« Adoptez une attitude de gratitude et remerciez pour tout ce qui vous arrive, en sachant que chaque pas en avant est un pas vers la réalisation de quelque chose de plus grand et de meilleur que votre situation actuelle. » Brian Tracy
La routine est la même depuis deux semaines : se réveiller, prendre une douche, s’habiller avec suffisamment de matière pour se protéger du soleil — quoique la saison hivernale aide grandement ses sorties, et enfin quitter l’appartement généreusement prêté par le S.H.I.E.LD. pour rejoindre les bureaux de Manhattan.
Là-bas aussi, le rituel est le même : il se présente à 8h50 précise, salue l’employée qui se trouve à l’accueil, obtient son badge après avoir échangé quelques banalités avec celle-ci, puis il s’avance pour passer la sécurité qui, depuis quelques jours, commence à le reconnaître et même à retenir son nom, pour arriver dans le grand hall où siège une imposante sculpture en forme d’aigle, à l’effigie du symbole de l’organisation. Ensuite, sans éprouver la moindre hésitation car il connait le chemin par coeur, il se rend d’abord dans les laboratoires pour récupérer sa poche de sang, indispensable à sa survie mais également au maintien de son calme, comme il préfère la nommer. C’est un euphémisme, mais c’est bien plus facile de l’aborder ainsi.
Au début, il se contentait de prendre sa poche de sang, de la consommer à la vitesse de l’éclair par gêne et par honte, puis de s’éclipser aussi rapidement que possible ; désormais, il connait le nom des laborantins qui travaillent ici, et il n’est pas rare qu’il s’attarde pour bavarder un peu, échangeant au sujet des questions de science, qui le passionnent toujours autant.
Aujourd’hui, encore, il a suivi le même schéma de gestes et d’actions mais, alors qu’il se trouvait dans le grand hall, il eut une idée aussi fugace que saugrenue : cette idée était sans nul doute mauvaise, mais il ne pouvait pas en être sûr avant de l’avoir exécutée. Ainsi, après un bref détour à la cafétéria du bâtiment, il avait demandé son chemin à un laborantin qu’il lui était suffisamment amical et familier pour accepter, puis il emprunta le chemin pour se rendre devant le bureau de Mademoiselle Orchent, à qui il doit la liberté.
Profitant que la porte soit entrouverte, il s’avance de quelques pas en toquant à l’aide de son index libre et replié contre celle-ci, tout d’abord pour manifester sa présence : affichant un sourire chaleureux, restant sur le seuil du bureau avant qu’elle ne décide de l’inviter, si elle devait le faire. « Bonjour… Je ne vais pas vous déranger longtemps, je suis sûr que vous êtes occupée. » À remettre des gens comme moi en liberté, peut-être. Est-ce qu’ils lui apportent tous à boire ? Ça fait beaucoup de caféine, quand même. « Enfin, je passais comme tous les matins et je me suis dit que… » Joignant le geste à la parole, il se permet de faire quelques pas pour déposer le gobelet de café encore chaud sur le bureau, en pressant ses lèvres dans un sourire cordial, avant de reculer de quelques pas. « Ça pourrait vous faire plaisir. » Il ne s’assoit pas, il attend qu’elle l’invite à le faire : si elle lui demande de partir, il le fera. Cela ne l’empêchera pas de revenir, ceci dit.
Célestine Orchent Caelestis Agent du S.H.I.E.L.D. Niveau 7 S.W.O.R.D.’s H.B.I.C.
Bien que ma situation évolue du fait de la diversification liée au niveau d’accréditation 6 puis de la nécessité de diriger une équipe liée au niveau d’accréditation 7, je reste avant tout rattachée à l’Index et à l’analyse des capacités surhumaines, la mise en place de contre-mesures et les applications à la Rechercher et au Développement. En bonne ingénieure, cela se passe la majorité du temps dans mon bureau via l’outil informatique. Analyse des résultats obtenus lors des tests. Théorisation de faiblesses et planifications de systèmes pour les exploiter. Hypothèse de moyens de synthèse artificielle des capacités et d’utilisations paramilitaires. Mon équipe travaille sur la mise au point de brouilleurs télépathiques. Je suis également en lien avec l’équipe chargée d’un sérum conférant des pouvoirs de synthèse et j’ai été consultée par l’équipe s’occupant des amortisseurs inertiels. Parallèlement. J’ambitionne de réutiliser directement des propriétaires de capacités surhumaines incarcérés en leur offrant la liberté en échange de la servitude. S’en serait orwellien mais je tiens à accompagner lesdits prisonniers afin qu’ils puissent se réinsérer. C’est effectivement injuste car ils échappent à la Justice. C’est le plus efficace pour qu’ils contribuent de leur mieux à la société.
