près du pont de Brooklyn (dommage que cet enfoiré de pompier pro-mutant s'en soit réchappé), des annonces pour des commémorations en mémoire des victimes (bande d'hypocrites aveugles), des bilans nécrologiques faisant état du nombre de morts (aucun n'est capable de donner un chiffre précis, certains disent plus de 400 morts, d'autres près de 500), un communiqué du S.H.I.E.L.D. parlant de leurs enquêtes et interventions contre le terrorisme (communiqué mensonger, je n'ai jamais été "livré à la cour pénale" ni "jugé", ils m'ont juste enfermé dans cette horrible prison).
Puis je tombe sur l'article. En date du 21 octobre. L'image qui l'illustre est un masque de Guy Fawkes en train de brûler. Les masques des Héritiers. Nos masques. L'article fait le parallèle avec la conspiration des poudres. Il parle de notre organisation, avec des détails précis et véridiques. L'article suivant est encore plus précis, concret, réel. De nombreuses arrestations en Angleterre et en Europe, les dirigeants des Héritiers derrière les barreaux, l'organisation en cours de démantèlement.
A mesure que je lis la page, je sens un vide s'amplifier dans ma poitrine, une torsion s'installer dans mon estomac. Je sens monter des larmes de rage qui me brûlent les yeux, mais je les essuie d'un geste brusque avant qu'elles ne coulent et ne brouillent ma vision. Je relis les articles plusieurs fois avant que mon esprit n'accepte entièrement ce que mon cœur a déjà compris. C'est alors un grondement qui monte depuis mes entrailles et s'amplifie en sortant de ma bouche. Le grondement se mue en hurlement de fureur alors que je jette violemment la tablette contre le mur.
Aveuglé par ma rage et mon désespoir, je ne contrôle ni mes émotions ni mes mouvements. Je donne de grands coups de pieds dans la couchette, saisis mon plateau repas et le fracasse à plusieurs reprises sur le passe-plats. Je bondis en tous sens dans ma cellule étroite, frappant les murs de mes poings serrés, sans cesser de hurler. Je ne sais combien de temps s'écoule avant que cette crise frénétique ne se calme. Elle s'arrête, simplement, d'un coup, lorsque mon regard se pose sur la tablette qui gît au sol.
Je m'en approche lentement, calmement, mais le visage marqué par une infinie tristesse. Je me laisse tomber à genoux. Je prends délicatement la tablette. L'écran est fracturé. Il en manque une partie. Le verre est facile à détacher. J'en prends un morceau de taille raisonnable, je le pose dans le creux de ma main droite et le fixe durant de longues secondes. Puis je le saisis entre mes doigts et l'approche de mon poignet gauche. La veine est bien visible, bien saillante, comme si elle s'y était préparée. Je pose le tranchant du verre dessus. Je ferme les yeux. Je prends une profonde inspiration. Il est temps d'en finir.
L’on dit que le temps est le remède à tous les maux et qu’il permet de faire en sorte que la situation, quelque qu’elle soit, puisse être améliorée. L’on dit également que le pardon est ce qu’il y a de plus difficile à obtenir de la part de quelqu’un d’autre. Si Willow est certaine du second, elle est totalement dubitative quant au premier dicton. Elle qui est invisible aux yeux des autres. Elle qui entend ce que l’on dit d’elle et de Wanda. Elle qui navigue entre le corps dominé par son double et le plan astral où elle retrouve un semblant de solitude. Elle voit bien le regard qu’on les gardiens sur les sorcières – écarlate et sombre. Elle voit bien ce qui se dit à la télévision dans le poste de commandement. Elle a bien remarqué les discours des rares personnes qui ont rendu visite à Wanda. En vérité, le temps n’efface clairement pas les blessures, il permet de creuser cette culpabilité qui les rongent l’une comme l’autre. Le pardon n’est pas difficile à obtenir, il est impossible à recevoir puisque même si l’acceptation est accordée dans de rares cas, les gens n’oublieront jamais ce que Willow a fait et ce que Wanda a subit pour elle.
