[Terminé] Reconnaissance

On aurait dû le faire quatre jours plus tôt. Dès notre retour du World. C’est ce qui nous a permis de partir, après tout. C’est ce qui nous a permis de revenir ici sans aller contre notre programmation. Programmation qui n’a pas besoin que l’on soit en vie pour s’exécuter. Cela tombe bien : on n’est plus réellement en vie. Métaphoriquement parlant. Les trois qui travaillent le font sous forme adamantine. Les deux qui ne travaillent pas restent isolées et font les tâches ménagères ; notamment l’entretien vestimentaire, déséquilibré du fait qu’on soit passé de trois à cinq. Ce n’est pas la seule chose qui est déséquilibrée à présent. On l’est toutes.

L’un des rares points d’équilibre qu’il nous reste en tient à savoir qu’on peut effectivement accomplir notre programmation si le besoin s’en fait sentir. On n’a pas besoin de rester en réserve au World car on connait un téléporteur qui pourra nous y remmener quasi-immédiatement si l’Arme XIV a besoin d’être activée. Père a trouvé ce compromis, sans que l’on sache si c’est un hasard ou s’il connait l’existence de monsieur Wagner. Notre relation avec ce dernier est étrange : il est la première personne que l’on ait rencontré à l’Institut. Céleste l’a croisé alors qu’il lisait la tête en bas, accroché au lustre de la bibliothèque. On était toutes curieuses. Très curieuses, du fait de sa forme étrange. Pourtant, on n’a jamais pris le temps de le côtoyer. Au-delà de la mission Maximoff. Comme avec mademoiselle d'Ancanto, on n’a jamais donné suite. On ne peut pas réellement dire qu’on le fait, aujourd’hui.

Cela fait un quart d’heure que les employées ont terminé leur office et sont remontées à la chambre. Qu’on soit membre du personnel ou non, on a toutes la tenue de travail ; la seule possédée en quinze exemplaires. Chemises blanches à col bateau et liseré noir, jupes droites noires, collants noirs, ballerines noires. Qu’importe combien on tâchera de se ressembler pour confondre les autres, pour être en sécurité entre nous, il y a toujours les trois plus vieilles et les deux plus jeunes. La tenue n’y changera rien. La coiffure n’y changera rien. Même lorsqu’on prend le temps de s’assurer qu’elles soient identiques, ayant retournées nos coiffeuses vers l’intérieur de notre chambre pathétique. Pas réellement cinq : trois plus deux. Heureusement, on est intérieurement les Cinq-en-Une. Même si ce n'est plus comme avant. Déséquilibre.

L’un des rares points d’équilibre qu’il nous reste en tient à savoir qu’on peut effectivement accomplir notre programmation si le besoin s’en fait sentir. On a suffisamment récupéré pour être prêtes à aller le demander. On pense, on sait, que ni monsieur Xavier ni madame Darkhölme ni Jean ni même Kali n’apprécieront qu’on le fasse. Cette dernière comprendra peut-être pourquoi, même si on n’en est pas certaines. Cela doit être fait. Une télélocalisation depuis notre chambre et on sait où se trouve monsieur Wagner. On commence à débattre du nombre à aller à sa rencontre : Céleste pourrait suffire tandis que le trio entier éviterait qu’elle ne galère et que le quintette amènerait possiblement trop de discussion ; même s’il nous parait difficile d’éviter la curiosité, qu’elle soit sur notre état ou sur nos nouvelles.  On inspire toutes profondément avant de franchir à nouveau la porte de notre chambre pour aller le confronter. A trois.

« Bonjour monsieur Wagner, le salut-on à l’unisson après avoir toqué à la porte de la pièce où il se trouve et attendu une autorisation d’y rentrer. Nous espérons que vous allez bien et tâchons de faire aller de notre côté. »

Ce qui est un succès retentissant, considère Esmé. L’ironie c’est dire l’inverse de ce qu’on pense donc pas d’ironie en pensée, rappelle Phoebe. Est-ce que c’est vraiment de l’ironie du coup, demande Sophie. On va pas se disputer pour ça, demande Mindee. On se disputera pour autre chose alors, considère Céleste.