Luke Hunt est un mutant artificiel psychologiquement instable avec un passif de tueur en série motivé par un fantasme de justice. Il s’est rendu de lui-même à la SHIELD et a confié son ADN afin de pouvoir en faire un Facteur Guérisseur Synthétique. Il a été le premier candidat à mon programme. Sa libération date du 23 septembre 2024. Ses consultations de suivi sont trihebdomadaires. Lundi, 09AM, scientifique. Mercredi, 09AM, psychologique. Vendredi, 09AM, suivi général. Toutes les séances n’ont pas été faites. La majorité l’a été.
Ce matin, elle l’est.
Hunt a été accompagné par un agent jusqu’à mon bureau. Celui-ci se situe dans les étages à la base de la tour, juste après les salles de consultation médicales et les laboratoires chargés d’analyser les échantillons. Comme les autres, il s’agit d’une pièce en L avec une porte dans la petite partie. Celle-ci est annotée verticalement de "C. Orchent D.Sc., R&D" ainsi que vitrée pour que les patrouilles armées puissent voir ce qui se passe à l’intérieur. Deux fenêtres donnent sur l’extérieur et apportent de la lumière à un environnement étonnamment chaleureux : planché et mobilier de bois, incluant un large bureau avec ordinateur intégré et deux armoires à portes vitrées remplies de dossiers papiers.
L’automne newyorkais dure de novembre à novembre. Les températures moyennent vont de 5°C le matin à 12°C l’après-midi. Je n’ai donc nul besoin d’ajuster ma tenue. Le tailleur noir avec pantalon et chemise blanche boutonnée jusqu’au col est toujours le même. Le chignon qui me dégage le visage et discipline les cheveux est toujours le même. Le maquillage alliant fond de teint, rouge à lèvres et eyeliner est toujours le même. Je suis toujours la même, physiquement. Cela fait cependant sept semaines que j’accompagne Hunt. Je suis toujours la même, psychologiquement. Il a juste eu le temps d’en découvrir plus.
Je suis assise sur un fauteuil de cuir à haut dossier et roulettes. Hunt sur l’une des deux chaises de bois disponibles. L’autre est accolée dos au mur intérieur. Les salutations ont été échangées quand quelqu’un nous interrompt en toquant à la porte vitrée. Mon visage se crispe.
« Attendez-là. »
Je me lève une fois ma consigne donnée à Hunt. Quelques pas me suffisent à contourner le bureau et l’homme pour aller vers celui qui se tient sur mon seuil. Je le fixe en plissant les yeux même après que je me sois remémoré son identité.
« Bonjour, commence-t-il avec une assurance qui me semble similaire à son souvenir et ne me fait nullement changer d’expression. Je ne vais pas vous déranger longtemps, je suis sûr que vous êtes occupée.
- En effet, confirme-je en énonçant un fait.
- Enfin, je passais comme tous les matins et je me suis dit que… »
Michael Morgan Morbius se permet de franchir la porte de verre avec son gobelet de café fumant sur mon plan de travail de bois et de verre. Celui-ci est impeccablement rangé, soutenant seulement une lampe de bureau et un téléphone filaire. Le plus grand obstacle au dépôt de boisson est donc l’homme de prêt d’un mètre quatre-vingt dix qui est assis devant tout cela. Hunt. Pour ma part, je croise les bras avec mécontentement.
Le sourire de Morbius vient de son cœur. Ma crispation aussi.
« Ça pourrait vous faire plaisir, conclut-il une fois sa livraison faite.
- "Conseil de survie aux recrues du SHIELD numéro 117 : du bon café est en effet un type de monnaie valide dans l’économie de faveurs officieuse du SHIELD", cite-je froidement pour montre qu’il est peut-être prêt à passer agent plutôt qu’à rester consultant. Ce n’est cependant pas une raison suffisante pour me déranger. Même brièvement. »
Une seconde à fixer froidement l’homme que j’ai recommandé à la réinsertion sans pour autant l’intégrer à mon programme.
Alors que je passais comme à mon habitude l’entretien avec la sœur orchent que j’appréciais le moins, un homme entra dans la pièce et Célestine avait l’air aussi surprise que moi. Assise sur son fauteuil de cuir, elle se leva et m’ordonna d’attendre, je ne comptais pas bouger de toute façon. L’homme entre et commence à parler, je plains le pauvre homme car elle a l’air remonté encore plus que pendant l’interrogatoire avec Emy.