La culpabilité et la douleur sont telles que l’ancienne sorcière sombre préfère s’éloigner de son double afin de ne pas l’empoisonnée de son tourment. Voguant dans le plan Astral, elle erre de cellules en cellules ou plutôt de couloirs en couloirs, se refusant à partir du Raft par respect pour Wanda qui purge sa peine de prison. C’est en errant au travers des murs qu’elle fut frappée par une grande désolation, combinée avec telle rage qu’elle semblait se retrouver comme avant le sortilège lancé par Wanda et Strange.
Si elle avait interdiction de prendre contact avec autrui, elle ne put se résoudre à rester dans l’ombre face à ce désarroi émanant d’un autre prisonnier. Se rendant sans attendre dans sa cellule pour tenter de comprendre ce qu’il se passait, elle le vit soudainement en train de prendre un morceau de verre brisé venant d’une tablette fraîchement détruite. Les yeux déterminés, elle reconnut aussitôt ce sentiment de vouloir tout arrêter, de dire tout simplement stop face à cette douleur qui ronge de l’intérieur. Sans attendre l’autorisation de qui que ce soit ni même sans prendre en compte le fait qu’elle pourrait avoir des représailles ultérieurs, Willow s’afficha à cet homme et uniquement à lui. Elle n’était pas vraiment entrée dans son esprit, ni même vraiment sortie du plan astral. Elle avait simplement choisit de se montrer à lui, et rien qu’à lui pour l’empêcher de faire ce geste définitif qui stopperait sa vie.
« Ne faites pas ça… »
L’apparition qu’elle lui offrait était la sienne, il verrait son visage mais qu’importe. Elle avait choisi de porter des habits neutres – peut-être pour ne pas le choquer davantage – un t-shirt bordeaux, une veste noire ayant l’apparence d’un cuir et un jean noir. L’apparition s’arrêtait au niveau des genoux et tout autour d’elle se trouvaient comme des brisures significatives d’un fragment de plan astral de couleur rouge.
C'est la fin pour moi. J'ai enduré le supplice de la prison parce que j'étais convaincu que ce pour quoi on m'enfermait injustement, notre lutte, continuait sans moi. Je croyais que les Héritiers me survivaient, tout naturellement, puisque je n'étais pas une pièce maîtresse de l'organisation, mais un simple soldat. A présent je sais, je viens d'en avoir la preuve, que les Héritiers sont tombés.
Alors à quoi bon vivre encore ?
D'ailleurs je ne vis pas vraiment. Je survis. Dans une boîte de conserve, sans fenêtre, sans voir la lumière du jour, sans jamais sortir prendre une bouffée d'air frais. Cet endroit est une oubliette. J'aurais dû me suicider lorsque le S.H.I.E.L.D. a attaqué l'entrepôt. Mais je n'en avais pas eu le courage. Aujourd'hui, je suis prêt. Ce n'est pas tant une question de courage que de désespoir. Je n'ai plus rien à attendre de cette vie, alors autant l'achever selon ma volonté.
Je suis en position, à genoux dans ma triste cellule, le morceau de verre posé sur mon poignet. Je n'ai qu'un geste à faire, et cette vie sera finie. Les yeux fermés, je pense une dernière fois à ma pauvre mère. Je suis prêt à rejoindre le Shéol, à redevenir poussière. Mais je n'ai pas encore amorcé le geste fatal qu'une voix féminine m'interrompt. Je sursaute et rouvre les yeux, m'attendant étrangement à voir ma mère. Mais ce n'est pas elle.
La femme qui me regarde en m'affirmant que le suicide n'est pas la solution est plutôt jeune, rousse, vêtue de sombre. Elle semble flotter dans les airs, d'ailleurs elle n'a pas de bas de corps. Elle est entourée d'une sorte de halo rougeâtre et fragmenté. Je la fixe quelques instants, partagé entre la surprise et l'indignation. Je sais pourtant que ce n'est pas un rêve. Je marmonne alors, à mon intention plus qu'à celle de cette apparition :
« Ca y est, je deviens fou. »
Ce n'est pas la première fois, depuis que je suis ici, que je suis sujet à des hallucinations. Mais mes précédentes visions étaient causées par mon état avancé de manque. Et elles étaient bien plus concrètes, réalistes. J'en frissonne d'ailleurs en repensant à cette atroce apparition de Hunter m'insultant et me mettant à mort par le feu. Cette fois, l'hallucination est plus poétique, plus abstraite, me faisant penser à une sorte d'esprit qui me viendrait en aide. Mais je l'accepte. Si mon cerveau malade a décidé de la créer, autant prendre le temps de lui répondre.