« Nous aurions un service à vous demander, confesse-t-on à trois en attrapant nos poignets droits de nos mains gauches et en tâchant de ne pas être trop gênées. Nous ignorons ce que les fichiers X-Men rapportent de notre retour au World de vendredi dernier…

- Mais, continue celle de gauche, parlant légèrement plus fort que les deux autres.

- Disons que, hésite également celle de droite, parlant légèrement plus bas que les deux autres.

- Nous aurions besoin de votre aide si nous devons d’y retourner en urgence, conclut celle du centre, parlant légèrement plus sèchement que les deux autres.

- C’est important, assure-t-on à trois en le regardant, aussi droite et digne qu’on y arrive malgré nos gorges qui se serrent en guise de ponctuation. Pourrez-vous nous y téléporter si jamais on vous le demande, s’il vous plait monsieur Wanger ? »

Monsieur Wagner n’était pas loin : notre étage, celui des chambres des membres du personnel. Il n’en est pas réellement un employé mais il est membre des X-Men ainsi a-t-il le droit à sa chambre personnelle plutôt que partagée. On n’y est jamais entrées. On ne le fera probablement pas aujourd’hui.

Lorsqu’il nous nomme "miss Stepford", on penche à trois la tête sur le côté. La surprise passe aussi vite que le débat pour savoir si on le corrige ou non quant à l’erreur d’appellation. On n’en fait rien. On n’est pas réellement en droit de corriger quelqu’un de sa qualité.

Il va bien de son côté, prenant un peu de repos avant d’aller manger. On acquiesce à l’information avant de continuer nos paroles, n’ayant pas souvenir de savoir avec qui il mange là où les trois plus âgées d’entre nous le faisaient avec Kali et Jean matin, midi et soir ; sous réserve de disponibilités, lesquelles excluaient Jean des midis en semaine du fait de sa scolarisation à l’Université Columbia.

Lorsqu’il hésite face à notre demande, nos trois mains se serrent sur nos trois poignets ; à l’instar de nos cinq gorges, même si seulement trois sont visible.

« C'est possible oui, mais, je ne crois pas que cela soit permis, hésite-t-il en nous faisant nous tendre… On pourrait avoir des problèmes non… ? »

Même sa question est mal assurée, constate Esmé malgré son absence de présence physique. Forcément, il ne veut pas de problèmes et on n’apporte que ça, conjecture Phoebe. Ce qui peut en être un pour vous, constate Sophie à l’intention de ses trois sœurs adultes. On va pouvoir en discuter, conjure Mindee. Il faudra bien, confirme Céleste.

« Nous comprenons votre peur de madame Darkhölme, acquiesce celle de droite avec une douceur malaisée.

- Cependant notre présence ici est dépendante d’un moyen de retourner là-bas très rapidement, avertit celle du centre avec une douceur malaisée.

- Nous pourrions avoir des problèmes, admet celle de gauche avec une douceur malaisée, mais nous endosserons toute responsabilité envers ceux-ci. »

Au pire, proposez-lui de dire qu’on l’y a forcé. Je n’aime pas ce que tu sous-entends ni que tu sois prête à mentir. Je ne suis pas certaine que ce soit bien différent de quand tu fais les gros yeux aux élèves pour qu’ils se comportent bien. Alors oui mais non c’est pas pareil : Phoebe fait ça à ceux qui transgressent les règles. Aucune règle ne nous interdit de demander à monsieur Wagner de nous emmener ailleurs. +1 Mindee et Céleste. Aucune règle explicite mais Mystique considère l’Arme Plus comme son ennemi. Je suis désolée les filles mais sans téléporteur on ne reste pas ici. On sait Sophie, maintenant il faut voir à convaincre Monsieur pour cela. Ou reprendre contact avec l’agent Smith du SHIELD.