Il commence à parler avant que l’homme commence à s'avancer vers le bureau pour y déposer le gobelet. Il passe devant moi et son odeur malgré moi me fait réagir et j’ai les yeux qui devienne jaune le temps d’un instant. Je sais qu’elle l'a vue mais ne fait rien et reprend la conversation avec lui. Sans savoir ce qu’il est, je sais qu’il n’est pas humain et peut être animal. En écoutant la conversation j’apprend qu’il est agent du Shield ou en passe de le devenir et avant d’avoir le temps de cligner des yeux, elle l’invite cordialement et avec méchanceté à partir car il l’a dérange.
Une fois sortie et la méchante sorcière sur sa chaise, je me permets de parler.
« Adoptez une attitude de gratitude et remerciez pour tout ce qui vous arrive, en sachant que chaque pas en avant est un pas vers la réalisation de quelque chose de plus grand et de meilleur que votre situation actuelle. » Brian Tracy
Sa dernière entrevue avec mademoiselle Orchent ne s’était pas déroulée comme prévu : non pas qu’il s’était attendu à ce qu’elle lui déroule le tapis rouge et qu’elle déballe les petits gâteaux pour accompagner le café généreusement offert mais, tout de même. Elle n’est pas commode, et il a pu s’en rendre compte ; sa froideur et son indifférence de surface n’étaient donc pas causées par le contexte de leur première rencontre, à savoir la prison fort chaleureuse du Raft. C’est tout à fait naturel chez elle.
Après qu’elle l’ait envoyé balader — devant témoin sinon ce n’est pas drôle, le bougre ne lui en a guère tenu rigueur cependant. Il n’est pas d’une nature rancunière, et encore moins susceptible : c’est pourquoi il s’était excusé avec un léger sourire en partageant un regard complice avec l’homme assis dans le bureau, et avait abandonné le café encore chaud sur le bureau, ne s’éternisant pas davantage mais n’abandonnant pas l’idée non plus.
Les jours suivants, il a pris soin de déposer un café sur le bureau lorsqu’elle était absente, prenant soin de ne pas la croiser dans les couloirs pour ne pas subir sa potentielle colère. Mais il a fini par se dire que, peut-être, le café n’était pas sa tasse de thé : alors il a changé pour cette boisson, le thé, toujours dans le même gobelet acheté à la brasserie du coin. Comme ça, elle ne peut pas dire qu’il la dérange : ils n’ont même pas échangé un seul mot durant une semaine, jusqu’à ce qu’il la voit se débarrasser du gobelet encore plein : d’accord, elle n’aime pas le café, ni le thé.
Alors, le lendemain, il a choisi la troisième option : le chocolat. C’est ainsi armé de son gobelet fumant et émanant d’une douce odeur de chocolat gourmand qu’il s’avance vers le couloir où siège son bureau, et dans lequel, il le sait, elle ne se trouve pas : mais le malchanceux n’a que le temps de le déposer sur une serviette blanche — qu’il a lui-même rapporté pour ne pas salir le bureau, qu’il sent une présence derrière lui, et qu’il reconnaît l’odeur caractéristique de mademoiselle Orchent. « Décidément, » Souffle-t-il d’une voix amusée, pour lui-même plus qu’autre chose car il lui tourne encore le dos, avant de se retourner vers elle pour la saluer aimablement. « Je m’en vais. » Prévient-il calmement avant qu’elle n’ait le temps de parler, poursuivant tout en joignant la parole au geste, se rapprochant de la porte pour s’éloigner : « Bonne journée. »
Célestine Orchent Caelestis Agent du S.H.I.E.L.D. Niveau 7 S.W.O.R.D.’s H.B.I.C.
Mes poings se serrent doublement : non seulement Morbius se permet un léger sourire qui prouve l’absence de profondeur de ses excuses mais en plus il est fier de sa stupidité et partage celle-ci avec Hunt. Tant mieux que le premier n’ait pas les capacités morales d’être sous mes ordres car je n’aurais pas aimé un duo de débiles qui s’encouragent l’un l’autre. D’ailleurs le second s’y met une fois que le premier a débarrassé le planché !
« Au moins il a pensé à vous, c’est gentil, me dit Hunt une fois que je suis rassise, m’amenant à ramener des yeux froids sur lui.
- Dans les deux sens du terme, souligne-je froidement. C’est surtout inapproprié. Buvez si vous le voulez, je n’en ferais rien. »
***
Une citation française veut que "les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnait".