« Et dis-moi, quelle serait la solution ? Quel autre choix s'offre à moi ? J'ai tout perdu, tu le vois bien. Que pourrais-je encore espérer de cette vie ? »
Je suis convaincu d'avoir sombré dans la folie et que je suis en train de parler à une personne qui n'existe pas. Peu m'importe que les gardes entendent ce que je raconte. Peu m'importe qu'ils comprennent que j'ai perdu la raison. Ils devaient s'y attendre, de toute façon. Pourtant, une toute petite voix quelque part dans mon esprit, pas plus élevée qu'un murmure, me chuchote que je connais ce visage… comme lorsque l'on recrée des lieux ou des personnes en rêve à partir d'éléments de la réalité… mais sans parvenir à mettre le doigt dessus.
Intervenir n’était peut-être pas la solution, mais ne pas intervenir n’était plus dans ses capacités. Autrefois, Willow aurait simplement passé son chemin parce que l’intérêt des autres n’était pas important à ses yeux, ou bien peut-être qu’elle aurait observé la scène afin de s’assurer que l’individu allait réussir son coup ou qu’il agisse de façon sanglante. Mais désormais qu’elle avait une âme imbibée d’émotions et une conscience remplie de culpabilité, il ne lui était plus possible de ne pas intervenir dans ce genre de cas de figure.
Alors oui, elle s’était montrée à lui dans un espoir ultime qu’il stoppe son geste et qu’il décide de ne plus intenter à sa propre vie. Elle savait peu de chose à propos du suicide, mais elle savait que ce genre d’agissement était le plus souvent dépourvu de réflexions, fait sur l’instant dans un moment de perdition de l’âme. Elle savait que parfois, peu importe ce que l’intervenant peu dire, il n’y a plus rien à faire lorsque la personne a choisi de passer à l’acte, mais parfois, il arrive qu’une présence, des mots et un moment où l’on ne se sent pas seul et la pensée sombre disparait tel un voile qui s’envole avec la tempête passée. Willow avait également choisit de montrer son visage. Elle aurait pu prendre une apparence familière pour cet homme perdu, et tenter de corrompre son esprit afin qu’il se stoppe aussi simplement qu’un claquement de doigts, mais elle avait choisi de ne pas procéder de cette manière, non, elle voulait le convaincre, le persuader par ces mots que le petit bout de verre n’était pas la solution :
« Vous n’êtes pas fou, mais ce geste n’est pas la réponse à tous vos maux. »
Loin de vouloir se mettre à sa place et de lui dire ce qu’il devait faire ou non, la sorcière qu’elle était s’était contentée de l’interrompre, mais sans vraiment songer à la conversation qui allait suivre et que celle-ci serait probablement l’une des plus importantes de sa vie. Plongeant son regard dans celui démuni et perdu de l’homme qu’elle avait en face d’elle, elle se sentit descendre à sa hauteur comme si elle souhaitait se rapprocher de lui et pourtant elle n’avança pas dans sa direction, non, elle se rapprocha simplement du sol, donnant dorénavant l’impression qu’elle sortait du sol et non de l’air ambiant. Le tutoiement avait été mis en place par cet homme dont elle ne connait aucunement l’identité, mais qu’importe. Si cela pouvait l’aider alors soit :
« L’autre choix serait de songer à ce que l’avenir te réserve. Tu sembles avoir tout perdu, mais la vie, ta vie est plus précieuse que le reste. Une vie, c'est terriblement court et il ne faut pas songer à l’écourter encore davantage alors que je suis certaine qui tu peux accomplir encore beaucoup. »
Willow réfléchit à ce que Charles avait pu dire à propos de l’espoir. Il avait toujours été le meilleur pour parler de cela, pour transmettre cette notion d’espoir aux autres et à dire vrai, l’espoir était le mantra de beaucoup de personnes puisque sans espoir, il n’y a plus de raison de vivre.