« C’est… très important pour nous, hésite-t-on à trois. Primordial, même. Promettez-le nous, s’il-vous-plait. »

On attend en fixant monsieur Wagner, mains sur les avant-bras et serrant ceux-ci car le stress les a fait légèrement remonter. On tâche de rester droite et digne mais on a peur. Enfin, à deux exceptions près.

Et s’il promet mais ne tient pas parole, vous savez qu’on va devoir le forcer ? Il tiendra parole Esmé, c’est quelqu’un de confiance. Ce qui le différentie donc de vous. Oui Sophie, on est décevantes sur ces points comme tant d’autres. Espérons qu’on puisse limiter la casse.

Monsieur Wagner roule des yeux lorsque l’on énonce comprendre la peur de madame Darkhölme, accroissant le malaise au-delà de la douceur qu’il accompagne. Difficile de savoir à quel point on l’exaspère mais il devient d’autant plus clair qu’il est aligné avec Mystique. Si celle-ci lui interdit de nous emmener, il ne nous emmènera pas. Comme pensé, elle considère l’Arme Plus comme son ennemi. On est l’Arme XIV. Tout ceci est-il une mascarade pour nous tranquilliser ? Esmé aurait-elle raison quant à la nécessité de compromettre notre moralité voire de "trahir" si le moment vient ? On insiste. Ce n’est pas dans nos habitudes et il vaudrait surement mieux chercher un autre moyen mais on insiste.

Cela fonctionne.

Un affaissement des épaules alors qu’il réfléchit.
Un regard à chacune des présentes, qui attendent avec malaise et désolation.
Un accord. Une déclaration. Une promesse.

Cinq sourires pleins de gratitudes, même si seulement trois sont visibles. Monsieur hoche la tête en ponctuation et on l’imite à trois.

« Merci beaucoup, lui sourit-on alors que les émotions se mélangent, la gratitude envers Monsieur concurrente de l’envie de s’excuser de lui demander cela, de la honte d’avoir à le faire et de la crainte que sa promesse ne soit creuse et que l’on doive être monstrueuses le moment venu. Merci, monsieur Wagner. »

Trois mains gauches s’en viennent prendre trois poignets droits alors qu’on continue de faire face sans plus savoir trop quoi dire ou quoi penser. Ce n’était pas le bon moment pour nous de venir mais on aurait déjà dû le faire bien avant. Dès le vendredi. Dès le retour du World. On imagine notre avenir et il n’est pas radieux. On sait aussi que c’est un effet de notre trouble psychiatrique. On a eu une simple discussion mais elle nous a grandement fatiguée ; là où elle n’aurait dû nous réclamer guère d’énergie. La fatigue était certes présente avant même de venir, du fait des insomnies et de la perte d’appétit, mais elle s’est grandement amplifiée.

Vous êtes mauvaises, soupire Esmé. Presqu’autant que toi, répond Phoebe. Moi je dirais qu’on est toutes au même niveau, supporte Sophie. Toutes au même niveau mais avec ses spécialités, ricane Mindee. Oui, conclut Céleste.

« Nous n’allons pas vous déranger plus longtemps, dit-on à trois en s’inclinant légèrement. Merci encore. »

Ce qui s’est joué ici est peut-être le point le plus important pour notre avenir à l’Institut. C’est une bonne chose de faite. Cela étant, on ne sait pas quoi dire de plus. On n’a plus la curiosité qui nous motivait en arrivant ici. On n’a plus non plus la sociabilité. On reste entre nous en acceptant les soutiens de nos proches, quel qu’en soit la nature et quelques soient les conséquences. Si monsieur Wagner n’a rien à ajouter, on se retirera simplement. S’il souhaite parler plus avant, on lui répondra avec toute l’amabilité dont on est encore capable : on lui est redevable et Céleste a longtemps été curieuse de lui, après tout.