Samedi 16 novembre. Découvrir que le café a été déposé pendant l’un de mes moments d’absence du bureau me fait serrer de nouveau les poings et la mâchoire. Je me contente de le laisser là jusqu’à ma pause biologique suivante ; où je le déverse dans un évier puis le jette au recyclage. La peur commence déjà à m’enserrer la gorge mais je tâche de la rationnaliser : c’est le hasard qui a fait que je ne l’ai pas croisé. Morbius n’est pas suffisamment discret et stupide pour se dissimuler dans une base du SHIELD et en observer une agente afin d’attendre qu’elle s’absente de son bureau pour y déposer un truc.
Lundi 18 novembre. Découvrir que le café a été déposé deux fois, aussi bien le seul jour où je ne travaille pas quand je ne suis pas de garde que celui où je recommence ma semaine me fais signaler l’infraction dans mon bureau auprès des équipes de sécurité. Je les pourris comme il faut et leur balance le café aux pieds. Si un crétin qui ne cherche pas à s’infiltrer réussi à le faire malgré ma porte fermée à clé comment est-ce que les imbéciles affectés à la sécurité de ce bâtiment peuvent espérer arrêter un réel danger ?! Je m’en fous que la plupart soit entre le niveau 1 et le niveau 3, donc pas assez expérimentés pour faire autre chose que garder les installations du SHIELD ! Ils ont un taff, ils ont intérêt de le faire s’ils comptent le garder ! J’envoie aussi un mail signalement de cette brèche de sécurité à tous les chefs d’équipe et met l’agent Hand, sous-directrice en charge de cette base, en copie carbone. Visible histoire que tout le monde le sache. Je commence à enchainer les cigarettes histoire de me détendre.
Mardi 19 novembre. Découvrir que le café est encore déposé pendant l’un de mes rares moments d’absence de mon bureau me fait me rapprocher dangereusement de la crise d’angoisse. L’autre connard, ayant mérité sa deuxième syllabe, me surveille suffisamment pour attendre que je ne sois pas là et réussir à échapper à la surveillance des gardes comme à la mienne. Si cela se trouve, son obsession l’amène aussi à me suivre hors de ces lieux. Je demande mon changement de bureau immédiatement et averti la sécurité de mon immeuble de refuser l’accès à Morgan Morbius, photo à l’appui. J’ignore si les agents font le lien avec le tueur vampire et je m’en fous. Je prends mon doudou, un M4A1 customisé avec CQBR, viseur point rouge, C-Mag et lance-grenade coaxial M203, et m’en vais dormir dans la grande salle de bain de ma suite de maître. Une seule entrée possible, une porte coulissante donnant sur le couloir qui mène à mon petit salon. Je piège la porte avec une grenade défensive et dors en boule dans l’alignement du jacuzzi et de la douche afin d’avoir un maximum de couvert entre les shrapnels et moi si jamais la porte est ouverte. Les deux canons de mon arme sont pointés vers la fenêtre. Je passe une nuit blanche en enchainant les cigarettes. Je m'attends à voir Morbius apparaitre à la vitre tout en me demandant si j’ouvrirai le feu ou si j’arriverai à me retenir pour simplement le renvoyer au Raft pour le reste de son existence.
Mercredi 20 novembre. La première chose que je fais en arrivant est d’user de mes accès à la SHIELD pour afficher les déplacements du bracelet géolocalisé de Morbius depuis qu’il s’est mis dans l’idée que je le déteste. Il y a du soulagement à voir qu’il ne s’approche pas de chez moi. Je convoque l’agent Fondsec avant qu’elle ne m’amène Luke Hunt pour lui expliquer d’utiliser le traçage du bracelet si la vidéosurveillance du bâtiment n’est pas suffisante à empêcher Morbius de s’introduire dans mon bureau. Je suis également claire quant au fait que je lui enverrai son café brûlant au visage si je le croise. Je ne le croise pas. Je balance néanmoins le gobelet cartonné contre ma vitre en hurlant lorsque j’entre pour le retrouver à nouveau. Je demande un rendez-vous avec Hand pour avoir mon nouveau bureau d’affectation avant que l’autre connard ne me fasse péter un plomb et pour formuler l’hypothèse que des chefs d’équipe de sécurité laissent volontairement l’autre connard accéder à mon bureau pour me faire payer nos différences de professionnalisme.