« Pour l’instant, tu as l’impression qu’il n’y a plus rien à espérer, mais je suis certaine qu’il y a encore quelque chose que tu désires au fond de toi, quelque chose qui fait que tu as cette raison de vivre et de ne pas en finir tout de suite dans l’instant. Il y a forcément quelque chose, même minime qui pourrait t’aider et moi également, je suis prête à t’aider à trouver cela. »
Et voilà que Willow devenait altruiste, à vouloir aider quelqu’un qu’elle ne connaissait pas pour sa simple personne sans en tirer profit de son côté. Comme quoi, tout le monde pouvait changer et avoir le droit à une seconde chance.
La femme immatérielle qui est apparue dans ma cellule, qui est entourée d'un halo rougeâtre et dont le corps est coupé à la moitié et s'enfonce à présent dans le sol, m'affirme que je ne suis pas fou. Hum. Je hausse brièvement un sourcil sceptique mais ne réponds pas. A quoi bon argumenter avec moi-même sur ce point. Ce n'est pas ça le plus important.
Je l'écoute me dire qu'il me faut voir ce que l'avenir peut me réserver. Mes sourcils se froncent lorsqu'elle me certifie que ma vie est précieuse. Je n'ai jamais pensé ainsi. Ma vie a été mise au service d'une cause et j'étais prêt à la donner pour elle. Du moins je pensais être prêt à le faire. Personne ne m'a jamais dit que ma vie était précieuse. Et que pourrais-je encore accomplir ?
Que pouvais-je encore désirer ? La question me laisse dubitatif. Mais cette hallucination a raison : je dois bien avoir encore une raison de vivre, sinon elle ne serait pas apparue au moment où je comptais en finir une bonne fois pour toutes. Mais il va en effet falloir qu'elle m'aide à trouver cette raison.
« Ma vie… ne vaut rien… »
Qu'elle ne se méprenne pas : je ne suis pas en train de me lamenter sur mon sort. J'énonce un fait, cruel, véridique.
« J'étais doué. Je faisais partie des meilleurs. Mais à présent… je suis un soldat sans état-major… une arme que plus personne ne peut manier et que l'on a rangé dans un tiroir pour qu'elle prenne la poussière. »
Sans oublier le fait que je suis de toute façon coincé ici, bien loin de chez moi. Je ne pourrai jamais sortir de prison. C'est ce que l'agente qui m'avait arrêté m'avait affirmé. Mais… pourtant… il y a Caelestis… Pourquoi se donnerait-elle la peine de venir me voir, de me soigner, s'il n'y avait aucun avenir pour moi ?
« Et quand bien même je pourrais sortir d'ici, que pourrais-je faire ? Que devrais-je faire ? Poursuivre la lutte tout seul ? Travailler pour Caelestis ? Toute ma vie… était tracée… décidée depuis mon enfance… et maintenant que les Héritiers sont tombés, je... »
Je sais que les Héritiers sont tombés, je l'ai lu, je l'ai compris. Mais le formuler à voix haute est douloureux. Cela rend cet état de fait si réel. Si horrible. Ma gorge se serre et ma voix monte dans les aigus alors que je m'efforce de contenir cette détresse immense qui ne demande qu'à me submerger.
Avoir les bons mots, les bonnes paroles afin d’empêcher que le pire se produise. Même si Willow ne le connaissait pas, elle n’avait plus cette soif de mort et de dévastation. Non. Pour elle, la vie était précieuse désormais et même s’il s’agissait d’un criminel, aussi cruel soit-il pour être enfermé au raft, elle ne pouvait se résoudre à le laisser se supprimer sans intervenir.
Si elle avait conservé cette vision limite fantomatique de sa présentation à lui, elle avait fait en sorte de se mettre à sa hauteur pour ne pas lui donner une quelconque impression de soumission, mais lui monter qu’elle était bien là pour le soutenir et rien d’autre. Elle tenta d’avoir les mots justes même si elle n’était pas sûre d’elle en cet instant. Non pas qu’elle ne croyait pas en ce qu’elle disait, mais plutôt qu’elle ne savait pas si elle viserait juste. Parler avec son cœur – ou dans le cas présent son âme – cela signifiait surtout donner un petit bout de soi pour avancer. Cependant, pour lui, sa vie importait peu, elle n’avait pas de valeur et cette triste constatation, Willow ne sut comment y répondre. Elle le laissa s’exprimer davantage à la place. Réfléchissant à ses propres faits d’armes qui pourraient l’aider à le soutenir lui.
« Si tu étais considéré comme simplement une arme, c’est normal que tu aies cette impression que ta vie ne vaut rien. Parce que c’est ce que l’on t’a toujours fait croire. Mais crois-moi quand je te dis que chaque vie est précieuse, et la tienne également. Tu n’es pas une arme, tu es un homme meurtri qui a besoin d’une raison pour surmonter sa douleur et se relever. »
Il reprit la parole et ce qu’entendit Willow la laissa un instant en proie au doute et à l’effroi. Elle était en train de parler à un criminel, ça elle le savait déjà puisqu’il était bel et bien prisonnier du Raft, mais le fait qu’il évoqua son nouvel employeur potentiel ne la fit pas réagir. Non, c'était la mention suivante. Maintenant que les Héritiers sont tombés… il était un membre des héritiers. Ce groupe extrémiste dont les filles avaient entendu parler via les conversations des gardes et les informations que Willow avait glanées en espionnant via le plan astral. L’homme qu’elle avait en face de lui était un anti-mutant, un terroriste qui avait assassiné des dizaines – si ce n’est des centaines de mutants. Elle sentit son cœur se serrait et sa colère montée lentement sans pour autant qu’elle ne l’envahisse. Le fait était que dorénavant Willow avait plus de mal à laisser monter la colère en elle. La faute au rééquilibrage de leurs personnalités.
Cependant, la sorcière conserva un regard qui se voulait plus neutre face à cet homme. Si elle avait une quelconque colère contre lui, elle avait également la volonté persistante de lui venir en aide. Merci la bonté de Wanda qui s’était infiltré dans les antres de sa nouvelle personnalité.
« Cela ne signifie pas que ta vie doit s’arrêter en même temps que les héritiers. Si tu leur as survécu, c'est pour une bonne raison. Peut-être qu’en effet, le travail pour cette Caelestis est une première solution ? Peut-être que cela signifie que tu as une chance de faire mieux les choses ? »
C’était peut-être sa chance de lui faire comprendre que les héritiers étaient des radicaux et qu’il y a forcément un autre chemin comme celui que Willow avait emprunté en étant devenu le double de la sorcière rouge :
« Et si les héritiers n’étaient pas la bonne solution ? Et si tu avais véritablement une seconde chance ? Tu y as pensé ? Peut-être que la réponse viendra bientôt, mais pour cela, tu dois rester en vie et attendre que celle-ci se présente à toi. La mort n’est pas la solution. Elle n’est qu’une facilité, mais le vrai bonheur s’obtient en restant bel et bien ici et en combattant nos démons intérieurs. »
Elle est en train de critiquer mon éducation et mes principes, de remettre en cause ceux en qui j'ai toujours cru. Non. JE suis en train de remettre en cause ceux en qui j'ai toujours cru. Caelestis a bien fait son travail. Elle a planté la graine du doute dans ma tête, et même si j'ai fait de mon mieux pour ne pas l'écouter, pour ne pas tenir compte de ce qu'elle me disait… Je pensais que ma foi envers les Héritiers était inébranlable. Mais je ne suis pas inébranlable. J'en ai fait l'amère expérience.
La voix de ma conscience insiste. Elle dit des choses horribles, impensables, blasphématoires, que je ne veux pas entendre. "Et si les héritiers n’étaient pas la bonne solution ?" Jamais auparavant je n'aurais pu penser une chose pareille. Cela n'aurait jamais pu ne serait-ce que me venir à l'esprit. Je secoue mollement la tête de droite à gauche. Je tente de résister encore un peu, faiblement, dans un murmure.