Jeudi 21 novembre. J’ai mal au cœur juste de me rendre au travail. C’est comme une boule au niveau de ma poitrine et de ma gorge. Je passe la journée à fumer par la fenêtre du bureau. Je passe la journée à regarder derrière moi ou au plafond au cas où il soit là en train de m’épier. Je passe la journée avec la veste de tailleur ouverte et le holster de mon Smith & Wesson M&P de fonction à portée de main. J’ai envie d’en vider les cartouches sur le visage de Morbuis. J’ignore si je suis capable de le faire. Ce connard me pousse dans les retranchements de mon stress post-traumatique. J’avertis l’agent Fondsec de faire suivre le mot : il faut que les choses s’arrêtent au plus vite si le bizutage est réel. J’en suis presque à paniquer devant l’agent Gayre lorsqu’on prépare les nouveaux tests pour le confinement d’énergie télépathique. Toute l’équipe veut repousser lesdits tests du fait de mon irritabilité mais les faits et ferme sa gueule pour tenter de se faire oublier après que je leur ordonne de rester. L’échec habituel m’enrage plus que d’habitude. Je me résolus à relancer la demande d’activation des recherches sur les fusils psychiques en disant à tous que j’ai un cobaye en tête. Découvrir le gobelet en carton m’amène à le prendre dans ma main gauche et a le broyer afin que le liquide brulant ne me marque les chairs. Je me mords le poignet droit pour ne pas hurler et alerter mes collègues.
Vendredi 22 novembre. J’ai Jeremy Emerson pour me convoquer dans son bureau à mon arrivée. Je ne fais pas d’effort pour ne pas l’envoyer chier : mon stress post-traumatique et moi-même nous porterions très bien si une bande de connards malveillants ne soutenait pas un connard obsessif dans son harcèlement moral. Non, je n’ai pas contacté l’agent de probation dudit connard parce que celui-ci doit pouvoir encore apporter à l’Humanité et que je dois donc encaisser sa nuisance comme tout le monde doit encaisser la mienne. J’espère simplement qu’il est productif et que je ne fais pas tout ça pour rien. Je refuse l’arrêt de travail ni le travail à domicile parce que l’administration finira bien par me trouver un bureau et/ou ceux qui font exprès de créer des failles dans la sécurité pour qu’un putain de mutant avec collier anti-pouvoir et bracelet de géolocalisation parviennent à leur échapper. Non je ne vais pas aller les agresser plus que d’habitude. Si je les trouve je demande leurs revois à tous, chefs d’équipe inclus. Hand a accès aux horaires de ronde et doit déjà le savoir. Je n’ai pas l’habitude de me sentir bien dans mon environnement de travail mais je m’y sens désormais mal. Je serre la main gauche à travers les bandages pour que la douleur se suive d’une sensation d’apaisement. Je me dis qu’il faut que j’achète une balle antistress pour que personne ne remarquant ce geste ne le trouve suspect. Je retiens l’envie de me rebruler avec la boisson chaude et me contente de la balancer dans la poubelle sans rien en avoir à foutre du fait qu’elle se renversera et fera fondre le sac plastique. Je fume un paquet de cigarettes en 12h.
Samedi 23 novembre. J’observe l’écran de l’agent Gayre m’afficher la position GPS en temps réel de Morbius. Ma collègue a zoomé au maximum pour que l’on puisse essayer d’estimer lorsqu’il entre dans mon bureau. Je quitte le sien lorsque c’est le cas et me retrouve flanquée d’un agent Fondsec qui refuse de me laisser seule faire une bêtise. J’ai la veste ouverte et l’attache de sécurité du holster levée. Il me faut moins d’une minute pour me trouver dans l’encadrement de ma porte, derrière le connard.
« Décidément, s’amuse l’immondice après avoir posé une nouvelle boisson sur une serviette en papier blanche que j’ai envie de repeindre avec son sang de monstre et avant de me saluer avec son charme superficiel de psychopathe pour me dire qu’il s’en va ; deux choses qui me donnent presque des haut-le-cœur mais j’ai été entrainée à agir en situation de tension alors je me maitrise. Bonne journée.
- Ce n’en est pas une : vous êtes dedans, réponds-je immédiatement en levant ma main gauche pour insister de l’index chaque phrase tandis que ma main droite reste sur ma hanche au-dessus de mon arme de service. Comme chaque putain de journée. Depuis une putain de semaine. N’avez-vous pas mieux à faire de votre putain d’existence ? »
La SWORD, pour Sentient Weapon Observation and Response Division, est une unité spécialisée dans la surveillance et les contre-mesures destinées aux armes intelligentes présentes dans l’Index. J’ai eu raison de considérer que Morbius n’a pas sa place dans cette unité. Il est une arme intelligente mais de celles contre lesquels ont doit être prêts à intervenir. Il n’y a pas de recyclage dans son cas. Pas avec moi.
« Répondez. »
J’entends l’agent Fondsec souffler derrière moi. Elle n’est pas loin mais pas encore en train d’intervenir. Je ne serais pas capable de la contrer si elle le fait. Mes yeux, ma froideur et ma peur sont entièrement focalisés sur Morbius.
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