« Tais-toi... »
Tout ça c'est de la faute de Caelestis. Elle a critiqué nos méthodes, elle a pointé du doigt les incohérences et les problèmes de l'organisation. Je ne voulais pas l'écouter, mais à l'évidence ce qu'elle m'a dit a chamboulé mes certitudes. Hérésie. Quelle ingratitude. Comment puis-je ainsi douter d'eux ? Alors qu'ils m'ont tout donné, alors qu'ils m'ont forgé ? Comment pourrais-je les combattre ? Comment puis-je seulement y penser ? Je me lève brusquement, me recule et hurle :
« TAIS-TOI ! Ils m'ont tout donné ! Ils ont fait de moi celui que je suis aujourd'hui ! »
Et regarde-toi. Ce n'est pas vraiment une réussite.
« ARRÊTE ! »
Je lâche le morceau de verre et me prends ma tête entre les mains pour la serrer fort, comme si cela pouvait suffire à faire disparaître la silhouette et toutes ses mauvaises pensées. Mais je sens, je sais, que c'est un combat perdu d'avance. Et je m'en veux tellement. Faire le deuil des Héritiers est insupportable.
« Ils ont bâti un empire dont j'ai eu la chance de faire partie ! Comment est-ce que tout a pu s'écrouler ? Mon Dieu, pourquoi ? POURQUOI ?! Ne nous as-tu pas déjà assez persécutés ? »
A ma colère se mêle une violente et sourde tristesse. Elle s'exprime par les larmes qui coulent sur mes traits déformés par la détresse, même si je ne les sens pas. Je suis dans un état second. Au bord de la folie, une fois de plus. Je contemple l'abîme qui s'est ouvert devant moi, alors que toute ma vie s'est effondrée. Je n'ai que deux choix possibles : reconstruire autre chose, ou sombrer dans l'abîme. Mais je suis trop lâche pour ça.
Parler à âme ouverte et parler de façon neutre pour lui laisser entendre que se tuer n’est pas la solution mais également que les héritiers n’était pas la solution… Willow ignore si dans le fond, elle a bien fait d’emprunter ce chemin-là. Après tout, elle n’est pas altruiste, elle n’est pas Wanda. Pour autant, il lui aurait été impossible de savoir et de rester impassible, d’avoir su et de ne pas avoir agi… Ce n’était pas pensable pour elle…
Il se braque, et en même temps son endoctrinement devait être sacrément costaud pour qu’il pense ainsi… qu’il veuille même se supprimer parce que justement les héritiers ont été décimés… Il lui ordonne de se taire mais alors qu’il recule, Willow avant lentement :
« Il t’ont peut-être tout donné mais ils t’ont laissés tombés, et ils sont tombés, preuve qu’ils ne sont pas si infaillibles, preuve qu’ils n’étaient pas la perfection… »
Il lui hurle d’arrêter de parler mais c’est surtout le fait qu’il lâche enfin le morceau de verre qui fait taire Willow, elle s’avance encore jusqu’à donner un coup de pied astral dans le morceau de verre pour le faire bouger et l’éloigner encore davantage de lui. Les larmes de cet homme – aussi cruel peut-il être et avoir été – touchent de plein fouet Willow qui si elle avait été dans le corps de Wanda, aurait probablement versé sa larme également, par soutien et par compassion… La compassion est encore toute nouvelle pour elle et décidément, elle a bien du mal à s’y faire… Pour autant elle s’approche de lui sans le toucher… Tout geste pourrait être nuisible à ce qu’elle avait d’ores et déjà accomplis ce soir… D’une voix douce et protectrice, elle s’exprima afin de le convaincre de panser ses plaies d’une autre manière que la mort :
« Cela a été une partie de ton existence, c’est un fait mais cette partie n’existe plus. C’est une page qui se tourne et il te faudra du temps pour l’accepter mais saches que les héritiers t’auront appris à être suffisamment fort pour surmonter leur perte… Tu y arriveras, tu iras de l’avant… Pas demain, ni probablement après-demain mais un jour prochain, tu connaitras une nouvelle voie, une voie plus apaisée, plus sereine et là tu verras que cette page est tournée et qu’un nouveau chapitre de ta vie s’ouvre à toi… »
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